par Cgs » mar. 06 mai 2014, 18:53
Silica a écrit :
Si je puis me permettre ces deux valeurs appartiennent au libéralisme et non à la liberté qui est une notion philosophique hautement subjective et insaisissable. Chacun la tord à loisir et deux opinions contraires peuvent tout à fait se revendiquer d'une prétendue liberté.
La propriété privée c'est ôter des biens à la jouissance commune, c'est l'individu qui sort du groupe. Ce n'est ni un mal ni un bien en soi, cela dépend de nos valeurs propres et de notre projet de société. Quelle liberté y a t-il si on est propriétaire d'un puits et que c'est à nous de décider si on en fait profiter les autres ? Doit-on remercier la clémence de celui qui consent à en partager l'eau ?
Le libéralisme si friand de se revendiquer de la "liberté" a abouti aujourd'hui à ce que des nations privilégiées, riches et obèses réduisent d'autres peuples en esclavage, pour tout moderne qu'il soit. Est-il aussi simple de s'en réjouir ? Peut-on appeler "liberté" faire ainsi usage de la force ?
Bonjour,
Je crois qu'il est dangereux pour la pensée de se réduire à l'opposition de systèmes.
Repartons de la notion philosophique de liberté. Cette notion n'est vague et insaisissable que si on ne s'interroge pas dessus. Mais en s'interrogeant, on peut approcher cette notion raisonnablement.
Postulat : l'homme est fondamentalement libre, ce qui le distingue de l'animal. L'homme est libre signifie qu'il n'est pas prédéterminé par une entité extérieure à lui d'une part, qu'il a la capacité de choisir le bien ou le mal d'autre part. Ce postulat ne se comprend d'ailleurs complètement que sous l'angle théologique, car les manifestations de la liberté humaine dans son histoire sont assez contradictoires. Votre idée selon laquelle la notion de liberté est subjective et contingente vient d'ailleurs de là.
Pourquoi ce postulat est raisonnable ? Car il reflète bien ce qu'est l'homme. Les trois premiers paragraphes du CEC et les trois premiers chapitres de la Genèse le montrent bien. La liberté humaine ne se comprend que si l'on considère qu'elle vient de Dieu, par définition parfaitement Libre.
Cette définition philosophique de la liberté s'applique dans tous les aspects de la vie humaine, y compris dans son travail. Découle de la liberté humaine la liberté de travailler ou de ne pas travailler et ses formes secondes. Un système politique ou économique qui contreviendrait à cette liberté fondamentale atteindrait la liberté du sujet lui-même. En l'espèce, le communisme, en interdisant la liberté d'entreprendre (conséquence logique de la collectivisation des moyens de production), viole la liberté de l'individu.
Regardons maintenant la notion de propriété. La doctrine sociale de l'Eglise (paragraphes 176 à 181) la définit non pas comme vous le faites (c'est une définition marxiste biaisée), mais de la façon suivante :
Par le travail, l'homme, utilisant son intelligence, parvient à dominer la terre et à en faire sa digne demeure: « Il s'approprie ainsi une partie de la terre, celle qu'il s'est acquise par son travail. C'est là l'origine de la propriété individuelle ».368 La propriété privée et les autres formes de possession privée des biens « assurent à chacun une zone indispensable d'autonomie personnelle et familiale; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine. Enfin, en stimulant l'exercice de la responsabilité, ils constituent l'une des conditions des libertés civiles ».369 La propriété privée est un élément essentiel d'une politique économique authentiquement sociale et démocratique et la garantie d'un ordre social juste. La doctrine sociale exige que la propriété des biens soit équitablement accessible à tous,370 de sorte que tous en deviennent, au moins dans une certaine mesure, propriétaires, sans pour autant qu'ils puissent les « posséder confusément».371
La propriété privée peut donc être légitime. Mais attention, la DSE précise bien que cette propriété privée ne doit pas être privante ! Autrement dit, elle doit servir l'Evangile, on ne possède pas pour soi mais pour les autres. La DSE l'explique très bien :
177 La tradition chrétienne n'a jamais reconnu le droit à la propriété privée comme absolu ni intouchable: « Au contraire, elle l'a toujours entendu dans le contexte plus vaste du droit commun de tous à utiliser les biens de la création entière: le droit à la propriété privée est subordonné à celui de l'usage commun, à la destination universelle des biens ».
