par Serge BS » ven. 17 août 2007, 12:35
L’hétérogénéité terminologique - Il existe en fait une très grande diversité des termes utilisés pour désigner l’homme ayant seul le pouvoir en monocratie.
Le terme le plus général est celui de chef. Il se retrouve d’ailleurs encore dans le vocabulaire contemporain : chef de l’État, chef de gouvernement, … Il est cependant d’un emploi très rare dans l’histoire des monocraties, car on y parle plus souvent de roi ou d’empereur.
D’origine grecque, le terme de monarque a vu son sens très souvent réservé jusqu’à nos jours aux monocraties. Néanmoins, depuis le XXème siècle, la monarchie est définie comme étant le régime politique dans lequel le chef de l’État est un roi héréditaire, et ce par opposition à la république. Si Aristote avait distingué la royauté de la tyrannie et de la monarchie, il y avait par contre dans la France de l’ancien régime une confusion entre la royauté et la monarchie. Ainsi, pour Montesquieu, il existait trois formes de gouvernement :
- la république ;
- le despotisme, où un seul gouverne selon sa volonté et son caprice ;
- la monarchie, où un seul gouverne par des lois fixes et établies.
On retrouve donc chez Montesquieu la distinction faite par Aristote, mais avec cependant une confusion entre royauté et monarchie. Dès lors, la monarchie a pris le sens de monocratie légitime puisque même si elle est absolue elle n’est jamais illimitée du fait de l’existence de règles religieuses, morales et politiques s’opposant à la dictature, à la tyrannie et au despotisme. Les monarques sont ainsi sensés tenir leur pouvoir d’une source légitime : l’élection ou l’hérédité. Ainsi, depuis le Moyen-âge français, monarchie, royauté, empire et principauté sont devenus des institutions héréditaires par essence, et à compter du XVIIIème siècle cette notion va s’opposer à celle de république, c’est-à-dire de régime de l’État où le chef élu n’est pas héréditaire. Au XVIème siècle, Jean Bodin définissait dans Les six livres de la République la république comme étant le gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec la puissance souveraine, d’où l’idée de l’État de droit incarné par un prince. Néanmoins, le sens premier de république est le sens latin de res publica : la collectivité du peuple romain dans son ensemble, détentrice de la souveraineté. Aux XIXème et XXème siècles, la distinction entre la république et la monarchie devait surtout résider dans le caractère élu ou héréditaire du chef de l’État. Monarchie est dès lors devenu l’équivalent de monarchie héréditaire, et revêt donc un sens particulier. Ces monarchies héréditaires sont aujourd’hui moins nombreuses, et elles ont de plus évolué, étant de moins en moins monocratiques et le pouvoir étant désormais partagé entre le roi - chargé de l’exécutif par le biais d’un ministère car le roi ne peut se tromper en lui-même et par lui-même - et des assemblées consultatives, puis décisionnaires - monarchie constitutionnelle anglaise, monarchie de juillet en France, …-. Aujourd’hui, monocratie est donc préférable à monarchie en ce sens que monarchie est devenu synonyme de monarchie héréditaire, le pouvoir n’y résidant plus toujours entre les mains d‘un seul homme.
Le roi est à la fois le basileus d’Aristote etle chef légitime de l’État souverain du Moyen-âge. Ce terme est donc équivoque et il convient de fait de le rejeter dès lors que l’on parle des monocraties, et ce même si un roi peut être monocrate, la proposition inverse étant fausse.
Dans la République romaine, l’Imperator était le général victorieux, dôté du pouvoir de commandement ou imperium ;Auguste se posa ainsi comme Imperator. À partir de Néron, ce titre fut définitivement adopté par les empereurs. De même, à la Noël 800, Charlemagne se fit sacré empereur, mais dans un sens équivalent à basileus, et ce titre devait se maintenir jusqu’en 1806, année de la disparition du Saint Empire romain germanique. Empereur est donc un titre qui s’est maintenu en Europe de façon continue depuis Charlemagne d’autant plus que si il fut peut utilisé par Louis XIV, d’autres tels que les Napoléon, Maximilien, Victoria et Guillaume d’Allemagne s’en parèrent. Par ailleurs, tant en Allemagne que dans les pays slaves, il y avait utilisation de termes dérivés de César : tsar, Kaiser, etc… Dès l’époque romaine, l’empereur est considéré comme étant supérieur au roi puisqu’il a l’"imperium mundi ". Ainsi, comme le régime du pouvoir du roi de France était issu du droit romain, pour éviter la supériorité de l’empereur romain germanique, le Parlement de Paris déclara : " Le roi de France est empereur en son royaume. " Le Pape lui-même se réclama aussi de ce titre jusqu’au traité de Canossa, et ce afin d’établir une théocratie… On peut donc définir l’empire comme étant un vaste État soumis à une autorité unique et ayant connu une certaine durée, ce qui fait qu’Alexandre le grand ne créa pas un empire…
Le titre de prince est issu du mot latin princeps qui signifie le premier. C’était à l’époque romaine un titre honorifique porté par le sénateur que l’on voulait honorer en l’inscrivant en premier sur la liste des membres du Sénat : le Princeps senatus. Auguste se para du titre de Princeps. De ce fait, le titre de prince n’est pas adéquat lorsque l’on parle de monocratie, car il fut utilisé par la tétrarchie romaine.
[g]Les premiers tyrans apparurent au VIIème siècle avant notre ère[/g] pour désigner des chefs en lutte contre les abus de l’aristocratie. Il s’agissait de chefs issus de la classe aristocratique, s’appuyant sur la masse et effectuant des réformes dans la Cité. À l’origine le mot n’est donc pas forcément péjoratif, étant plutôt synonyme de seigneur ou de patron. C’est Aristote qui, en désignant sous le vocable de tyrannie un régime éphémère non lié à la nomos, lui donna un sens péjoratif ; mais il ne faut pas oublier non plus qu’Aristote était lié au parti aristocratique jaloux de ses pouvoirs… Néanmoins, ce sens péjoratif s’est perpétué au Moyen-âge, notamment sous l’influence de saint Thomas d’Aquin, et au XVIème siècle, Jean Bodin affirmait que le tyran était celui qui de sa propre autorité se faisait prince souverain. Pour Voltaire, les termes de despote et de tyran se confondaient, et pour lui, dans son Dictionnaire philosophique, la question qui se pose est celle de savoir sous quelle tyrannie l’homme préférerait vivre, car un despote a toujours de bons moments, une assemblée de despotes jamais. Ce terme reste utilisé par les historiens pour désigner tout régime dont le chef est injuste et oppressif et s’est imposé par la force.
