Avertissement au lecteur : le message ci-dessous présente ma lecture personnelle de la Genèse, ma compréhension du péché originel et de ses conséquence notamment sur ce qui concerne la vie et la mort. Je n'ai pas encore pris le temps de vérifier qu'il est en accord total avec le Magistère de l'Eglise, mais les premières vérifications que j'ai faites me laissent penser que c'est le cas.
Toujours est-il qu'il n'est pas à lire comme étant l'enseignement de l'Eglise, mais uniquement comme l'état des réflexions d'un simple fidèle, qui n'est même pas théologien.
Il est tout à fait possible que je sois dans l'erreur, j'en serais peiné, mais pas surpris.
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Cher Xavi,
J'ai repris les passages que vous avez cité du livre de Mgr Léonard. Et je constate que nous ne lisons pas du tout la Genèse de la même manière, et que la lecture qu'il en fait ne correspond pas à ce que je comprend de l'enseignement de l'Eglise.
Certes, il est évêque et je ne suis rien, et je ne conteste pas ses compétences de théologien, mais je m'interroge quand même avant d'accepter de le suivre.
Mgr Léonard a écrit :Si donc nous voulons maintenir l’affirmation chrétienne de l’intégrité originelle de l’homme et de l’univers tout en prenant acte du caractère naturel du mal dans le monde présent, il nous faut logiquement conclure que c’est l’ensemble du monde présent, avec ses lois inexorables, qui n’est pas naturel … La création telle qu’elle est sortie des mains de Dieu était intègre … la corruption du monde présent s’est inscrite jusque dans les lois de la nature … la contagion du péché, porteuse de mort, s’est installée jusqu’au cœur de la nature, jusque dans les lois de fonctionnement, qui acheminent désormais tout être vivant vers sa mort…
Cette question présuppose (peut-être est-ce établi précédemment dans l'ouvrage) que la mort n'est pas "naturelle", et que ce n'est pas uniquement l'homme, mais toute la nature qui a été corrompue et est devenue mortelle. Que sans le péché, rien dans l'univers ne serait mortel.
Il me semble que cela est à établir fermement si on veut s'appuyer dessus pour construire un raisonnement.
Que nous dit la Genèse ?
Très concrètement, elle ne nous apprend rien de la mortalité ou de l'immortalité des créatures.
Il n'est pas écrit que l'homme a été créé immortel. Ce qui est écrit, c'est que Dieu l'a placé au jardin d'Eden, et qu'au milieu de ce jardin, il a placé l'arbre de vie. Il est donc tout à fait légitime de penser que c'est en mangeant du fruit de cet arbre que l'homme accède à la vie éternelle. C'est d'ailleurs bien ce qui est écrit en Gn 3, 22 ("s'il en mangeait les fruits, il vivrait indéfiniment").
Le verset 19, où il est écrit que "fais de poussière, tu retourneras à la poussière" ne dit pas que l'homme devient mortel alors qu'il ne l'était pas. Il constate que l'homme est poussière, et donc logiquement s'il ne peut plus manger des fruits de l'arbre de vie, il doit retourner à la poussière.
Mais alors, comment, par Jésus Christ, l'homme peut-il à nouveau devenir immortel ? L'apocalypse nous donne la réponse, dialoguant précisément avec la Genèse :
Ap 2, 7 : "A ceux qui auront remporté la victoire, je donnerai à manger les fruits de l'arbre de la vie qui se trouvent dans le jardin de Dieu"
Ap 22, 14 : "Heureux ceux qui lavent leur vêtements et
qui ont ainsi le droit de manger les fruits de l'arbre de la vie et d'entrer par les portes de la ville"
Qu'est-ce donc que cet arbre de vie, qui par ses fruits nous permet d'être immortel ? C'est grâce à St Augustin que j'ai trouvé la réponse, au livre des Proverbes :
Prov 3, 18 : "la sagesse est un arbre de vie".
Développons cela... Nous chrétiens croyons que la Croix est l'arbre de vie. C'est par le sacrifice de la Croix que Jésus rachète le péché. Quel est le "fruit" de l'arbre de vie, si ce n'est Jésus, qui pend à ses branches ? Jésus qui nous donne son corps en nourriture pour que nous ayons la vie éternelle ?
On voit bien qu'en Eden, l'homme n'est pas immortel par nature, mais parce qu'il est en communion avec Dieu, que la Sagesse est au centre de son monde, qu'il peut manger librement du fruit qui donne la vie. Autrement dit, il n'est pas immortel en lui-même, mais il tire son immortalité de sa relation à Dieu.