Si l'on revient sur les systèmes, le libéralisme qui reposerait sur une propriété privante est à condamner fermement, tout autant qu'un système communiste qui viole la liberté humaine. Liberté et propriété marchent en effet ensemble. En revanche, rien n'interdit d'envisager un système économique fondé sur le libéralisme d'Adam Smith, de Ricardo, Walras et Jevons où la propriété a sa juste définition et sa juste place.
C'est pourquoi l'Eglise n'a jamais condamné le capitalisme en tant que système, mais seulement ses excès et ses travers. La lecture de la DSE peut nous aider à le comprendre (paragraphes 335 et suivants) :
- [+] Texte masqué
- 335 Dans la perspective du développement intégral et solidaire, on peut correctement apprécier l'évaluation morale que fournit la doctrine sociale sur l'économie de marché ou, simplement, économie libre: « Si sous le nom de “capitalisme” on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s'il serait peut-être plus approprié de parler d'“économie d'entreprise”, ou d'“économie de marché”, ou simplement d'“économie libre”. Mais si par “capitalisme” on entend un système où la liberté dans le domaine économique n'est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l'axe est d'ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative ».701 C'est ainsi qu'est définie la perspective chrétienne quant aux conditions sociales et politiques de l'activité économique: non seulement ses règles, mais aussi sa qualité morale et sa signification.
III. INITIATIVE PRIVÉE ET ENTREPRISE
336 La doctrine sociale de l'Église considère la liberté de la personne dans le domaine économique comme une valeur fondamentale et comme un droit inaliénable à promouvoir et à protéger: « Chacun a le droit d'initiative économique, chacun usera légitimement de ses talents pour contribuer à une abondance profitable à tous, et pour recueillir les justes fruits de ses efforts ».702 Cet enseignement met en garde contre les conséquences négatives qui dériveraient de la mortification ou négation du droit d'initiative économique : « L'expérience nous montre que la négation de ce droit ou sa limitation au nom d'une prétendue “égalité” de tous dans la société réduit, quand elle ne le détruit pas en fait, l'esprit d'initiative, c'est-à-dire la personnalité créative du citoyen ».703 Dans cette perspective, l'initiative libre et responsable dans le domaine économique peut aussi être qualifiée d'acte qui révèle l'humanité de l'homme en tant que sujet créatif et relationnel. Cette initiative doit donc jouir d'un vaste espace. L'État a l'obligation morale de n'établir de restrictions qu'en fonction des incompatibilités entre la poursuite du bien commun et le type d'activité économique mise en œuvre ou ses modalités de déroulement.704
337 La dimension créative est un élément essentiel de l'action humaine, notamment dans le domaine de l'entreprise, et elle se manifeste spécialement dans l'attitude de programmation et d'innovation: « Organiser un tel effort de production, planifier sa durée, veiller à ce qu'il corresponde positivement aux besoins à satisfaire en prenant les risques nécessaires, tout cela constitue aussi une source de richesses dans la société actuelle. Ainsi devient toujours plus évident et déterminant le rôle du travail humain maîtrisé et créatif et, comme part essentielle de ce travail, celui de la capacité d'initiative et d'entreprise ».705 À la base de cet enseignement se trouve la conviction que « la principale ressource de l'homme, c'est l'homme lui-même. C'est son intelligence qui lui fait découvrir les capacités productives de la terre et les multiples manières dont les besoins humains peuvent être satisfaits ».706
En revanche, l'Eglise a toujours condamné le communisme sans ambiguité. Le parallèle entre les deux systèmes ne tient pas, on ne peut pas raisonnablement choisir son camp sans contrevenir aux notions philosophiques fondamentales qui les sous-tendent.
Références :
La DSE (en ligne) :
http://www.vatican.va/roman_curia/ponti ... oc_fr.html
Divini Redemptoris (condamnation du communisme par Pie XI) :
http://www.vatican.va/holy_father/pius_ ... is_fr.html
Bien à vous,
[quote="Silica"]
Si je puis me permettre ces deux valeurs appartiennent au [u]libéralisme[/u] et non à la liberté qui est une notion philosophique hautement subjective et insaisissable. Chacun la tord à loisir et deux opinions contraires peuvent tout à fait se revendiquer d'une prétendue liberté.