Le terme de despote est généralement considéré comme étant synonyme de tyran. Il est issu du grec despotes qui signifie le maître, celui qui commande. Il désignera assez vite le monarque qui gouverne arbitrairement, et, pour Montesquieu, il désigne l’opposé de la monarchie. Ce terme a aujourd’hui quasiment disparu du vocabulaire des politologues au profit de celui de dictateur dans le sens du chef unique disposant en fait d’un pouvoir illimité. Pourtant, à l’origine, à Rome, le dictateur était le monocrate sauveur de Rome nommé par les Consuls pour une durée de six mois avec une mission déterminée : guerre, paix, sauver la Res Publica, … Il y a eu en fait déformation du sens de dictateur et glissement progressif du terme de despote à celui de dictateur.
À l’origine, l’autocrate étant celui qui gouvernait par lui-même, qui disposait de la force par lui-même. Par exemple, à Athènes, le statège autocrate disposait du pouvoir militaire absolu, y compris dans la République. Par la suite, ce terme est devenu d’un emploi fréquent dans le sens du souverain qui n’est soumis à aucun contrôle. Ce terme est apparu en France au cours du XVIIIème siècle, et il fut très vite associé principalement au Tsar de toutes les Russies. Aujourd’hui, une autocratie est un régime monocratique absolu sans contrôle. Il y a donc pouvoir illimité au sein d’un régime dans lequel n’existe aucun organe modérateur. Néanmoins, le terme d’autocrate a un sens différent chez certains politologues. C’est ainsi que pour Mosca, puis pour Duverger, l’autocrate est l’homme qui s’est désigné lui-même comme chef. De son côté, Burdeau distingue la monocratie qui est le régime où il existe un seul centre de puissance politique de l’autocratie qui est le régime où le gouvernant ne tient son pouvoir que de lui-même. Enfin, Duverger oppose l’autocratie à la démocratie, les procédés démocratique - choix des gouvernants par les gouvernés - aux procédés autocratiques - les gouvernants se recrutent eux-mêmes - ; il assimile donc à l’autocratie des procédés tels que la cooptation, l’hérédité, la conquête ou le tirage au sort. Cependant, de nombreux autres politologues ne lient pas la monocratie à l’autocratie.
Les modes d’accesion au pouvoir - Il existe a priori quatre procédés d’accession au pouvoir : la force, l’élection, l’hérédité et la cooptation. Si cette typologie est possible pour le monocrate, il faut donc faire la distinction entre la monocratie autocratique ou de force, la monocratie élective, la monocratie héréditaire et la monocratie cooptante.
Cette typologie basée sur le mode d’accession au pouvoir est peu valable car elle ne tient pas compte de l’étendue du pouvoir. En effet, il existe une hypothèse où une prise de pouvoir par la force peut aboutir à une légitimité du pouvoir, tout comme un chef élu ou héréditaire peut exercer un pouvoir illimité, par détournement ou non du dit pouvoir. De plus, cette typologie tend à tout pris à privilégier un mode de désignation, alors qu’il y a très souvent combinaison de ces modes ; on pensera par exemple aux couples force/élection ou élection/hérédité.
En fait, dans beaucoup de régimes monocratiques, il y a très souvent concurrence entre divers des modes ci-avant exposés de désignation d’un chef, et la prédominance de l’un ou l’autre de ces modes est en fait exceptionnelle. Par exemple, il existait à Rome divers procédés d’accession au principat : il pouvait y avoir élection par le Sénat, candidature imposée par les prétoriens ou encore hérédité, comme ce fut le cas sous le dominat. En réalité, élection et hérédité sont très souvent en concours ; il suffit pour s’en convaincre de se souvenir qu’au Moyen-âge européen l’élection précéda l’hérédité…
On considère que sont originaires les modes d’accession au pouvoir où les gouvernés interviennent dans la désignation du chef. En effet, il y a alternative voulant que soit les gouvernés - tout ou partie – qui choisissent le chef, comme sous les mérovingiens, soit ils n’interviennent pas, le chef se désignant lui-même par la force avec l’aide d’un petit groupe. Dans le premier cas, il y a monocratie élective, et dans le second monocratie autocratique. La force et l’élection sont donc les deux modes originaires d’accession au pouvoir.
Il existe des modes dérivés : la cooptation, l’hérédité, l’association, le tirage au sort, …. Néanmoins, et historiquement, il semble qu’à l’origine le chef a été désigné soit par élection, soit par la force, ce qui fait qu’à l’origine de toute monocratie héréditaire ou cooptante, il y ait eu soit monocratie élective, soit monocratie autocratique. C’est ce schéma qui fut le plus courant au regard de l’histoire, et il y eut la force à l’origine de presque tous les régimes monocratiques, ce que Voltaire résuma en écrivant que le premier roi fut un soldat heureux. Et ce pouvoir fut souvent légitimé par élection, puis il y eut tendance à l’hérédité, puis, parfois, à la cooptation.
La référence à la notion de légitimité - La légitimité permet l’adéquation du pouvoir au droit et assure le consentement des gouvernés. L’élection et l’hérédité sont donc des procédés légitimes en ce sens qu’ils sont conformes aux règles socio-politiques, morales, coutumières et/ou religieuses en vigueur, donc à la nomos. Inversement, la force est illégitime, ce procédé existant le plus souvent pour " forcer " la main aux gouvernés, alors qu’elle sera souvent suivie d’une cooptation, comme dans le cas des monarchies tyranniques ou encore dans la conception nazie du pouvoir. En fait, le choix de tel ou tel mode d’accession au pouvoir est fonction tant de faits que d’idées politiques.
