Sur la non-violence et le patriotisme

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » dim. 29 sept. 2019, 20:48

Ah voilà ! Cette page que je cherchais ...


"... jamais on a osé nier l'obligation envers la patrie autrement qu'en niant la réalité de la patrie. Le pacifisme extrême selon la doctrine de Gandhi n'est pas un négation de cette obligation, mais une méthode particulière pour l'accomplir." (S. Weil, L'Enracinement, p. 204)




Et par conséquent ...

Il serait surprenant que Tolstoï ait pu vouloir nier carrément l'existence de la patrie. Or si elle existe, cette patrie, il faut bien que certaines obligations découlent de cette existence même.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » dim. 29 sept. 2019, 2:00

Si je repense à Tolstoï, alors pour lui les mots "patriotes" ou "nationalistes" pourraient être tantôt de parfaits synonymes et dont des amateurs de grandeur que nous dénoncerions pourraient toujours se revêtir. Un exécutant enthousiaste de la division Leibstandarte Adolph Hitler de 1943 aura toujours pu se qualifier lui-même de "patriote". Idem avec le bon Français voulant servir dans la division Charlemagne. Les mots ne veulent pas dire grand chose à la fin. Ce qui compte en vérité c'est bien plutôt la sorte de dynamique à laquelle on s'attache.

En terme d'enracinement pour faire écho à ce que Simone Weil racontait, j'aurai vu aussi une définition qu'un certain Régis Debray imaginez (si, si) aura pu écrire à quelque part et une définition à propos du sacré.

Surprise ...
Dans son plus récent livre (Jeunesse du sacré, Gallimard), Régis Debray, qu’on ne saurait qualifier de fumeux conservateur de droite, affirme que le « sacré », c’est à la fois tout ce qui nous précède et ce qui nous succède. Il nous invite à « nous débarrasser des fausses idées reçues » en cette matière. Le sacré a cette mission bien particulière, selon lui, de « nous faire aller plus loin, plus haut, d’assurer notre continuité dans le temps ». Le sacré, c’est finalement « ce qui nous fait nous tenir debout et vaincre la mort »

Pierre Paul Sénéchal, "Comment chanter un pays que l'on ne reconnaît plus ?" dans L'Action nationale, janvier 2013.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » dim. 29 sept. 2019, 1:30

Ce n'est pas à tort si je pouvais amener la figure de Gandhi dans mon propos juste au-dessus, car (chose intéressante ! Et grâce à vous) j'ai vu que c'est bien Simone Weil elle-même qui évoque Gandhi à quelque part dans les pages de L'Enracinement. Pour le moment, je n'arrive pas à retrouver la page.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » dim. 29 sept. 2019, 1:20

Salut Booz,

Je cherche toujours ce qu'elle aura pu dire à propos de ce patriotisme de compassion.

Vous disiez :
Booz :
Le patriotisme de compassion, puisque vous connaissez Weil, fait partie de ce qu'elle appelle les intermédiaires. Le propre d'un intermédiaire, c'est qu'il reste relatif, et c'est un tremplin pour l'individu vers sa destinée supérieure et éternelle. Si cet intermédiaire s'érige en absolu, alors il y a idolâtrie, et la patrie devient le lieu d'une recherche de gloire et d'expansion (et donc on aboutit à la violence).
Elle écrivait aussi :

"... un patriotisme inspiré par la compassion donne à la partie la plus pauvre du peuple une place morale privilégiée. La grandeur nationale n'est un excitant parmi les couches sociales d'en bas que dans les moments ou chacun peut espérer, en même temps que la gloire du pays, une part personnelle à cette gloire aussi large qu'il peut désirer. " (p. 222)

"... si la patrie lui est présentée comme une chose belle et précieuse, mais d'une part imparfaite, d'autre part très fragile, exposée au malheur, qu'il faut chérir et préserver, il s'en sentira avec raison plus proche que les autres classes sociales. Car le peuple a le monopole d'une connaissance, la plus importante de toutes peut-être, celle de la réalité du malheur [...] Si une telle relation s'établissait entre le peuple et la patrie, il ne ressentirait plus ses propres souffrances comme des crimes de la patrie envers lui, mais comme des maux soufferts par la patrie en lui. (p.225)

Auparavant :

