Sagesse d'un pauvre d'Eloi Leclerc

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Re: Sagesse d'un pauvre d'Eloi Leclerc

par PaxetBonum » lun. 29 août 2016, 10:19

Requiem æternam dona ei Domine, et lux perpetua luceat ei !

Re: Sagesse d'un pauvre d'Eloi Leclerc

par Fée Violine » dim. 28 août 2016, 12:21

Éloi Leclerc est mort en mai dernier:
http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Ca ... 1200760020
:coeur:

Re: Sagesse d'un pauvre d'Eloi Leclerc

par olivier petit Joseph » dim. 28 août 2016, 2:14

J'ai déjà lu plusieurs fois ce livre, ainsi qu'exil et tendresse, ils sont vraiment géniaux. Des livres comme ça je n'en connais pas d'autres. C'est ou c'était un écrivain qui a compris le :coeur: de François et de Jésus! De façon admirable. Merci Seigneur pour François et pour Éloi!

Re: Sagesse d'un pauvre d'Eloi Leclerc

par antioche » lun. 11 janv. 2010, 8:51

Hélène a écrit :J'ai ce livre dans ma bibliothèque mais je ne l'ai jamais encore lu...
Hélène,

Faites-le, d'autant qu'il se lit assez vite car il n'est pas bien long. Il est une merveille !

Re: Sagesse d'un pauvre d'Eloi Leclerc

par Hélène » dim. 10 janv. 2010, 23:14

J'ai ce livre dans ma bibliothèque mais je ne l'ai jamais encore lu... :oops:

Re: Sagesse d'un pauvre d'Eloi Leclerc

par Petit Matthieu » lun. 28 déc. 2009, 14:54

Page 93 : « Il s’était avancé vers Dieu aussi loin qu’homme peut aller sans mourir. Il avait lutté avec l’Ange tout seul dans la nuit. Et il avait triomphé. »

Page 94 : « Le vent était devenu son grand ami. N’était-il pas, lui aussi, pélerin et étranger en ce monde, sans toit, toujours errant et s’effaçant ? Pauvre entre les pauvres, il portait dans sons dénuement les riches semences de la création.

Page 97 : « - Pauvre maman ! dit-il après quelques instants de silence ; il ne faut surtout pas perdre confiance. On peut tout perdre, sauf la confiance.

Page 105 : « - Ah ! frère Léon, crois-moi, repartit François, ne te préoccupe pas tant de la pureté de ton âme. Tourne ton regard vers Dieu. Admire-le. Réjouis-toi de ce qu’il est, lui, toute sainteté. Rends-lui grâce à cause de lui-même. C’est cela même, petit frère, avoir le coeur pur.

Et quand tu es ainsi tourné vers Dieu, ne fais surtout aucun retour sur toi-même. Ne te demande pas où tu en es avec Dieu. La tristesse de ne pas être parfait et de se découvrir pécheur est encore un sentiment humain, trop humain. Il faut élever ton regard plus haut, beaucoup plus haut. Il y a Dieu, l’immensité de Dieu et son inaltérable splendeur. Le coeur pur est celui qui ne cesse d’adorer le Seigneur vivant et vrai. Il prend un intérêt profond à la vie même de Dieu et il est capable, au milieu de toutes ses misères, de vibrer à l’éternelle innocence et à l’éternelle joie de Dieu. Un tel coeur est à la fois dépouillé et comblé. Il lui suffit que Dieu soit Dieu. En cela même, il trouve toute sa paix, tout son plaisir. Et Dieu lui-même est alors toute sa sainteté.

- Dieu, cependant, réclame notre effort et notre fidélité, fit observer Léon.

- Oui, sans doute, répondit François. Mais la sainteté n’est pas un accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on accepte et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude. »

Page 107 : « - Comment faire ? demanda Léon.

