par Cinci » sam. 18 mai 2019, 12:05
Préface
par Joseph Moingt
"Je remercie les deux auteurs de ce livre de m'avoir invité à le préfacer; j'ai pris grand intérêt à le lire et je souhaite qu'il obtienne une très large audience. Je chercherai à dire les motifs de cet intérêt et de ce souhait [...]
Ce problème est celui de l'idée de la condition féminine et masculine que se fait et enseigne l'Église catholique sur la base d'un mythe des origines humaines, qui, évidemment, n'en est pas un pour elle, mais tout à la fois un fait d'histoire (il s'agit de la création du premier homme et de la première femme), un fait de nature (la différence de sexe entre l'un et l'autre, différence essentielle, invariable et inviolable) et un fait de révélation (consigné par l'Ancien Testament dans le récit de la relation entre Adam et Ève - récit que la tradition patristique a appelé "Protévangile" parce qu'il annonce et inaugure l'histoire du salut qui sera la transmission et la réparation du péché originel, texte réinterprété dans le Nouveau Testament sur la base du rapport entre Jésus et Marie dans les Évangiles, ou entre le Christ et l'Église dans la prédication paulinienne).
Or, le récit biblique, qui fonde et théorise pour toute la durée des temps le rapport homme-femme, est le pur reflet de la société archaïque, patriarcale et machiste : il assigne à l'un et l'autre des postures de fonction, déterminées uniquement par la biologie, il les dépersonnalise, il ignore leur caractère relationnel, il trace leur destinée d'avance au mépris de leur liberté et de leurs choix d'avenir, il réserve au mâle les attributs du pouvoir en raison de sa puissance génitale, et à la femme, en raison de sa vocation naturelle à la maternité, le rôle d'assistante, d'aide et de soutien de l'homme, les services domestiques et le soin des enfants. Il les fige l'un et l'autre à jamais dans un rapport réciproque de domination et de servitude. Le récit biblique n'a rien changé à la structure de la société primitive, il l'a seulement sacralisée grâce au mythe du précepte divin et de la désobéissance des premiers parents; et cette sacralisation se fait au détriment de la femme qui entraîne l'homme dans sa faute, et qui porte désormais la figure de la séduction, de la tentation au mal et le stigmate du péché.
[...]
La collusion du mythe ancestral et du mystère révélé fait système, bloquant la foi, la pensée et la vie de l'Église sur son fonctionnement institutionnel et érigeant le pouvoir hiérarchique, au sommet duquel trône la papauté, héritière de Pierre, en chaire de vérité à laquelle seule appartient le droit d'interpréter en tant que parole de Dieu tout ce qui est contenu dans les Écritures et véhiculé par la tradition. Ainsi toute vérité relève du pouvoir monarchique à qui est confié le service de l'enseigner, et le pouvoir se conforte en lui-même, confinant la vérité dans la fidélité à son passé institutionnel, si étranger qu'il soit à la vérité historique et à la simplicité doctrinal des Évangiles. Voilà le type de fonctionnement autoritaire qui a empêché le christianisme, à l'aube des Temps modernes, de comprendre le cours nouveau de la pensée et de la société occidentale, de s'y insérer et d'en être compris, notamment en ce qui concerne l'évolution de la condition féminine, du statut du couple, et aussi celui du sacerdoce.
Les nouvelles sciences humaines auraient pu remettre le magistère dans le cours du temps, mais le système dans lequel il s'était enfermé ne lui permettait pas de s'ouvrir à ces nouveautés, et la papauté du XIXe siècle s'est borné à les condamner toutes, à commencer par la démocratie. De nos jours, les papes ont multiplié les adresses bienveillantes aux femmes, aux couples, aux prêtres, mais assorties de condamnations renouvelées de la liberté des moeurs, en sorte que l'Église continue à perdre l'audience de nos sociétés sécularisées. Tel est le tableau inquiétant dressé par le livre de nos deux auteurs.
[...]
