par la Samaritaine » sam. 09 janv. 2021, 18:23
Dans le post "la notion de péché et la sexualité (Morale et Ethique), Cinci citait ce tres beau passage du Père Louzeau :
"Pourquoi l'Église fait-elle si grand cas de la chasteté ?"
par
P. Frédéric Louzeau,
professeur de théologie à la faculté
Notre-Dame aux Bernardins
et vicaire à la paroisse
Saint-François de Molitor à Paris
"J'aimerais d'abord réagir à la manière dont la question est formulée. Je ne suis pas sûr que l'Église fasse si grand cas de la chasteté ! Si on ouvre le Catéchisme de l'Église catholique, on trouve deux pages sur la chasteté, dans la troisième partie consacrée à l'éthique chrétienne, c'est à dire la façon de vivre l'Évangile. C'est plutôt l'opinion commune qui fait grand cas de la chasteté, en ne retenant du discours de l'Église que les questions d'éthique sexuelle.
La chasteté est tout de même difficile à comprendre. Dans les Actes des Apôtres, à la fin de sa vie, saint Paul est prisonnier à Césarée. Le gouverneur Félix, et sa femme, font venir Paul pour qu'il leur parle de la foi chrétienne. Paul parle, ils sont fascinés, et vient un moment ou Paul se met à discourir sur la justice, la chasteté et le jugement à venir. A ce moment-là, Félix prend peur et stoppe la catéchèse de Paul. Ce n'est pas d'aujourd'hui que la chasteté est l'un des points les plus difficiles de l'enseignement du christianisme.
En fait, il y a un problème de vocabulaire. Dans l'oreille commune, quand on entend "chasteté", on comprend l'abstinence sexuelle. Or quand l'Église parle de chasteté , elle parle d'une vertu morale qui s'adresse à tous, pas seulement aux religieux. Le voeu de chasteté chez les moines et les moniales se prononce dans le cadre du célibat consacré. Mais qu'on soit célibataire consacré ou non, que l'on soit époux ou épouse, la chasteté nous concerne tous. C'est une disposition intérieure que l'on acquiert ou que l'on perd progressivement dans sa vie, selon les actes, chastes ou non chastes, que l'on pose.
Si je devais résumer ce qu'est la chasteté, je dirais que c'est une vertu qui règle et harmonise les rapports entre les personnes, notamment les rapports d'affection, d'amour ou d'amitié. C'est une vertu qui nous aide à considérer chaque être que nous rencontrons, avec qui nous parlons, comme une personne dont on ne peut pas se saisir. C'est considérer la personne non pas comme un objet que l'on pourrait utiliser pour son plaisir, mais comme un sujet unique, doté de liberté.
Cela signifie qu'on ne peut aborder l'autre, même dans l'étreinte sexuelle entre époux, qu'avec un immense respect pour le mystère qu'il constitue. Quand nous ne développons pas cette vertu en nous, nous utilisons les personnes que nous rencontrons, et même notre femme, notre mari, nos enfants ...
Une mère de famille peut être non chaste avec ses enfants. Les parents peuvent, par des questions indiscrètes, entrer dans l'intimité de l'enfant, dans sa vie affective ou amoureuse.
Cette vertu de chasteté est essentielle à développer, parce qu'elle permet de nouer des relations d'amitié ou d'amour justes, belles, épanouissantes. Si on ne la développe pas, très rapidement, on ne peut plus entretenir de relation désintéressée avec personne. C'est le début de l'enfer, parce qu'on ne peut plus mettre en oeuvre cette vocation profonde qui est la nôtre, d'être des êtres de communion.
[...]
En tant que prêtre, je n'ai pas prononcé le voeu de chasteté, mais je suis appelé à la vivre avec toutes les personnes qui m'entourent. C'est capital. Littéralement, le prêtre prononce un voeu de célibat. Il ne se mariera pas, par amour pour le Seigneur Jésus. Mais la question de la chasteté n'en est pas moins importante pour lui, d'abord parce que n'étant pas ermite, il croise des hommes et des femmes. Comme être humain et comme chrétien, le prêtre doit développer cette relation ajustée avec les personnes qu'il rencontre. Et, parce qu'il est pasteur, il lui faut d'autant plus veiller à respecter chaque personne dans le mystère de son être, parce qu'on attend du prêtre qu'il soit un autre Christ, qui ne met pas la main sur les gens pour son profit personnel, mais les conduit dans le mystère de Dieu, dans ce regard que Dieu pose sur eux et qui est unique. Le prêtre est, je crois, dans la communauté ecclésiale, l'un des plus concernés par la question de la chasteté. D'autant plus qu'il est en position d'autorité pastorale.
La théologie morale dit que l'on progresse dans cette vertu en exerçant davantage ses actes de chasteté, en commençant par exemple par baisser le regard devant certaines personnes, ce qui est tout simple. Et puis on progresse aussi dans la prière et dans les sacrements, à travers lesquels la grâce du Christ nourrit de l'intérieur. Par exemple, en contemplant dans la prière comment Jésus regardait les femmes, comment il se comportait avec elles, sa délicatesse vis à vis de la Samaritaine. Pour moi, prêtre, faire souvent cette contemplation est essentielle. C'est la chasteté du Christ qui, à travers la prière, la communion, la confession, vient investir de sa présence ma propre chasteté toujours défaillante et fragile. A mes yeux, ce qui nourrit le plus une vertu morale, c'est la contemplation de l'humanité du Christ."