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La thèse de Mgr Leonard semble accréditer l'idée que la nature a été voulue bonne par Dieu, mais qu'elle aurait été corrompue puisque sujette à la mort. Que nous dit la Genèse ? Que Dieu crée la nature, la regarde et voit qu'elle est bonne.
Au chapitre 2, il est écrit que le jardin d'Eden est créé au milieu d'une terre vide : il n'y avait encore aucun buisson sur la terre, et aucune herbe n'avait encore germé. Il n'y avait pas d'êtres humains pour cultiver le sol.
Dieu crée l'Eden et y place l'homme pour le cultiver et le garder. Il confie donc à l'homme le soin d'entretenir Sa création. Mais soyons logique, si le jardin a besoin du jardinier, c'est bien parce que ce qui y pousse est périssable !
Tout porte donc à croire que Dieu a voulu la nature telle que nous la connaissons : périssable, et que c'est ainsi qu'elle est bonne. Seul l'homme, parce qu'au jardin d'Eden il peut manger des fruits de l'arbre de vie, peut accéder à l'immortalité. Autrement dit, l'homme n'est immortel que tant qu'il se nourrit de la Sagesse, qu'il vit de la vie que Dieu lui donne.
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Qu'est-ce alors que le péché originel ? C'est tout simplement l'homme qui cesse de mettre Dieu au centre de son monde : Eve se trompe, elle confond l'arbre défendu et celui qui est au centre du jardin... Le péché originel, c'est l'homme qui se détourne de Dieu et veut exister de manière autonome.
Mgr Léonard cherche à "maintenir l’affirmation chrétienne de l’intégrité originelle de l’homme et de l’univers tout en prenant acte du caractère naturel du mal dans le monde présent".
Ce n'est pas ce que l'on peut lire dans la Genèse : au contraire, il me semble clairement établi que ce qui préserve l'homme de la mort, et ce dès le départ, c'est de vivre en relation à Dieu, de se nourrir des fruits de l'arbre de vie. Et que quand Jésus nous donne son corps en vraie nourriture, il ne fait que ramener les choses à ce qu'elles étaient dans le jardin d'Eden. Oui, Dieu pardonne le péché : par son sacrifice pour notre rédemption, Il nous ouvre les portes du jardin et nous permet de manger à nouveau des fruits de l'arbre de vie.
Il me semble au contraire dangereux au plus haut point de croire que la vie "naturelle" aurait pu être immortelle indépendamment de Dieu.
Au contraire, c'est le plan de Dieu que de donner à l'homme d'être immortel, non parce que ce serait son "intégrité originelle", mais parce que dès l'origine Dieu lui donne la grâce de l'être, et que l'homme uni à Dieu (ce qu'il peut être puisque Dieu l'a doté d'une âme à cette fin) ne cesse de recevoir cette grâce.
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Mgr Léonard a écrit :Certains lecteurs préféreront s’en tenir à la représentation courante selon laquelle Adam et Ève désignent les premiers hommes issus de l’évolution biologique à l’intérieur du monde actuel et de notre histoire présente … en ce qui concerne l’origine (la protologie), ils jugeront nécessaire de situer le Premier Adam dans le temps de l’évolution et de placer le paradis terrestre dans un coin déterminé de la planète. Si on le juge indispensable, on peut s’en tenir à cette vision des choses (p. 221)
A ce stade de réflexion, il me semble effectivement nécessaire de s'en tenir à cette vision des choses.
Parce que, comme je l'ai dit, concevoir que l'immortalité serait l'état "naturel" de la vie, avant qu'elle ne soit corrompue, pose de sérieux problèmes :
- elle suppose que la vie "intègre" serait immortelle par elle-même, sans avoir besoin de se nourrir des fruits de l'arbre de vie, donc sans avoir besoin de Dieu pour être immortelle.
- elle contredit la Genèse (Gn 3, 22), qui montre que l'homme c'est en mangeant ces fruits que l'homme est immortel.
- elle suppose que le péché originel ne frapperait pas que l'homme et sa descendance, mais tout l'univers. A moins de considérer que toute vie dans l'univers soit en fait une descendance de l'Adam de la Genèse, ce qui entraîne que toute vie est sauvée par le Christ, les homo sapiens au même titre que les bactéries...