- Il faut simplement ne rien garder de soi-même. Tout balayer même cette perception aiguë de notre détresse. Faire place nette. Accepter d’être pauvre. Renoncer à tout ce qui est pesant, même au poids de nos fautes. Ne plus voir que la gloire du Seigneur et s’en laisser irradier. Dieu est, cela suffit. Le coeur devient alors léger. Il ne se sent plus lui-même, comme l’alouette enivrée d’espace et d’azur. Il a abandonné tout souci, toute inquiétude. Son désir de perfection s’est changé en un simple et pur vouloir de Dieu. »

Page 114 : « Car celui qui a vraiment une âme de pauvre se hait lui-même et chérit ceux qui le frappent sur la joue. »

Page 121 : « Je veux travailler de mes mains, déclara alors François. Et je veux aussi que tous mes frères travaillent. Non pour le cupide désir de gagner de l’argent, mais pour le bon exemple et pour fuir l’oisiveté. Rien de plus lamentable qu’une communauté où l’on ne travaille pas. Mais le travail n’est pas tout, frère Léon, il ne résout pas tout. Il peut même devenir un obstacle redoutable à la vraie liberté de l’homme. Il le devient à chaque fois que l’homme se laisse accaparer par son oeuvre au point d’oublier d’adorer le Dieu vivant et vrai. Aussi il nous faut veiller jalousement à ne pas laisser s’éteindre en nous l’esprit d’oraison. Cela est plus important que tout. »

Page 123 : « - Oui, frère Léon, dit-il avec beaucoup de calme, l’homme n’est grand que lorsqu’il s’élève au-dessus de son oeuvre pour ne plus voir que Dieu. Alors seulement il atteint toute sa taille. Mais cela est difficile, très difficile. Brûler un panier d’osier que l’on a fait soi-même n’est rien , vois-tu, même lorsqu’on le trouve fort réussi. Mais se détacher de l’oeuvre de toute une vie est bien autre chose. Ce renoncement est au-dessus des forces humaines.

Pour suivre l’appel de Dieu, l’homme se donne à fond à une oeuvre. Il le fait passionnément et dans l’enthousiasme. Cela est bon et nécessaire. Seul l’enthousiasme est créateur. Mais créer quelque chose, c’est aussi la marquer de son empreinte, la faire sienne, inévitablement. Le serviteur de Dieu court alors son plus grand danger. Cette oeuvre qu’il a accomplie, dans la mesure où il s’y attache, devient pour lui le centre du monde ; elle le met dans un état d’indisponibilité radicale. Il faudra une effraction pour l’en arracher. Grâce à Dieu, une telle effraction peut se produire. Mais les moyens providentiels mis alors en oeuvre sont redoutables. Ce sont l’incompréhension, la contradiction, la souffrance, l’échec. Et parfois jusqu’au péché lui-même que Dieu permet. La vie de foi connaît alors sa crise la plus profonde, la plus décisive aussi. Cette crise est inévitable. Elle se présente tôt ou tard et dans tous les états de vie. L’homme s’est consacré à fond dans son oeuvre ; et il a cru rendre gloire à Dieu par sa générosité. Et voici que tout à coup Dieu semble le laisser à lui-même, ne pas s’intéresser à ce qu’il fait. Bien plus, Dieu semble lui demander de renoncer à son oeuvre, d’abandonner ce à quoi il s’est dévoué corps et âme durant tant d’années dans la joie et dans la peine.

« Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, et va-t-en au pays de Moria, et là, offre-le en holocauste. » Cette parole terrible adressée par Dieu à Abraham, il n’est de vrai serviteur de Dieu qui ne l’entende un jour à son tour. Abraham avait cru à la promesse que Dieu lui avait faite de lui donner une postérité. Pendant vingt ans, il en avait attendu la réalisation. Il n’avait pas désespéré. Et quand enfin l’enfant fut venu, l’enfant sur lequel reposait la promesse, voici que Dieu somme Abraham de le lui sacrifier. Sans aucune explication. Le coup était rude et incompréhensible. Eh bien ! c’est cela même que Dieu nous demande à nous aussi un jour ou l’autre ! Entre Dieu et l’homme, il semble qu’on ne parle plus le même langage. Une incompréhension a surgi. Dieu avait appelé et l’homme avait répondu. Maintenant l’homme appelle et Dieu se tait. Moment tragique où la vie religieuse confine au désespoir. Où l’homme lutte tout seul dans la nuit avec l’Insaisissable. Il a cru qu’il lui suffirait de faire ceci ou cela pour être agréable à Dieu. Mais c’est à lui que l’on en veut. L’homme n’est pas sauvé par ses oeuvres, si bonnes soient-elles. Il lui faut encore devenir lui-même l’oeuvre de Dieu. Il doit se faire plus malléable et plus humble entre les mains de son Créateur que l’argile dans les mains du potier. Plus souple et plus patient que l’osier entre les doigts du vannier. Plus pauvre et plus abandonné que le bois mort dans la forêt au coeur de l’hiver. A partir seulement de cette situation de détresse et dans cet aveu de pauvreté, l’homme peut ouvrir à Dieu un crédit illimité, en lui confiant l’initiative absolue de son existence et de son salut. Il entre alors dans une sainte obéissance. Il devient enfant et joue le jeu de la création. Par-delà la douleur et le plaisir, il fait connaissance avec la joie et la puissance. Il peut regarder d’un coeur égal le soleil et la mort. Avec la même gravité et la même allégresse. »

Page 134 : « - Pour moi, dit François, je veux être soumis à tous les hommes et à toutes les créatures de ce monde, autant que d’en-haut Dieu le permet. Telle est la condition du frère mineur. »

Page 134 : « - Tu ne me comprends pas, reprit François, parce que cette attitude d’humilité et de soumission te semble lâcheté et passivité. Mais il s’agit de tout autre chose. Moi aussi j’ai été longtemps sans comprendre. Je me suis débattu dans la nuit comme un pauvre oiseau pris au piège. Mais le Seigneur a eu pitié de moi. Il m’a fait voir que la plus haute activité de l’homme et sa maturité ne consistent pas dans la poursuite d’une idée, si élevée et si sainte soit-elle, mais dans l’acceptation simple et joyeuse de ce qui est, de tout ce qui est. L’homme qui suit son idée reste enfermé en lui-même. Il ne communie pas vraiment aux êtres. Il ne fait jamais connaissance avec l’univers. Il lui manque le silence, la profondeur et la paix. La profondeur d’un homme est dans sa puissance d’accueil. La plupart des hommes demeurent isolés en eux-mêmes, malgré toutes les apparences. Ils sont pareils à des insectes qui ne parviennent pas à se dépouiller de leur cocon. Ils s’agitent désespérément à l’intérieur de leurs limites. Au bout du compte, ils se retrouvent comme au départ. Ils croient avoir changé quelque chose, mais ils meurent sans même avoir vu le jour. Ils ne se sont jamais éveillés à la réalité. Ils ont vécu en rêve. »

Page 135 : « - Mais alors, tous ceux qui essayent de faire quelque chose en ce monde sont des réveurs ! dit-il après un moment de silence.

- Je ne dis pas cela, répondit François. Mais je pense qu’il est difficile d’accepter la réalité. Et, à vrai dire, aucun homme ne l’accepte vraiment totalement. Nous voulons toujours ajouter une coudée à notre taille, d’une manière ou d’une autre. Tel est le but de la plupart de nos actions. Même lorsque nous pensons travailler pour le Royaume de Dieu, c’est encore cela que nous recherchons bien souvent. Jusqu’au jour où, nous heurtant à l’échec, à un échec profond, il ne nous reste que cette seule réalité démesurée : Dieu est. Nous découvrons alors qu’il n’y a de tout-puissant que lui, et qu’il est le seul saint et le seul bon. L’homme qui accepte cette réalité et qui s’en réjouit à fond a trouvé sa paix. Dieu est, et c’est assez. Quoiqu’il arrive, il y a Dieu, la splendeur de Dieu. Il suffit que Dieu soit Dieu. »