Tiré de :
P. Frédéric Louzeau, "Pourquoi l'Église fait-elle si grand cas de la chasteté ?" in Sophie de Villeneuve (dir.), Y a-t-il un catho dans la salle ?, Bayard Éditions, 2017, p. 96
Dans le post "la notion de péché et la sexualité (Morale et Ethique), Cinci citait ce tres beau passage du Père Louzeau :
"Pourquoi l'Église fait-elle si grand cas de la chasteté ?"
par
P. Frédéric Louzeau,
professeur de théologie à la faculté
Notre-Dame aux Bernardins
et vicaire à la paroisse
Saint-François de Molitor à Paris
[quote]"J'aimerais d'abord réagir à la manière dont la question est formulée. Je ne suis pas sûr que l'Église fasse si grand cas de la chasteté ! Si on ouvre le Catéchisme de l'Église catholique, on trouve deux pages sur la chasteté, dans la troisième partie consacrée à l'éthique chrétienne, c'est à dire la façon de vivre l'Évangile. C'est plutôt l'opinion commune qui fait grand cas de la chasteté, en ne retenant du discours de l'Église que les questions d'éthique sexuelle.
La chasteté est tout de même difficile à comprendre. Dans les Actes des Apôtres, à la fin de sa vie, saint Paul est prisonnier à Césarée. Le gouverneur Félix, et sa femme, font venir Paul pour qu'il leur parle de la foi chrétienne. Paul parle, ils sont fascinés, et vient un moment ou Paul se met à discourir sur la justice, la chasteté et le jugement à venir. A ce moment-là, Félix prend peur et stoppe la catéchèse de Paul. Ce n'est pas d'aujourd'hui que la chasteté est l'un des points les plus difficiles de l'enseignement du christianisme.
En fait, il y a un problème de vocabulaire. Dans l'oreille commune, quand on entend "chasteté", on comprend l'abstinence sexuelle. Or quand l'Église parle de chasteté , elle parle d'une vertu morale qui s'adresse à tous, pas seulement aux religieux. Le voeu de chasteté chez les moines et les moniales se prononce dans le cadre du célibat consacré. Mais qu'on soit célibataire consacré ou non, que l'on soit époux ou épouse, la chasteté nous concerne tous.[b] C'est une disposition intérieure que l'on acquiert ou que l'on perd progressivement dans sa vie, selon les actes, chastes ou non chastes, que l'on pose.[/b]
[b]Si je devais résumer ce qu'est la chasteté, je dirais que c'est une vertu qui règle et harmonise les rapports entre les personnes, notamment les rapports d'affection, d'amour ou d'amitié. C'est une vertu qui nous aide à considérer chaque être que nous rencontrons, avec qui nous parlons, comme une personne dont on ne peut pas se saisir. C'est considérer la personne non pas comme un objet que l'on pourrait utiliser pour son plaisir, mais comme un sujet unique, doté de liberté.[/b]
Cela signifie qu'on ne peut aborder l'autre, même dans l'étreinte sexuelle entre époux, qu'avec un immense respect pour le mystère qu'il constitue. Quand nous ne développons pas cette vertu en nous, nous utilisons les personnes que nous rencontrons, et même notre femme, notre mari, nos enfants ...
Une mère de famille peut être non chaste avec ses enfants. Les parents peuvent, par des questions indiscrètes, entrer dans l'intimité de l'enfant, dans sa vie affective ou amoureuse.
Cette vertu de chasteté est essentielle à développer, parce qu'elle permet de nouer des relations d'amitié ou d'amour justes, belles, épanouissantes. Si on ne la développe pas, très rapidement, on ne peut plus entretenir de relation désintéressée avec personne. C'est le début de l'enfer, parce qu'on ne peut plus mettre en oeuvre cette vocation profonde qui est la nôtre, d'être des êtres de communion.
[...]
En tant que prêtre, je n'ai pas prononcé le voeu de chasteté, mais je suis appelé à la vivre avec toutes les personnes qui m'entourent. C'est capital. Littéralement, le prêtre prononce un voeu de célibat. Il ne se mariera pas, par amour pour le Seigneur Jésus. Mais la question de la chasteté n'en est pas moins importante pour lui, d'abord parce que n'étant pas ermite, il croise des hommes et des femmes. Comme être humain et comme chrétien, le prêtre doit développer cette relation ajustée avec les personnes qu'il rencontre. Et, parce qu'il est pasteur, il lui faut d'autant plus veiller à respecter chaque personne dans le mystère de son être, parce qu'on attend du prêtre qu'il soit un autre Christ, qui ne met pas la main sur les gens pour son profit personnel, mais les conduit dans le mystère de Dieu, dans ce regard que Dieu pose sur eux et qui est unique. Le prêtre est, je crois, dans la communauté ecclésiale, l'un des plus concernés par la question de la chasteté. D'autant plus qu'il est en position d'autorité pastorale.
La théologie morale dit que l'on progresse dans cette vertu en exerçant davantage ses actes de chasteté, en commençant par exemple par baisser le regard devant certaines personnes, ce qui est tout simple. Et puis on progresse aussi dans la prière et dans les sacrements, à travers lesquels la grâce du Christ nourrit de l'intérieur. Par exemple, en contemplant dans la prière comment Jésus regardait les femmes, comment il se comportait avec elles, sa délicatesse vis à vis de la Samaritaine. Pour moi, prêtre, faire souvent cette contemplation est essentielle. C'est la chasteté du Christ qui, à travers la prière, la communion, la confession, vient investir de sa présence ma propre chasteté toujours défaillante et fragile. [b]A mes yeux, ce qui nourrit le plus une vertu morale, c'est la contemplation de l'humanité du Christ."[/b]
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Tiré de :
P. Frédéric Louzeau, "Pourquoi l'Église fait-elle si grand cas de la chasteté ?" in Sophie de Villeneuve (dir.), Y a-t-il un catho dans la salle ?, Bayard Éditions, 2017, p. 96