par Cinci » dim. 14 févr. 2016, 6:16
18 Et il se tint sur le sable de la mer.
Qu'est-ce que cela pourrait bien vouloir dire?
J'aurai pu songer à une sorte de charnière entre le politique et le religieux. Corsini va parler «des deux bêtes par laquelle Satan exerce son influence au cours de l'histoire. Jean les voit émerger respectivement de la mer et de la terre» ou «la mer étant l'équivalent cosmico-historique de l'abîme, et, la terre, séjour de l'homme, l'équivalent cosmico-historique de l'Eden»; «Selon une tradition juive que Daniel a retenue dans sa vision des quatre bêtes (les quatre empires;
Dn 7,2) le pouvoir politique s'origine dans la mer» (E. Corsini, «Les deux bêtes» dans
L'Apocalypse maintenant, p. 190)
Mais pour le sable ? Y a-t-il quelque chose qui se cache là-dessous? Possiblement.
C'est un article que j'ai trouvé et qui s'intitule «Transparence et sagesse. Remarques sur le verre dans l'Apocalypse». C'est signé par Philippe de Robert. L'article aura paru en 1999 dans la
Revue d'histoire et de philosophie religieuse, tome 79, p.57 à 64. L'auteur est professeur à la Faculté de théologie protestante à Strasbourg.
Voyons ça de plus près :
- [+] Texte masqué
- «Résumé : les seules mentions du verre dans la Bible se trouvent dans l'Apocalypse et dans le livre de Job. Une enquête sur ce produit de l'industrie humaine, souvent associé aux pierres et métaux précieux, et sur ses connotations, en particulier sapientales, dans les traditions bibliques et juives, permet de préciser l'usage qu'en fait le voyant de Patmos dans les évocations du trône céleste, du cantique de l'Agneau et de la Jérusalem nouvelle.
Le verre n'était pas, dans l'Antiquité le matériau courant qu'il est aujourd'hui devenu. Issu d'un art du feu, comme les métaux précieux, proche par son apparence du cristal et des autres pierres précieuses, il leur était associé pour sa rareté et son prix tout en se singularisant par sa transparence.
La seule mention explicite qu'en fait la Bible hébraïque, associée à celle du cristal dont c'est aussi l'unique occurence, se trouve en Job 28, dans le célèbre éloge de la sagesse qui souligne le caractère inaccessible et incomparable de celle-ci (v.17)
- Ni l'or ni le verre n'atteignent son prix,
on ne peut l'avoir pour un vase d'or fin,
Corail, cristal n'entrent pas en ligne de
compte.
Et mieux vaudrait pêcher la sagesse
que des perles.
Le terme hébreu pour le verre, zekokit, évoque la pureté et la clarté [...]
Le contexte du poeme de Job rappelle les prouesses techniques de l'homme, capable d'extraire des minérais les moins accessibles, puis énumère la fine fleur des trésors de l'Orient, pour affirmer que la sagesse est encore d'un autre ordre. [...] le verre et le cristal font l'objet à cette occasion d'une mention exceptionnelle.
Il est pourtant d'autres textes de l'Ancien Testament qui peuvent évoquer indirectement le verre, en particulier la bénédiction de Moïse sur les tribus d'Issakar et Zabulon en Dt 33,19 :
- Ils drainent l'abondance des mers,
les réserves cachées du sable.
Outre la pêche et le commerce maritime, le texte évoque des ressources provenant des plages galiléennes : probablement la pourpre tirée du murex, mais aussi la transformation du sable lui-même en verre. C'est ainsi que l'entend le Targum du Pseudo-Jonathan :«à partir du sable ils produisent des miroirs et des vases de verre», de même que le Sifré sur le Deutéronome et le traité Meguilla (6a) du Talmud.
[...]
La tradition juive associe également le verre à la sagesse de Salomon à propos de la visite de la reine de Saba, fortement impressionnée dit le texte biblique par la maison qu'il avait bâtie (1 R 10,4) Le Targum Sheni sur Esther (1,3) explique qu'il avait conçu un palais de verre reposant sur un bassin, si bien que la reine croyant devoir marcher dans l'eau pour approcher du trône releva sa robe pour éviter de la mouiller. L'élément traditionnel que véhicule ce texte tardif demeure l'image d'une sorte de mer de verre s'étendant devant le trône du roi, au coeur d'un palais de verre à Jérusalem.