La propriété privée c'est ôter des biens à la jouissance commune, c'est l'individu qui sort du groupe. Ce n'est ni un mal ni un bien en soi, cela dépend de nos valeurs propres et de notre projet de société. Quelle liberté y a t-il si on est propriétaire d'un puits et que c'est à nous de décider si on en fait profiter les autres ? Doit-on remercier la clémence de celui qui consent à en partager l'eau ?
Le libéralisme si friand de se revendiquer de la "liberté" a abouti aujourd'hui à ce que des nations privilégiées, riches et obèses réduisent d'autres peuples en esclavage, pour tout moderne qu'il soit. Est-il aussi simple de s'en réjouir ? Peut-on appeler "liberté" faire ainsi usage de la force ?[/quote]
Bonjour,
Je crois qu'il est dangereux pour la pensée de se réduire à l'opposition de systèmes.
Repartons de la notion philosophique de liberté. Cette notion n'est vague et insaisissable que si on ne s'interroge pas dessus. Mais en s'interrogeant, on peut approcher cette notion raisonnablement.
Postulat : l'homme est fondamentalement libre, ce qui le distingue de l'animal. L'homme est libre signifie qu'il n'est pas prédéterminé par une entité extérieure à lui d'une part, qu'il a la capacité de choisir le bien ou le mal d'autre part. Ce postulat ne se comprend d'ailleurs complètement que sous l'angle théologique, car les manifestations de la liberté humaine dans son histoire sont assez contradictoires. Votre idée selon laquelle la notion de liberté est subjective et contingente vient d'ailleurs de là.
Pourquoi ce postulat est raisonnable ? Car il reflète bien ce qu'est l'homme. Les trois premiers paragraphes du CEC et les trois premiers chapitres de la Genèse le montrent bien. La liberté humaine ne se comprend que si l'on considère qu'elle vient de Dieu, par définition parfaitement Libre.
Cette définition philosophique de la liberté s'applique dans tous les aspects de la vie humaine, y compris dans son travail. Découle de la liberté humaine la liberté de travailler ou de ne pas travailler et ses formes secondes. Un système politique ou économique qui contreviendrait à cette liberté fondamentale atteindrait la liberté du sujet lui-même. En l'espèce, le communisme, en interdisant la liberté d'entreprendre (conséquence logique de la collectivisation des moyens de production), viole la liberté de l'individu.
Regardons maintenant la notion de propriété. La doctrine sociale de l'Eglise (paragraphes 176 à 181) la définit non pas comme vous le faites (c'est une définition marxiste biaisée), mais de la façon suivante :
[quote]
Par le travail, l'homme, utilisant son intelligence, parvient à dominer la terre et à en faire sa digne demeure: « Il s'approprie ainsi une partie de la terre, celle qu'il s'est acquise par son travail. C'est là l'origine de la propriété individuelle ».368 La propriété privée et les autres formes de possession privée des biens « assurent à chacun une zone indispensable d'autonomie personnelle et familiale; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine. Enfin, en stimulant l'exercice de la responsabilité, ils constituent l'une des conditions des libertés civiles ».369 La propriété privée est un élément essentiel d'une politique économique authentiquement sociale et démocratique et la garantie d'un ordre social juste. La doctrine sociale exige que la propriété des biens soit équitablement accessible à tous,370 de sorte que tous en deviennent, au moins dans une certaine mesure, propriétaires, sans pour autant qu'ils puissent les « posséder confusément».371
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La propriété privée peut donc être légitime. Mais attention, la DSE précise bien que cette propriété privée ne doit pas être privante ! Autrement dit, elle doit servir l'Evangile, on ne possède pas pour soi mais pour les autres. La DSE l'explique très bien :
[quote]
177 La tradition chrétienne n'a jamais reconnu le droit à la propriété privée comme absolu ni intouchable: « Au contraire, elle l'a toujours entendu [b][u]dans le contexte plus vaste du droit commun de tous à utiliser les biens de la création entière[/u][/b]: le droit à la propriété privée est subordonné à celui de l'usage commun, à la destination universelle des biens ».