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L'interprétation que j'expose ici de la Genèse n'est pas sortie toute seule de ma cervelle. Elle est basée sur les notes de la Bible Expliquée, notes rédigées sous la direction de Mgr Thomas, évèque émérite de Versailles, et sur l'enseignement oral que j'ai reçu de plusieurs prêtres.
Cette interprétation propose donc que l'homme, comme le reste de la création, soit mortel dès le départ, que c'est son lien particulier à Dieu qui lui donne la vie, et qu'en coupant ce lien il reste mortel.
Elle n'est pas sans poser de difficultés, qu'il ne faut pas négliger.
Par exemple, Sagesse 3, 21 et sq.
"Voilà comment raisonnent ces gens-là; mais ils se trompent, car leur méchanceté les aveugle. Ils ignorent les intentions secrètes de Dieu; ils n'ont jamais espéré en une récompense accordée à qui mène une vie sainte et ils ne croient pas à l'honneur réservé au êtres irréprochables. Or
Dieu a créé les humains en les destinant à une vie immortelle, il les a fait à l'image de ce qu'il est lui-même.
C'est à cause de la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde et les partisans du diable doivent la subir".
Le magistère de l'Eglise s'appuie sur ce passage pour interpréter la chute et la Bonne nouvelle :
CEC 313 a écrit :Derrière le choix désobéissant de nos premiers parents il y a une voix séductrice, opposée à Dieu (cf. Gn 3, 4-5) qui, par envie, les fait tomber dans la mort (cf. Sg 2, 24)
On a facilement tendance à comprendre ces lignes comme signifiant que l'homme était immortel et, par la chute, est tombé sous l'empire de la mort.
Mais il me semble que c'est là faire dire au CEC ce qu'il ne dit pas.
Le livre de la Sagesse nous dit non pas que Dieu a créé l'homme immortel, mais qu'il l'a destiné à l'immortalité. Et en effet, il lui a donné l'arbre de vie. Et c'est par le péché originel que l'homme ne peut plus manger de l'arbre de vie, et qu'il reste donc mortel.
On constate d'ailleurs que le diable, ange déchu qui lui aussi (et le premier) s'est détourné de Dieu, mais n'en conserve pas moins sa nature d'ange : il est lui aussi "pécheur dès l'origine" (1 Jn 3, 8), mais pourtant il reste immortel.
J'ai une petite difficulté avec le CEC un peu plus loin :
CEC 400 a écrit :Enfin, la conséquence explicitement annoncée pour le cas de la désobéissance (cf. Gn 2, 17) se réalisera : l’homme " retournera à la poussière de laquelle il est formé " (Gn 3, 19). La mort fait son entrée dans l’histoire de l’humanité (cf. Rm 5, 12).
Il faudrait que j'aille lire ce qui est écrit en latin au CEC, mais il me semble que la phrase que j'ai soulignée est une interprétation discutable de Rm 5, 12.
Voici ce que dit St Paul (traduction Bible de la liturgie) :
Par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde, et par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, du fait que tous ont péché.
St Paul n'écrit pas "Par Adam, la mort est entrée dans le monde". La genèse montre bien comment Adam (et Eve...) ont péché, et comment le péché leur a fait perdre la vie éternelle, comment "par le péché est venue la mort". Effectivement, par Adam, la mort est passée en tous les hommes en ce sens que les hommes ne peuvent plus manger des fruits de l'arbre de vie.
Mais St Paul ne parle que des hommes ! Il ne dit pas qu'Adam a condamné à mort toute la création, alors qu'elle aurait dû être immortelle...
Au contraire, vouloir la création immortelle, ce serait vouloir que toute créature ait une âme qui lui permet d'être en relation avec Dieu....
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Abordons la question des "dons préternaturels".
Mgr Léonard a écrit :dans cette perspective, Adam et Eve naissent fragiles et mortels comme tout être vivant à l’intérieur de ce monde, et cela en dépit de l’infusion en eux de l’âme immortelle créée immédiatement par Dieu. Il faut alors se représenter que Dieu les dote par miracle des dons préternaturels d’immortalité, de science et d’intégrité et les entoure d’un paradis terrestre artificiel échappant aux lois de la nature (p. 221)
Effectivement, dans la lecture que je fais de la Genèse, Adam et Eve naissent mortels, comme tout être vivant. Mais ils n'ont à aucun moment les dons préternaturels d'immortalité, de science et d'intégrité ! Je ne sais pas où le Magistère enseigne qu'Adam et Eve auraient eu de tels dons.