'... un amour parfaitement pur de la patrie a une affinité avec les sentiments qu'inspirent à un homme ses jeunes enfants, ses vieux parents, une femme aimée. La pensée de la faiblesse peut enflammer l'amour comme celle de la force, mais c'est d'une flamme bien autrement pure. La compassion pour la fragilité est toujours liée à l'amour pour la véritable beauté, parce que nous sentons vivement que les choses vraiment belles devraient être assurées d'une existence éternelle et ne le sont pas. On peut aimer la France pour la gloire qui semble lui assurer une existence étendue au loin dans le temps et l'espace. Ou bien on peut l'aimer comme une chose qui, étant terrestre, peut être détruite, et dont le prix est d'autant plus sensible. " (p. 219)

Elle couchait tout cela sur le papier en 1943, Simone Weil, c'est à dire au moment justement ou un bon nombre de Français ressentaient vivement ce que pouvait vouloir dire être privé de sa patrie, se trouver déloger de chez soi, être aliéné comme d'une partie de soi-même.

Enfin ...

C'est vrai qu'elle semblait opposer finalement une sorte de patriotisme orgueilleux à un patriotisme d'enracinement et se traduisant aussi par une compassion envers les classes laborieuses je dirais. Elle oppose une recherche de grandeur, comme chose assez vaine et dont seule une poignée pourrait tirer les ficelles de cela et en profiter matériellement, à une recherche de justice; donc une dynamique excluant en réalité les classes les moins fortunées du pays dans le premier cas. L'opération "grandeur" ne tournant fatalement qu'à l'oppression des autres, soit les "Annamites" comme elle dit (ou les Coolies en Inde; comme aurait pu dire Gandhi) soit les pauvres en métropole.

Elle dénonçait l'impérialisme. La recherche de grandeur comme ce qui faisait le lit du Japon impérial dont la politique devait être menée par ses généraux ivres d'une force qu'ils croyaient bien être la leur. Elle dénonçait le fascisme avec ses promesses étouffantes de grandeur pour tous ceux ("les esclaves, les nègres, les sous-hommes, les moins intelligents, les humbles travailleurs manuels, etc.) qui ne devraient pas pouvoir prendre place au banquet.

Donc, finalement, c'est ce genre de patriotisme que Tolstoï aura dû vouloir dénoncer en premier. Une recherche de grandeur éblouissante pour écraser bien du monde. Et a contrario le patriotisme de compassion serait tel ce que Gandhi aura voulu faire de son côté : oeuvre de compassion pour les siens, les vieux, les jeunes, les humbles et qui sont également ceux à travers desquels la patrie se trouve malmenée. Il s'agirait de faire oeuvre de libération, pour que soit mis fin à une certaine oppression dont les siens seront victimes.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » jeu. 26 sept. 2019, 0:44

Des réflexions intéressantes tirées de L'Enracinement :

"... les chrétiens sont sans défense contre l'esprit laïque. Car ou ils se donnent entièrement à une action politique, une action de parti, pour remettre le pouvoir temporel aux mains d'un clergé, ou de l'entourage d'un clergé; ou bien ils se résignent à être eux-mêmes irréligieux dans toute la partie profane de leur propre vie, ce qui est généralement le cas aujourd'hui, à un degré bien plus élevé que les intéressés eux-mêmes n'en ont conscience. " (p. 153)


"... Richelieu, dont certaines observations sont si prodigieusement lucides, dit avoir reconnu par expérience que, toutes choses égales d'ailleurs, les rebelles sont toujours moitié moins forts que les défenseurs du pouvoir officiel. Même si l'on pense soutenir une bonne cause, le sentiment d'être en rébellion affaiblit. Sans un mécanisme de ce genre, il ne pourrait y avoir aucune stabilité dans les sociétés humaines. Ce mécanisme explique l'emprise du Parti communiste. Les ouvriers révolutionnaires sont trop heureux d'avoir derrière eux un État - un État qui donne à leur action ce caractère officiel, cette légitimité, cette réalité, que l'État seul confère, et qui en même temps est situé trop loin d'eux géographiquement , pour pouvoir les dégoûter. De la même manière, les Encyclopédistes, profondément mal à l'aise d'être en conflit avec leur propre souverain, avaient soif de la faveur des souverains de Prusse ou de Russie." (p. 162)



Sur la religion comme affaire privée :

"... la religion a été proclamée une affaire privée. Selon les habitudes d'esprit actuelles, cela ne veut pas dire qu'elle réside dans le secret de l'âme, dans ce lieu profondément caché ou même la conscience de chacun ne pénètre pas. Cela veut dire qu'elle est affaire de choix, d'opinion, de goût, presque de fantaisie, quelque chose comme le choix d'un parti politique ou même comme le choix d'une cravate; ou encore qu'elle est affaire de famille, d'éducation, d'entourage. Étant devenue une chose privée, elle perd le caractère obligatoire réservé aux choses publiques, et par suite n'a plus de titre incontesté à la fidélité.