Page 137 : « Il nous faut apprendre à voir le mal et la faute comme Dieu les voit. Cela précisément est difficile. Car, là où nous voyons naturellement une faute à condamner et à punir, Dieu, lui, voit tout d’abord une détresse à secourir. Le Tout-Puissant est aussi le plus doux des êtres, le plus patient. En Dieu il n’y a pas la moindre trace de ressentiment. Quand sa créature se révolte contre lui et l’offense, elle reste toujours à ses yeux sa créature. Il pourrait la détruire, bien sûr. Mais quel plaisir Dieu peut-il trouver à détruire ce qu’il a fait avec tant d’amour ? Tout ce qu’il a crée a des racines si profondes en lui. Il est le plus désarmé de tous les êtres en face de ses créatures. Comme une mère devant son enfant. Là est le secret de cette patience énorme qui parfois nous scandalise.

Page 138 : « - La chose la plus urgente, répondit François, est de désirer avoir l’esprit du Seigneur. Lui seul peut nous rendre bons, foncièrement bons, d’une bonté qui ne fait plus qu’un avec notre être le plus profond.

Il se tut un instant, puis il reprit :

- Le Seigneur nous a envoyés évangéliser les hommes. Mais as-tu déjà réfléchi à ce que c’est qu’évangéliser les hommes ? Evangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : Toi aussi tu es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus. Et pas seulement lui dire, mais le penser réellement. Et pas seulement le penser, mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il a en lui quelque chose de sauvé, quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi. C’est cela, lui annoncer la Bonne Nouvelle. Tu ne peux le faire qu’en lui offrant ton amitié. Une amitié réelle, désintéressée, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profondes.

Il nous faut aller vers les hommes. La tâche est délicate. Le monde des hommes est un immense champ de lutte pour la richesse et la puissance. Et trop de souffrances et d’atrocités leur cachent le visage de Dieu. Il ne faut surtout pas qu’en allant vers eux nous leur apparaissions comme une nouvelle espèce de compétiteurs. Nous devons être au milieu d’eux les témoins pacifiés du Tout-Puissant, des hommes sans convoitises et sans mépris, capables de devenir réellement leurs amis. C’est notre amitié qu’ils attendent, une amitié qui leur fasse sentir qu’ils sont aimés de Dieu et sauvé en Jésus-Christ. »

Sagesse d'un pauvre d'Eloi Leclerc

par Petit Matthieu » lun. 28 déc. 2009, 14:53

Voilà, pour ceux qui ont lu le livre et pour ceux qui voudrait le découvrir, voilà quelques passages de cet ouvrage sur la vie de Saint-François d'Assise pendant la période troublée de la mutation de son ordre qui doit s'organiser car le nombre des frères est croissant. François redoute la perte de l'idéal de la première communauté et il est en période de doute, de tristesse.


SAGESSE D’UN PAUVRE
d’Eloi Leclerc



Passages marquants :

Page 42 : « - Ecoute, petit frère, lui dit-il. Je vais te confier une chose. Lorsque j’étais plus jeune, moi aussi j’ai été tenté par les livres. J’aurais aimé en avoir. Je pensais alors qu’ils m’apporteraient la Sagesse. Mais tous les livres du monde, vois-tu, sont incapables de donner la Sagesse. N’importe quel démon à lui seul a connu jadis des choses célestes et connaît aujourd’hui des choses terrestres bien plus que tous les hommes réunis. A l’heure de l’épreuve, dans la tentation ou la détresse, ce ne sont pas les livres qui peuvent nous venir en aide, mais simplement la Passion du Seigneur Jésus-Christ.
François se tut un instant. Puis, douloureusement, il ajouta : - A présent, je sais Jésus pauvre et crucifié. Cela me suffit. »

Page 49 : « Malheur alors à celui qui est venu dans la solitude sans y être poussé par l’Esprit ».

