par Riou » ven. 09 oct. 2020, 21:45
pierrot2 a écrit : ↑ven. 09 oct. 2020, 5:32
l'attachement à la psyché pourrait amener à la tentation intérieure fatale de rejeter la Zoe, et donc à en devenir son "ennemie".
Bonjour pierrot,
Oui, je crois que c'est ça. Quand la psyché se fait le centre de tout, et que la vie est réduite uniquement à sa dimension de conservation égoïste, il est fatal qu'elle finisse par se couper de la Zoé (la Vie Vivante, la Source dont parle Jésus dans l'entretien avec la samaritaine, bien différente de l'eau stagnante du puits, qui n'étanche jamais la soif de manière complète). La conservation de soi, qui est l'objectif premier de la psyché, est légitime, selon Sant Thomas d'Aquin, mais quand elle devient exclusive, elle devient en même temps illégitime, car elle détruit la possibilité d'aimer Dieu et son prochain. Il faut donc trouver la juste mesure, et c'est Dieu qui la donne. Au fond, le péché originel, c'est cela : manquer la bonne mesure en se faisant le centre de tout, et la conséquence est immédiate : Adam et Eve sont coupés de l'accès à l'arbre de Vie. On retrouverait peut-être dans ce texte du péché originel la différence que le grec fera plus tard entre psyché et Zoé.
Quand Saint Paul dit que ce n'est plus seulement moi qui vit, mais que c'est le Christ qui vit à travers moi, on voit bien que le moi demeure, mais qu'il demeure de manière renouvelée : il est inscrit dans la Vie dont parle Saint Jean dans son évangile.
pierrot2 a écrit : ↑ven. 09 oct. 2020, 5:32
Je repars sur Luc 14, 26:
Si quelqu'un vient à moi, et s'il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, et ses soeurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple.
, traduit ailleurs par:
« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.
Ces deux traductions portent également la nuance que "haïr" sa vie ne suppose pas nécessairement que cette "haine"se fonde sur un référentiel, (1ère traduction) comme c'est le cas dans "sans
me préférer" (2è traduction), où "me" désigne un sujet de référence (Jésus) à partir duquel Jésus préconise de mesurer et/ou comparer notre amour.
Cette nuance est tout de même assez importante, l'une des deux traductions serait-elle à proscrire, ou tout cela peut-il se comprendre autrement?
Je ne saurais pas vous dire. Ce qui me semble accessible me concernant (car ce verset m'a souvent interpellé, et j'y vois des dangers considérables si on l'interprète mal, des dangers gravissimes mêmes), c'est qu'il y a une contradiction entre demander de haïr son père, sa femme, sa mère, etc. alors que Jésus demande par ailleurs d'aimer jusqu'à son ennemi. C'est ce que voit bien Saint Grégoire le Grand : "
On peut demander comment Notre-Seigneur nous fait un devoir de haïr nos parents et ceux qui nous sont unis par les liens du sang, tandis qu'il nous est commandé ailleurs d'aimer jusqu'à nos ennemis?".
Selon la méthode de Saint Augustin, en présence d'une contradiction, il faut chercher un sens spirituel supérieur qui donne sens à ce verset un peu provoquant. Provoquer, c'est précisément appeler les hommes et les mettre devant leur propre vocation, et c'est bien ce que fait Jésus ici. Or, si un individu fait obstacle à cette vocation de manière claire, au point qu'il empêche ouvertement sa réalisation effective, Jésus demande de faire un choix radical. Ce verset n'est pas à prendre comme une règle formelle qui nous commanderait de quitter nos proches même s'ils ne sont pas d'accord, mais comme une possibilité ultime de la vie chrétienne, qui peut à tout moment exiger jusqu'au sacrifice si une situation critique se présente. Le Christ demande de ne pas se trouver d'excuses toutes faites pour Le mettre de côté, et c'est bien ce que dit la parabole du festin qui précède immédiatement ce passage : mon travail, ma carrière, ma famille, mes loisirs, etc., me font dire "pas tout de suite", "plus tard", "je suis pris", jusqu'au jour où la mort arrive et ne laisse plus de possibilité d'accomplir sa vocation. Saint Grégoire le Grand poursuit ainsi sur ce problème : "
Mais comment cette haine pour notre propre vie doit-elle se manifester? Le voici: «Et celui qui ne porte pas sa croix», etc. Il ne veut pas dire que nous devions porter sur nos épaules une croix de bois, mais que nous devons avoir la mort toujours présente à nos yeux, comme saint Paul qui mourait tous les jours ( 1Co 15,31 ), et qui méprisait la mort. ". Avoir la mort sous les yeux pour rendre vive la vocation de chacun, sans pour autant adorer cette mort, mais bien au contraire en la méprisant, voilà ce que semble signifier, selon la tradition, ce verset sur la "haine" de sa propre vie. Rien de morbide, mais plutôt de la lucidité et de la vigilance. Il est demandé de haïr une vie médiocre sans profondeur, une vie simplement pour soi et sans vocation qui la dépasse, et la conscience de sa propre mortalité permet de situer les choses avec justesse.
