Bonsoir Perlum Pinpum et Xavi,
Je vous remercie pour vos messages.
Perlum Pimpum, la 1ère partie de votre message concerne la foi et la raison.
Je suppose, d’après votre conclusion, que le mot « foi » doit être compris comme l’a expliqué Xavi : c’est « la foi » de l’Église selon son enseignement officiel constant fondé. Si cette supposition est exacte, vous savez évidemment que je ne partage pas cette « foi ».
Je suis donc évidemment d’accord avec votre conclusion, et vous avez ma réponse explicite.
Dans la suite de ce sujet, j’emploierai le mot «
foi » en écriture italique, comme Xavi quand le mot correspond à la définition précitée, et le mot « foi » en écriture romaine pour qualifier toute autre forme de foi chrétienne (j’essaierai de ne pas me tromper).
La 2ème partie est constituée de 5 points.
1- En remplaçant « foi » par «
foi », je suis évidemment d’accord avec ce 1er point.
2- Je suis évidemment d’accord avec le 2ème point.
3- Je suis d’accord avec la logique du 3ème point. Je vais expliquer plus loin que je ne crois pas à cette possibilité.
4- A l’occasion de ce 4ème point, je vais clarifier mon opinion.
Mon opinion concorde avec ce que je vais appeler l’Opinion majoritaire. J’appelle Opinion majoritaire l’opinion exprimée par écrit par les spécialistes de l’histoire de l’Ancien Israël, globalement relayée par exemple sur Wikipédia. Les auteurs de cette Opinion majoritaire sont des historiens, archéologues et exégètes, ayant un haut degré d’expérience et de connaissances sur l’Histoire de l’Ancien Israël. Leur foi n’est pas un critère d’appartenance puisque on trouve dans ces auteurs des personnes dont la foi est le moteur de leur vie jusqu’à des athées purs et durs. Par définition, aucun de ces auteurs n’a la
foi.
Sur ce sujet, je n’ai aucune opinion, ni aucun argument, qui ne fasse pas partie du corpus d’opinions sur différents sujets de cette histoire par l’Opinion majoritaire. Je ne suis qu’un (piètre) relayeur de cette Opinion majoritaire.
Mon faible niveau de connaissances par rapport aux spécialistes fait que je comprends certains sujets, et que je n’en comprends pas d’autres (par exemple les études de textes qui présupposent une connaissance approfondie de l’Hébreu, voire d’autres langues sémitiques). Mais mon expérience d’historien me fait croire a priori à cette Opinion majoritaire, sachant que cet a priori ne pourrait évoluer en conviction qu’après avoir étudié une très grande partie de ces arguments.
J’ai déjà expliqué pourquoi je n’en ai pas la possibilité. Aucun historien ne s’est lancé dans l’examen de tous les indices jugés hautement vraisemblables et contraires aux textes de la Bible, et je suis persuadé qu’aucun ne le fera, car aucun n’aura un mobile assez puissant pour y passer toute une vie.
Comme je l’ai déjà dit, il y a une différence fondamentale entre l’histoire de l’Ancien Israël et celle des autres pays anciens du pourtour méditerranéen. Elle transparaît à 2 niveaux :
-
L’approche globale
On peut lire dans La Bible – une histoire contemporaine, des textes écrits par 9 auteurs différents, auteurs de l’Opinion majoritaire, relatifs aux dates d’écriture de la Bible. J’en trouverais sans doute des dizaines d’autres dans d’autres documents, et certainement plus sur l’Exode (toutes dates av. J.-C.) :
F. Boyer (p.24) : La composition de la Bible s’étend sur près de 1000 ans, depuis le VIIIe siècle…
M. Liverani (p.36) : Puis il y a les traditionnalistes radicaux qui croient encore que le Pentateuque remonte à l’époque de Moïse…
I. Finkelstein (p.40) : …VIIe siècle, époque ou fut écrite l’histoire deutéronomiste…
P. Gibert (p.76) : Comment ces différents facteurs ont-ils conduit à imposer le retour d’exil pour l’élaboration des livres et des principales figures de l’Ancien Testament.
