Bonsoir Christophe, bonsoir à tous,
Je suis content de retrouver ici un article de Serge Bonnefoi-Stewart, dont la solide culture et la diversité des intérêts peut apporter bcp à nos débats.
En bon libéral, je ne partage évidemment pas sa conception du droit. A la volée, voici quelques remarques que son article m’inspire.
Le droit est une relation
Oui. Le droit est une relation entre les êtres humains concernant des choses.
Du point de vue du droit, chaque être humain est propriétaire d’au moins une chose, la plus précieuse qu’il possèdera jamais, son corps. C’est le respect de ce droit de propriété qui nous interdit d’user du corps d’autrui sans son consentement, de le mutiler, violer, agresser, séquestrer…
Cette propriété initiale nous permet d’en acquérir d’autres, par échange, par le bénéfice de dons ou par première appropriation (d’un bien qui n’appartenait à personne). Il n’existe pas d’autre moyen que ces trois-là pour créer et transférer légitimement une relation entre un être humain et une chose.
Tout le droit est donc le droit de propriété (que j’écrirai donc ‘le Droit’ pour le distinguer de l’emploi abusif de ce mot et de la multitude des faux-droits).
Il faut constamment rappeler ce fondement. Il y va de notre sécurité juridique à tous. En cessant de tenir le droit pour le seul droit de propriété, nous devenons victimes de fumisteries comme le « droit public », le « droit du peuple » ou « de la nation », le « droit des minorités », le « droit révolutionnaire », le « droit du sol » et le « droit du sang », le « droit de l’environnement », sans compter la liste ubuesque et proliférante des « droits à… »
ick: (à la santé, au logement, à des congés payés, à l’orgasme, etc.)
Il est délicat […] de vouloir définir le droit lorsque l’on évoque le droit international […] des sociétés diverses, des sociétés plurielles.
Mais non, pourquoi ? :o Si l’on a bien compris que le Droit est le droit de propriété, on possède l’outil pour régler les relations de
tous les êtres humains. Toutes les langues possèdent une forme de pronom personnel distinguant ‘le mien’ du ‘tien’. Seul le droit de propriété universel permet aux êtres humains de nouer dans la confiance des relations par delà l’arbitraire de leur législation étatique.
La constitution légitime du plus petit Etat comme de la Fédération Galactique tiendrait en un article unique :
Chacun a le droit de faire ce qu’il veut avec ce qui lui appartient, et seulement avec ce qui lui appartient.
Le but du droit est de maintenir l’ordre social tout en orientant son développement […] en fonction des évolutions et des besoins de la société qu’il organise.
Le but du Droit, en effet, est bien de maintenir l’ordre social.
Il n’existe pas de conflits entre les gens qui respectent leurs droits de propriété, écrit la philosophe Ayn Rand. Certes, les gens peuvent se méprendre sur l’origine et l’étendue de leurs droits. Le travail des juges consiste à arbitrer ces conflits. Mais ces juges, en Droit, n’ont pas à suivre d’autre procédure que de vérifier si quelqu’un a subi une agression dans son corps ou ses biens, identifier sans doute possible l’auteur de cette agression, et déterminer la réparation matérielle et/ou symbolique que l’agresseur doit à la victime (ou ses ayants-droit en cas d’homicide).
Serge Bonnefoi-Stewart
confond le Droit, toujours déjà-là lorsque deux personnes sont ensemble (car il n’existe jamais de ‘vide juridique’),
et la législation, fabrication de quelques individus au moment où ils exercent le pouvoir sur leurs concitoyens.
Le droit naturel est […] difficile à définir, sa perception étant […] variable selon les sociétés
Nullement. Toutes les sociétés, sans exception, connaissent parfaitement le droit naturel. Aristote, Thomas d’Aquin et les merveilleux juristes/économistes de l’Université jésuite de Salamanque au 16ème siècle ont malheureusement brouillé la question. Par ‘nature’, ils entendaient celle de
l’être humain. L’objection immédiate est la difficulté de définir cette nature humaine. Mais puisque « le droit est une relation »,
son fondement se trouve non pas dans la nature de l’être humain, mais dans la nature des sociétés. L’individu isolé, le Robinson, n’a que faire du droit ; toute société, en revanche, des Aborigènes aux Français, connaît et fait appliquer les mêmes prohibitions : ne pas tuer, ne pas voler, etc., soit le droit de propriété.
