par Guillaume C. » mer. 27 janv. 2016, 13:48
DISCOURS AU SACRÉ COLLÈGE A L'OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT EUGÈNE Ier (2 juin 1945) (1)
Dans ce discours, le Saint-Père revient sur la condamnation du national-socialisme et la persécution religieuse infligée aux catholiques d'Allemagne :
En accueillant, Vénérables Frères, avec une vive gratitude les souhaits que Nous a offerts en votre nom à tous, le vénérable et très aimé doyen du Sacré Collège, Notre pensée Nous reporte à quelque six années en arrière, alors qu'en cette même circonstance vous Nous présentiez vos voeux de fête, pour la première fois après l'élévation de Notre indigne personne à la Chaire de Pierre.
Le monde était alors encore en paix : mais quelle paix ! et combien précaire ! Le coeur rempli d'angoisse, avec perplexité et en priant, Nous Nous penchions sur cette paix, comme on se penche au chevet d'un agonisant, qu'un ardent amour s'obstine à disputer, même contre toute espérance, aux étreintes de la mort.
Dans les paroles que Nous vous avons alors adressées (2) transparaissait Notre douloureuse appréhension pour le déchaînement d'un conflit, qui semblait devenir de plus en plus menaçant, et dont personne n'aurait pu prévoir ni l'extension ni la durée.
Les événements qui se sont déroulés depuis n'ont que trop démontré la justesse de Nos prévisions les plus sombres ; ils les ont même de beaucoup dépassées.
Aujourd'hui, après bientôt six ans, les luttes fratricides ont cessé, au moins dans une partie de ce monde dévasté par la guerre.
C'est une paix — s'il est permis de l'appeler ainsi — bien fragile encore et qui ne pourra se maintenir et se consolider qu'au prix de soins assidus ; une paix dont la sauvegarde impose à toute l'Eglise, au Pasteur et au troupeau, de graves et très délicats devoirs : prudence patiente, fidélité courageuse, esprit de sacrifice ! Tous sont appelés à s'y consacrer, chacun dans son emploi et à sa place. Personne ne pourra jamais y apporter trop d'empressement ni trop de zèle.
Quant à Nous et à Notre ministère apostolique, Nous Nous sentons bien assuré, Vénérables Frères, de pouvoir compter sur votre sage collaboration, sur vos incessantes prières, sur votre dévouement inébranlable.
I L'EGLISE ET LE NATIONAL-SOCIALISME
En Europe la guerre est finie : mais quels stigmates elle y a imprimés ! Le divin Maître avait dit : « Tous ceux qui mettront injustement la main à l'épée périront par l'épée » (cf. Matth. Mt 26,52). Or, que voyez-vous ?
Vous voyez ce que laissent derrière elles une conception et une action de l'Etat qui ne tiennent aucun compte des sentiments les plus sacrés de l'humanité, qui foulent aux pieds les principes inviolables de la foi chrétienne. Le monde entier contemple aujourd'hui, stupéfait, l'écroulement qui en est la conséquence.
Cet écroulement, Nous l'avions vu venir de loin, et bien peu, croyons-Nous, ont suivi avec une plus grande tension d'esprit l'évolution et le rythme précipité de cette chute inévitable. Plus de douze années, qui comptent parmi les meilleures de Notre âge mûr, Nous avons vécu, par devoir de la charge qui Nous était confiée, au milieu du peuple allemand. Durant cette période, avec la liberté que permettaient les conditions politiques et sociales d'alors, Nous Nous sommes employé à consolider la situation de l'Eglise catholique en Allemagne. Nous eûmes ainsi l'occasion de connaître les grandes qualités de ce peuple et Nous Nous trouvâmes en relations personnelles avec ses meilleurs représentants. C'est pourquoi Nous avons confiance qu'il pourra s'élever une fois encore à une nouvelle dignité et à une nouvelle vie, quand il aura repoussé de lui le spectre satanique exhibé par le national-socialisme et quand les coupables (comme Nous avons déjà eu l'occasion de l'exposer d'autres fois) auront expié les crimes qu'ils ont commis.
Tant qu'il restait encore une lueur d'espoir que ce mouvement pût prendre une tournure différente et moins pernicieuse, soit par la résipiscence de ses membres plus modérés, soit par une opposition efficace de la partie non consentante du peuple allemand, l'Eglise a fait tout ce qui était en son pouvoir pour opposer une digue puissante à l'envahissement de ces doctrines aussi délétères que violentes.
a) Le Concordat avec l'Allemagne.
Au printemps de 1933, le gouvernement allemand pressa le Saint-Siège de conclure un concordat avec le Reich, idée qui rencontra aussi l'assentiment de l'épiscopat et de la plus grande partie tout au moins des catholiques allemands. En effet, ni les concordats déjà conclus avec quelques Etats particuliers de l'Allemagne (Lander) ni la Constitution de Weimar ne leur semblaient assurer et garantir suffisamment le respect de leurs convictions, de leur foi, de leurs droits et de leur liberté d'action. Dans de telles conditions, ces garanties ne pouvaient être obtenues qu'au moyen d'un accord, dans la forme solennelle d'un Concordat avec le gouvernement central du Reich. Il faut ajouter qu'après la proposition faite par celui-ci la responsabilité de toutes les conséquences douloureuses seraient retombées, en cas de refus, sur le Saint-Siège.
b) Persécution religieuse et violation du Concordat.
Ce n'est pas que, de son côté, l'Eglise se laissât leurrer par d'excessives espérances ou que, en concluant le Concordat, elle entendît approuver de quelque manière que ce soit, la doctrine et les tendances du national-socialisme, comme déclaration et explication en furent alors expressément données (3). Toutefois il faut reconnaître que le Concordat, dans les années suivantes, procura quelque avantage ou du moins empêcha des maux plus grands. En effet, malgré toutes les violations dont il fut bientôt l'objet, il laissait aux catholiques une base juridique de défense, un camp où se retrancher pour continuer à affronter, tant qu'il leur serait possible, le flot toujours croissant de la persécution religieuse.