Y. Volokhine (p.89) : … lors de la conception, au Ier millénaire des textes bibliques.
J.-L. Fissolo (p.101) : … on ne peut que conclure à une première strate rédactionnelle de la geste biblique au VIIe ou au VIe siècle…
T. Römer (p.123) : Epoque monarchique (VIIIe – VIIe siècle) : Les plus anciens matériaux de la future Bible sont mis par écrit.
P. Abadie (p.131) : … quand sont mis par écrit les récits de la genèse, sous la domination perse, aux Ve-IVe siècles.
Ce que je veux mettre en avant, est le fait que ces auteurs se dispensent de précautions oratoires ou au moins d’un résumé des principales raisons qui leur permettent d’écrire ces affirmations (au-delà de certaines divergences de dates que certains ne manqueront pas de relever
). Ces auteurs s’en dispensent car ils sont persuadés que les faisceaux d’indices hautement vraisemblables expliqués dans des documents antérieurs sont suffisants pour ne même pas prendre des précautions de langage.
Par ailleurs, on trouve sans doute des milliers de documents dans lesquels il est écrit que Moïse a écrit le Deutéronome, sans précautions de langage, puisque c’est l’enseignement constant de l’Église, et, éventuellement avec comme raisons complémentaire ou supplémentaire que les faisceaux d’indices précités ne sont pas jugés suffisamment vraisemblables.
Ma question est : existe-t-il un autre pays dont un élément fondamental de l’histoire ancienne peut être raconté de façon aussi contradictoire ? Ma réponse est non, mais je suis preneur d’autres exemples.
(j’aimerais une réaction sur ce point)
Nous sommes donc, sur ce sujet, dans l’un de ces deux mondes parallèles. [Il existe (malheureusement) un troisième monde, très largement majoritaire, qui n’en a rien à faire ou qui n’a pas le niveau de connaissances suffisant pour avoir le moindre avis sur l’une au l’autre de ces affirmations]
- L’approche détaillée
L’approche détaillée consiste à examiner les faisceaux d’indices. Cette méthode fonctionne très bien dans tous les domaines de l’histoire, sauf dans l’histoire de l’Ancien Israël. J’ai expliqué globalement pourquoi dans mon message précédent. Prenons l’exemple des chameaux mentionnés dans la Genèse évoqué par Xavi.
L. Grabbe (2007, p.53) classe cet indice dans les indices anachroniques et donne les avis suivants :
- W. Albright (maximaliste) considérait que c’était effectivement un anachronisme et que Abraham devait utiliser des ânes.
- Gordon et d’autres conservateurs considéraient que la domestication des chameaux était antérieure.
- Les plus récentes preuves montreraient que le chameau n’a pas été domestiqué avant l’Âge du Fer (1200 av. J.-C.) :
Finkelstein (2001) considère cet indice comme un anachronisme révélateur : « L’histoire des patriarches est pleine de chameaux, par troupeaux entiers. Quand ses frères vendent Joseph en esclavage, ce sont des chameaux qui transportent les marchandises de la caravane. Or l’archéologie révèle que le dromadaire ne fut pas domestiqué avant la fin du IIe millénaire et s’il ne commença à être couramment employé comme bête de somme au Proche-Orient que bien après l’an 1000. L’histoire de Joseph contient d’ailleurs un détail des plus révélateurs : la caravane de chameaux transporte de la gomme adragante, du baume et du ladanum. Cette description correspond, de façon évidente, au commerce de ces mêmes produits, entrepris par les marchands arabes sous la surveillance de l’Empire assyrien, aux VIIIe et VIIe siècles. »
Wapnish (1997), Zarins (1978), et Na’aman (1994) retiennent eux aussi cet anachronisme.
Depuis l’ouvrage de L. Grabbe, il y a eu notamment 2 archéologues israéliens qui soutiennent que des chameaux domestiqués ne sont par arrivés au Levant avant le Xe siècle. Voir
https://www.francetvinfo.fr/decouverte/ ... 27029.html.
Un site biblique (probibliste) donne la référence de plus de 20 ouvrages traitant au moins partiellement de la question.
Un article de M.Heide (2010) conclut (temporairement
) que la domestication du chameau de Bactriane aurait eu lieu autour du IIe millénaire, que la domestication des dromadaires aurait eu lieu au cours du IIe millénaire mais que son usage important pour le transport ne se serait développé que plus tard. La dernière phrase est « Après tout, seules des découvertes archéologiques additionnelles et des inscriptions permettront d’avoir une meilleure idée du rôle du chameau au Proche-Orient avant le 1er millénaire ». Sa bibliographie contient plus de 200 entrées.