Il est temps de nous tourner vers l'Apocalypse, seul livre du Nouveau Testament où interviennent les termes hyalos, kristallos et dérivés, au total sept fois, répartis sur trois péricopes importantes. La première mention se trouve dans la vision du trône de Dieu, en Ap 4,6 :
- «Devant le trône comme une mer de verre semblable à du cristal»
La mention du trône divin évoque sans doute la vision inaugurale d'Ezéchiel, laquelle décrit en Ez 1,22 «un firmament comme l'aspect de la glace redoutable» (on traduit souvent de façon plus lâche «cristal resplendissant») mais aussi en Ez 1,26 «une ressemblance de trône comme la vision d'une pierre de saphir»(ou «lazulite») Si la connotation cosmique est bien présente dans la première référence, la seconde est à mettre en relation avec la vision de Dieu sur le Sinaï selon Ex 24,10 :
- «sous ses pieds comme une sorte de pavement de saphir,
et comme la substance du ciel pour la pureté»
C'est bien une étendue transparente qui est évoquée ici , et le saphir est associé au verre et au cristal en Job 28,16 comme terme de comparaison avec la sagesse. Si l'on ajoute à ceci l'image de la mer de verre associée à Salomon, l'influence sapientale paraît probable.
source : Philippe de Robert, «Transparence et sagesse. Remarques sur le verre dans l'Apocalypse», Revue d'histoire et de philosophie religieuse, 1999, tome 79, p.57 à 64
Quoi penser? Jean faisait-il allusion au fait que le Dragon chercherait à se présenter comme un «ange de lumière» (riche, puissant, ingénieux, sage, admirable, etc.)? La «bête qui monte de la mer» du texte de l'Apocalypse serait-elle une sorte de nouveau roi Salomon? Ce ne serait pas gratuit d'avancer cela, ni gratuit ni insensé. Jean penserait-il à une sorte d'usurpateur prétendant détenir l'onction.?On pourrait le croire. On peut faire le rapprochement avec la figure de Salomon (outre l'article ci-dessus) parce que Jean lui-même nous en apporterait sûrement la clé dans son texte.
1 Rois 10 14
Le poids de l'or qui parvenait en une année à Salomon
était de six cent soixante-six talents d'or, sans compter
ce qui venait des redevances des colporteurs, du gain
des trafiquants, de tous les rois d'Arabie et des gouver-
neurs du pays.
Apocalypse 13, 18
Ici est la sagesse! Que celui qui a de l'intelligence calcul
le chiffre de la Bête, car c'est un chiffre d'homme, et
son chiffre est de six cent soixante-six.
[size=150]18 Et il se tint sur le sable de la mer.[/size]
Qu'est-ce que cela pourrait bien vouloir dire?
J'aurai pu songer à une sorte de charnière entre le politique et le religieux. Corsini va parler «des deux bêtes par laquelle Satan exerce son influence au cours de l'histoire. Jean les voit émerger respectivement de la mer et de la terre» ou «la mer étant l'équivalent cosmico-historique de l'abîme, et, la terre, séjour de l'homme, l'équivalent cosmico-historique de l'Eden»; «Selon une tradition juive que Daniel a retenue dans sa vision des quatre bêtes (les quatre empires;[b] Dn 7,2[/b]) le pouvoir politique s'origine dans la mer» (E. Corsini, «Les deux bêtes» dans [i]L'Apocalypse maintenant[/i], p. 190)
Mais pour le sable ? Y a-t-il quelque chose qui se cache là-dessous? Possiblement.
C'est un article que j'ai trouvé et qui s'intitule «Transparence et sagesse. Remarques sur le verre dans l'Apocalypse». C'est signé par Philippe de Robert. L'article aura paru en 1999 dans la [i]Revue d'histoire et de philosophie religieuse[/i], tome 79, p.57 à 64. L'auteur est professeur à la Faculté de théologie protestante à Strasbourg.
Voyons ça de plus près :
[spoiler]«[b]Résumé[/b] : les seules mentions du verre dans la Bible se trouvent dans l'[i]Apocalypse[/i] et dans le livre de Job. Une enquête sur ce produit de l'industrie humaine, souvent associé aux pierres et métaux précieux, et sur ses connotations, en particulier sapientales, dans les traditions bibliques et juives, permet de préciser l'usage qu'en fait le voyant de Patmos dans les évocations du trône céleste, du cantique de l'Agneau et de la Jérusalem nouvelle.
Le verre n'était pas, dans l'Antiquité le matériau courant qu'il est aujourd'hui devenu. Issu d'un art du feu, comme les métaux précieux, proche par son apparence du cristal et des autres pierres précieuses, il leur était associé pour sa rareté et son prix tout en se singularisant par sa transparence.
La seule mention explicite qu'en fait la Bible hébraïque, associée à celle du cristal dont c'est aussi l'unique occurence, se trouve en [b]Job 28[/b], dans le célèbre [b]éloge de la sagesse[/b] qui souligne le caractère inaccessible et incomparable de celle-ci (v.17)
[list]Ni l'or ni le verre n'atteignent son prix,
on ne peut l'avoir pour un vase d'or fin,
Corail, cristal n'entrent pas en ligne de
compte.