Se trouvent maintenant posées trois questions, la réponse à chacune de ces questions étant variable : - comment les monocrates ont-ils justifié leur pouvoir ? - comment l’ont-ils exercé ? - comment les gouvernés ont-ils accepté l’autorité du monocrate ?
Le fondement religieux - Ce fondement est celui qui fut le plus fréquemment invoqué, tant par les chefs que par les gouvernements, car c’est celui qui est en général le mieux admis, la référence n’étant plus ici l’homme mais son Salut. La sacralité est ainsi une constante du pouvoir de Rome à 1789, alors que la laïcisation du pouvoir n’est qu’un fait récent apparu à partir du XVIIIème siècle.
Le fondement religieux peut avoir des formes très variées, même si dans le cas des monocraties le chef s’est très souvent retrouvé divinisé, devenant ainsi le représentant, le lieutenant de Dieu sur terre : roi-dieu, culte à l’empereur, roi de droit divin, …
Le fondement militaire - La référence aux faits militaires est elle aussi l’un des procédés les plus courants et les plus constants dans l’histoire de la monocratie. L’exercice du pouvoir suppose en effet le recours à la contrainte pour assurer le maintien de l’ordre et l’exécution des décisions. Et le lien avec le fondement religieux n’est pas loin : si le chef a vaincu, si il a la force, c’est que " Dieu l’a voulu. " En clin d’œil, pensons à l’image des Etats-Unis " gros bâton " qu’ont certains États centre-européens de ce pays, cette vision de force les attirant…
Néanmoins, même si le chef peut compter sur la crainte religieuse, sur le mépris social ou sur la règle de droit, il lui faudra toujours faire exécuter ses décisions à tout moment, même pour le " bien public ", d’où la nécessité pour lui de disposer de l’usage de la force et de la violence. C’est pour cela que l’armée et la police demeurent dans tous les modèles socio-politiques - oligarchie, démocratie, monocratie -, car elles représentent les ultimes moyen permettant d’assurer soit le pouvoir du monocrate, soit le maintien de l’ordre social.
Il est cependant rare que le fondement force soit le seul reconnu, voire même mis en avant, car il rappelle que l’usurpation et la violence sont à la base de la prise du pouvoir. On va donc rechercher une justification par une adhésion volontaire - ou dite comme telle, comme par exemple le plébiscite à 100 % de oui et 100 % de votants de Saddam Hussein au mois d’octobre 2002 - ou par le biais d’une intervention divine.
Si l’on se réfère à l’histoire, il n’y a pas de typologie politique des monocraties possible ne se fondant que sur le religieux ou que sur le militaire, car le fondement d’une monocratie est bien plus complexe, combinant souvent plusieurs caractères. La pluralité des fondements est de fait la règle.
Le fondement contractuel - Ce fondement ne se rencontre que dans les monocraties limitées. Mais ces dernières sont nombreuses car les gouvernés, sans exercer la moindre parcelle de pouvoir, ont gardé assez souvent un certain contrôle sur le pouvoir et sur l’activité des gouvernants, ou encore ont obtenu une Constitution. D’ailleurs, la plupart des monocrates ont toujours été très attentifs à " la rue ". On notera cependant que très souvent ces monocraties limitées ont évolué vers des pluricraties, car il y a eut de facto répartition du pouvoir entre plusieurs organes ; on peut ici penser à l’évolution de la monarchie anglaise.
Le fondement juridique - Lorsque l’empire romain succéda à la République, on chercha à légitimer le nouveau pouvoir du Princeps en reprenant au droit public républicain deux notions : l’Imperium et la Tribunatia potestas, ce qui faisait que le nouveau pouvoir était sacré, et d’une certaine manière légal. Mais ce fondement pose la question de la légitimité du pouvoir, le chef usurpant le pouvoir étant au départ et par définition illégitime. Il faut donc chercher à instaurer a posteriori cette légitimité, soit par une élection - acclamation, plébiscite, référendum -, soit en invoquant des titres donnant droit à l’hérédité, comme le fit Napoléon III qui combinat ces deux procédés.
En revanche, l’élection et l’hérédité a priori à l’accession au pouvoir sont des modes légitimes permettant cette accession, puisqu’il y a transmission du pouvoir selon des règles juridiques soit coutumières - comme les Lois fondamentales du Royaume -, soit écrites.
La légitimité est donc un fondement de la monocratie quand les chefs respectent les limites imposées à leur pouvoir - religion, droit -, ou bien ont un accès légitime à ce même pouvoir. Il y a donc acceptation du pouvoir dans ce cas. Néanmoins, la légitimité n’est le plus souvent qu’un élément secondaire du pouvoir car elle est insuffisante. Elle se rajoute en fait, dans le cas des monocraties, aux trois fondements précédents dans la plupart des cas.
L’étendue et les limites du pouvoir du chef - L’analyse typologique est beaucoup plus aisée dans ce cas, car on retrouve souvent associé à la monocratie les concepts de monocratie limitée (tempérée, parlementaire, constitutionnelle, …) ou de monocratie illimitée. La distinction essentielle réside donc en le caractère limité ou non de l’étendue du pouvoir du monocrate.
Par définition, est une monocratie illimitée celle dans laquelle le pouvoir du chef ne connaît aucune limite, aucun frein. C’est donc une monocratie absolue, d’absolutus ", de délié. La monarchie absolue des temps modernes - sauf en France et au Royaume-Uni – relève de cette typologie, même si elle peut aussi être qualifiée d’autocratie ou de tyrannie. Ce modèle de monocratie a existé, même si Paul Ourliac a écrit que tout le Moyen-âge a tenté de définir la tyrannie sans jamais pouvoir en donner un seul exemple précis. Il est vrai que si l’on considère que la monocratie est illimitée quand le chef exerce sans frein un pouvoir arbitraire seul, alors effectivement la monocratie illimitée n’a jamais existé, car le monocrate a toujours eu besoin d’" hommes de main " pour garantir sa pérennité. En fait, l’interprétation doit être restrictive. Toute la Révolution française, et l’enseignement public qui l’a suivie, a prétendu que la monarchie française était une tyrannie, mais ceci est sans fondement, même si les fondements religieux, force, ainsi que l’absolutisme furent réels ; mais il existait des contre-pouvoirs : bourgeoisie, noblesse, clergé, Parlements, …
Les autres formes de monocratie sont limitées. Ainsi, le pouvoir est maintenu dans certaines limites par le respect de règles religieuses, morales et/ou juridiques ; le pouvoir se trouve freiné par des forces sociales ou par des groupes de pression. Enfin, le pouvoir peut être restreint par l’interdiction d’agir en certains domaines sans le consentement des gouvernés ou des organes représentatifs. La difficulté réside dans la mesure de l’importance de ces freins. En effet, quand il y a annihilation du pouvoir du chef, il n’y a plus de monocratie. De même, si on aboutit à un partage du pouvoir avec des organes, que ces organes soient des individus ou des groupes, il n’y a plus monocratie, et on se situe alors dans le cadre d’un régime pluricratique, qu’il s’agisse d’une oligarchie, d’une monarchie ou d’une démocratie.