L'immortalité et l'intégrité, ils les ont par la grâce qu'est le fruit de l'arbre de vie.
Quant à la science, il semble bien qu'ils en soient dépourvus, puisqu'ils l'acquièrent en mangeant le fruit de la connaissance du bien et du mal.
Décidément, je ne comprend pas la manière dont Mgr Léonard lit la Genèse.
Bref, lisant la Genèse, je constate que tout le plan de Dieu pour l'homme y est déjà présenté. Dieu crée le monde. Il crée l'homme à son image et à sa ressemblance, lui confie la charge d'être le jardinier de la création, et le prédestine à vivre en union avec Lui, en mettant à sa disposition les fruits de l'arbre de vie.
Malheureusement, l'homme choisit de se détourner de Dieu, voulant non pas dépendre de Sa grâce, mais se hisser à Son niveau en mangeant du fruit défendu ("Vous serez comme lui"). Et ce faisant, il coupe sa relation à Dieu, relation qui lui donne la vie éternelle, et donc tombe sous l'empire de la mort.
Mais Dieu n'abandonne pas l'homme au pouvoir de la mort : il annonce qu'il y aura une nouvelle Eve qui sera sans péché (elle foulera le serpent du talon), et par la Croix, il nous donne un nouvel arbre de Vie, par lequel nous pouvons à nouveau être sauvés de la mort.
On le voit, cette lecture ne place pas le péché originel avant la création de l'univers. Il a bel et bien lieu après la création, alors que l'univers existe déjà. C'est parfaitement compatible avec l'hypothèse que la création de l'homme intervienne à un moment de l'histoire de l'espèce homo sapiens, et tout ce qui a été exposé dans les messages précédents.
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Bon, je ne nie pas que j'ai un problème de taille avec le début du livre de la Sagesse (chapitre 1) :
04 Car la Sagesse ne peut pas entrerdans une âme qui médite le mal,ni habiter dans un corps asservi au péché.
Jusque là, ça me convient bien
: si l'homme est pécheur, la sagesse (qui est arbre de vie) ne peut entrer en lui, donc il n'a pas accès à l'immortalité.
C'est un peu plus bas que j'ai du mal :
13 Dieu n'a pas fait la mort,il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants.
14 Il a créé toutes choses pour qu'elles subsistent ;ce qui naît dans le monde est bienfaisant,et l'on n'y trouve pas le poison qui fait mourir.La puissance de la mort ne règne pas sur la terre,
15 car la justice est immortelle.
Les notes de la Bible Expliquée me guident un peu : la mort donc il est ici question ne serait pas la mort physique, mais la mort spirituelle. Quand le rédacteur du livre de la Sagesse parle des êtres vivants, il parle non pas de toutes les créatures que l'on voit sur terre, mais des êtres qui vivent de la vraie vie, celle qui est nourrie à l'arbre de vie. Il ne s'agit donc pas des êtres "biologiquement vivants", mais des êtres vivant de la vie de Dieu, et là effectivement Dieu ne se réjouit pas de les voir mourir, c'est à dire se détourner de Dieu.
Bon, j'ai encore un peu de travail pour regrouper tout ça de manière plus claire et synthétique, mais les idées sont là, et décidément cher Xavi je m'accorde beaucoup plus à votre hypothèse qu'à ce que je perçois (à travers des courtes citations) de la théologie de Mgr Léonard.
Par acquis de conscience, je viens de relire rapidement les sections du CEC ayant trait à la chute et à la mort, et je n'ai rien trouvé qui me contredise : je pense donc respecter le Magistère de l'Eglise (le contraire m'aurait peiné, puisque toute ma réflexion est partie des notes rédigées sous la direction de Mgr Thomas, notes qui ont l'imprimatur de la Conférence des évêques du Canada et qui, je le sais, ont été travaillées et relues avec attention, c'est un travail qui a été très long)
Je vais voir ce que je trouve d'autre comme textes du Magistère sur la mort et le péché originel, pour m'assurer que je n'erre pas avec mon hypothèse que le péché ramène l'homme sous l'empire de la mort (alors que Dieu veut l'en soustraire, et ce dès l'origine de l'homme), mais que la mort fait partie de la création, même s'il nous est difficile de l'admettre.
