par Cinci » mer. 26 sept. 2018, 2:11
J'aidais au travail des champs
Chaque année au printemps, ma mère cultivait un grand jardin potager afin que l'on puisse se régaler de légumes frais pendant la saison d'été. Elle s'occupait aussi de la mise en conserve pour l'hiver. J'allais la voir travailler et je jouais dans la terre à côté d'elle. Mais lorsque mes capacités physiques et intellectuelles ont progressé, j'avais moins le goût de construire de buttes et de creuser des trous, je préférais l'aider. Celle-ci, voyant mon désir, me laissait semer les patates et les entretenir pendant leur croissance. Chaque jour en compagnie de mes parents, je visitais le jardin pour l'entretenir et récolter ses fruits le temps venu.
Malgré mon handicap, je me sentais utile, J'agissais comme le reste de la famille. Je participais à la vie de travail et à la joie de la récolte. Mon père s'occupait des gros travaux. A l'automne, il retournait la terre, au printemps, il faisait les semailles, puis c'était le temps de l'ensilage et des foins. Les deux dernières années avant son décès, il faisait presser son foin en bottes. Il m'amenait quelques fois sur les charges, ce que j'aimais beaucoup. Puis venait le temps de la récolte à la manière traditionnelle et plusieurs de nos voisins venaient l'aider pour ces gros travaux. Pendant la saison estivale, j'allais souvent aussi le voir traire les vaches, j'ai vu naître des veaux; et nous allions ensemble lorsqu'il allait bûcher le bois de chauffage pour l'hiver.
Jalousie entre frères et soeurs
A la naissance de Micheline, le deuxième enfant de la famille, j'ai fait une colère contre ma petite soeur et je lui ai tiré les cheveux. J,avais seulement un an et demi. Je crois même me souvenir de ce petit drame familial, qui ne s'est pas répété à la naissance de ma soeur Yvette.
Dans ma famille, il n'est souvent arrivé de me sentir de trop, comme un poids pour mes parents à cause de leur impatience vis à vis de moi à certains moments, mais c'était le fruit de mon imagination. Mes deux soeurs, surtout, m'ont parfois fait sentir que j'étais un embarras parce qu'elles étaient jalouses; elles me trouvaient trop choyé par mes parents, objet de trop de soins et mieux traité qu'elles ne l'étaient. Elles devaient se sentir, à tort, moins aimées que moi.
C'est principalement ma soeur aînée qui se plaignait et reprochait à mes parents de trop me chouchouter. J'étais surnommé le chouchou de maman et papa. Ma mère ne cessait de dire qu,elle nous aimait tous les trois sans distinction, mais mes soeurs restaient sur leur position. Ce régime de jalousie a duré jusqu'à mon départ de la maison; et même encore dans les premières années de ma vie au Foyer de Charité, quand je revenais passer mes vacances chez nous, la même histoire recommençait. Elles m'Ont souvent fait pleurer par leurs paroles méchantes et piquantes. Elles me traitaient de "baveux" parce que je salivais. J'étais peut-être trop sensible à leurs paroles et elles étaient sans doute inconscientes du mal qu'elles me faisaient. Nous étions des enfants. Cela m'amenait à les repousser, à ne pas vouloir les voir, en tout cas le moins possible.
Ma mère m'entourait forcément plus que mes soeurs à cause de mon incapacité à faire seul certaines choses. Mes soeurs auraient probablement aimé être entourées autant que je l'étais, mais je ne pense pas qu'elles auraient aimé être atteinte de mon handicap. J'aurais pour ma part préféré être moins choyé et être aussi indépendant physiquement qu'elles le sont aujourd'hui. Je n'ai pas choisi ma condition et leur attitude jalouse m'a énormément blessé, plus d'une fois.
Lorsque Micheline prit le chemin de l'école à l'âge de six ans, j'étais indifférent à son départ. L'année suivante, maman essaya de faire entrer Yvette à l'école, mais le directeur a refusé parce qu'elle était née au mois d'octobre. J'étais heureux parce qu,elle allait être avec moi pour jouer encore une année. Maman a quand même réussi à lui enseigner sa première année à la maison, car elle avait un diplôme d'institutrice, mais elle n'avait jamais enseigné dans une école.
Maman voulait bien m'apprendre à lire, et me le conseillait grandement pour passer mon temps, mais ça ne m'intéressait guère. J'ai essayé quelques fois, mais c'était trop d'efforts pour moi, ça me donnait des maux de tête. La raison invoquée était-elle justifiée puisqu'à l'âge de 18-19 ans j'ai réussi à apprendre à lire ?
Mes parents se sont beaucoup aimés
Les relations entre mon père et ma mère étaient bonnes et même exceptionnelles. Ils aimaient beaucoup parler entre eux, se raconter des épisodes de leur jeunesse respective afin de mieux se connaître, étant donné qu'ils s'étaient mariés à un âge avancé : mon père avait trente-six ans et ma mère trente-deux. J'ai entendu leurs histoires des centaines de fois mais, pour eux, elles étaient toujours nouvelles.