Prenons l’exemple des monarchies parlementaires du XIXème siècle. Par leur évolution, ce ne sont plus des régimes monocratiques, car on tend vers des démocraties monarchiques, le pouvoir étant partagé entre un roi, un Parlement et un cabinet. Dans le cas de la monarchie féodale, le pouvoir du souverain, c‘est-à-dire du suzerain fieffeux, est nominal à la tête de ses vassaux, et si le roi coiffe le Regnum Francorum, son pouvoir est vidé de toute souveraineté.
La prudence est donc nécessaire lorsqu’il s’agit de distinguer une monocratie limitée d’une monocratie illimitée, ou encore une monocratie limitée d’une pluricratie. Il faudra toujours étudier et analyser l’étendue du pouvoir du chef en l’éclairant de son contexte historique et social.
Exemples de typologies - Depuis toujours, les penseurs politiques ont été tentés de classer les régimes monocratiques. Et même aujourd’hui, il apparaît entre les politologues de nombreuses divergences tant sur le vocabulaire que sur le sens de la monocratie.
Aristote avait établi une distinction entre les bonnes et les mauvaises monarchies.
À l’époque contemporaine, Nicholson a tenté de classer l’évolution de la monarchie. Il distingue ainsi le roi-dieu, le roi chef de guerre, le tyran, le roi-philosophe, le roi féodal, le roi élu, le roi de droit divin et le roi parlementaire. Cependant, il ne classe ni Louis XIV, ni Napoléon Bonaparte, ce qui démontre les limites de son analyse.
C’est en 1954 que, son ouvrage Why dictators ? [Hallgarten (G. W. F.), Why dictators ? The causes and forms of tyrannical rule since 600 B.C. , New York, MacMillan, 1954], Georg W. F. Hallgarten allait distinguer dans l’histoire de l’humanité quatre types de tyrannies :
- la tyrannie classique (Rome, Cromwell, Napoléon Ier) ;
- la tyrannie ultra-révolutionnaire (Savonarole, Robespierre, Lénine) ;
- la tyrannie contre-révolutionnaire (Franco, Horthy) ;
- la tyrannie pseudo-révolutionnaire (Mussolini, Hitler, Peron).
Maurice Duverger a choisi de classer les monocraties en fonction du type d’organe gouvernemental, c’est-à-dire du modèle essentiel de l’exécutif, et ce sans tenir compte des assemblées existantes. Il distingue ainsi successivement :
- la monocratie royale ou héréditaire qui comprend en particulier les monarchies parlementaires dualistes ;
- la monocratie dictatoriale dont le fondement est le gouvernement issu de la conquête ;
- la monocratie présidentielle qui trouve son modèle de référence dans les Etats-Unis d’Amérique.
Ainsi, selon Duverger, peuvent être considérés comme des monocraties des régimes aussi différents que les régimes collégiaux, les régimes dualistes ou les régimes dictatoriaux, ce qui est surprenant mais somme toute normal si l’on rappelle qu’il ne tient pas compte des assemblées, alors même que les assemblées peuvent détenir les clés du gouvernement dans certains des régimes précités ou que l’organe gouvernemental peut ne pas prendre seul les décisions. Il y a donc au moins erreur de méthode, si ce n’est parti pris, car peut on raisonnablement mettre dans le même sac le souverain britannique, le Président des Etats-Unis et Adolf Hitler ?
Pour Marcel Prélot, la monocratie incarne le pouvoir d’un seul homme. Cette conception ramène donc l’autorité à un régime personnel avec absorption de la notion d’État dans celle de pouvoir personnel. Il distingue donc la monocratie - unicité du pouvoir - et la démocratie - pluraliste par nature -. Par la suite, les monocraties classiques peuvent revêtir trois formes : la monarchie absolue, la tyrannie et la dictature, les monocraties populaires modernes étant soit des dictatures contre la démocratie, soit des régimes s’appuyant sur une idéologie propre et sur les masses, comme dans les cas de Mussolini, de Hitler et de Lénine.
Dans le tome V de son Traité de science politique intitulé Les régimes politiques, Georges Burdeau ne retient pas la monocéphalie dans l’organe unique du pouvoir comme critère de la monocratie. La monocratie est ainsi selon lui le régime dans lequel il n’existe qu’un centre unique de pouvoir dans lequel l’autorité gouvernementale a été désignée ou recrutée. Il y a donc une unicité de l’autorité gouvernementale et il importe peu qu’un seul individu ou qu’un organe concentre à lui seul l’exercice de la puissance publique.
Burdeau considère ainsi comme des monocraties les dictatures modernes, et, par opposition, il pose le principe de démocratie comme se caractérisant par la concentration du pouvoir dans l’organe de la représentation populaire. Une critique s’élève face à cette conception ; c’est le cas où l’organe unique est composé de plusieurs personnes et détient le pouvoir. Ainsi, selon cet auteur, Robespierre n’a jamais été un monocrate parce qu’il n’a jamais pu prendre de décisions seul.
L’hétérogénéité terminologique - Il existe en fait une très grande diversité des termes utilisés pour désigner l’homme ayant seul le pouvoir en monocratie.