Ma recherche a duré une petite heure. Si les Patriarches, par exemple, étaient mon sujet de recherche, au vu de cette petite enquête j’y passerai sans doute au moins une centaine d’heures.
Qu’en conclure :
- L’indice des chameaux est retenu comme un indice important et vraisemblable par les auteurs de l’Opinion majoritaire, au moins jusqu’à 2007 (je considère L. Grabbe, très modéré, comme un représentant majeur et fiable de cette école).
- Des conservateurs considèrent cet indice comme faux.
- Il y a donc une opposition nette entre les auteurs de l’Opinion majoritaire et les conservateurs (même si Albright, mais plus ancien, va dans le sens de l’opinion majoritaire).
- Depuis 2007, deux études montreraient que l’usage important de chameaux du temps des patriarches est peu vraisemblable, mais l’étude de 2010 considère que cette conclusion n’est que temporaire.
- Un avis plus affirmé nécessiterait des centaines d’heures.
- J’ai le sentiment qu’un consensus serait obtenu si ce sujet n’interférait pas avec la Bible. Mes lectures plus anciennes, , ou les chiens) sur les domestications d’autres animaux (par exemple sur les chevaux ou les chiens) ne me donnent pas du tout l’impression d’une opposition entre 2 écoles.
- Je suis incapable d’avoir une position très tranchée, mais en fonction de ces quelques petits résultats, je fais confiance à l’Opinion majoritaire.
- Xavi a exprimé son opinion et envisagé la piste d’une mauvaise traduction ou interprétation.
Pour des raisons différentes, Xavi et Albright arrivent à des conclusions voisines : ce ne sont pas des chameaux (Albright, convaincu que c’était un anachronisme) mais des ânes; ce sont peut-être tout simplement des bêtes de somme et la traduction en chameaux résulte peut-être d’une réécriture ultérieure. (Xavi, je n’ai vu cette hypothèse nulle part. Est-elle de vous ou reprenez-vous une idée déjà exprimée ? – juste par curiosité).
En tant que chercheur sur le sujet des Patriarches, ma première idée serait évidemment d’y passer suffisamment de temps pour avoir les idées plus claires. En tant que chercheur, Albright a trouvé un moyen de résoudre la difficulté de l’anachronisme en imaginant tout simplement qu’il ne s’agissait pas de chameaux mais d’ânes (à l’époque où il a écrit, il n’avait pas à sa disposition les études sur les chameaux dont on dispose aujourd’hui). Xavi a trouvé un moyen de résoudre la difficulté en imaginant une mauvaise traduction (je ne peux évidemment pas vous en vouloir de ne pas avoir passé 100 heures sur le sujet).
Une information, anecdotique mais révélatrice : Gordon, l’un des conservateurs qui considéraient que la domestication du chameau était antérieure aux Patriarches, a expliqué en 1986 que si Albright avait remplacé les chameaux par des ânes parce qu’il détestait les chameaux et adorait les ânes (véridique !). Gordon a donc voulu annihiler l’opinion d’un autre conservateur (traître à son école !!!) en trouvant une autre explication.
Albright, Xavi et Gordon auraient-ils été chercher leurs explications s’ils n’avaient pas été conservateurs voulant protéger le texte de la Bible sans utiliser l’argument final de l’opposition à l’enseignement permanent de l’Église ? Je ne le pense pas.
C’est une illustration, pas une démonstration, de l’impossibilité de consensus sur un sujet touchant à la Bible.
Mon exposé n’est évidemment qu’une ébauche au bout d’une recherche très limitée sur un sujet que je n’ai pas choisi.
Mais ce que je veux illustrer, c’est que pour chacun des centaines d’indices à étudier, il est possible, sans aller jusqu’à l’argument final, de trouver des voies de contester la haute vraisemblance d’un indice : ce n’est pas impossible, c’est une mauvaise traduction, l’identification du site archéologique n’est pas suffisamment attestée…
Ces arguments n’apparaissent pas, en tous cas pas de façon permanente, dans les discussions des histoires des autres pays méditerranéens.