En fait, la lutte contre l'Eglise allait toujours s'aggravant : c'était la destruction des organisations catholiques ; c'était la suppression progressive des écoles catholiques, publiques et privées, si florissantes ; c'était la séparation forcée de la jeunesse d'avec la famille et l'Eglise ; c'était l'oppression exercée sur la conscience des citoyens, particulièrement des employés de l'Etat ; c'était le dénigrement systématique, au moyen d'une propagande habilement et rigoureusement organisée, de l'Eglise, de son clergé, de ses fidèles, de ses institutions, de sa doctrine, de son histoire ; c'était la fermeture, la dissolution, la confiscation de maisons religieuses et d'autres institutions ecclésiastiques ; c'était l'anéantissement de la presse et de l'édition catholiques.
Pous résister à ces attaques, des millions de vaillants catholiques, hommes et femmes, se serraient autour de leurs évêques, dont la voix courageuse et sévère ne manqua jamais de se faire entendre jusqu'en ces dernières années de guerre ; autour de leurs prêtres, pour les aider à adapter sans cesse leur apostolat aux nécessités et aux circonstances nouvelles ; jusqu'à la fin, avec patience et fermeté, ils opposèrent au front de l'impiété et de l'orgueil le front de la foi, de la prière, de la conduite et de l'éducation franchement catholiques.
c) L'encyclique «- Mit brennender Sorge ».
Pendant ce temps, le Saint-Siège, sans hésiter, multipliait auprès des gouvernants allemands ses instances et ses protestations, les rappelant avec énergie et précision au respect et à l'accomplissement des devoirs dérivant du droit naturel lui-même et confirmés par le Concordat. Dans ces années critiques, Notre grand prédécesseur Pie XI, joignant à la vigilance attentive du Pasteur la patiente longanimité du Père, remplit avec une force intrépide sa mission de Pontife suprême.
Lorsque néanmoins, après avoir vainement essayé toutes les voies de la persuasion, il se vit de toute évidence aux prises avec les violations délibérées d'un pacte officiel et d'une persécution religieuse, dissimulée ou manifeste, mais toujours durement menée, le dimanche de la Passion 1937, dans son encyclique Mit brennender Sorge (4), il dévoila au regard du monde ce que le national-socialisme était en réalité : l'apostasie orgueilleuse de Jésus-Christ, la négation
de sa doctrine et de son oeuvre rédemptrice, le culte de la force, l'idolâtrie de la race et du sang, l'oppression de la liberté et de la dignité humaine.
Comme un coup de trompette qui donne l'alarme, le document pontifical, vigoureux — trop vigoureux, comme le pensait déjà plus d'un — fit sursauter les esprits et les coeurs.
Beaucoup — même hors des frontières de l'Allemagne — qui, jusqu'alors, avaient fermé les yeux sur l'incompatibilité de la conception nationale-socialiste et de la doctrine chrétienne, durent reconnaître et confesser leur erreur.
Beaucoup, mais pas tous ! D'autres, dans les rangs mêmes des fidèles, étaient par trop aveuglés par leurs préjugés ou séduits par l'espoir d'avantages politiques. L'évidence des faits signalés par Notre prédécesseur ne réussit pas à les convaincre, encore moins à les décider à changer de conduite. Est-ce une simple coïncidence ? Certaines régions, qui furent ensuite les plus durement frappées par le système national-socialiste, furent précisément celles où l'encyclique Mit brennender Sorge avait été le moins ou même n'avait été aucunement entendue.
Aurait-il été possible alors de freiner une fois pour toutes, par des mesures politiques opportunes et adaptées, le déchaînement de la violence brutale et de mettre le peuple allemand en état de se dégager des tentacules qui l'étreignaient ? Aurait-il été possible d'épargner de cette manière à l'Europe et au monde l'invasion de cette immense marée de sang ? Personne n'oserait se prononcer avec certitude. En tout cas, pourtant, personne ne pourrait reprocher à l'Eglise de n'avoir pas dénoncé et indiqué à temps le vrai caractère du mouvement national-socialiste et le danger auquel il exposait la civilisation chrétienne.
« Quiconque érige la race, ou le peuple, ou l'Etat, ou une de ses formes déterminées, les dépositaires du pouvoir ou d'autres éléments fondamentaux de la société humaine... en règle suprême de tout, même des valeurs religieuses, et les divinise par un culte id'olâtrique, celui-là pervertit et fausse l'ordre des choses créé et voulu par Dieu. » (5)
Cette phrase de l'encyclique résume bien l'opposition radicale qui existe entre l'Etat national-socialiste et l'Eglise catholique. Au point où en étaient venues les choses, l'Eglise ne pouvait plus, sans
manquer à sa mission, renoncer à prendre position devant le monde entier. Par cet acte, pourtant, elle devenait, une fois de plus, un « signe de contradiction » (Lc 11,34), devant lequel les esprits s'affrontèrent et prirent position en deux groupes opposés.
Les catholiques allemands, on peut le dire, furent d'accord pour reconnaître que l'encyclique Mit brennender Sorge avait apporté lumière, direction, consolation, réconfort à tous ceux qui prenaient au sérieux et pratiquaient de manière conséquente la religion du Christ.
d) Hostilité croissante contre l'Eglise.
La réaction, pourtant, ne pouvait faire défaut de la part de ceux qui avaient été frappés ; et, de fait, l'année 1937 fut précisément, pour l'Eglise catholique en Allemagne, une année d'indicibles amertumes et de tempêtes terribles.
Les grands événements politiques qui marquèrent les deux années suivantes et ensuite la guerre n'atténuèrent aucunement l'hostilité du national-socialisme contre l'Eglise, hostilité qui se manifesta jusqu'en ces derniers mois, quand ses adhérents se flattaient encore de pouvoir, la victoire militaire une fois remportée, en finir pour toujours avec l'Eglise. Des témoignages autorisés et incontestables Nous tenaient informé de ces desseins ; ceux-ci, du reste, se dévoilaient d'eux-mêmes par les mesures réitérées et toujours plus hostiles prises contre l'Eglise catholique en Autriche, en Alsace-Lorraine et surtout dans les régions de la Pologne qui, déjà pendant la guerre, avaient été incorporées à l'ancien Reich ; tout y fut frappé, anéanti ; tout, c'est-à-dire tout ce qui pouvait être atteint par la violence extérieure.
e) Les messages du pape durant la guerre.