Avertissement au lecteur : le message ci-dessous présente ma lecture personnelle de la Genèse, ma compréhension du péché originel et de ses conséquence notamment sur ce qui concerne la vie et la mort. Je n'ai pas encore pris le temps de vérifier qu'il est en accord total avec le Magistère de l'Eglise, mais les premières vérifications que j'ai faites me laissent penser que c'est le cas.
Toujours est-il qu'il n'est pas à lire comme étant l'enseignement de l'Eglise, mais uniquement comme l'état des réflexions d'un simple fidèle, qui n'est même pas théologien.
Il est tout à fait possible que je sois dans l'erreur, j'en serais peiné, mais pas surpris.
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Cher Xavi,
J'ai repris les passages que vous avez cité du livre de Mgr Léonard. Et je constate que nous ne lisons pas du tout la Genèse de la même manière, et que la lecture qu'il en fait ne correspond pas à ce que je comprend de l'enseignement de l'Eglise.
Certes, il est évêque et je ne suis rien, et je ne conteste pas ses compétences de théologien, mais je m'interroge quand même avant d'accepter de le suivre.
[quote="Mgr Léonard"]Si donc nous voulons maintenir l’affirmation chrétienne de l’intégrité originelle de l’homme et de l’univers tout en prenant acte du caractère naturel du mal dans le monde présent, il nous faut logiquement conclure que c’est l’ensemble du monde présent, avec ses lois inexorables, qui n’est pas naturel … La création telle qu’elle est sortie des mains de Dieu était intègre … la corruption du monde présent s’est inscrite jusque dans les lois de la nature … la contagion du péché, porteuse de mort, s’est installée jusqu’au cœur de la nature, jusque dans les lois de fonctionnement, qui acheminent désormais tout être vivant vers sa mort…[/quote]
Cette question présuppose (peut-être est-ce établi précédemment dans l'ouvrage) que la mort n'est pas "naturelle", et que ce n'est pas uniquement l'homme, mais toute la nature qui a été corrompue et est devenue mortelle. Que sans le péché, rien dans l'univers ne serait mortel.
Il me semble que cela est à établir fermement si on veut s'appuyer dessus pour construire un raisonnement.
Que nous dit la Genèse ?
Très concrètement, elle ne nous apprend rien de la mortalité ou de l'immortalité des créatures.
Il n'est pas écrit que l'homme a été créé immortel. Ce qui est écrit, c'est que Dieu l'a placé au jardin d'Eden, et qu'au milieu de ce jardin, il a placé l'arbre de vie. Il est donc tout à fait légitime de penser que c'est en mangeant du fruit de cet arbre que l'homme accède à la vie éternelle. C'est d'ailleurs bien ce qui est écrit en Gn 3, 22 ("s'il en mangeait les fruits, il vivrait indéfiniment").
Le verset 19, où il est écrit que "fais de poussière, tu retourneras à la poussière" ne dit pas que l'homme devient mortel alors qu'il ne l'était pas. Il constate que l'homme est poussière, et donc logiquement s'il ne peut plus manger des fruits de l'arbre de vie, il doit retourner à la poussière.
Mais alors, comment, par Jésus Christ, l'homme peut-il à nouveau devenir immortel ? L'apocalypse nous donne la réponse, dialoguant précisément avec la Genèse :
Ap 2, 7 : "A ceux qui auront remporté la victoire, je donnerai à manger les fruits de l'arbre de la vie qui se trouvent dans le jardin de Dieu"
Ap 22, 14 : "Heureux ceux qui lavent leur vêtements et [i]qui ont ainsi le droit de manger les fruits de l'arbre de la vie[/i] et d'entrer par les portes de la ville"
Qu'est-ce donc que cet arbre de vie, qui par ses fruits nous permet d'être immortel ? C'est grâce à St Augustin que j'ai trouvé la réponse, au livre des Proverbes :
Prov 3, 18 : "la sagesse est un arbre de vie".
Développons cela... Nous chrétiens croyons que la Croix est l'arbre de vie. C'est par le sacrifice de la Croix que Jésus rachète le péché. Quel est le "fruit" de l'arbre de vie, si ce n'est Jésus, qui pend à ses branches ? Jésus qui nous donne son corps en nourriture pour que nous ayons la vie éternelle ?
On voit bien qu'en Eden, l'homme n'est pas immortel par nature, mais parce qu'il est en communion avec Dieu, que la Sagesse est au centre de son monde, qu'il peut manger librement du fruit qui donne la vie. Autrement dit, il n'est pas immortel en lui-même, mais il tire son immortalité de sa relation à Dieu.