Je ne me souviens pas de les avoir entendus se quereller, ni de les avoir vu se faire la tête pendant des jours. Mon père et ma mère s'entraidaient beaucoup. Oh ! certes, ils n'étaient pas toujours d'accord, maman trouvait son mari un peu traîneux et très "conservateur".
De fervents catholiques
Mes parents étaient de fervents catholiques. Ma mère avait trois soeurs de la communauté des religieuses de la Charité, appelés Soeurs grises, et deux frères de la communauté des Oblats; mon père avait une soeur religieuse du Bon Pasteur et un frère de la communauté des Eudistes.
Le jour de ma naissance, un laïc m'a donné le sacrement du baptême, car mes parents craignaient pour ma vie. Vers l'âge d'un an, je fus baptisé par un prêtre. Le jour de mon baptême est pour moi le plus grand jour de ma vie, car il m'a fait enfant de Dieu.
Chaque soir, toute la famille récitait le chapelet avec le cardinal Paul-Émile Léger, archevêque de Montréal, à la radio de CKAC. Comme prière du soir, nous récitions aussi les dix commandements de Dieu, les sept commandements de l'Église et les actes de charité, d'espérance et de contrition. Suivaient trois ave pour se préserver des accidents de la route et trois autres pour recevoir les grâces d'une bonne mort; à cela s'ajoutait quelques invocations. Quand nous avions moins de dix ans, mes parents exigeaient que l'On récite deux dizaines de chapelet; comme j'étais plus pieux que mes deux soeurs, je disais les cinq dizaines.
Ma mère possédait un petit livre dans lequel étaient écrites l'histoire de la création, celle du Déluge et bien sûr la naissance de Jésus; elle nous lisait quelques pages à l'occasion. Mes parents n'amenaient à la messe tous les dimanches et chaque mois ils m'amenaient voir le curé pour me faire communier.
Nous étions tous ensemble à la même table.
Les repas étaient également une petite fête quotidienne et, comme dit Jean Vanier : "L'occasion de se retrouver tous autour de la même table pour se nourrir et se rencontrer dans la joie". J'ai toujours mangé en même temps que toute la famille. C'est un fait qui aujourd'hui me touche beaucoup, car c'est humiliant de manger à part, on ne se sent pas accepté. Je ne me souviens pas d'avoir entendu aucune critique dans ma famille sur le fait que je mangeais avec eux, même si j'avais de la difficulté et que je prenais beaucoup de temps.
p. 30
[b]J'aidais au travail des champs
[/b]
Chaque année au printemps, ma mère cultivait un grand jardin potager afin que l'on puisse se régaler de légumes frais pendant la saison d'été. Elle s'occupait aussi de la mise en conserve pour l'hiver. J'allais la voir travailler et je jouais dans la terre à côté d'elle. Mais lorsque mes capacités physiques et intellectuelles ont progressé, j'avais moins le goût de construire de buttes et de creuser des trous, je préférais l'aider. Celle-ci, voyant mon désir, me laissait semer les patates et les entretenir pendant leur croissance. Chaque jour en compagnie de mes parents, je visitais le jardin pour l'entretenir et récolter ses fruits le temps venu.
Malgré mon handicap, je me sentais utile, J'agissais comme le reste de la famille. Je participais à la vie de travail et à la joie de la récolte. Mon père s'occupait des gros travaux. A l'automne, il retournait la terre, au printemps, il faisait les semailles, puis c'était le temps de l'ensilage et des foins. Les deux dernières années avant son décès, il faisait presser son foin en bottes. Il m'amenait quelques fois sur les charges, ce que j'aimais beaucoup. Puis venait le temps de la récolte à la manière traditionnelle et plusieurs de nos voisins venaient l'aider pour ces gros travaux. Pendant la saison estivale, j'allais souvent aussi le voir traire les vaches, j'ai vu naître des veaux; et nous allions ensemble lorsqu'il allait bûcher le bois de chauffage pour l'hiver.
[b]Jalousie entre frères et soeurs
[/b]
A la naissance de Micheline, le deuxième enfant de la famille, j'ai fait une colère contre ma petite soeur et je lui ai tiré les cheveux. J,avais seulement un an et demi. Je crois même me souvenir de ce petit drame familial, qui ne s'est pas répété à la naissance de ma soeur Yvette.
Dans ma famille, il n'est souvent arrivé de me sentir de trop, comme un poids pour mes parents à cause de leur impatience vis à vis de moi à certains moments, mais c'était le fruit de mon imagination. Mes deux soeurs, surtout, m'ont parfois fait sentir que j'étais un embarras parce qu'elles étaient jalouses; elles me trouvaient trop choyé par mes parents, objet de trop de soins et mieux traité qu'elles ne l'étaient. Elles devaient se sentir, à tort, moins aimées que moi.