Dans la prédication par Jésus du Royaume de Dieu, il n'y avait pas de place pour une institution tentaculaire, ni de projet de prolonger sa mission dans quelque pouvoir humain solitaire et centralisateur; mais, sachant que l'histoire de Dieu avec nous se consommait en lui, il annonçait la venue d'un autre Paraclet, c'est à dire un autre lui-même, qui le remplacerait près des siens sans prendre sa place, l'Esprit de vérité, d'amour et de liberté. Et l'Esprit est venu, dans un éblouissement de paroles, libérant la parole de ceux et celles qui en étaient privés. Aujourd'hui à nouveau, comme à d'autres époques, il inspire de prendre la parole dans l,Église à ceux et celles qui n'y sont pas "autorisés" : signe des temps nouveaux qui appelle l'Église à s'ouvrir à la modernité.
Le magistère a vocation à discerner le bon grain de l'ivraie, lui dont la succession apostolique balise l'histoire qui rattache l'Église à Jésus - à condition toutefois de ne pas rejeter l'un avec l'autre, de ne pas rejeter au titre d'idées modernes, trop et seulement les nouvelles, les bonnes graines évangéliques que l'Église a semées dans le monde au cours de son histoire et qui ont porté des fruits de liberté et de vérité dans les Temps modernes, et de ne pas conserver comme hérités de Jésus tant de préjugés et de mythes que les traditions patriarcales ont déversés dans la tradition chrétienne depuis l'Ancien Testament où celle-ci plonge ses racines. Ce livre avertit donc le magistère du danger mortel que serait pour l'Église la répétition aujourd'hui du rejet de la modernité que fut la condamnation du "modernisme" dans le tournant du XIXe au XXe siècle. La vérité de l'Évangile, comme celle de la nourriture eucharistique, est dêtre partagée. Telle est l'invitation à déchiffrer le signe des temps nouveaux que ce livre adresse à ses lecteurs."
Joseph Moingt, s.j.
Source : Maud Amandier, Alice Chablis, Le Déni. Enquête sur l'Église et l'égalité des sexes, Paris, Éd. Bayard, 2014 ("Ils sont au pouvoir, elles sont au service")
[size=150][b]Préface
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[b]par Joseph Moingt
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"Je remercie les deux auteurs de ce livre de m'avoir invité à le préfacer; j'ai pris grand intérêt à le lire et je souhaite qu'il obtienne une très large audience. Je chercherai à dire les motifs de cet intérêt et de ce souhait [...]
Ce problème est celui de l'idée de la condition féminine et masculine que se fait et enseigne l'Église catholique sur la base d'un mythe des origines humaines, qui, évidemment, n'en est pas un pour elle, mais tout à la fois un fait d'histoire (il s'agit de la création du premier homme et de la première femme), un fait de nature (la différence de sexe entre l'un et l'autre, différence essentielle, invariable et inviolable) et un fait de révélation (consigné par l'Ancien Testament dans le récit de la relation entre Adam et Ève - récit que la tradition patristique a appelé "Protévangile" parce qu'il annonce et inaugure l'histoire du salut qui sera la transmission et la réparation du péché originel, texte réinterprété dans le Nouveau Testament sur la base du rapport entre Jésus et Marie dans les Évangiles, ou entre le Christ et l'Église dans la prédication paulinienne).
Or, le récit biblique, qui fonde et théorise pour toute la durée des temps le rapport homme-femme, est le pur reflet de la société archaïque, patriarcale et machiste : il assigne à l'un et l'autre des postures de fonction, déterminées uniquement par la biologie, il les dépersonnalise, il ignore leur caractère relationnel, il trace leur destinée d'avance au mépris de leur liberté et de leurs choix d'avenir, il réserve au mâle les attributs du pouvoir en raison de sa puissance génitale, et à la femme, en raison de sa vocation naturelle à la maternité, le rôle d'assistante, d'aide et de soutien de l'homme, les services domestiques et le soin des enfants. Il les fige l'un et l'autre à jamais dans un rapport réciproque de domination et de servitude. Le récit biblique n'a rien changé à la structure de la société primitive, il l'a seulement sacralisée grâce au mythe du précepte divin et de la désobéissance des premiers parents; et cette sacralisation se fait au détriment de la femme qui entraîne l'homme dans sa faute, et qui porte désormais la figure de la séduction, de la tentation au mal et le stigmate du péché.