Continuant l'oeuvre de Notre prédécesseur, Nous n'avons pas cessé, Nous-même, durant la guerre, spécialement dans Nos messages, d'opposer les exigences et les règles indéfectibles de l'humanité et de la foi chrétienne aux applications dévastatrices et inexorables de la doctrine nationale-socialiste, qui en arrivaient à employer les méthodes scientifiques les plus raffinées pour torturer ou supprimer des personnes souvent innocentes. C'était là, pour Nous, le moyen le plus opportun et, pourrions-Nous dire, le seul efficace de proclamer devant le monde les principes immuables de la 'loi morale et d'affermir, parmi tant d'erreurs et de violences, les esprits et les coeurs des catholiques allemands dans l'idéal supérieur de la vérité et de la justice. Cette sollicitude ne resta pas sans effet. Nous savons, en effet, que Nos messages, surtout celui de Noël 1942, malgré toutes les défenses et tous les obstacles, furent pris comme sujets dans les conférences diocésaines du clergé en Allemagne et ensuite exposés et expliqués au peuple catholique.
Mais si les dirigeants de l'Allemagne avaient résolu de détruire aussi l'Eglise catholique dans l'ancien Reich, la Providence en avait disposé autrement. Les tribulations infligées à l'Eglise par le national-socialisme se sont terminées avec la fin soudaine et tragique du persécuteur !
f) Dans les camps de concentration.
Des prisons, des camps de concentration, des bagnes affluent maintenant, avec les détenus politiques, les phalanges de ceux, tant clercs que laïques, dont l'unique crime fut la fidélité au Christ et à la foi de leurs pères ou l'accomplissement courageux des devoirs sacerdotaux. Pour eux tous, Nous avons ardemment prié et Nous Nous sommes appliqué par tous les moyens, chaque fois que ce fut possible, à leur faire parvenir Nos paroles de réconfort et les bénédictions de Notre coeur paternel.
En effet, plus se lèvent les voiles qui cachaient jusqu'à maintenant la douloureuse passion de l'Eglise sous le régime national-socialiste, plus apparaissent la fermeté, souvent inébranlable jusqu'à la mort, d'innombrables catholiques et la part glorieuse que le clergé a eue dans ce noble combat. Bien que nous ne possédions pas encore de statistiques complètes, Nous ne pouvons pas pourtant Nous abstenir de mentionner ici, à titre d'exemple, quelques-unes au moins des nombreuses nouvelles qui Nous parviennent de prêtres et de laïques internés au camp de Dachau, qui furent dignes d'endurer des affronts pour le nom de Jésus (Ac 5,41).
En première place, pour le nombre et pour la dureté des traitements subis, se trouvent les prêtres polonais. Entre 1940 et 1945, 2800 ecclésiastiques et religieux de ce pays furent emprisonnés dans ce camp, parmi lesquels l'évêque auxiliaire de Plock, qui y mourut du typhus. En avril dernier, il en restait seulement 816 ; tous les autres étaient morts, à l'exception de deux ou trois transférés dans un autre camp. Durant l'été de 1942, on y signala rassemblés 480 ministres du culte de langue allemande dont 45 protestants et tous les autres prêtres catholiques. Malgré l'afflux continuel de nouveaux internés, spécialement de quelques diocèses de Bavière, de Rhénanie et de Westphalie, leur nombre, en raison de la forte mortalité, ne dépassait pas, au début de cette année, 350. Et on ne peut passer sous silence ceux qui appartenaient aux territoires occupés : Hollande, Belgique, France (parmi eux l'évêque de Clermont), Luxembourg, Slovénie, Italie. Beaucoup de ces prêtres et de ces laïques ont eu à supporter d'indicibles tourments à cause de leur foi et de leur vocation. En une occasion, la haine des impies contre l'Eglise en vint au point de parodier sur un prêtre interné avec des fils de fer barbelés la flagellation et le couronnement d'épines du Rédempteur.
Les victimes généreuses qui, durant douze ans, depuis 1933, en Allemagne, ont fait au Christ et à son Eglise le sacrifice de leurs biens, de leur liberté, de leur vie, élèvent vers Dieu leurs mains en une oblation expiatoire. Puisse le juste Juge l'agréer en réparation de tant de crimes commis contre l'humanité, non moins qu'au détriment du présent et de l'avenir de leur propre peuple, spécialement de l'infortunée jeunesse, et abaisser finalement le bras de son ange exterminateur.
Avec une insistance toujours croissante, le national-socialisme a prétendu dénoncer l'Eglise comme ennemie du peuple allemand. L'injustice manifeste de l'accusation aurait frappé au plus vif les sentiments des catholiques allemands et les Nôtres si elle était sortie d'autres lèvres ; mais sur celles de tels accusateurs, loin d'être une charge, elle est le témoignage le plus éclatant et le plus flatteur de l'opposition ferme et constante, soutenue par l'Eglise contre des doctrines et des méthodes si pernicieuses pour le bien de la vraie civilisation et du peuple allemand lui-même. A celui-ci Nous souhaitons que, délivré de l'erreur qui l'a précipité dans l'abîme, il puisse retrouver son salut aux sources pures de la vraie paix et du vrai bonheur, aux sources de la vérité, de l'humilité, de la charité, qui ont jailli avec l'Eglise du Coeur du Christ.
II REGARDS VERS L'AVENIR
Dure leçon que celle de ces dernières années ! Qu'au moins elle soit comprise et qu'elle profite aux autres nations ! « Instruisez-vous, vous qui jugez la terre ! (Ps 2,10). C'est le voeu le plus ardent de quiconque aime sincèrement l'humanité. Victime d'une exploitation impie, d'un cynique mépris de la vie et des droits de l'homme, celle-ci n'a qu'un désir, elle n'aspire qu'à une seule chose : mener une vie tranquille et pacifique dans la dignité et l'honnête labeur.
C'est pourquoi elle désire ardemment qu'on mette un terme à l'effronterie avec laquelle la famille et le foyer domestique ont été maltraités et profanés durant les années de guerre ; effronterie qui crie vers le ciel, qui s'est transformée en un des plus graves dangers non seulement pour la religion et la morale, mais aussi pour toute vie bien ordonnée de la communauté humaine ; faute qui, surtout, a créé les multitudes de déracinés, de déçus, de désolés sans espoir qui vont grossir les masses de la révolution et du désordre, à la solde d'une tyrannie non moins despotique que celle qu'on a voulu abattre.
a) Sort des nations. Victoire du droit.