Pour ce qui est de la haine des autres (mon père, ma femme, etc.), je pencherais pour quelque chose de similaire à votre réponse : ne pas haïr son prochain, bien évidemment, ne pas le rejeter, tout aussi évidemment, mais haïr en lui ce qui peut, dans une situation de crise, faire obstacle au royaume de Dieu, qu'il faut rechercher avant toute chose. Ce n'est que justice quand cela est appliqué à soi-même : haïr en soi ce qui est récalcitrant à la charité, mépriser en son âme ce qui est vil, ce qui est la meilleure manière de s'élever et de s'aimer soi-même pour de bonnes raisons. Il en est de même avec nos proches : écarter ce qui entrave notre vocation, mépriser ce qui est bas, seule manière de les aimer vraiment : "
Le Seigneur ne veut, ni que nous méconnaissions les droits de la nature, ni que nous en soyons esclaves; nous devons leur accorder assez pour honorer l'auteur de la nature, mais ne jamais nous séparer de Dieu par amour pour nos parents" (Saint Ambroise). Les liens naturels, et donc nos proches, ont des droits naturels parfaitement légitime qu'il faut honorer, mais ces droits naturels, s'ils sont utilisée de manière tyrannique pour nous rendre esclaves, doivent être remis en question. c'est une question de discernement : accomplir son devoir librement, et jamais devenir esclave d'un être humain quel qu'il soit. Saint Grégoire le Grand complète : "
d'un côté, aimer ceux qui nous sont unis par les liens du sang et que nous reconnaissons pour nos proches; de l'autre, haïr et éviter ceux qui se déclarent contre nous dans la voie de Dieu, car en refusant d'écouter les mauvaises suggestions des hommes charnels, nous les aimons jusque dans notre haine".
Il n'est donc pas du tout question de haïr son proche au nom du Christ (ce serait absurde), mais de les aimer sans démagogie, sans privation de ce qui est essentiel pour nous. De les aimer toujours quoiqu'il arrive, mais sans que cet amour nous rende esclave de leurs travers possibles. Les aimer librement donc.
Ce verset me fait penser à la phrase de Gide : "Famille, je vous hais". Il ajoute juste après : "volets clos; portes refermées; possession jalouse du bonheur". Ce qu'il haïssait, ce n'est pas sa famille en tant que telle, mais une manière de vivre qui se replie sur soi, se ferme à la Vie et se dessèche dans un entre-soi qui stérilise l'existence si on en reste là, car alors la vocation devient impossible.
[quote=pierrot2 post_id=427633 time=1602214367 user_id=9364]
l'attachement à la psyché pourrait amener à la tentation intérieure fatale de rejeter la Zoe, et donc à en devenir son "ennemie".
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Bonjour pierrot,
Oui, je crois que c'est ça. Quand la psyché se fait le centre de tout, et que la vie est réduite uniquement à sa dimension de conservation égoïste, il est fatal qu'elle finisse par se couper de la Zoé (la Vie Vivante, la Source dont parle Jésus dans l'entretien avec la samaritaine, bien différente de l'eau stagnante du puits, qui n'étanche jamais la soif de manière complète). La conservation de soi, qui est l'objectif premier de la psyché, est légitime, selon Sant Thomas d'Aquin, mais quand elle devient exclusive, elle devient en même temps illégitime, car elle détruit la possibilité d'aimer Dieu et son prochain. Il faut donc trouver la juste mesure, et c'est Dieu qui la donne. Au fond, le péché originel, c'est cela : manquer la bonne mesure en se faisant le centre de tout, et la conséquence est immédiate : Adam et Eve sont coupés de l'accès à l'arbre de Vie. On retrouverait peut-être dans ce texte du péché originel la différence que le grec fera plus tard entre psyché et Zoé.
Quand Saint Paul dit que ce n'est plus seulement moi qui vit, mais que c'est le Christ qui vit à travers moi, on voit bien que le moi demeure, mais qu'il demeure de manière renouvelée : il est inscrit dans la Vie dont parle Saint Jean dans son évangile.
[quote=pierrot2 post_id=427633 time=1602214367 user_id=9364]
Je repars sur Luc 14, 26:[quote]Si quelqu'un vient à moi, et s'il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, et ses soeurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple.[/quote], traduit ailleurs par:[quote] « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.[/quote]Ces deux traductions portent également la nuance que "haïr" sa vie ne suppose pas nécessairement que cette "haine"se fonde sur un référentiel, (1ère traduction) comme c'est le cas dans "sans [b]me[/b] préférer" (2è traduction), où "me" désigne un sujet de référence (Jésus) à partir duquel Jésus préconise de mesurer et/ou comparer notre amour.
Cette nuance est tout de même assez importante, l'une des deux traductions serait-elle à proscrire, ou tout cela peut-il se comprendre autrement?