Le terme le plus général est celui de chef. Il se retrouve d’ailleurs encore dans le vocabulaire contemporain : chef de l’État, chef de gouvernement, … Il est cependant d’un emploi très rare dans l’histoire des monocraties, car on y parle plus souvent de roi ou d’empereur.
D’origine grecque, le terme de monarque a vu son sens très souvent réservé jusqu’à nos jours aux monocraties. Néanmoins, depuis le XXème siècle, la monarchie est définie comme étant le régime politique dans lequel le chef de l’État est un roi héréditaire, et ce par opposition à la république. Si Aristote avait distingué la royauté de la tyrannie et de la monarchie, il y avait par contre dans la France de l’ancien régime une confusion entre la royauté et la monarchie. Ainsi, pour Montesquieu, il existait trois formes de gouvernement :
- la république ;
- le despotisme, où un seul gouverne selon sa volonté et son caprice ;
- la monarchie, où un seul gouverne par des lois fixes et établies.
On retrouve donc chez Montesquieu la distinction faite par Aristote, mais avec cependant une confusion entre royauté et monarchie. Dès lors, la monarchie a pris le sens de monocratie légitime puisque même si elle est absolue elle n’est jamais illimitée du fait de l’existence de règles religieuses, morales et politiques s’opposant à la dictature, à la tyrannie et au despotisme. Les monarques sont ainsi sensés tenir leur pouvoir d’une source légitime : l’élection ou l’hérédité. Ainsi, depuis le Moyen-âge français, monarchie, royauté, empire et principauté sont devenus des institutions héréditaires par essence, et à compter du XVIIIème siècle cette notion va s’opposer à celle de république, c’est-à-dire de régime de l’État où le chef élu n’est pas héréditaire. Au XVIème siècle, Jean Bodin définissait dans [i]Les six livres de la République[/i] la république comme étant [i]le gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec la puissance souveraine[/i], d’où l’idée de l’État de droit incarné par un prince. Néanmoins, le sens premier de république est le sens latin de res publica : la collectivité du peuple romain dans son ensemble, détentrice de la souveraineté. Aux XIXème et XXème siècles, la distinction entre la république et la monarchie devait surtout résider dans le caractère élu ou héréditaire du chef de l’État. Monarchie est dès lors devenu l’équivalent de monarchie héréditaire, et revêt donc un sens particulier. Ces monarchies héréditaires sont aujourd’hui moins nombreuses, et elles ont de plus évolué, étant de moins en moins monocratiques et le pouvoir étant désormais partagé entre le roi - chargé de l’exécutif par le biais d’un ministère car le roi ne peut se tromper en lui-même et par lui-même - et des assemblées consultatives, puis décisionnaires - monarchie constitutionnelle anglaise, monarchie de juillet en France, …-. Aujourd’hui, monocratie est donc préférable à monarchie en ce sens que monarchie est devenu synonyme de monarchie héréditaire, le pouvoir n’y résidant plus toujours entre les mains d‘un seul homme.
Le roi est à la fois le [i]basileus[/i] d’Aristote etle chef légitime de l’État souverain du Moyen-âge. Ce terme est donc équivoque et il convient de fait de le rejeter dès lors que l’on parle des monocraties, et ce même si un roi peut être monocrate, la proposition inverse étant fausse.
Dans la République romaine, l’[i]Imperator[/i] était le général victorieux, dôté du pouvoir de commandement ou [i]imperium[/i] ;Auguste se posa ainsi comme [i]Imperator[/i]. À partir de Néron, ce titre fut définitivement adopté par les empereurs. De même, à la Noël 800, Charlemagne se fit sacré empereur, mais dans un sens équivalent à [i]basileus[/i], et ce titre devait se maintenir jusqu’en 1806, année de la disparition du Saint Empire romain germanique. Empereur est donc un titre qui s’est maintenu en Europe de façon continue depuis Charlemagne d’autant plus que si il fut peut utilisé par Louis XIV, d’autres tels que les Napoléon, Maximilien, Victoria et Guillaume d’Allemagne s’en parèrent. Par ailleurs, tant en Allemagne que dans les pays slaves, il y avait utilisation de termes dérivés de César : tsar, Kaiser, etc… Dès l’époque romaine, l’empereur est considéré comme étant supérieur au roi puisqu’il a l’"[i]imperium mund[/i]i ". Ainsi, comme le régime du pouvoir du roi de France était issu du droit romain, pour éviter la supériorité de l’empereur romain germanique, le Parlement de Paris déclara : " [i]Le roi de France est empereur en son royaume. [/i] " Le Pape lui-même se réclama aussi de ce titre jusqu’au traité de Canossa, et ce afin d’établir une théocratie… On peut donc définir l’empire comme étant un vaste État soumis à une autorité unique et ayant connu une certaine durée, ce qui fait qu’Alexandre le grand ne créa pas un empire…
Le titre de prince est issu du mot latin [i]princeps[/i] qui signifie [i]le premier[/i]. C’était à l’époque romaine un titre honorifique porté par le sénateur que l’on voulait honorer en l’inscrivant en premier sur la liste des membres du Sénat : le [i]Princeps senatus[/i]. Auguste se para du titre de Princeps. De ce fait, le titre de prince n’est pas adéquat lorsque l’on parle de monocratie, car il fut utilisé par la tétrarchie romaine.
[g]Les premiers tyrans apparurent au VIIème siècle avant notre ère[/g] pour désigner des chefs en lutte contre les abus de l’aristocratie. Il s’agissait de chefs issus de la classe aristocratique, s’appuyant sur la masse et effectuant des réformes dans la Cité. À l’origine le mot n’est donc pas forcément péjoratif, étant plutôt synonyme de [i]seigneur[/i] ou de [i]patron[/i]. C’est Aristote qui, en désignant sous le vocable de tyrannie un régime éphémère non lié à la [i]nomos[/i], lui donna un sens péjoratif ; mais il ne faut pas oublier non plus qu’Aristote était lié au parti aristocratique jaloux de ses pouvoirs… Néanmoins, ce sens péjoratif s’est perpétué au Moyen-âge, notamment sous l’influence de saint Thomas d’Aquin, et au XVIème siècle, Jean Bodin affirmait que le tyran était celui qui de sa propre autorité se faisait prince souverain. Pour Voltaire, les termes de despote et de tyran se confondaient, et pour lui, dans son [i]Dictionnaire philosophique[/i], la question qui se pose est celle de savoir sous quelle tyrannie l’homme préférerait vivre, car [i]un despote a toujours de bons moments, une assemblée de despotes jamais[/i]. Ce terme reste utilisé par les historiens pour désigner tout régime dont le chef est injuste et oppressif et s’est imposé par la force.