Les nations, les petites et les moyennes en particulier, réclament qu'il leur soit permis de prendre en main leurs propres destins. Elles peuvent être conduites à contracter, de leur plein gré et dans l'intérêt du progrès commun, des obligations qui modifient leurs droits souverains. Mais après avoir supporté leur part, leur large part de sacrifices pour détruire le système de la violence brutale, elles sont en droit de ne pas accepter que leur soit imposé un nouveau système politique ou culturel, que la grande majorité de leurs populations repousse résolument.
Elles pensent, et avec raison, que le devoir principal des organisateurs de la paix est de mettre fin au jeu criminel de la guerre et de protéger les droits vitaux et les devoirs réciproques entre les grands et les petits, entre les puissants et les faibles.
Au fond de leur conscience, les peuples sentent que leurs dirigeants se discréditeraient si, au délire fou d'une hégémonie de la force, ils ne faisaient pas succéder la victoire du droit. La pensée d'une nouvelle organisation de la paix a jailli — personne ne pourrait en douter — du vouloir le plus droit et le plus loyal. Toute l'humanité suit, anxieuse, le progrès d'une aussi noble entreprise. Quelle amère déception ce serait si elle venait à échouer, si tant d'années de souffrances et de privations étaient rendues vaines pour laisser triompher de nouveau cet esprit d'oppression, dont le monde espérait se voir finalement libéré pour toujours ! Pauvre monde, auquel pourrait s'appliquer alors la parole de Jésus : que sa nouvelle situation est devenue pire que celle dont il était sorti avec tant de peine ! (cf. Luc, Lc 11,24-26).
Les conditions politiques et sociales mettent sur Nos lèvres ces paroles d'avertissement. Nous avons malheureusement dû déplorer, en plus d'un pays, des meurtres de prêtres, des déportations de civils, des massacres de citoyens exécutés sans procès ou par vengeance privée. Non moins tristes sont les nouvelles qui Nous sont parvenues de la Slovénie et de la Croatie.
Mais Nous ne voulons pas perdre courage. Les discours prononcés par des hommes autorisés et responsables au cours de ces dernières semaines laissent comprendre qu'ils ont en vue la victoire du droit, non seulement comme but politique, mais encore plus comme devoir moral.
b) Appel à la prière.
C'est pourquoi Nous adressons de grand coeur à Nos fils et à Nos filles du monde entier un chaleureux appel à la prière. Qu'il parvienne à l'oreille de tous ceux qui reconnaissent en Dieu le Père très aimant de tous les hommes créés à son image et ressemblance, de tous ceux qui savent que dans la poitrine du Christ bat un Coeur divin riche en miséricorde, source profonde et inépuisable de tout bien et de tout amour, de toute paix et de toute réconciliation.
De la trêve des armes à la paix vraie et sincère, comme Nous le disions il n'y a pas longtemps, le chemin sera ardu et long, trop long pour les aspirations anxieuses d'une humanité affamée d'ordre et de calme. Mais il est inévitable qu'il en soit ainsi. Et peut-être aussi préférable. Il faut d'abord laisser s'apaiser l'ouragan des passions surexcitées : Motos praestat componere fluctus, « mieux vaut que s'apaise l'agitation des flots » (7). Il est nécessaire que la haine, la défiance, les excitations d'un nationalisme extrême cèdent la place à l'élaboration de sages conseils, à Péclosion de desseins pacifiques, à la sérénité dans les échanges de vues et à la mutuelle compréhension fraternelle.
c) Que le Saint-Esprit guide les constructeurs de la paix!
Daigne le Saint-Esprit, lumière des intelligences, doux Maître des coeurs, exaucer les prières de son Eglise et guider dans leur travail
difficile ceux qui, selon leur haute mission, s'efforcent sincèrement, malgré les obstacles et les contradictions, d'arriver au terme si universellement, si ardemment désiré : la paix, la vraie paix, digne de ce nom. Une paix qui se fonde et trouve sa fermeté dans la sincérité et dans la loyauté, dans la justice et dans la réalité ; une paix d'effort loyal et résolu pour vaincre ou prévenir les conditions économiques et sociales qui pourraient, à l'avenir comme par le passé, conduire facilement à de nouveaux conflits armés ; une paix qui puisse être approuvée par tous les esprits droits de tous les peuples et de toutes les nations ; une paix que les générations futures puissent considérer avec reconnaissance comme le fruit heureux d'un temps malheureux ; une paix qui marque dans les siècles un tournant décisif dans l'affirmation de la dignité humaine et de l'ordre dans la liberté ; une paix qui soit comme la grande Charte qui a fermé l'ère sombre de la violence ; une paix qui, sous la conduite miséricordieuse de Dieu, nous fasse passer à travers la prospérité temporelle, de manière à ne pas perdre le bonheur éternel (8).
Mais avant d'atteindre cette paix, il est vrai que des millions d'hommes, dans leur foyer ou à la guerre, dans la prison ou dans l'exil, doivent encore goûter l'amertume du calice. Comme il Nous tarde de voir la fin de leurs souffrances et de leurs angoisses, la réalisation de leurs désirs ! Pour eux aussi, pour toute l'humanité qui souffre avec eux et en eux, que monte vers le Tout-Puissant Notre prière humble et ardente.
En attendant, ce Nous est un immense réconfort, Vénérables Frères, de penser que vous prenez part à Nos soucis, à Nos prières, à Nos espoirs, et que dans le monde entier, évêques, prêtres, fidèles joignent leurs supplications aux Nôtres dans la grande voix de l'Eglise universelle. En témoignage de Notre profonde gratitude et comme gage des miséricordes infinies et des faveurs divines, à vous-mêmes, à eux, à tous ceux qui Nous sont unis dans le désir et dans la recherche de la paix, Nous accordons du fond du coeur Notre Bénédiction apostolique.
(2) Cf. Documents Pontificaux 1939, p. 112.
(3) Cf. VOsservatore Romano du 2 juillet 1933. Voir dans La Documentation catholique, t. XXX, 1933, col. 506, la traduction de ce document dans l'étude consacrée au Concordat du 20. 7. 33 entre le Saint-Siège et le Reich allemand (n° spécial 672).
(4) Cf. La Documentation catholique, t. XXXVII, 1937, col. 901.
(5) A. A. S., 29, 1937, pp. 149 et 171.
(6) Cf. La Documentation catholique, 1945, col. 353 et 457.
(7) Virgile, Enéide, 1, 135.
(8) Cf. Oraison du IIIe dimanche après la Pentecôte.