Et mieux vaudrait pêcher la sagesse
que des perles. [/list]
Le terme hébreu pour le verre, [i]zekokit[/i], évoque la pureté et la clarté [...]
Le contexte du poeme de Job rappelle les prouesses techniques de l'homme, capable d'extraire des minérais les moins accessibles, puis énumère la fine fleur des trésors de l'Orient, pour affirmer que la sagesse est encore d'un autre ordre. [...] le verre et le cristal font l'objet à cette occasion d'une mention exceptionnelle.
Il est pourtant d'autres textes de l'Ancien Testament qui peuvent évoquer indirectement le verre, en particulier la bénédiction de Moïse sur les tribus d'Issakar et Zabulon en [b]Dt 33,19[/b] :
[list]Ils drainent l'abondance des mers,
les réserves cachées du sable. [/list]
Outre la pêche et le commerce maritime, le texte évoque des ressources provenant des plages galiléennes : probablement la pourpre tirée du murex, mais aussi la transformation du sable lui-même en verre. C'est ainsi que l'entend le Targum du Pseudo-Jonathan :«à partir du sable ils produisent des miroirs et des vases de verre», de même que le Sifré sur le Deutéronome et le traité Meguilla (6a) du Talmud.
[...]
La tradition juive associe également le verre à la sagesse de Salomon à propos de la visite de la reine de Saba, fortement impressionnée dit le texte biblique par la maison qu'il avait bâtie ([b]1 R 10,4[/b]) Le Targum Sheni sur Esther (1,3) explique qu'il avait conçu un palais de verre reposant sur un bassin, si bien que la reine croyant devoir marcher dans l'eau pour approcher du trône releva sa robe pour éviter de la mouiller. L'élément traditionnel que véhicule ce texte tardif demeure l'image d'une sorte de mer de verre s'étendant devant le trône du roi, au coeur d'un palais de verre à Jérusalem.
Il est temps de nous tourner vers l'[i]Apocalypse[/i], seul livre du Nouveau Testament où interviennent les termes[i] hyalos[/i], [i]kristallos[/i] et dérivés, au total sept fois, répartis sur trois péricopes importantes. La première mention se trouve dans la vision du trône de Dieu, en [b]Ap 4,6[/b] :
[list]«Devant le trône comme une mer de verre semblable à du cristal»[/list]
La mention du trône divin évoque sans doute la vision inaugurale d'Ezéchiel, laquelle décrit en [b]Ez 1,22[/b] «un firmament comme l'aspect de la glace redoutable» (on traduit souvent de façon plus lâche «cristal resplendissant») mais aussi en [b]Ez 1,26[/b] «une ressemblance de trône comme la vision d'une pierre de saphir»(ou «lazulite») Si la connotation cosmique est bien présente dans la première référence, la seconde est à mettre en relation avec la vision de Dieu sur le Sinaï selon [b]Ex 24,10[/b] :
[list]«sous ses pieds comme une sorte de pavement de saphir,
et comme la substance du ciel pour la pureté»
[/list]
C'est bien une étendue transparente qui est évoquée ici , et le saphir est associé au verre et au cristal en [b]Job 28,16 [/b]comme terme de comparaison avec la sagesse. Si l'on ajoute à ceci l'image de la mer de verre associée à Salomon, l'influence sapientale paraît probable.
source : Philippe de Robert, «Transparence et sagesse. Remarques sur le verre dans l'Apocalypse», [i]Revue d'histoire et de philosophie religieuse[/i], 1999, tome 79, p.57 à 64[/spoiler]
Quoi penser? Jean faisait-il allusion au fait que le Dragon chercherait à se présenter comme un «ange de lumière» (riche, puissant, ingénieux, sage, admirable, etc.)? La «bête qui monte de la mer» du texte de l'Apocalypse serait-elle une sorte de nouveau roi Salomon? Ce ne serait pas gratuit d'avancer cela, ni gratuit ni insensé. Jean penserait-il à une sorte d'usurpateur prétendant détenir l'onction.?On pourrait le croire. On peut faire le rapprochement avec la figure de Salomon (outre l'article ci-dessus) parce que Jean lui-même nous en apporterait sûrement la clé dans son texte.
[b] 1 Rois 10 14[/b]
Le poids de l'or qui parvenait en une année à Salomon
était de six cent soixante-six talents d'or, sans compter
ce qui venait des redevances des colporteurs, du gain
des trafiquants, de tous les rois d'Arabie et des gouver-
neurs du pays.
[b]Apocalypse 13, 18[/b]
Ici est la sagesse! Que celui qui a de l'intelligence calcul
le chiffre de la Bête, car c'est un chiffre d'homme, et
son chiffre est de six cent soixante-six.