Page 69 : « - Dieu seul est bon, Paolo, repartit François. Pour moi, je ne suis qu’un pécheur. Ecoute bien ceci, cher ami : si le dernier des vauriens avait reçu autant de grâces que j’en ai reçues, il me dépasserait de cent coudées par sa sainteté. »

Page 78 : Cette journée du Vendredi Saint fut épuisante. François la trouva très longue. Mais le soir vint, apportant sa paix. Une paix profonde, comme celle qui tombe lentement sur les labours quand le dur travail est terminé. La terre est retournée, brisée. Elle n’offre plus aucune résistance. Elle s’étend ouverte et docile. Et déjà la fraîcheur du soir la pénètre et l’imprègne. En revenant vers l’ermitage, François sentait peu à peu cette paix l’envelopper et l’envahir. Tout était consommé. Le Christ était mort. Il s’en était remis à son Père, dans un désistement radical. Il avait accepté l’échec. Sa vie humaine, son honneur humain, sa peine humaine elle-même, tout cela s’était effacé à ses yeux et avait cessé de compter. Il ne restait plus que cette seule réalité démesurée : Dieu est. Cela seul importait. Cela seul suffisait : que Dieu soit Dieu. Tout son être s’était courbé devant cette seule réalité. Il avait adoré l’Unique. Il était mort dans cette acceptation sans réserve. Dans cette extrême pauvreté et ce suprême accueil. Et la gloire de Dieu l’avait saisi. »

Page 79 : « - Dieu est, cela suffit, murmura François. »

Page 84 : « - Asseyons-nous là, dit François. Ce sera plus facile pour causer.

Ils s’assirent sur le sol. Alors Rufin commença à raconter.

- Quand je suis venu te demander de m’admettre au nombre de tes frères, il y a de cela déjà une douzaine d’année, j’étais poussé par le désir de vivre selon le saint Evangile, tel que je te le voyais pratiquer. J’étais alors très sincère. Je voulais vraiment suivre l’Evangile. Mes premières années dans la fraternité se passèrent sans trop de difficultés. Je m’appliquais avec zèle à faire tout ce que me semblait requérir cette vie nouvelle.

Mais, au fond de moi-même, j’étais mené sans le savoir par une mentalité qui n’était pas évangélique. Tu sais dans quel milieu j’ai grandi. J’étais d’une famille noble. Par ma sensibilité, par mon éducation et par toutes les fibres vivantes de mon être, je tenais à ce milieu noble. Je sentais et je jugeais selon ce milieu, d’après les valeurs qui y sont habituellement honorées. En venant à toi et en adoptant ton genre de vie extrêmement humble et pauvre, je pensais avoir renoncé pour tout de bon à ces valeurs, je croyais vraiment m’être perdu pour le Seigneur.

C’était vrai. Mais à la surface seulement. J’avais bien changé de genre de vie et d’occupations. Et pour moi le changement était grand. Mais, au plus profond de moi-même, sans m’en rendre compte, je conservais une grosse part de mon âme, la plus importante. Je gardais ma vieille mentalité, celle de mon milieu. Je continuais à juger des gens et des choses selon ce que j’avais vu faire chez moi, dans ma famille. Au château de mon père, recevoir les gens à la porte, travailler aux cuisines et autres offices, c’était l’affaire des domestiques et des valets. Devenu frère mineur, j’estimais pareillement que remplir l’office de portier ou de cuisinier, comme aussi d’aller à la quête ou soigner les lépreux, c’était s’abaisser à une condition inférieure. Malgré cela, j’acceptais volontiers ces offices. Pour m’humilier précisément. Je mettais même un point d’honneur à m’abaisser de la sorte. Je pensais qu’en cela consistait l’humilité évangélique. J’étais entré dans l’Ordre avec cet esprit.

Les années passèrent. Comme je n’avais pas d’aptitudes pour la prédication, je me suis vu souvent réduit à remplir ces charges que je jugeais inférieures et viles. Puisque c’était mon devoir, je m’y obligeais. Je m’humiliais par devoir. Et vraiment j’en étais humilié.