Source :
clerus.org
DISCOURS AU SACRÉ COLLÈGE A L'OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT EUGÈNE Ier (2 juin 1945) (1)
Dans ce discours, le Saint-Père revient sur la condamnation du national-socialisme et la persécution religieuse infligée aux catholiques d'Allemagne :
En accueillant, Vénérables Frères, avec une vive gratitude les souhaits que Nous a offerts en votre nom à tous, le vénérable et très aimé doyen du Sacré Collège, Notre pensée Nous reporte à quelque six années en arrière, alors qu'en cette même circonstance vous Nous présentiez vos voeux de fête, pour la première fois après l'élévation de Notre indigne personne à la Chaire de Pierre.
Le monde était alors encore en paix : mais quelle paix ! et combien précaire ! Le coeur rempli d'angoisse, avec perplexité et en priant, Nous Nous penchions sur cette paix, comme on se penche au chevet d'un agonisant, qu'un ardent amour s'obstine à disputer, même contre toute espérance, aux étreintes de la mort.
Dans les paroles que Nous vous avons alors adressées (2) transparaissait Notre douloureuse appréhension pour le déchaînement d'un conflit, qui semblait devenir de plus en plus menaçant, et dont personne n'aurait pu prévoir ni l'extension ni la durée.
Les événements qui se sont déroulés depuis n'ont que trop démontré la justesse de Nos prévisions les plus sombres ; ils les ont même de beaucoup dépassées.
Aujourd'hui, après bientôt six ans, les luttes fratricides ont cessé, au moins dans une partie de ce monde dévasté par la guerre.
C'est une paix — s'il est permis de l'appeler ainsi — bien fragile encore et qui ne pourra se maintenir et se consolider qu'au prix de soins assidus ; une paix dont la sauvegarde impose à toute l'Eglise, au Pasteur et au troupeau, de graves et très délicats devoirs : prudence patiente, fidélité courageuse, esprit de sacrifice ! Tous sont appelés à s'y consacrer, chacun dans son emploi et à sa place. Personne ne pourra jamais y apporter trop d'empressement ni trop de zèle.
Quant à Nous et à Notre ministère apostolique, Nous Nous sentons bien assuré, Vénérables Frères, de pouvoir compter sur votre sage collaboration, sur vos incessantes prières, sur votre dévouement inébranlable.
I L'EGLISE ET LE NATIONAL-SOCIALISME
En Europe la guerre est finie : mais quels stigmates elle y a imprimés ! Le divin Maître avait dit : « Tous ceux qui mettront injustement la main à l'épée périront par l'épée » (cf. Matth. Mt 26,52). Or, que voyez-vous ?
Vous voyez ce que laissent derrière elles une conception et une action de l'Etat qui ne tiennent aucun compte des sentiments les plus sacrés de l'humanité, qui foulent aux pieds les principes inviolables de la foi chrétienne. Le monde entier contemple aujourd'hui, stupéfait, l'écroulement qui en est la conséquence.
Cet écroulement, Nous l'avions vu venir de loin, et bien peu, croyons-Nous, ont suivi avec une plus grande tension d'esprit l'évolution et le rythme précipité de cette chute inévitable. Plus de douze années, qui comptent parmi les meilleures de Notre âge mûr, Nous avons vécu, par devoir de la charge qui Nous était confiée, au milieu du peuple allemand. Durant cette période, avec la liberté que permettaient les conditions politiques et sociales d'alors, Nous Nous sommes employé à consolider la situation de l'Eglise catholique en Allemagne. Nous eûmes ainsi l'occasion de connaître les grandes qualités de ce peuple et Nous Nous trouvâmes en relations personnelles avec ses meilleurs représentants. C'est pourquoi Nous avons confiance qu'il pourra s'élever une fois encore à une nouvelle dignité et à une nouvelle vie, quand il aura repoussé de lui le spectre satanique exhibé par le national-socialisme et quand les coupables (comme Nous avons déjà eu l'occasion de l'exposer d'autres fois) auront expié les crimes qu'ils ont commis.
Tant qu'il restait encore une lueur d'espoir que ce mouvement pût prendre une tournure différente et moins pernicieuse, soit par la résipiscence de ses membres plus modérés, soit par une opposition efficace de la partie non consentante du peuple allemand, l'Eglise a fait tout ce qui était en son pouvoir pour opposer une digue puissante à l'envahissement de ces doctrines aussi délétères que violentes.
a) Le Concordat avec l'Allemagne.
Au printemps de 1933, le gouvernement allemand pressa le Saint-Siège de conclure un concordat avec le Reich, idée qui rencontra aussi l'assentiment de l'épiscopat et de la plus grande partie tout au moins des catholiques allemands. En effet, ni les concordats déjà conclus avec quelques Etats particuliers de l'Allemagne (Lander) ni la Constitution de Weimar ne leur semblaient assurer et garantir suffisamment le respect de leurs convictions, de leur foi, de leurs droits et de leur liberté d'action. Dans de telles conditions, ces garanties ne pouvaient être obtenues qu'au moyen d'un accord, dans la forme solennelle d'un Concordat avec le gouvernement central du Reich. Il faut ajouter qu'après la proposition faite par celui-ci la responsabilité de toutes les conséquences douloureuses seraient retombées, en cas de refus, sur le Saint-Siège.
b) Persécution religieuse et violation du Concordat.
Ce n'est pas que, de son côté, l'Eglise se laissât leurrer par d'excessives espérances ou que, en concluant le Concordat, elle entendît approuver de quelque manière que ce soit, la doctrine et les tendances du national-socialisme, comme déclaration et explication en furent alors expressément données (3). Toutefois il faut reconnaître que le Concordat, dans les années suivantes, procura quelque avantage ou du moins empêcha des maux plus grands. En effet, malgré toutes les violations dont il fut bientôt l'objet, il laissait aux catholiques une base juridique de défense, un camp où se retrancher pour continuer à affronter, tant qu'il leur serait possible, le flot toujours croissant de la persécution religieuse.