[...]
La collusion du mythe ancestral et du mystère révélé fait système, bloquant la foi, la pensée et la vie de l'Église sur son fonctionnement institutionnel et érigeant le pouvoir hiérarchique, au sommet duquel trône la papauté, héritière de Pierre, en chaire de vérité à laquelle seule appartient le droit d'interpréter en tant que parole de Dieu tout ce qui est contenu dans les Écritures et véhiculé par la tradition. Ainsi toute vérité relève du pouvoir monarchique à qui est confié le service de l'enseigner, et le pouvoir se conforte en lui-même, confinant la vérité dans la fidélité à son passé institutionnel, si étranger qu'il soit à la vérité historique et à la simplicité doctrinal des Évangiles. Voilà le type de fonctionnement autoritaire qui a empêché le christianisme, à l'aube des Temps modernes, de comprendre le cours nouveau de la pensée et de la société occidentale, de s'y insérer et d'en être compris, notamment en ce qui concerne l'évolution de la condition féminine, du statut du couple, et aussi celui du sacerdoce.
Les nouvelles sciences humaines auraient pu remettre le magistère dans le cours du temps, mais le système dans lequel il s'était enfermé ne lui permettait pas de s'ouvrir à ces nouveautés, et la papauté du XIXe siècle s'est borné à les condamner toutes, à commencer par la démocratie. De nos jours, les papes ont multiplié les adresses bienveillantes aux femmes, aux couples, aux prêtres, mais assorties de condamnations renouvelées de la liberté des moeurs, en sorte que l'Église continue à perdre l'audience de nos sociétés sécularisées. Tel est le tableau inquiétant dressé par le livre de nos deux auteurs.
[...]
Dans la prédication par Jésus du Royaume de Dieu, il n'y avait pas de place pour une institution tentaculaire, ni de projet de prolonger sa mission dans quelque pouvoir humain solitaire et centralisateur; mais, sachant que l'histoire de Dieu avec nous se consommait en lui, il annonçait la venue d'un autre Paraclet, c'est à dire un autre lui-même, qui le remplacerait près des siens sans prendre sa place, l'Esprit de vérité, d'amour et de liberté. Et l'Esprit est venu, dans un éblouissement de paroles, libérant la parole de ceux et celles qui en étaient privés. Aujourd'hui à nouveau, comme à d'autres époques, il inspire de prendre la parole dans l,Église à ceux et celles qui n'y sont pas "autorisés" : signe des temps nouveaux qui appelle l'Église à s'ouvrir à la modernité.
Le magistère a vocation à discerner le bon grain de l'ivraie, lui dont la succession apostolique balise l'histoire qui rattache l'Église à Jésus - à condition toutefois de ne pas rejeter l'un avec l'autre, de ne pas rejeter au titre d'idées modernes, trop et seulement les nouvelles, les bonnes graines évangéliques que l'Église a semées dans le monde au cours de son histoire et qui ont porté des fruits de liberté et de vérité dans les Temps modernes, et de ne pas conserver comme hérités de Jésus tant de préjugés et de mythes que les traditions patriarcales ont déversés dans la tradition chrétienne depuis l'Ancien Testament où celle-ci plonge ses racines. Ce livre avertit donc le magistère du danger mortel que serait pour l'Église la répétition aujourd'hui du rejet de la modernité que fut la condamnation du "modernisme" dans le tournant du XIXe au XXe siècle. La vérité de l'Évangile, comme celle de la nourriture eucharistique, est dêtre partagée. Telle est l'invitation à déchiffrer le signe des temps nouveaux que ce livre adresse à ses lecteurs."
Joseph Moingt, s.j.
Source : Maud Amandier, Alice Chablis, [i]Le Déni. Enquête sur l'Église et l'égalité des sexes[/i], Paris, Éd. Bayard, 2014 ("Ils sont au pouvoir, elles sont au service")