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Si l'on revient sur les systèmes, le libéralisme qui reposerait sur une propriété privante est à condamner fermement, tout autant qu'un système communiste qui viole la liberté humaine. Liberté et propriété marchent en effet ensemble. En revanche, rien n'interdit d'envisager un système économique fondé sur le libéralisme d'Adam Smith, de Ricardo, Walras et Jevons où la propriété a sa juste définition et sa juste place.
C'est pourquoi l'Eglise n'a jamais condamné le capitalisme en tant que système, mais seulement ses excès et ses travers. La lecture de la DSE peut nous aider à le comprendre (paragraphes 335 et suivants) :
[spoiler]335 Dans la perspective du développement intégral et solidaire, on peut correctement apprécier l'évaluation morale que fournit la doctrine sociale sur l'économie de marché ou, simplement, économie libre: « Si sous le nom de “capitalisme” on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s'il serait peut-être plus approprié de parler d'“économie d'entreprise”, ou d'“économie de marché”, ou simplement d'“économie libre”. Mais si par “capitalisme” on entend un système où la liberté dans le domaine économique n'est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l'axe est d'ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative ».701 C'est ainsi qu'est définie la perspective chrétienne quant aux conditions sociales et politiques de l'activité économique: non seulement ses règles, mais aussi sa qualité morale et sa signification.
III. INITIATIVE PRIVÉE ET ENTREPRISE
336 La doctrine sociale de l'Église considère la liberté de la personne dans le domaine économique comme une valeur fondamentale et comme un droit inaliénable à promouvoir et à protéger: « Chacun a le droit d'initiative économique, chacun usera légitimement de ses talents pour contribuer à une abondance profitable à tous, et pour recueillir les justes fruits de ses efforts ».702 Cet enseignement met en garde contre les conséquences négatives qui dériveraient de la mortification ou négation du droit d'initiative économique : « L'expérience nous montre que la négation de ce droit ou sa limitation au nom d'une prétendue “égalité” de tous dans la société réduit, quand elle ne le détruit pas en fait, l'esprit d'initiative, c'est-à-dire la personnalité créative du citoyen ».703 Dans cette perspective, l'initiative libre et responsable dans le domaine économique peut aussi être qualifiée d'acte qui révèle l'humanité de l'homme en tant que sujet créatif et relationnel. Cette initiative doit donc jouir d'un vaste espace. L'État a l'obligation morale de n'établir de restrictions qu'en fonction des incompatibilités entre la poursuite du bien commun et le type d'activité économique mise en œuvre ou ses modalités de déroulement.704
337 La dimension créative est un élément essentiel de l'action humaine, notamment dans le domaine de l'entreprise, et elle se manifeste spécialement dans l'attitude de programmation et d'innovation: « Organiser un tel effort de production, planifier sa durée, veiller à ce qu'il corresponde positivement aux besoins à satisfaire en prenant les risques nécessaires, tout cela constitue aussi une source de richesses dans la société actuelle. Ainsi devient toujours plus évident et déterminant le rôle du travail humain maîtrisé et créatif et, comme part essentielle de ce travail, celui de la capacité d'initiative et d'entreprise ».705 À la base de cet enseignement se trouve la conviction que « la principale ressource de l'homme, c'est l'homme lui-même. C'est son intelligence qui lui fait découvrir les capacités productives de la terre et les multiples manières dont les besoins humains peuvent être satisfaits ».706[/spoiler]
En revanche, l'Eglise a toujours condamné le communisme sans ambiguité. Le parallèle entre les deux systèmes ne tient pas, on ne peut pas raisonnablement choisir son camp sans contrevenir aux notions philosophiques fondamentales qui les sous-tendent.
Références :
La DSE (en ligne) : http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/justpeace/documents/rc_pc_justpeace_doc_20060526_compendio-dott-soc_fr.html
Divini Redemptoris (condamnation du communisme par Pie XI) : http://www.vatican.va/holy_father/pius_xi/encyclicals/documents/hf_p-xi_enc_19031937_divini-redemptoris_fr.html
Bien à vous,