En fait, la lutte contre l'Eglise allait toujours s'aggravant : c'était la destruction des organisations catholiques ; c'était la suppression progressive des écoles catholiques, publiques et privées, si florissantes ; c'était la séparation forcée de la jeunesse d'avec la famille et l'Eglise ; c'était l'oppression exercée sur la conscience des citoyens, particulièrement des employés de l'Etat ; c'était le dénigrement systématique, au moyen d'une propagande habilement et rigoureusement organisée, de l'Eglise, de son clergé, de ses fidèles, de ses institutions, de sa doctrine, de son histoire ; c'était la fermeture, la dissolution, la confiscation de maisons religieuses et d'autres institutions ecclésiastiques ; c'était l'anéantissement de la presse et de l'édition catholiques.
Pous résister à ces attaques, des millions de vaillants catholiques, hommes et femmes, se serraient autour de leurs évêques, dont la voix courageuse et sévère ne manqua jamais de se faire entendre jusqu'en ces dernières années de guerre ; autour de leurs prêtres, pour les aider à adapter sans cesse leur apostolat aux nécessités et aux circonstances nouvelles ; jusqu'à la fin, avec patience et fermeté, ils opposèrent au front de l'impiété et de l'orgueil le front de la foi, de la prière, de la conduite et de l'éducation franchement catholiques.
c) L'encyclique «- Mit brennender Sorge ».
Pendant ce temps, le Saint-Siège, sans hésiter, multipliait auprès des gouvernants allemands ses instances et ses protestations, les rappelant avec énergie et précision au respect et à l'accomplissement des devoirs dérivant du droit naturel lui-même et confirmés par le Concordat. Dans ces années critiques, Notre grand prédécesseur Pie XI, joignant à la vigilance attentive du Pasteur la patiente longanimité du Père, remplit avec une force intrépide sa mission de Pontife suprême.
Lorsque néanmoins, après avoir vainement essayé toutes les voies de la persuasion, il se vit de toute évidence aux prises avec les violations délibérées d'un pacte officiel et d'une persécution religieuse, dissimulée ou manifeste, mais toujours durement menée, le dimanche de la Passion 1937, dans son encyclique Mit brennender Sorge (4), il dévoila au regard du monde ce que le national-socialisme était en réalité : l'apostasie orgueilleuse de Jésus-Christ, la négation
de sa doctrine et de son oeuvre rédemptrice, le culte de la force, l'idolâtrie de la race et du sang, l'oppression de la liberté et de la dignité humaine.
Comme un coup de trompette qui donne l'alarme, le document pontifical, vigoureux — trop vigoureux, comme le pensait déjà plus d'un — fit sursauter les esprits et les coeurs.
Beaucoup — même hors des frontières de l'Allemagne — qui, jusqu'alors, avaient fermé les yeux sur l'incompatibilité de la conception nationale-socialiste et de la doctrine chrétienne, durent reconnaître et confesser leur erreur.
Beaucoup, mais pas tous ! D'autres, dans les rangs mêmes des fidèles, étaient par trop aveuglés par leurs préjugés ou séduits par l'espoir d'avantages politiques. L'évidence des faits signalés par Notre prédécesseur ne réussit pas à les convaincre, encore moins à les décider à changer de conduite. Est-ce une simple coïncidence ? Certaines régions, qui furent ensuite les plus durement frappées par le système national-socialiste, furent précisément celles où l'encyclique Mit brennender Sorge avait été le moins ou même n'avait été aucunement entendue.
Aurait-il été possible alors de freiner une fois pour toutes, par des mesures politiques opportunes et adaptées, le déchaînement de la violence brutale et de mettre le peuple allemand en état de se dégager des tentacules qui l'étreignaient ? Aurait-il été possible d'épargner de cette manière à l'Europe et au monde l'invasion de cette immense marée de sang ? Personne n'oserait se prononcer avec certitude. En tout cas, pourtant, personne ne pourrait reprocher à l'Eglise de n'avoir pas dénoncé et indiqué à temps le vrai caractère du mouvement national-socialiste et le danger auquel il exposait la civilisation chrétienne.
« Quiconque érige la race, ou le peuple, ou l'Etat, ou une de ses formes déterminées, les dépositaires du pouvoir ou d'autres éléments fondamentaux de la société humaine... en règle suprême de tout, même des valeurs religieuses, et les divinise par un culte id'olâtrique, celui-là pervertit et fausse l'ordre des choses créé et voulu par Dieu. » (5)
Cette phrase de l'encyclique résume bien l'opposition radicale qui existe entre l'Etat national-socialiste et l'Eglise catholique. Au point où en étaient venues les choses, l'Eglise ne pouvait plus, sans
manquer à sa mission, renoncer à prendre position devant le monde entier. Par cet acte, pourtant, elle devenait, une fois de plus, un « signe de contradiction » (Lc 11,34), devant lequel les esprits s'affrontèrent et prirent position en deux groupes opposés.
Les catholiques allemands, on peut le dire, furent d'accord pour reconnaître que l'encyclique Mit brennender Sorge avait apporté lumière, direction, consolation, réconfort à tous ceux qui prenaient au sérieux et pratiquaient de manière conséquente la religion du Christ.
d) Hostilité croissante contre l'Eglise.
La réaction, pourtant, ne pouvait faire défaut de la part de ceux qui avaient été frappés ; et, de fait, l'année 1937 fut précisément, pour l'Eglise catholique en Allemagne, une année d'indicibles amertumes et de tempêtes terribles.
Les grands événements politiques qui marquèrent les deux années suivantes et ensuite la guerre n'atténuèrent aucunement l'hostilité du national-socialisme contre l'Eglise, hostilité qui se manifesta jusqu'en ces derniers mois, quand ses adhérents se flattaient encore de pouvoir, la victoire militaire une fois remportée, en finir pour toujours avec l'Eglise. Des témoignages autorisés et incontestables Nous tenaient informé de ces desseins ; ceux-ci, du reste, se dévoilaient d'eux-mêmes par les mesures réitérées et toujours plus hostiles prises contre l'Eglise catholique en Autriche, en Alsace-Lorraine et surtout dans les régions de la Pologne qui, déjà pendant la guerre, avaient été incorporées à l'ancien Reich ; tout y fut frappé, anéanti ; tout, c'est-à-dire tout ce qui pouvait être atteint par la violence extérieure.
e) Les messages du pape durant la guerre.