Il arriva ce qui devait arriver. J’en vins tout naturellement à penser que les autres frères, ceux qui allaient prêcher, me prenaient pour leur domestique. Ce sentiment ne fit que s’accroître lorsque des frères plus jeunes que moi et qui étaient issus d’un milieu tout à fait modeste entrèrent dans l’Ordre et allèrent eux-mêmes à la prédication, me laissant le soin de l’entretien matériel de la communauté. Si l’un d’eux me faisait une remarque ou simplement exprimait un désir, j’en était troublé et irrité. Je ne disais rien, mais je bouillais intérieurement. Après coup je me calmais et me reprenais. Je m’humiliais un peu plus. Toujours par devoir.

Ainsi, je faisais tout par devoir. Je croyais que c’était cela, la vie religieuse. Mais ce n’était qu’un habit mal taillé dans lequel je m’efforçais d’entrer, sans pouvoir y demeurer. Dès que je le pouvais, je m’en libérais. Ma vie, ma vraie vie, était ailleurs. Elle était là où je me retrouvais moi-même. Chaque jour, en effet, je n’avais qu’une hâte, c’était d’en avoir fini avec ces vils emplois pour me réfugier dans la solitude. Là je me sentais de nouveau mon maître et je revivais. Puis le devoir me reprenait. Je m’obligeais une fois de plus à être le domestique de mes frères.

Mais on s’use à ce régime. C’est fou comme on peut se tendre. Tout ce que je faisais par devoir, je le faisais sans coeur, comme un forçat qui traîne son boulet. Je perdais l’appétit et le sommeil. Je commençais la journée, fatigué. Et puis, j’en vins à prendre en grippe tous les frères. Je voyais en chacun d’eux un maître dont j’étais l’esclave. Je me sentais méconnu. Cela me révoltait. Je ne pouvais plus supporter personne. Je finis par être en révolte intérieurement contre tout le monde. Alors, dans ma naïveté, je crus très sincèrement que le Seigneur me voulait tout à lui dans une complète solitude. Je te demandai à cette époque la permission de me retirer dans cet ermitage. Puis, ici même, ce fut la crise terrible que tu connais. Voilà où j’en étais arrivé.

- Tout ce que tu me dis là ne m’étonne pas, lui dit alors doucement François. Tu te souviens du jour où je t’ai envoyé prêcher, malgré toi ! Je voulais te sortir de toi-même, de cet isolement où je sentais que tu t’enfermais.

- Oui, Père, je m’en souviens. Mais alors je ne pouvais pas comprendre. C’est curieux comme maintenant tout s’éclaire pour moi, répond Rufin.

- Le seigneur a eu pitié de toi, dit François. Il a ainsi pitié de chacun de nous. A son heure. Au moment où nous nous y attendons le moins. Nous éprouvons alors sa miséricorde. Il se fait connaître à nous de cette manière. Comme la pluie tardive qui couche la poussière du chemin.

- C’est bien vrai, remarque Rufin. J’ai l’impression de commencer une nouvelle existence.

- Mais comment le Seigneur t’as-t-il ouvert les yeux ? demanda François.

- Le Jeudi-Saint, tandis que nous déjeunions tous ensemble, répond Rufin, un frère rappela incidemment l’une de tes paroles : « Si une mère nourrit et chérit son fils selon la chair, à combien plus forte raison devons-nous nourrir et chérir nos frères selon l’esprit. » Je t’avais entendu souvent nous dire cela, mais sans y prêter attention. Et, à vrai dire, sans comprendre. Cette fois, ces paroles prirent pour moi un sens. J’en fus frappé. Et, de retour en cellule, je les méditai longuement.

Dans une famille où il n’y a aps de domestiques, me disais-je, où les choses se passent naturellement, c’est la mère qui fait elle-même la cuisine, qui sert à table, entretient la maison et est dérangée à tout moment. Et elle trouve cela normal. Elle ne s’estime pas lésée pour autant. Elle n’a pas l’impression d’être abaissée à un rang inférieur. Elle ne se considère pas coimme la domestique. Elle aime ses enfants et son mari. De là son entrain et son courage à les servir. Il arrive qu’elle soit fatiguée, très fatiguée même, mais pas révoltée. Et je pensais à telle famille de condition modeste que j’avais eu l’occasion de connaître d’assez près et où la mère, malgré toutes les difficultés de sa tâche, rayonnait de paix et de bonheur au milieu de ses fatigues.