Le terme de despote est généralement considéré comme étant synonyme de tyran. Il est issu du grec despotes qui signifie [i]le maître[/i], [i]celui qui commande[/i]. Il désignera assez vite le monarque qui gouverne arbitrairement, et, pour Montesquieu, il désigne l’opposé de la monarchie. Ce terme a aujourd’hui quasiment disparu du vocabulaire des politologues au profit de celui de dictateur dans le sens du chef unique disposant en fait d’un pouvoir illimité. Pourtant, à l’origine, à Rome, le dictateur était le monocrate sauveur de Rome nommé par les Consuls pour une durée de six mois avec une mission déterminée : guerre, paix, sauver la [i]Res Publica[/i], … Il y a eu en fait déformation du sens de dictateur et glissement progressif du terme de despote à celui de dictateur.
À l’origine, l’autocrate étant celui qui gouvernait par lui-même, qui disposait de la force par lui-même. Par exemple, à Athènes, le statège autocrate disposait du pouvoir militaire absolu, y compris dans la République. Par la suite, ce terme est devenu d’un emploi fréquent dans le sens du souverain qui n’est soumis à aucun contrôle. Ce terme est apparu en France au cours du XVIIIème siècle, et il fut très vite associé principalement au [i]Tsar de toutes les Russies[/i]. Aujourd’hui, une autocratie est un régime monocratique absolu sans contrôle. Il y a donc pouvoir illimité au sein d’un régime dans lequel n’existe aucun organe modérateur. Néanmoins, le terme d’autocrate a un sens différent chez certains politologues. C’est ainsi que pour Mosca, puis pour Duverger, l’autocrate est l’homme qui s’est désigné lui-même comme chef. De son côté, Burdeau distingue la monocratie qui est le régime où il existe un seul centre de puissance politique de l’autocratie qui est le régime où le gouvernant ne tient son pouvoir que de lui-même. Enfin, Duverger oppose l’autocratie à la démocratie, les procédés démocratique - choix des gouvernants par les gouvernés - aux procédés autocratiques - les gouvernants se recrutent eux-mêmes - ; il assimile donc à l’autocratie des procédés tels que la cooptation, l’hérédité, la conquête ou le tirage au sort. Cependant, de nombreux autres politologues ne lient pas la monocratie à l’autocratie.
Les modes d’accesion au pouvoir - Il existe a priori quatre procédés d’accession au pouvoir : la force, l’élection, l’hérédité et la cooptation. Si cette typologie est possible pour le monocrate, il faut donc faire la distinction entre la monocratie autocratique ou de force, la monocratie élective, la monocratie héréditaire et la monocratie cooptante.
Cette typologie basée sur le mode d’accession au pouvoir est peu valable car elle ne tient pas compte de l’étendue du pouvoir. En effet, il existe une hypothèse où une prise de pouvoir par la force peut aboutir à une légitimité du pouvoir, tout comme un chef élu ou héréditaire peut exercer un pouvoir illimité, par détournement ou non du dit pouvoir. De plus, cette typologie tend à tout pris à privilégier un mode de désignation, alors qu’il y a très souvent combinaison de ces modes ; on pensera par exemple aux couples force/élection ou élection/hérédité.
En fait, dans beaucoup de régimes monocratiques, il y a très souvent concurrence entre divers des modes ci-avant exposés de désignation d’un chef, et la prédominance de l’un ou l’autre de ces modes est en fait exceptionnelle. Par exemple, il existait à Rome divers procédés d’accession au principat : il pouvait y avoir élection par le Sénat, candidature imposée par les prétoriens ou encore hérédité, comme ce fut le cas sous le dominat. En réalité, élection et hérédité sont très souvent en concours ; il suffit pour s’en convaincre de se souvenir qu’au Moyen-âge européen l’élection précéda l’hérédité…
On considère que sont originaires les modes d’accession au pouvoir où les gouvernés interviennent dans la désignation du chef. En effet, il y a alternative voulant que soit les gouvernés - tout ou partie – qui choisissent le chef, comme sous les mérovingiens, soit ils n’interviennent pas, le chef se désignant lui-même par la force avec l’aide d’un petit groupe. Dans le premier cas, il y a monocratie élective, et dans le second monocratie autocratique. La force et l’élection sont donc les deux modes originaires d’accession au pouvoir.
Il existe des modes dérivés : la cooptation, l’hérédité, l’association, le tirage au sort, …. Néanmoins, et historiquement, il semble qu’à l’origine le chef a été désigné soit par élection, soit par la force, ce qui fait qu’à l’origine de toute monocratie héréditaire ou cooptante, il y ait eu soit monocratie élective, soit monocratie autocratique. C’est ce schéma qui fut le plus courant au regard de l’histoire, et il y eut la force à l’origine de presque tous les régimes monocratiques, ce que Voltaire résuma en écrivant que [i]le premier roi fut un soldat heureux[/i]. Et ce pouvoir fut souvent légitimé par élection, puis il y eut tendance à l’hérédité, puis, parfois, à la cooptation.
La référence à la notion de légitimité - La légitimité permet l’adéquation du pouvoir au droit et assure le consentement des gouvernés. L’élection et l’hérédité sont donc des procédés légitimes en ce sens qu’ils sont conformes aux règles socio-politiques, morales, coutumières et/ou religieuses en vigueur, donc à la nomos. Inversement, la force est illégitime, ce procédé existant le plus souvent pour " forcer " la main aux gouvernés, alors qu’elle sera souvent suivie d’une cooptation, comme dans le cas des monarchies tyranniques ou encore dans la conception nazie du pouvoir. En fait, le choix de tel ou tel mode d’accession au pouvoir est fonction tant de faits que d’idées politiques.