Continuant l'oeuvre de Notre prédécesseur, Nous n'avons pas cessé, Nous-même, durant la guerre, spécialement dans Nos messages, d'opposer les exigences et les règles indéfectibles de l'humanité et de la foi chrétienne aux applications dévastatrices et inexorables de la doctrine nationale-socialiste, qui en arrivaient à employer les méthodes scientifiques les plus raffinées pour torturer ou supprimer des personnes souvent innocentes. C'était là, pour Nous, le moyen le plus opportun et, pourrions-Nous dire, le seul efficace de proclamer devant le monde les principes immuables de la 'loi morale et d'affermir, parmi tant d'erreurs et de violences, les esprits et les coeurs des catholiques allemands dans l'idéal supérieur de la vérité et de la justice. Cette sollicitude ne resta pas sans effet. Nous savons, en effet, que Nos messages, surtout celui de Noël 1942, malgré toutes les défenses et tous les obstacles, furent pris comme sujets dans les conférences diocésaines du clergé en Allemagne et ensuite exposés et expliqués au peuple catholique.
Mais si les dirigeants de l'Allemagne avaient résolu de détruire aussi l'Eglise catholique dans l'ancien Reich, la Providence en avait disposé autrement. Les tribulations infligées à l'Eglise par le national-socialisme se sont terminées avec la fin soudaine et tragique du persécuteur !
f) Dans les camps de concentration.
Des prisons, des camps de concentration, des bagnes affluent maintenant, avec les détenus politiques, les phalanges de ceux, tant clercs que laïques, dont l'unique crime fut la fidélité au Christ et à la foi de leurs pères ou l'accomplissement courageux des devoirs sacerdotaux. Pour eux tous, Nous avons ardemment prié et Nous Nous sommes appliqué par tous les moyens, chaque fois que ce fut possible, à leur faire parvenir Nos paroles de réconfort et les bénédictions de Notre coeur paternel.
En effet, plus se lèvent les voiles qui cachaient jusqu'à maintenant la douloureuse passion de l'Eglise sous le régime national-socialiste, plus apparaissent la fermeté, souvent inébranlable jusqu'à la mort, d'innombrables catholiques et la part glorieuse que le clergé a eue dans ce noble combat. Bien que nous ne possédions pas encore de statistiques complètes, Nous ne pouvons pas pourtant Nous abstenir de mentionner ici, à titre d'exemple, quelques-unes au moins des nombreuses nouvelles qui Nous parviennent de prêtres et de laïques internés au camp de Dachau, qui furent dignes d'endurer des affronts pour le nom de Jésus (Ac 5,41).
En première place, pour le nombre et pour la dureté des traitements subis, se trouvent les prêtres polonais. Entre 1940 et 1945, 2800 ecclésiastiques et religieux de ce pays furent emprisonnés dans ce camp, parmi lesquels l'évêque auxiliaire de Plock, qui y mourut du typhus. En avril dernier, il en restait seulement 816 ; tous les autres étaient morts, à l'exception de deux ou trois transférés dans un autre camp. Durant l'été de 1942, on y signala rassemblés 480 ministres du culte de langue allemande dont 45 protestants et tous les autres prêtres catholiques. Malgré l'afflux continuel de nouveaux internés, spécialement de quelques diocèses de Bavière, de Rhénanie et de Westphalie, leur nombre, en raison de la forte mortalité, ne dépassait pas, au début de cette année, 350. Et on ne peut passer sous silence ceux qui appartenaient aux territoires occupés : Hollande, Belgique, France (parmi eux l'évêque de Clermont), Luxembourg, Slovénie, Italie. Beaucoup de ces prêtres et de ces laïques ont eu à supporter d'indicibles tourments à cause de leur foi et de leur vocation. En une occasion, la haine des impies contre l'Eglise en vint au point de parodier sur un prêtre interné avec des fils de fer barbelés la flagellation et le couronnement d'épines du Rédempteur.
Les victimes généreuses qui, durant douze ans, depuis 1933, en Allemagne, ont fait au Christ et à son Eglise le sacrifice de leurs biens, de leur liberté, de leur vie, élèvent vers Dieu leurs mains en une oblation expiatoire. Puisse le juste Juge l'agréer en réparation de tant de crimes commis contre l'humanité, non moins qu'au détriment du présent et de l'avenir de leur propre peuple, spécialement de l'infortunée jeunesse, et abaisser finalement le bras de son ange exterminateur.
Avec une insistance toujours croissante, le national-socialisme a prétendu dénoncer l'Eglise comme ennemie du peuple allemand. L'injustice manifeste de l'accusation aurait frappé au plus vif les sentiments des catholiques allemands et les Nôtres si elle était sortie d'autres lèvres ; mais sur celles de tels accusateurs, loin d'être une charge, elle est le témoignage le plus éclatant et le plus flatteur de l'opposition ferme et constante, soutenue par l'Eglise contre des doctrines et des méthodes si pernicieuses pour le bien de la vraie civilisation et du peuple allemand lui-même. A celui-ci Nous souhaitons que, délivré de l'erreur qui l'a précipité dans l'abîme, il puisse retrouver son salut aux sources pures de la vraie paix et du vrai bonheur, aux sources de la vérité, de l'humilité, de la charité, qui ont jailli avec l'Eglise du Coeur du Christ.
II REGARDS VERS L'AVENIR
Dure leçon que celle de ces dernières années ! Qu'au moins elle soit comprise et qu'elle profite aux autres nations ! « Instruisez-vous, vous qui jugez la terre ! (Ps 2,10). C'est le voeu le plus ardent de quiconque aime sincèrement l'humanité. Victime d'une exploitation impie, d'un cynique mépris de la vie et des droits de l'homme, celle-ci n'a qu'un désir, elle n'aspire qu'à une seule chose : mener une vie tranquille et pacifique dans la dignité et l'honnête labeur.
C'est pourquoi elle désire ardemment qu'on mette un terme à l'effronterie avec laquelle la famille et le foyer domestique ont été maltraités et profanés durant les années de guerre ; effronterie qui crie vers le ciel, qui s'est transformée en un des plus graves dangers non seulement pour la religion et la morale, mais aussi pour toute vie bien ordonnée de la communauté humaine ; faute qui, surtout, a créé les multitudes de déracinés, de déçus, de désolés sans espoir qui vont grossir les masses de la révolution et du désordre, à la solde d'une tyrannie non moins despotique que celle qu'on a voulu abattre.
a) Sort des nations. Victoire du droit.