C'est principalement ma soeur aînée qui se plaignait et reprochait à mes parents de trop me chouchouter. J'étais surnommé le chouchou de maman et papa. Ma mère ne cessait de dire qu,elle nous aimait tous les trois sans distinction, mais mes soeurs restaient sur leur position. Ce régime de jalousie a duré jusqu'à mon départ de la maison; et même encore dans les premières années de ma vie au Foyer de Charité, quand je revenais passer mes vacances chez nous, la même histoire recommençait. Elles m'Ont souvent fait pleurer par leurs paroles méchantes et piquantes. Elles me traitaient de "baveux" parce que je salivais. J'étais peut-être trop sensible à leurs paroles et elles étaient sans doute inconscientes du mal qu'elles me faisaient. Nous étions des enfants. Cela m'amenait à les repousser, à ne pas vouloir les voir, en tout cas le moins possible.
Ma mère m'entourait forcément plus que mes soeurs à cause de mon incapacité à faire seul certaines choses. Mes soeurs auraient probablement aimé être entourées autant que je l'étais, mais je ne pense pas qu'elles auraient aimé être atteinte de mon handicap. J'aurais pour ma part préféré être moins choyé et être aussi indépendant physiquement qu'elles le sont aujourd'hui. Je n'ai pas choisi ma condition et leur attitude jalouse m'a énormément blessé, plus d'une fois.
Lorsque Micheline prit le chemin de l'école à l'âge de six ans, j'étais indifférent à son départ. L'année suivante, maman essaya de faire entrer Yvette à l'école, mais le directeur a refusé parce qu'elle était née au mois d'octobre. J'étais heureux parce qu,elle allait être avec moi pour jouer encore une année. Maman a quand même réussi à lui enseigner sa première année à la maison, car elle avait un diplôme d'institutrice, mais elle n'avait jamais enseigné dans une école.
Maman voulait bien m'apprendre à lire, et me le conseillait grandement pour passer mon temps, mais ça ne m'intéressait guère. J'ai essayé quelques fois, mais c'était trop d'efforts pour moi, ça me donnait des maux de tête. La raison invoquée était-elle justifiée puisqu'à l'âge de 18-19 ans j'ai réussi à apprendre à lire ?
[b]Mes parents se sont beaucoup aimés
[/b]
Les relations entre mon père et ma mère étaient bonnes et même exceptionnelles. Ils aimaient beaucoup parler entre eux, se raconter des épisodes de leur jeunesse respective afin de mieux se connaître, étant donné qu'ils s'étaient mariés à un âge avancé : mon père avait trente-six ans et ma mère trente-deux. J'ai entendu leurs histoires des centaines de fois mais, pour eux, elles étaient toujours nouvelles.
Je ne me souviens pas de les avoir entendus se quereller, ni de les avoir vu se faire la tête pendant des jours. Mon père et ma mère s'entraidaient beaucoup. Oh ! certes, ils n'étaient pas toujours d'accord, maman trouvait son mari un peu traîneux et très "conservateur".
[b][b]De fervents catholiques
[/b][/b]
Mes parents étaient de fervents catholiques. Ma mère avait trois soeurs de la communauté des religieuses de la Charité, appelés Soeurs grises, et deux frères de la communauté des Oblats; mon père avait une soeur religieuse du Bon Pasteur et un frère de la communauté des Eudistes.
Le jour de ma naissance, un laïc m'a donné le sacrement du baptême, car mes parents craignaient pour ma vie. Vers l'âge d'un an, je fus baptisé par un prêtre. Le jour de mon baptême est pour moi le plus grand jour de ma vie, car il m'a fait enfant de Dieu.
Chaque soir, toute la famille récitait le chapelet avec le cardinal Paul-Émile Léger, archevêque de Montréal, à la radio de CKAC. Comme prière du soir, nous récitions aussi les dix commandements de Dieu, les sept commandements de l'Église et les actes de charité, d'espérance et de contrition. Suivaient trois ave pour se préserver des accidents de la route et trois autres pour recevoir les grâces d'une bonne mort; à cela s'ajoutait quelques invocations. Quand nous avions moins de dix ans, mes parents exigeaient que l'On récite deux dizaines de chapelet; comme j'étais plus pieux que mes deux soeurs, je disais les cinq dizaines.
Ma mère possédait un petit livre dans lequel étaient écrites l'histoire de la création, celle du Déluge et bien sûr la naissance de Jésus; elle nous lisait quelques pages à l'occasion. Mes parents n'amenaient à la messe tous les dimanches et chaque mois ils m'amenaient voir le curé pour me faire communier.
Nous étions tous ensemble à la même table.
Les repas étaient également une petite fête quotidienne et, comme dit Jean Vanier : "[i]L'occasion de se retrouver tous autour de la même table pour se nourrir et se rencontrer dans la joie[/i]". J'ai toujours mangé en même temps que toute la famille. C'est un fait qui aujourd'hui me touche beaucoup, car c'est humiliant de manger à part, on ne se sent pas accepté. Je ne me souviens pas d'avoir entendu aucune critique dans ma famille sur le fait que je mangeais avec eux, même si j'avais de la difficulté et que je prenais beaucoup de temps.
p. 30