Se trouvent maintenant posées trois questions, la réponse à chacune de ces questions étant variable : - comment les monocrates ont-ils justifié leur pouvoir ? - comment l’ont-ils exercé ? - comment les gouvernés ont-ils accepté l’autorité du monocrate ?
Le fondement religieux - Ce fondement est celui qui fut le plus fréquemment invoqué, tant par les chefs que par les gouvernements, car c’est celui qui est en général le mieux admis, la référence n’étant plus ici l’homme mais son Salut. La sacralité est ainsi une constante du pouvoir de Rome à 1789, alors que la laïcisation du pouvoir n’est qu’un fait récent apparu à partir du XVIIIème siècle.
Le fondement religieux peut avoir des formes très variées, même si dans le cas des monocraties le chef s’est très souvent retrouvé divinisé, devenant ainsi le représentant, le lieutenant de Dieu sur terre : roi-dieu, culte à l’empereur, roi de droit divin, …
Le fondement militaire - La référence aux faits militaires est elle aussi l’un des procédés les plus courants et les plus constants dans l’histoire de la monocratie. L’exercice du pouvoir suppose en effet le recours à la contrainte pour assurer le maintien de l’ordre et l’exécution des décisions. Et le lien avec le fondement religieux n’est pas loin : si le chef a vaincu, si il a la force, c’est que " Dieu l’a voulu. " En clin d’œil, pensons à l’image des Etats-Unis " gros bâton " qu’ont certains États centre-européens de ce pays, cette vision de force les attirant…
Néanmoins, même si le chef peut compter sur la crainte religieuse, sur le mépris social ou sur la règle de droit, il lui faudra toujours faire exécuter ses décisions à tout moment, même pour le " bien public ", d’où la nécessité pour lui de disposer de l’usage de la force et de la violence. C’est pour cela que l’armée et la police demeurent dans tous les modèles socio-politiques - oligarchie, démocratie, monocratie -, car elles représentent les ultimes moyen permettant d’assurer soit le pouvoir du monocrate, soit le maintien de l’ordre social.
Il est cependant rare que le fondement force soit le seul reconnu, voire même mis en avant, car il rappelle que l’usurpation et la violence sont à la base de la prise du pouvoir. On va donc rechercher une justification par une adhésion volontaire - ou dite comme telle, comme par exemple le plébiscite à 100 % de oui et 100 % de votants de Saddam Hussein au mois d’octobre 2002 - ou par le biais d’une intervention divine.
Si l’on se réfère à l’histoire, il n’y a pas de typologie politique des monocraties possible ne se fondant que sur le religieux ou que sur le militaire, car le fondement d’une monocratie est bien plus complexe, combinant souvent plusieurs caractères. La pluralité des fondements est de fait la règle.
Le fondement contractuel - Ce fondement ne se rencontre que dans les monocraties limitées. Mais ces dernières sont nombreuses car les gouvernés, sans exercer la moindre parcelle de pouvoir, ont gardé assez souvent un certain contrôle sur le pouvoir et sur l’activité des gouvernants, ou encore ont obtenu une Constitution. D’ailleurs, la plupart des monocrates ont toujours été très attentifs à " la rue ". On notera cependant que très souvent ces monocraties limitées ont évolué vers des pluricraties, car il y a eut de facto répartition du pouvoir entre plusieurs organes ; on peut ici penser à l’évolution de la monarchie anglaise.
Le fondement juridique - Lorsque l’empire romain succéda à la République, on chercha à légitimer le nouveau pouvoir du [i]Princeps[/i] en reprenant au droit public républicain deux notions : l’[i]Imperium[/i] et la [i]Tribunatia potestas[/i], ce qui faisait que le nouveau pouvoir était sacré, et d’une certaine manière légal. Mais ce fondement pose la question de la légitimité du pouvoir, le chef usurpant le pouvoir étant au départ et par définition illégitime. Il faut donc chercher à instaurer [i]a posteriori[/i] cette légitimité, soit par une élection - acclamation, plébiscite, référendum -, soit en invoquant des titres donnant droit à l’hérédité, comme le fit Napoléon III qui combinat ces deux procédés.
En revanche, l’élection et l’hérédité [i]a priori[/i] à l’accession au pouvoir sont des modes légitimes permettant cette accession, puisqu’il y a transmission du pouvoir selon des règles juridiques soit coutumières - comme les Lois fondamentales du Royaume -, soit écrites.
La légitimité est donc un fondement de la monocratie quand les chefs respectent les limites imposées à leur pouvoir - religion, droit -, ou bien ont un accès légitime à ce même pouvoir. Il y a donc acceptation du pouvoir dans ce cas. Néanmoins, la légitimité n’est le plus souvent qu’un élément secondaire du pouvoir car elle est insuffisante. Elle se rajoute en fait, dans le cas des monocraties, aux trois fondements précédents dans la plupart des cas.
L’étendue et les limites du pouvoir du chef - L’analyse typologique est beaucoup plus aisée dans ce cas, car on retrouve souvent associé à la monocratie les concepts de monocratie limitée (tempérée, parlementaire, constitutionnelle, …) ou de monocratie illimitée. La distinction essentielle réside donc en le caractère limité ou non de l’étendue du pouvoir du monocrate.