Les nations, les petites et les moyennes en particulier, réclament qu'il leur soit permis de prendre en main leurs propres destins. Elles peuvent être conduites à contracter, de leur plein gré et dans l'intérêt du progrès commun, des obligations qui modifient leurs droits souverains. Mais après avoir supporté leur part, leur large part de sacrifices pour détruire le système de la violence brutale, elles sont en droit de ne pas accepter que leur soit imposé un nouveau système politique ou culturel, que la grande majorité de leurs populations repousse résolument.
Elles pensent, et avec raison, que le devoir principal des organisateurs de la paix est de mettre fin au jeu criminel de la guerre et de protéger les droits vitaux et les devoirs réciproques entre les grands et les petits, entre les puissants et les faibles.
Au fond de leur conscience, les peuples sentent que leurs dirigeants se discréditeraient si, au délire fou d'une hégémonie de la force, ils ne faisaient pas succéder la victoire du droit. La pensée d'une nouvelle organisation de la paix a jailli — personne ne pourrait en douter — du vouloir le plus droit et le plus loyal. Toute l'humanité suit, anxieuse, le progrès d'une aussi noble entreprise. Quelle amère déception ce serait si elle venait à échouer, si tant d'années de souffrances et de privations étaient rendues vaines pour laisser triompher de nouveau cet esprit d'oppression, dont le monde espérait se voir finalement libéré pour toujours ! Pauvre monde, auquel pourrait s'appliquer alors la parole de Jésus : que sa nouvelle situation est devenue pire que celle dont il était sorti avec tant de peine ! (cf. Luc, Lc 11,24-26).
Les conditions politiques et sociales mettent sur Nos lèvres ces paroles d'avertissement. Nous avons malheureusement dû déplorer, en plus d'un pays, des meurtres de prêtres, des déportations de civils, des massacres de citoyens exécutés sans procès ou par vengeance privée. Non moins tristes sont les nouvelles qui Nous sont parvenues de la Slovénie et de la Croatie.
Mais Nous ne voulons pas perdre courage. Les discours prononcés par des hommes autorisés et responsables au cours de ces dernières semaines laissent comprendre qu'ils ont en vue la victoire du droit, non seulement comme but politique, mais encore plus comme devoir moral.
b) Appel à la prière.
C'est pourquoi Nous adressons de grand coeur à Nos fils et à Nos filles du monde entier un chaleureux appel à la prière. Qu'il parvienne à l'oreille de tous ceux qui reconnaissent en Dieu le Père très aimant de tous les hommes créés à son image et ressemblance, de tous ceux qui savent que dans la poitrine du Christ bat un Coeur divin riche en miséricorde, source profonde et inépuisable de tout bien et de tout amour, de toute paix et de toute réconciliation.
De la trêve des armes à la paix vraie et sincère, comme Nous le disions il n'y a pas longtemps, le chemin sera ardu et long, trop long pour les aspirations anxieuses d'une humanité affamée d'ordre et de calme. Mais il est inévitable qu'il en soit ainsi. Et peut-être aussi préférable. Il faut d'abord laisser s'apaiser l'ouragan des passions surexcitées : Motos praestat componere fluctus, « mieux vaut que s'apaise l'agitation des flots » (7). Il est nécessaire que la haine, la défiance, les excitations d'un nationalisme extrême cèdent la place à l'élaboration de sages conseils, à Péclosion de desseins pacifiques, à la sérénité dans les échanges de vues et à la mutuelle compréhension fraternelle.
c) Que le Saint-Esprit guide les constructeurs de la paix!
Daigne le Saint-Esprit, lumière des intelligences, doux Maître des coeurs, exaucer les prières de son Eglise et guider dans leur travail
difficile ceux qui, selon leur haute mission, s'efforcent sincèrement, malgré les obstacles et les contradictions, d'arriver au terme si universellement, si ardemment désiré : la paix, la vraie paix, digne de ce nom. Une paix qui se fonde et trouve sa fermeté dans la sincérité et dans la loyauté, dans la justice et dans la réalité ; une paix d'effort loyal et résolu pour vaincre ou prévenir les conditions économiques et sociales qui pourraient, à l'avenir comme par le passé, conduire facilement à de nouveaux conflits armés ; une paix qui puisse être approuvée par tous les esprits droits de tous les peuples et de toutes les nations ; une paix que les générations futures puissent considérer avec reconnaissance comme le fruit heureux d'un temps malheureux ; une paix qui marque dans les siècles un tournant décisif dans l'affirmation de la dignité humaine et de l'ordre dans la liberté ; une paix qui soit comme la grande Charte qui a fermé l'ère sombre de la violence ; une paix qui, sous la conduite miséricordieuse de Dieu, nous fasse passer à travers la prospérité temporelle, de manière à ne pas perdre le bonheur éternel (8).
Mais avant d'atteindre cette paix, il est vrai que des millions d'hommes, dans leur foyer ou à la guerre, dans la prison ou dans l'exil, doivent encore goûter l'amertume du calice. Comme il Nous tarde de voir la fin de leurs souffrances et de leurs angoisses, la réalisation de leurs désirs ! Pour eux aussi, pour toute l'humanité qui souffre avec eux et en eux, que monte vers le Tout-Puissant Notre prière humble et ardente.
En attendant, ce Nous est un immense réconfort, Vénérables Frères, de penser que vous prenez part à Nos soucis, à Nos prières, à Nos espoirs, et que dans le monde entier, évêques, prêtres, fidèles joignent leurs supplications aux Nôtres dans la grande voix de l'Eglise universelle. En témoignage de Notre profonde gratitude et comme gage des miséricordes infinies et des faveurs divines, à vous-mêmes, à eux, à tous ceux qui Nous sont unis dans le désir et dans la recherche de la paix, Nous accordons du fond du coeur Notre Bénédiction apostolique.
(2) Cf. Documents Pontificaux 1939, p. 112.
(3) Cf. VOsservatore Romano du 2 juillet 1933. Voir dans La Documentation catholique, t. XXX, 1933, col. 506, la traduction de ce document dans l'étude consacrée au Concordat du 20. 7. 33 entre le Saint-Siège et le Reich allemand (n° spécial 672).
(4) Cf. La Documentation catholique, t. XXXVII, 1937, col. 901.
(5) A. A. S., 29, 1937, pp. 149 et 171.
(6) Cf. La Documentation catholique, 1945, col. 353 et 457.
(7) Virgile, Enéide, 1, 135.
(8) Cf. Oraison du IIIe dimanche après la Pentecôte.
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