Quantité de paroles révélatrices montrent qu'il en est ainsi. Combien de fois, par exemple, n'entend-on pas répéter ce lieu commun : : Catholiques, protestants, juifs ou libres-penseurs, nous sommes tous Français", exactement comme s'il s'agissait de petites factions territoriales du pays, comme on dirait : "Marseillais, Lyonnais ou Parisiens, nous sommes tous Français. Dans des textes émanés du pape, on peut lire : "Non seulement du point de vue chrétien, mais plus généralement du point de vue humain ..."; comme si le point de vue chrétien, qui ou bien n'a aucun sens, ou bien prétend envelopper toutes choses dans ce monde et dans l'autre, avait un degré de généralité moindre que le point de vue humain. On ne peut concevoir un aveu de faillite plus terrible. Voilà comment se paie les anathema sit. En fin de compte, la religion, dégradée au rang d,affaire privée, se réduit au choix d'un lieu ou aller passer une heure ou deux, le dimanche matin.

Ce qu'il y a de comique, c'est que la religion, c'est à dire la relation de l'homme avec Dieu, n'est pas regardée aujourd'hui comme une chose trop sacrée pour l'intervention d'aucune autorité extérieure, mais est mise au nombre des choses que l'État laisse à la fantaisie de chacun, comme étant de peu d'importance au regard des affaires publiques. C'est là la signification actuelle du mot de tolérance. " (p. 164)

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » lun. 23 sept. 2019, 23:54

Bonjour Booz,

Merci pour la réflexion.

Je n'avais pas le souvenir que Simone Weil aurait pu faire la distinction que vous dite. J'ai toujours son livre chez moi. Mais il fait un bail que je l'aurai lu. Il faudrait que je regarde ça.

Vous disiez :
Booz :
Le patriotisme, dans ce cadre, est très précieux pour Simone Weil, car, comme son nom l'indique, il désigne le "pays des pères", ce qui signifie qu'il implique la dimension d'un héritage transmis et donné en partage aux individus, terreau nécessaire à la préservation d'un milieu vital qui est le socle des groupements humains et qui leur assure une pérennité temporelle ainsi qu'une sécurité psychologique importante. Quand une patrie s'effondre, c'est tout un monde qui tombe et qui emporte avec lui des millions de vie humaine dans sa destruction et sa détresse.
Ce serait intéressant de trouver une nuance semblable chez l'écrivains russe, enfin si ça se trouve. Avec le brûlot que j'aurai trouvé, on aurait d"emblée le sentiment contraire. Mais ce sentiment premier n'est peut-être lui-même qu' une illusion en partie.

Parce que ...

Gandhi lui-même n'aura jamais rien fait d'autre que de s'appuyer sur une ligne de force collective d'ordre patriotique. Travailler en vue de l'émancipation de l'Inde ou des indiens, vouloir les sortir de l'oppression du système impérial britannique (sa violence, son racisme) mais c'est bien inscrire son propre champ d'action dans le cadre national.

Pour y exprimer, chez l'apôtre de la non violence, un amour de sa patrie ? sans aucun doute. Et ce qui n'exclut pas un regard bienveillant sur d'autres nationalités que la sienne, un respect pour d'autres cultures ou civilisations. On voit tout de même Tolstoï ouvert au combat de son quasi-disciple, son admirateur de nationalité indienne. Et cela en dépit de ce qu'il aura bien pu écrire sur le nationalisme des opprimés comme devant être une chose exécrable (!)