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La thèse de Mgr Leonard semble accréditer l'idée que la nature a été voulue bonne par Dieu, mais qu'elle aurait été corrompue puisque sujette à la mort. Que nous dit la Genèse ? Que Dieu crée la nature, la regarde et voit qu'elle est bonne.
Au chapitre 2, il est écrit que le jardin d'Eden est créé au milieu d'une terre vide : il n'y avait encore aucun buisson sur la terre, et aucune herbe n'avait encore germé. Il n'y avait pas d'êtres humains pour cultiver le sol.
Dieu crée l'Eden et y place l'homme pour le cultiver et le garder. Il confie donc à l'homme le soin d'entretenir Sa création. Mais soyons logique, si le jardin a besoin du jardinier, c'est bien parce que ce qui y pousse est périssable !
Tout porte donc à croire que Dieu a voulu la nature telle que nous la connaissons : périssable, et que c'est ainsi qu'elle est bonne. Seul l'homme, parce qu'au jardin d'Eden il peut manger des fruits de l'arbre de vie, peut accéder à l'immortalité. Autrement dit, l'homme n'est immortel que tant qu'il se nourrit de la Sagesse, qu'il vit de la vie que Dieu lui donne.
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Qu'est-ce alors que le péché originel ? C'est tout simplement l'homme qui cesse de mettre Dieu au centre de son monde : Eve se trompe, elle confond l'arbre défendu et celui qui est au centre du jardin... Le péché originel, c'est l'homme qui se détourne de Dieu et veut exister de manière autonome.
Mgr Léonard cherche à "maintenir l’affirmation chrétienne de l’intégrité originelle de l’homme et de l’univers tout en prenant acte du caractère naturel du mal dans le monde présent".
Ce n'est pas ce que l'on peut lire dans la Genèse : au contraire, il me semble clairement établi que ce qui préserve l'homme de la mort, et ce dès le départ, c'est de vivre en relation à Dieu, de se nourrir des fruits de l'arbre de vie. Et que quand Jésus nous donne son corps en vraie nourriture, il ne fait que ramener les choses à ce qu'elles étaient dans le jardin d'Eden. Oui, Dieu pardonne le péché : par son sacrifice pour notre rédemption, Il nous ouvre les portes du jardin et nous permet de manger à nouveau des fruits de l'arbre de vie.
Il me semble au contraire dangereux au plus haut point de croire que la vie "naturelle" aurait pu être immortelle indépendamment de Dieu.
Au contraire, c'est le plan de Dieu que de donner à l'homme d'être immortel, non parce que ce serait son "intégrité originelle", mais parce que dès l'origine Dieu lui donne la grâce de l'être, et que l'homme uni à Dieu (ce qu'il peut être puisque Dieu l'a doté d'une âme à cette fin) ne cesse de recevoir cette grâce.
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[quote="Mgr Léonard"]Certains lecteurs préféreront s’en tenir à la représentation courante selon laquelle Adam et Ève désignent les premiers hommes issus de l’évolution biologique à l’intérieur du monde actuel et de notre histoire présente … en ce qui concerne l’origine (la protologie), ils jugeront nécessaire de situer le Premier Adam dans le temps de l’évolution et de placer le paradis terrestre dans un coin déterminé de la planète. Si on le juge indispensable, on peut s’en tenir à cette vision des choses (p. 221)[/quote]
A ce stade de réflexion, il me semble effectivement nécessaire de s'en tenir à cette vision des choses.
Parce que, comme je l'ai dit, concevoir que l'immortalité serait l'état "naturel" de la vie, avant qu'elle ne soit corrompue, pose de sérieux problèmes :
- elle suppose que la vie "intègre" serait immortelle par elle-même, sans avoir besoin de se nourrir des fruits de l'arbre de vie, donc sans avoir besoin de Dieu pour être immortelle.
- elle contredit la Genèse (Gn 3, 22), qui montre que l'homme c'est en mangeant ces fruits que l'homme est immortel.
- elle suppose que le péché originel ne frapperait pas que l'homme et sa descendance, mais tout l'univers. A moins de considérer que toute vie dans l'univers soit en fait une descendance de l'Adam de la Genèse, ce qui entraîne que toute vie est sauvée par le Christ, les homo sapiens au même titre que les bactéries...