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Je ne saurais pas vous dire. Ce qui me semble accessible me concernant (car ce verset m'a souvent interpellé, et j'y vois des dangers considérables si on l'interprète mal, des dangers gravissimes mêmes), c'est qu'il y a une contradiction entre demander de haïr son père, sa femme, sa mère, etc. alors que Jésus demande par ailleurs d'aimer jusqu'à son ennemi. C'est ce que voit bien Saint Grégoire le Grand : "[i]On peut demander comment Notre-Seigneur nous fait un devoir de haïr nos parents et ceux qui nous sont unis par les liens du sang, tandis qu'il nous est commandé ailleurs d'aimer jusqu'à nos ennemis?[/i]".
Selon la méthode de Saint Augustin, en présence d'une contradiction, il faut chercher un sens spirituel supérieur qui donne sens à ce verset un peu provoquant. Provoquer, c'est précisément appeler les hommes et les mettre devant leur propre vocation, et c'est bien ce que fait Jésus ici. Or, si un individu fait obstacle à cette vocation de manière claire, au point qu'il empêche ouvertement sa réalisation effective, Jésus demande de faire un choix radical. Ce verset n'est pas à prendre comme une règle formelle qui nous commanderait de quitter nos proches même s'ils ne sont pas d'accord, mais comme une possibilité ultime de la vie chrétienne, qui peut à tout moment exiger jusqu'au sacrifice si une situation critique se présente. Le Christ demande de ne pas se trouver d'excuses toutes faites pour Le mettre de côté, et c'est bien ce que dit la parabole du festin qui précède immédiatement ce passage : mon travail, ma carrière, ma famille, mes loisirs, etc., me font dire "pas tout de suite", "plus tard", "je suis pris", jusqu'au jour où la mort arrive et ne laisse plus de possibilité d'accomplir sa vocation. Saint Grégoire le Grand poursuit ainsi sur ce problème : "[i]Mais comment cette haine pour notre propre vie doit-elle se manifester? Le voici: «Et celui qui ne porte pas sa croix», etc. Il ne veut pas dire que nous devions porter sur nos épaules une croix de bois, mais que nous devons avoir la mort toujours présente à nos yeux, comme saint Paul qui mourait tous les jours ( 1Co 15,31 ), et qui méprisait la mort[/i]. ". Avoir la mort sous les yeux pour rendre vive la vocation de chacun, sans pour autant adorer cette mort, mais bien au contraire en la méprisant, voilà ce que semble signifier, selon la tradition, ce verset sur la "haine" de sa propre vie. Rien de morbide, mais plutôt de la lucidité et de la vigilance. Il est demandé de haïr une vie médiocre sans profondeur, une vie simplement pour soi et sans vocation qui la dépasse, et la conscience de sa propre mortalité permet de situer les choses avec justesse.
Pour ce qui est de la haine des autres (mon père, ma femme, etc.), je pencherais pour quelque chose de similaire à votre réponse : ne pas haïr son prochain, bien évidemment, ne pas le rejeter, tout aussi évidemment, mais haïr en lui ce qui peut, dans une situation de crise, faire obstacle au royaume de Dieu, qu'il faut rechercher avant toute chose. Ce n'est que justice quand cela est appliqué à soi-même : haïr en soi ce qui est récalcitrant à la charité, mépriser en son âme ce qui est vil, ce qui est la meilleure manière de s'élever et de s'aimer soi-même pour de bonnes raisons. Il en est de même avec nos proches : écarter ce qui entrave notre vocation, mépriser ce qui est bas, seule manière de les aimer vraiment : "[i]Le Seigneur ne veut, ni que nous méconnaissions les droits de la nature, ni que nous en soyons esclaves; nous devons leur accorder assez pour honorer l'auteur de la nature, mais ne jamais nous séparer de Dieu par amour pour nos parents[/i]" (Saint Ambroise). Les liens naturels, et donc nos proches, ont des droits naturels parfaitement légitime qu'il faut honorer, mais ces droits naturels, s'ils sont utilisée de manière tyrannique pour nous rendre esclaves, doivent être remis en question. c'est une question de discernement : accomplir son devoir librement, et jamais devenir esclave d'un être humain quel qu'il soit. Saint Grégoire le Grand complète : "[i]d'un côté, aimer ceux qui nous sont unis par les liens du sang et que nous reconnaissons pour nos proches; de l'autre, haïr et éviter ceux qui se déclarent contre nous dans la voie de Dieu, car en refusant d'écouter les mauvaises suggestions des hommes charnels, nous les aimons jusque dans notre haine[/i]".
Il n'est donc pas du tout question de haïr son proche au nom du Christ (ce serait absurde), mais de les aimer sans démagogie, sans privation de ce qui est essentiel pour nous. De les aimer toujours quoiqu'il arrive, mais sans que cet amour nous rende esclave de leurs travers possibles. Les aimer librement donc.
Ce verset me fait penser à la phrase de Gide : "Famille, je vous hais". Il ajoute juste après : "volets clos; portes refermées; possession jalouse du bonheur". Ce qu'il haïssait, ce n'est pas sa famille en tant que telle, mais une manière de vivre qui se replie sur soi, se ferme à la Vie et se dessèche dans un entre-soi qui stérilise l'existence si on en reste là, car alors la vocation devient impossible.