Oui

Un patriotisme de compassion ? Ce n'est pas si bête comme idée. Dans l'idée éventuelle, j'imagine, que de relever l'écrasé d'une part, de l'autre, soulager l'oppresseur de la mise en oeuvre de son propre mécanisme d'oppression d'autrui, resterait comme un service à pouvoir rendre à tous. Le genre médecine amère à faire avaler en premier à plusieurs, mais opération médicinale quand même.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » mer. 18 sept. 2019, 10:41

Fleur de Lys,

Je ne vous oublie pas.
Fleur de Lys :
En effet, cela fait froid dans le dos de lire ces mises en garde 4 ans avant la Grande Guerre, et 100 ans plus tard, quelles leçons en a t-on tirées?
Oui, on peut dire au moins qu'il voyait juste quant à la course à l'abîme dans laquelle les différentes puissances ont fini par être plongées. Le caractère de guerre de matériel sans merci, avec impossibilité de la moindre sortie négociée vers le haut de la guerre de 1914, provenait sans doute de ce que tout le monde sacrifiât au culte de la force, à la loi du plus fort. Il y prenait coûte que coûte un gagnant et des perdants. Il s'agissait de pouvoir gagner à tout prix. Et, parlant de prix, mais Le prix à payer de tout cela pour le propre pays de Tolstoï fut incalculable, quand on songe qu'il en est résulté la prise du pouvoir par les bolchéviques en 1917.

C'est comme s'il avait une boule de cristal quand il écrivait qu'à la fin il faudrait cesser soit de croire en Dieu tout à fait (se libérer de la morale chrétienne, etc.) ou soit cesser de croire au culte de la force, avec son engloutissement de ressources, pour maintenir sur un pied de guerre des armées impressionnantes d'efficacité. Eh bien, en Russie l'on cessât bien de croire officiellement en Dieu, toutes ces années du communisme et lorsque toutes les ressources du pays ou presque seront passé dans l'entretien d'une force militaire assez substantielle. Tout le pays aura été mis à la disette afin de stocké des missiles nucléaires.

Cent ans plus tard ? Ce que disait Tolstoï semble - hélas ! - devoir prendre une tournure de réalité dans nos propres pays et lorsque c'est bien chez nous (après la mort du communisme russe) que la foi semble disparaître comme une peau de chagrin. "Il faudra cesser de croire au Dieu de la révélation chrétienne afin de pouvoir mieux embrayé dans des politiques matérielles de puissance (complexe militaro-industriel)", pouvait penser Tolstoï d'une manière. Et l'évolution de ce qui se passe aux États-Unis semble bien progresser dans ce sens. Un pays chrétien ? De moins en moins; ... en tout cas du côté des décideurs. Et c'est pour cela que j'avais amené un petit extrait d'un article, dans lequel on pouvait y lire une récente remarque faite par l"ancien président des États-Unis Jimmy Carter, - et un vrai chrétien, celui-là -, qui trouvait proprement hallucinant la dévolution de ressources et sommes d'argent consacrées au domaine militaire chez lui. On voit bien aussi à quoi sert cette force accumulée. Elle sert à attenter à la souveraineté des autres.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Solene111 » mer. 18 sept. 2019, 6:12

Cinci, évidemment que dans certains cas là violence est nécessaire, mais il est avant tout nécessaire de soigner. Vous ne soignez pas un fou en lui tapant sur la tête avec un bâton. Par contre s'il n'y a pas d'autre possibilité, il faut le maîtriser avec la force.

Mais concernant ces sujets, il faut faire de la généalogie. Le djihadisme, c'est l'Occident qui l'a crée. Par exemple quand les Américains sont partis en croisade, Bush a employé le terme, en Irak. Le djihadisme ne sort pas de nul part. Quand on est violent, quand on bombarde l'Afghanistan, l'Irak, la Lybie, il ne faut pas s'étonner de voir des réactions de violence (et des migrants).

Et donc ensuite il faut assumer ses responsabilités. Arrêtons de vouloir faire la loi chez les autres. Laissons les gérer leur pays.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » mer. 18 sept. 2019, 2:56

Merci pour l'intérêt !


Solene111 :

Tolstoi, Gandhi ont raison. Il ne faut pas confondre "être belliqueux" et "être souverainiste". Être souverainiste c'est pouvoir prendre ses propres décisions, ce n'est pas du tout faire la guerre.
Moi, ce que je ne savais pas : c'est comment Tolstoï avait pu être le maître à penser de Gandhi. Je n'ai jamais vu ça nulle part jusqu'ici si je parle pour moi. Nulle part dans la presse, les livres, film ou autre. Je trouve le rapprochement intéressant. Bon à savoir.