Par définition, est une monocratie illimitée celle dans laquelle le pouvoir du chef ne connaît aucune limite, aucun frein. C’est donc une monocratie absolue, d’[i]absolutus[/i] ", de [i]délié[/i]. La monarchie absolue des temps modernes - sauf en France et au Royaume-Uni – relève de cette typologie, même si elle peut aussi être qualifiée d’autocratie ou de tyrannie. Ce modèle de monocratie a existé, même si Paul Ourliac a écrit que tout le Moyen-âge a tenté de définir la tyrannie sans jamais pouvoir en donner un seul exemple précis. Il est vrai que si l’on considère que la monocratie est illimitée quand le chef exerce sans frein un pouvoir arbitraire seul, alors effectivement la monocratie illimitée n’a jamais existé, car le monocrate a toujours eu besoin d’" hommes de main " pour garantir sa pérennité. En fait, l’interprétation doit être restrictive. Toute la Révolution française, et l’enseignement public qui l’a suivie, a prétendu que la monarchie française était une tyrannie, mais ceci est sans fondement, même si les fondements religieux, force, ainsi que l’absolutisme furent réels ; mais il existait des contre-pouvoirs : bourgeoisie, noblesse, clergé, Parlements, …
Les autres formes de monocratie sont limitées. Ainsi, le pouvoir est maintenu dans certaines limites par le respect de règles religieuses, morales et/ou juridiques ; le pouvoir se trouve freiné par des forces sociales ou par des groupes de pression. Enfin, le pouvoir peut être restreint par l’interdiction d’agir en certains domaines sans le consentement des gouvernés ou des organes représentatifs. La difficulté réside dans la mesure de l’importance de ces freins. En effet, quand il y a annihilation du pouvoir du chef, il n’y a plus de monocratie. De même, si on aboutit à un partage du pouvoir avec des organes, que ces organes soient des individus ou des groupes, il n’y a plus monocratie, et on se situe alors dans le cadre d’un régime pluricratique, qu’il s’agisse d’une oligarchie, d’une monarchie ou d’une démocratie.
Prenons l’exemple des monarchies parlementaires du XIXème siècle. Par leur évolution, ce ne sont plus des régimes monocratiques, car on tend vers des démocraties monarchiques, le pouvoir étant partagé entre un roi, un Parlement et un cabinet. Dans le cas de la monarchie féodale, le pouvoir du souverain, c‘est-à-dire du suzerain fieffeux, est nominal à la tête de ses vassaux, et si le roi coiffe le [i]Regnum Francorum[/i], son pouvoir est vidé de toute souveraineté.
La prudence est donc nécessaire lorsqu’il s’agit de distinguer une monocratie limitée d’une monocratie illimitée, ou encore une monocratie limitée d’une pluricratie. Il faudra toujours étudier et analyser l’étendue du pouvoir du chef en l’éclairant de son contexte historique et social.
Exemples de typologies - Depuis toujours, les penseurs politiques ont été tentés de classer les régimes monocratiques. Et même aujourd’hui, il apparaît entre les politologues de nombreuses divergences tant sur le vocabulaire que sur le sens de la monocratie.
Aristote avait établi une distinction entre les bonnes et les mauvaises monarchies.
À l’époque contemporaine, Nicholson a tenté de classer l’évolution de la monarchie. Il distingue ainsi le roi-dieu, le roi chef de guerre, le tyran, le roi-philosophe, le roi féodal, le roi élu, le roi de droit divin et le roi parlementaire. Cependant, il ne classe ni Louis XIV, ni Napoléon Bonaparte, ce qui démontre les limites de son analyse.
C’est en 1954 que, son ouvrage [i]Why dictators ? [/i] [Hallgarten (G. W. F.), [i]Why dictators ? The causes and forms of tyrannical rule since 600 B.C. [/i], New York, MacMillan, 1954], Georg W. F. Hallgarten allait distinguer dans l’histoire de l’humanité quatre types de tyrannies :
- la tyrannie classique (Rome, Cromwell, Napoléon Ier) ;
- la tyrannie ultra-révolutionnaire (Savonarole, Robespierre, Lénine) ;
- la tyrannie contre-révolutionnaire (Franco, Horthy) ;
- la tyrannie pseudo-révolutionnaire (Mussolini, Hitler, Peron).
Maurice Duverger a choisi de classer les monocraties en fonction du type d’organe gouvernemental, c’est-à-dire du modèle essentiel de l’exécutif, et ce sans tenir compte des assemblées existantes. Il distingue ainsi successivement :
- la monocratie royale ou héréditaire qui comprend en particulier les monarchies parlementaires dualistes ;
- la monocratie dictatoriale dont le fondement est le gouvernement issu de la conquête ;
- la monocratie présidentielle qui trouve son modèle de référence dans les Etats-Unis d’Amérique.
Ainsi, selon Duverger, peuvent être considérés comme des monocraties des régimes aussi différents que les régimes collégiaux, les régimes dualistes ou les régimes dictatoriaux, ce qui est surprenant mais somme toute normal si l’on rappelle qu’il ne tient pas compte des assemblées, alors même que les assemblées peuvent détenir les clés du gouvernement dans certains des régimes précités ou que l’organe gouvernemental peut ne pas prendre seul les décisions. Il y a donc au moins erreur de méthode, si ce n’est parti pris, car peut on raisonnablement mettre dans le même sac le souverain britannique, le Président des Etats-Unis et Adolf Hitler ?
Pour Marcel Prélot, la monocratie incarne le pouvoir d’un seul homme. Cette conception ramène donc l’autorité à un régime personnel avec absorption de la notion d’État dans celle de pouvoir personnel. Il distingue donc la monocratie - unicité du pouvoir - et la démocratie - pluraliste par nature -. Par la suite, les monocraties classiques peuvent revêtir trois formes : la monarchie absolue, la tyrannie et la dictature, les monocraties populaires modernes étant soit des dictatures contre la démocratie, soit des régimes s’appuyant sur une idéologie propre et sur les masses, comme dans les cas de Mussolini, de Hitler et de Lénine.
Dans le tome V de son [i]Traité de science politique[/i] intitulé [i]Les régimes politiques[/i], Georges Burdeau ne retient pas la monocéphalie dans l’organe unique du pouvoir comme critère de la monocratie. La monocratie est ainsi selon lui le régime dans lequel il n’existe qu’un centre unique de pouvoir dans lequel l’autorité gouvernementale a été désignée ou recrutée. Il y a donc une unicité de l’autorité gouvernementale et il importe peu qu’un seul individu ou qu’un organe concentre à lui seul l’exercice de la puissance publique.
Burdeau considère ainsi comme des monocraties les dictatures modernes, et, par opposition, il pose le principe de démocratie comme se caractérisant par la concentration du pouvoir dans l’organe de la représentation populaire. Une critique s’élève face à cette conception ; c’est le cas où l’organe unique est composé de plusieurs personnes et détient le pouvoir. Ainsi, selon cet auteur, Robespierre n’a jamais été un monocrate parce qu’il n’a jamais pu prendre de décisions seul.