Je vis alors clairement que je faisais fausse route. Et que j’étais mené apr une mentalité qui n’était pas évangélique. De là mon ressentiment. Je croyais avoir quitté le monde parce que j’avais changé d’occupations. J’avais oublié de changer d’âme. Cet instant fut pour moi un renversement complet de perspective. Je n’attendis pas davantage pour mettre à profit la lumière qui m’était donnée. Sur-le champ, je courus me mettre au service de mes frères. Et, depuis, la lumière n’a fait que croître en moi. Et la paix aussi. Je me sens à présent libre et léger comme l’oiseau échappé de sa cage.

- Tu peux rendre grâce au Seigneur, lui dit François. Ce que tu viens de vivre là est vraiment une expérience. Tu sais à présent ce qu’est un frère mineur, un pauvre selon l’Evangile : un homme qui, librement, a renoncé à exercer tout pouvoir, toute espèce de domination sur les autres, et qui cependant n’est pas mené par une âme d’esclave, mais par l’esprit le plus noble qui soit, celui du Seigneur. Cette voie est difficile. Peu la trouvent. C’est une grâce, une très grande grâce que le Seigneur t’a faite.

Il n’y a pas, vois-tu, que les maîtres de ce monde à être conduits par la volonté de puissance et de domination. Les serviteurs le sont aussi qui n’acceptent pas librement leur condition de serviteurs. Cette condition est alors un joug pesant qui écrase l’homme et le fait suer de ressentiment. Ce joug n’est certes pas celui du Seigneur.

Etre pauvre, selon l’Evangile, ce n’est pas seulement s’obliger à faire ce que fait le dernier, l’esclave, c’est le faire avec l’âme et l’esprit du Seigneur. Cela change tout. Là où est l’esprit du Seigneur, le coeur n’est pas amer. Il n’y a pas de place pour le ressentiment. Lorsque j’étais encore dans le monde, je considérais comme la dernière des choses d’aller soigner les lépreux. Mais le Seigneur eut pitié de moi. Il me conduisit lui-même parmi eux et j’exerçai la miséricorde à leur égard. Quand je revins d’auprès eux, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’âme et pour le corps. L’esprit du Seigneur n’est pas un esprit d’amertume, mais de douceur et d’allégresse.

- Cette expérience que je viens de vivre m’a appris, dit Rufin, combien il est facile de se faire illusion sur soi-même. Et comment on peut, sans vergogne, prendre pour une inspiration du Seigneur ce qui n’est qu’une impulsion de notre nature.

- Oui, l’illusion est très facile, dit François. Et c’est pourquoi elle est si fréquente. Il y a cependant un signe qui permet de la déceler à coup sûr.

- Lequel ? demanda Rufin.

- C’est le trouble de l’âme, répondit François. Quand une eau se trouble, il est manifeste qu’elle n’est pas pure. Il en est de même pour l’homme. Un homme que le trouble envahit laisse voir que la source d’inspiration de ses actes n’est pas pure, qu’elle est mélangée. Cet homme est mené profondément par autre chose que l’esprit du Seigneur. Tant qu’un homme a tout ce qu’il désire, il ne peut pas savoir si c’est vraiment l’esprit de Dieu qui le conduit. Il est si facile d’élever ses vices à la hauteur de ses vertus, et de se rechercher soi-même sous le couvert de buts nobles et désintéressés. Et cela avec la plus belle inconscience. Mais vienne une occasion où l’homme qui se ment ainsi à lui-même est contredit ou contrarié, alors le masque tombe. Il se trouble et s’irrite. Derrière l’homme « spirituel » qui n’était qu’un personnage d’emprunt, apparaît l’homme « charnel » : le vivant, tous ongles dehors, qui se défend. Ce trouble et cette agressivité révèlent que l’homme est mené par d’autres profondeurs que celles de l’esprit du Seigneur.

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