On pourrait mettre en balance la dynamique spirituelle (et absolument admirable !) qui était celle de Gandhi (et donc père de l'Inde contemporaine, l'Inde désormais souveraine ...) versus la dynamique actuelle qui serait celle des dirigeants en place dans ce même pays, porteurs d'un dynamique plutôt "identitaire" et au sens de ce que n'aimait pas du tout Tolstoï apparemment ("nous contre eux"; les intérêts de l'hindouisme "contre" ... raidissement, rigidité, guerre ...")

Merci de définir le souverainisme comme vous le faite.

Rendez à Cesar ce qui lui appartient. Le christianisme est fondamentalement non violent, Tolstoi, Gandhi ont raison.
C'est là une question potentielle à multiple facettes. J'éprouverais moi-même quelques difficultés avec certains aspects du radicalisme à la Tolstoï. Mais c'est peut-être moi là-dessus qui pourrait avoir tort. Bon, à moins qu'ici aussi différents points de vue sur la question pourraient être légitimes dans un sens.

:?:

Un Maurice Bellet que je lisais il y a quelque temps dirait qu'il ne faudrait pas craindre de refuser d'endosser bien des choses du passé et ayant pu être fait au nom de la foi, Dieu, etc. Il faudrait reconnaître les abus, etc. Par exemple, il pensait aux croisades évidemment. Mais ... moi, pour l'instant ... Non, il y a rien à faire ... Je ne suis pas capable de voir en rétrospective (et de façon réductrice à mon sens) la démarche initiale qui fut celle des croisés de l'époque comme un truc malsain, ignoble, contraire à l'esprit du christianisme. Pour l'époque, j'y aurais vu bien davantage une façon de christianiser ou de vouloir canaliser (en mieux ! tentative de faire passer l'idéal chevaleresque) une certaine activité désordonnée et agitée de gens de pouvoir ou de guerre.

Le problème avec la condamnation a posteriori et unidimensionnelle mais c'est qu'elle fait l'impasse sur ce qu'était les buts louables recherchés par ses idéateurs, ainsi que sur le caractère admirable de dévouement et d'oblation auxquels le mouvement aura pu donner naissance.

On va nous vanter de nos jours l'action des casques bleu, la force que l'ONU mettrait sur pied pour aller refroidir les ambitions de quelque parti guerrier enthousiaste et bien massacreur. Mais les croisés sont l'idéal-type qui servent de modèle à nos beaux penseurs humanistes de l'ONU. Ainsi, l'idée d'une force militaire mise au service du Bien, pour protéger la veuve et l'orphelin, pour casser l'élan des djihadistes maniaques, des sectateurs du vieux de la montagne, des assassins sortis des contreforts du Liban.

Quand notre pape François le pacifiste aura entendu parler des militants djihadistes, fumeurs de haschisch, tortionnaires, coupeurs de membres, violeurs et esclavagistes (lors de l'affaire des Yézidis avec l'avance de l'armée de Daesch) c'est assez simple : il a craqué. Il ne savait plus trop que dire pour éviter de dire ce que le pape Urbain II aurait dit dans son temps, mais bien qu'adressant pourtant, lui aussi, de muettes prières, pour que quelqu'un se chargeasse bien du boulot ! allez mettre un terme au désordre. Et puis y allez militairement (si, si) bien que pas trop, juste suffisamment idéalement.

On peut dire que la paix c'est mieux, la non-violence c'est bien et l'Église elle-même ne peut pas se permettre de faire la promotion de la violence (entendre : l'application d'une force au profit de l'injustice, le désordre, le scandale, la démultiplication de souffrances inutiles, " lâchez la bonde à des passions bestiales", etc.) Mais il peut arriver que des croyants puissent être amenés épisodiquement à devoir poser quelque geste pouvant être compris comme une forme de violence, je pense. Et même si ce serait juste un militant pratiquant tantôt une action de sabotage dans une usine de production d'arme nucléaire. Même si c'était juste un militant s'introduisant par effraction sur un site gouvernemental pour peinturer un slogan hostile à une politique douteuse. C'est difficile d'imaginer une situation existentielle dépourvue totalement de la moindre "violence", de toute action pouvant être perçue comme un agissement belliqueux.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Solene111 » mar. 17 sept. 2019, 18:59