[centrer]-----[/centrer]
L'interprétation que j'expose ici de la Genèse n'est pas sortie toute seule de ma cervelle. Elle est basée sur les notes de la Bible Expliquée, notes rédigées sous la direction de Mgr Thomas, évèque émérite de Versailles, et sur l'enseignement oral que j'ai reçu de plusieurs prêtres.
Cette interprétation propose donc que l'homme, comme le reste de la création, soit mortel dès le départ, que c'est son lien particulier à Dieu qui lui donne la vie, et qu'en coupant ce lien il reste mortel.
[b]Elle n'est pas sans poser de difficultés, qu'il ne faut pas négliger.[/b]
Par exemple, Sagesse 3, 21 et sq.
"Voilà comment raisonnent ces gens-là; mais ils se trompent, car leur méchanceté les aveugle. Ils ignorent les intentions secrètes de Dieu; ils n'ont jamais espéré en une récompense accordée à qui mène une vie sainte et ils ne croient pas à l'honneur réservé au êtres irréprochables. Or [b]Dieu a créé les humains en les destinant à une vie immortelle[/b], il les a fait à l'image de ce qu'il est lui-même. [b]C'est à cause de la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde[/b] et les partisans du diable doivent la subir".
Le magistère de l'Eglise s'appuie sur ce passage pour interpréter la chute et la Bonne nouvelle :
[quote="CEC 313"]Derrière le choix désobéissant de nos premiers parents il y a une voix séductrice, opposée à Dieu (cf. Gn 3, 4-5) qui, par envie, les fait tomber dans la mort (cf. Sg 2, 24)[/quote]
On a facilement tendance à comprendre ces lignes comme signifiant que l'homme était immortel et, par la chute, est tombé sous l'empire de la mort.
Mais il me semble que c'est là faire dire au CEC ce qu'il ne dit pas.
Le livre de la Sagesse nous dit non pas que Dieu a créé l'homme immortel, mais qu'il l'a destiné à l'immortalité. Et en effet, il lui a donné l'arbre de vie. Et c'est par le péché originel que l'homme ne peut plus manger de l'arbre de vie, et qu'il reste donc mortel.
On constate d'ailleurs que le diable, ange déchu qui lui aussi (et le premier) s'est détourné de Dieu, mais n'en conserve pas moins sa nature d'ange : il est lui aussi "pécheur dès l'origine" (1 Jn 3, 8), mais pourtant il reste immortel.
J'ai une petite difficulté avec le CEC un peu plus loin :
[quote="CEC 400"]Enfin, la conséquence explicitement annoncée pour le cas de la désobéissance (cf. Gn 2, 17) se réalisera : l’homme " retournera à la poussière de laquelle il est formé " (Gn 3, 19). [b]La mort fait son entrée dans l’histoire de l’humanité[/b] (cf. Rm 5, 12).[/quote]
Il faudrait que j'aille lire ce qui est écrit en latin au CEC, mais il me semble que la phrase que j'ai soulignée est une interprétation discutable de Rm 5, 12.
Voici ce que dit St Paul (traduction Bible de la liturgie) :
[quote]Par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde, et par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, du fait que tous ont péché.[/quote]
St Paul n'écrit pas "Par Adam, la mort est entrée dans le monde". La genèse montre bien comment Adam (et Eve...) ont péché, et comment le péché leur a fait perdre la vie éternelle, comment "par le péché est venue la mort". Effectivement, par Adam, la mort est passée en tous les hommes en ce sens que les hommes ne peuvent plus manger des fruits de l'arbre de vie.
Mais St Paul ne parle que des hommes ! Il ne dit pas qu'Adam a condamné à mort toute la création, alors qu'elle aurait dû être immortelle...
Au contraire, vouloir la création immortelle, ce serait vouloir que toute créature ait une âme qui lui permet d'être en relation avec Dieu....
[centrer]-----[/centrer]
Abordons la question des "dons préternaturels".
[quote="Mgr Léonard"]dans cette perspective, Adam et Eve naissent fragiles et mortels comme tout être vivant à l’intérieur de ce monde, et cela en dépit de l’infusion en eux de l’âme immortelle créée immédiatement par Dieu. Il faut alors se représenter que Dieu les dote par miracle des dons préternaturels d’immortalité, de science et d’intégrité et les entoure d’un paradis terrestre artificiel échappant aux lois de la nature (p. 221)[/quote]
Effectivement, dans la lecture que je fais de la Genèse, Adam et Eve naissent mortels, comme tout être vivant. Mais ils n'ont à aucun moment les dons préternaturels d'immortalité, de science et d'intégrité ! Je ne sais pas où le Magistère enseigne qu'Adam et Eve auraient eu de tels dons.