J'ai lu le premier message. Évidemment que Tolstoi a raison!!! Plutôt deux fois qu'une. Le véritable christianisme est non violent, certains se sont fait martyrisés. Et les béatitudes alors? Et "tendez l'autre joue"? Jesus a t il déjà été violent (je ne dis pas en colère, je dis violent)? Rendez à Cesar ce qui lui appartient. Le christianisme est fondamentalement non violent, Tolstoi, Gandhi ont raison. Il ne faut pas confondre "être belliqueux" et "être souverainiste". Être souverainiste c'est pouvoir prendre ses propres décisions, ce n'est pas du tout faire la guerre. On peut être souverain et pacifiste. L'opinion de Tolstoi n'a rien d'extrême, elle est sage.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Fleur de Lys » lun. 16 sept. 2019, 22:28

Merci cher Cinci pour ce partage qui pousse à la réflexion.

L'égoïsme est cité comme un penchant naturel de l'Homme, mais le patriotisme ne le serait-il pas lui aussi? La fierté du clan, de la tribu, organisation qui me semble être on ne peut plus naturelle. La patrie n'en serait que l'exagération instrumentalisée par les Grands de ce monde.

Le christianisme nous pousse au contrôle de nos penchants naturels (égoïsme, gloutonerie, sexualité, etc.) car est-ce bien naturel de "tendre l'autre joue"?

En effet, cela fait froid dans le dos de lire ces mises en garde 4 ans avant la Grande Guerre, et 100 ans plus tard, quelles leçons en a t-on tirées?

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 14:33

Il est "terrible" de voir la hauteur de vue d'hommes comme Gandhi au début du XXe siècle et le mode d'engagement auquel il voulait convier ses disciples en comparaison de ce que nous voyons de nos jours. Que ce soit le terrorisme islamique, le comportement des anti-fa, celui des pays de l'OTAN dans leur croisade contre la terreur, même celui des fans du "multi" qui tendent à devenir eux aussi de plus en plus violents, amateurs de censure, de légalisme oppressif et d'État policier en fin de compte.

Je me dis que Tolstoï et Gandhi étaient autrement plus révolutionnaires encore que bien du monde d'aujourd'hui.

Avant même la guerre de 1914, et avant 1917 et la révolution dite d'octobre en Russie, Tolstoï prévoyait le massacre dans une bonne mesure et délégitimait d'avance les uns et les autres, aussi bien les Poincarré, les Guillaume II ou généraux de la Grande guerre mais que les idéologues à la Lénine, Staline ou Trotski par la suite; tous des adeptes de l'idée de pouvoir instrumentaliser la violence d'une manière afin de pouvoir parvenir à leurs buts et au triomphe de la bonne cause.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 13:55

Je trouve (avec le recul) les propos de Léon Tolstoï drôlement stimulants et propres aussi à remettre en question une partie de ce que je peux moi-même penser et dire au gré de pages de discussions.

Je trouve que cet échange épistolaire entre lui et Gandhi au début du XXe siècle nous donne quand même tout un éclairage sur le comportement de nos gouvernements, mais ne serait-ce qu'à songer aux dépenses militaires qui seraient celles du seul gouvernement américain.


Depuis 1979, savez-vous combien de fois la Chine a été en guerre avec qui que ce soit? Aucune. Et nous sommes restés en guerre » a-t-il dit. Carter a poursuivi: « Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l'histoire du monde en raison de sa volonté d'imposer les valeurs américaines à d'autres pays. La Chine investit ses ressources dans des projets tels que les chemins de fer à grande vitesse, au lieu des dépenses militaires. "Combien de kilomètres de chemin de fer à grande vitesse avons-nous dans ce pays?" »

« Aucun », a répondu la congrégation.

« Nous avons gaspillé, je pense, 30 000 milliards de dollars », a déclaré Carter, évoquant les dépenses militaires américaines. « La Chine n'a pas gaspillé un seul centime sur la guerre, et c'est pourquoi elle est en avance sur nous. Dans presque tous les domaines. Si nous prenions 30 000 milliards de dollars et que nous les investissions dans les infrastructures américaines, nous aurions des chemins de fer à grande vitesse. Nous aurions des ponts qui ne s'effondreraient pas. Nous aurions des routes bien entretenues. Notre système éducatif serait aussi bon que celui de la Corée du Sud ou de Hong Kong, par exemple. » Carter n’a malheureusement pas mentionné le financement d’un système public de soins de santé.

(propos de l'ancien président des États-Unis Jimmy Carter, le 5 avril 2019 )


http://lautjournal.info/20190826/jimmy- ... et-trudeau
Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l'histoire du monde en raison de sa volonté d'imposer les valeurs américaines à d'autres pays, dit Jimmy Carter. La loi du plus fort, la loi des caïds de Chicago, comme disait le gauchiste Noam Chomsky que j'aime bien. Contradiction flagrante d'avec la religion du Christ aurait dit Léon Tolstoï.

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 12:22

(suite)

C'est pourquoi toute la vie des peuples chrétiens est une contradiction totale entre ce qu'ils professent et ce sur quoi ils construisent leur vie : une contradiction entre l'amour admis comme étant la loi de la vie, et la violence admise même comme une nécessité sous ses différents aspects, comme le pouvoir des gouvernants, les tribunaux et les armées, admis et exaltés. Cette contradiction n'a cessé de se développer en même temps que l'évolution des hommes du monde chrétien, et elle a atteint ces derniers temps un degré ultime.

Aujourd'hui, la question se pose à l'évidence en ces termes : de deux choses l'une - soit si nous reconnaissons que nous n'admettons aucune doctrine religieuse et morale, et que nous nous guidons pour organiser notre vie sur le seul pouvoir de celui qui est le plus fort, soit que toutes nos institutions judiciaires et policières, et surtout l'armée, constituées grâce à la violence et à la collecte de nos impôts, doivent être abolies.

Ce printemps, à un examen de catéchisme dans l'une des institutions pour jeunes filles de Moscou, le maître de religion, puis l'évêque présent, interrogèrent les jeunes filles sur les commandements et en particulier le sixième. Après une réponse correcte à ce sujet, l'évêque avait coutume de poser une autre question : "Le meurtre est-il toujours, dans quelque circonstance que ce soit, interdit par la loi de Dieu ?" Et les malheureuses jeunes filles, corrompues par leurs maîtres, devaient répondre et répondaient : "Pas toujours, le meurtre est permis à la guerre et pour châtier les criminels."

Toutefois, quand on posa cette question de savoir si le meurtre est toujours un péché à l'une de ces malheureuses jeunes filles après qu'elle eut donné sa réponse (ceci n'est pas une invention, mais un fait que m'a raconté un témoin), elle affirma résolument, émue et rougissante, qu'il l'était toujours, et à tous les sophismes habituels de l'évêque elle répliqua avec une ferme conviction que le meurtre est toujours interdit, qu'il est interdit aussi bien dans l'Ancien Testament que par le Christ, et non seulement le meurtre, mais tout mal commis contre son frère. Et ce fut l'évêque qui, malgré la majesté et son art de l'éloquence, se tut, et la jeune fille en sorti victorieuse.

Oui, nous pouvons discuter dans nos journaux des succès de l'aviation, des relations diplomatiques complexes, des clubs de toutes sortes, des découvertes, des unions de toute nature, des prétendus oeuvres d'art, et taire ce qu'a dit cette jeune fille; mais il ne faut pas le taire, car cela, n'importe quel homme du monde chrétien le sent plus ou moins confusément, mais il le sent. Le socialisme, le communisme, l'anarchisme, l'armée du salut, la criminalité qui augmente, le chômage de la population, le luxe insensé des riches qui s'accroît et la misère des pauvres, le nombre des suicides qui se multiplient de façon épouvantable, voilà des signes de cette contradiction intérieure qui doit être résolue, mais ne peut l'être. Et - cela va de soi - résolue dans le sens d'une reconnaissance de cette loi de l'amour et d'une négation de toute violence.

C'est pourquoi votre action au Transvaal, telle qu'elle nous apparaît à l'autre bout du monde, est l'une des causes les plus centrales, les plus importantes parmi toutes celles qui sont aujourd'hui défendues dans le monde et à la participation de laquelle prendront immanquablement part non seulement les peuples du monde chrétien, mais ceux de n'importe quelle partie du monde.

Quelque dérisoire que soit également le nombre de gens qui vous suivent et sont des non-résistants, comme chez nous en Russie le nombre des objecteurs de conscience, les uns comme les autres peuvent dire hardiment que Dieu est avec eux. Et Dieu est plus puissant que les hommes.