L'immortalité et l'intégrité, ils les ont par la grâce qu'est le fruit de l'arbre de vie.
Quant à la science, il semble bien qu'ils en soient dépourvus, puisqu'ils l'acquièrent en mangeant le fruit de la connaissance du bien et du mal.
Décidément, je ne comprend pas la manière dont Mgr Léonard lit la Genèse.
Bref, lisant la Genèse, je constate que tout le plan de Dieu pour l'homme y est déjà présenté. Dieu crée le monde. Il crée l'homme à son image et à sa ressemblance, lui confie la charge d'être le jardinier de la création, et le prédestine à vivre en union avec Lui, en mettant à sa disposition les fruits de l'arbre de vie.
Malheureusement, l'homme choisit de se détourner de Dieu, voulant non pas dépendre de Sa grâce, mais se hisser à Son niveau en mangeant du fruit défendu ("Vous serez comme lui"). Et ce faisant, il coupe sa relation à Dieu, relation qui lui donne la vie éternelle, et donc tombe sous l'empire de la mort.
Mais Dieu n'abandonne pas l'homme au pouvoir de la mort : il annonce qu'il y aura une nouvelle Eve qui sera sans péché (elle foulera le serpent du talon), et par la Croix, il nous donne un nouvel arbre de Vie, par lequel nous pouvons à nouveau être sauvés de la mort.
On le voit, cette lecture ne place pas le péché originel avant la création de l'univers. Il a bel et bien lieu après la création, alors que l'univers existe déjà. C'est parfaitement compatible avec l'hypothèse que la création de l'homme intervienne à un moment de l'histoire de l'espèce homo sapiens, et tout ce qui a été exposé dans les messages précédents.
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Bon, je ne nie pas que j'ai un problème de taille avec le début du livre de la Sagesse (chapitre 1) :
[quote]04 Car la Sagesse ne peut pas entrerdans une âme qui médite le mal,ni habiter dans un corps asservi au péché.[/quote]
Jusque là, ça me convient bien ;) : si l'homme est pécheur, la sagesse (qui est arbre de vie) ne peut entrer en lui, donc il n'a pas accès à l'immortalité.
C'est un peu plus bas que j'ai du mal :
[quote]13 Dieu n'a pas fait la mort,il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants.
14 Il a créé toutes choses pour qu'elles subsistent ;ce qui naît dans le monde est bienfaisant,et l'on n'y trouve pas le poison qui fait mourir.La puissance de la mort ne règne pas sur la terre,
15 car la justice est immortelle.[/quote]
Les notes de la Bible Expliquée me guident un peu : la mort donc il est ici question ne serait pas la mort physique, mais la mort spirituelle. Quand le rédacteur du livre de la Sagesse parle des êtres vivants, il parle non pas de toutes les créatures que l'on voit sur terre, mais des êtres qui vivent de la vraie vie, celle qui est nourrie à l'arbre de vie. Il ne s'agit donc pas des êtres "biologiquement vivants", mais des êtres vivant de la vie de Dieu, et là effectivement Dieu ne se réjouit pas de les voir mourir, c'est à dire se détourner de Dieu.
Bon, j'ai encore un peu de travail pour regrouper tout ça de manière plus claire et synthétique, mais les idées sont là, et décidément cher Xavi je m'accorde beaucoup plus à votre hypothèse qu'à ce que je perçois (à travers des courtes citations) de la théologie de Mgr Léonard.
Par acquis de conscience, je viens de relire rapidement les sections du CEC ayant trait à la chute et à la mort, et je n'ai rien trouvé qui me contredise : je pense donc respecter le Magistère de l'Eglise (le contraire m'aurait peiné, puisque toute ma réflexion est partie des notes rédigées sous la direction de Mgr Thomas, notes qui ont l'imprimatur de la Conférence des évêques du Canada et qui, je le sais, ont été travaillées et relues avec attention, c'est un travail qui a été très long)
Je vais voir ce que je trouve d'autre comme textes du Magistère sur la mort et le péché originel, pour m'assurer que je n'erre pas avec mon hypothèse que le péché ramène l'homme sous l'empire de la mort (alors que Dieu veut l'en soustraire, et ce dès l'origine de l'homme), mais que la mort fait partie de la création, même s'il nous est difficile de l'admettre.