Admettre le christianisme, même sous cette forme dénaturée dans laquelle il est professé chez les peuples chrétiens, et admettre en même temps la nécessité des armées et des armements destinés à tuer à une échelle gigantesque lors des guerres, voilà une contradiction qui est si évidente et flagrante que tôt ou tard, de façon inéluctable, probablement très bientôt, elle apparaîtra au grand jour, et il faudra soit cesser de professer la religion chrétienne, nécessaire pour soutenir le pouvoir, soit cesser de soutenir l'armée et toute la violence qu'elle entretient, et qui n'est pas moins nécessaire au pouvoir.

Tous les gouvernements ont conscience de cette contradiction, aussi bien votre gouvernement britannique que le nôtre en Russie, et, du fait d'un sentiment naturel d'autoconservation, cette conscience est persécutée par ces gouvernements avec plus d'énergie, comme nous le voyons en Russie également et à travers les articles de votre revue, que tout autre action antigouvernementale. Les gouvernements savent où se situe le plus grand danger qui les guette et ils ne préservent avec vigilance dans cette question plus seulement leurs propres intérêts , mais la question d'être ou de ne pas être.

Avec mon plus grand respect.

Léon Tolstoï

Re: Sur la non-violence et le patriotisme

par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 12:19

De Léon Tolstoï à M. K. Gandhi


Le 7 septembre 1910, Kotchety

J'ai reçu votre revue Indian Opinion et j'ai été ravi d'apprendre tout ce que l'on y écrit à propos des non violents. Et j'ai eu envie de vous exprimez les pensées que cette lecture a suscitées en moi.

Plus longuement je vis, et en particulier maintenant, alors que je sens vivement la proximité de la mort, j'ai envie de dire aux autres ce que je ressens si vivement et ce qui d'après moi, a une importance immense, plus précisément à propos de ce que l'on appelle la non-résistance, mais ce qui en réalité, n'est rien d'autre que la doctrine de l'amour, non dénaturée par des interprétations erronée. Le fait que l'amour, autrement dit cette aspiration des âmes humaines à l'unité, et l'action qui en découle, soit la loi supérieure et unique de la vie humaine, chaque individu le sent et le sait au fond de son âme (comme nous le voyons plus clairement encore chez les enfants); il le sait tant qu'il n'est pas embrouillé par les doctrines erronées du monde.

Cette loi a été proclamée par tous, aussi bien les sages indiens que chinois et juifs, grecs et romains de ce monde. Je pense que c'est le Christ qui l'a exprimée le plus clairement et a même dit nettement qu'à elle seule elle est toute la loi et les prophètes. Mais ayant de surcroît prévu la dénaturation à laquelle cette loi allait être et pouvait être soumise, il a nettement indiqué le danger de sa dénaturation qui est propre aux hommes vivant au nom d'intérêts profanes, et plus particulièrement le danger qui consiste à s'autoriser de défendre ces intérêts au moyen de la force, par conséquent, comme il l'a dit, à rendre coup pour coup, à reprendre par la force des objets que l'on s'est attribués, etc, etc. Il sait, comme ne peut pas ne pas le savoir tout individu sensé, que l'usage de la violence est incompatible avec l'amour, en tant que loi fondamentale de la vie, et que, dès l'instant que l'on admet la violence, dans quelque circonstance que ce soit, on admet l'Insuffisance de la loi de l'amour et que, de ce fait, c'est cette loi elle-même qui est niée.

Toute la civilisation chrétienne, si brillante en apparence, s'est développée sur ce malentendu et cette contradiction, évidents et étranges, parfois conscients, la plupart du temps inconscients.

En réalité, dès qu'a été admis la résistance au mal parallèlement à l'amour, celui-ci n'a plus existé et n'a pu exister en tant que loi de la vie; il n'a plus existé d'autre loi de la vie que celle de la violence, autrement dit de la loi du plus fort. C'est ainsi que l'humanité chrétienne a vécu durant dix-neuf siècles. Il est vrai qu'à toutes les époques, les hommes ne se sont guidés que par la violence pour organiser leur vie. La différence entre la vie des peuples chrétiens et celle de tous les autres réside seulement dans le fait que dans le monde chrétien la loi de l'amour a été exprimée de façon plus claire et déterminée qu'elle ne l'a été dans aucune autre doctrine religieuse, et que les hommes du monde chrétien ont solennellement adopté cette loi tout en s'autorisant la violence; ils ont construit leur vie sur la violence.

(à suivre)

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