En effet, la société qui ne respecterait pas ces diverses applications du Droit sombrerait dans « la lutte de tous contre tous », elle serait vite colonisée par d’autres ou ses membres la quitteraient.
Les prohibitions du Droit (ne pas tuer, ne pas voler…) sont tellement dans la nature de toute société que les plus puissants qui veulent s’en affranchir doivent inventer des justifications.
C’est le rôle de la politique. La fonction de la politique consiste à rationaliser la prédation (esclavage, conscription, impôt, ‘régulation’…) en faisant accroire que cette prédation est dans l’ordre des choses (Aristote et l’esclavage), ou qu’elle est scientifiquement nécessaire (la planification marxiste), ou qu’elle est au bénéfice de tous (la social-démocratie).
Vérification : lorsque la prédation est trop importante, en Afrique, en URSS, la société périclite. Lorsque l’argument pour justifier cette prédation ne fonctionne plus (comme en 1789), il y a révolution.
Le droit n’est pas forcément la morale car, s’il est une science, il est neutre, donc tant au service du bien que du mal
Le Droit est la science des sociétés vivantes, selon l’éclatante formule romaine,
vitam instituere (instituer la vie). Le Droit est bien une science, car identifier le lien entre une personne et une chose et juger ses éventuelles violations reposent sur des éléments objectifs et vérifiables, titres de propriété, contrats, témoignages, examens médicaux, analyses biologiques, etc.
De même qu’il survient des pannes dans les réacteurs atomiques, il existe des erreurs judiciaires, mais personne ne prétendra que la physique nucléaire n’est pas une science.
Science donc, le Droit est aussi une branche de la morale.
Ce caractère normatif n’invalide pas son statut scientifique. Si l’on veut obtenir une réaction nucléaire, il faut suivre un certain processus. De même, si l’on veut garder une société vivante, il faut que ses membres se conforment au Droit.
Parce que Serge Bonnefoi-Stewart ne conçoit pas clairement le Droit, il ne voit pas où il se démarque de la morale. La morale enseigne à l’être humain la voie du bien (l’
eudaimonia pour Aristote, le témoignage de Celui qui a dit « Je suis la Voie » pour les chrétiens…).
Le Droit, lui, parce qu’il est ‘relation’, ne se soucie pas comme la morale de ce que l’être humain fait à lui-même, mais de ce qu’il ne doit pas faire aux autres (tuer, voler, tromper…). La morale est donc une obligation en conscience, car celui qui ne suit pas la morale n’est coupable que d’agresser lui-même, alors que le Droit est cette partie de la morale, la seule, que nous devons imposer par la force, car la transgression d’une propriété violente autrui.
Serge Bonnefoi-Stewart
confond la morale et le Droit, parce qu’il confond aussi la morale et la législation, comme nous l'avons vu plus haut. La législation, objet de l’activité politique, est inutile et redondante lorsqu’elle répète les interdits du Droit. Mais cette répétition n’est évidemment pas son but.
La législation s’emploie plutôt à désigner qui sera dispensé de se conformer au Droit et pourra tuer, voler, tromper, avec impunité.
(exemple : si je vole mon employeur pour acheter un tracteur à mon copain agriculteur, j’irai en prison. Le bon plan est de demander aux hommes de l’Etat de voler mon employeur et quelques autres pour donner une subvention à mon copain agriculteur. Les hommes de l’Etat feront alors impunément ce qu’ils m’auraient mis en prison pour avoir fait.)
Vérification : Code pénal, art. 327 : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par l’autorité légitime. »
Pour résumer
Le Droit (de propriété) instaure la justice et prévient la violence entre les êtres humains (et aussi la violence contre la nature)
La morale leur enseigne comment bien vivre leur vie, sans les contraindre physiquement à le faire (il n'est de morale que dans la liberté)
La législation leur impose (sous la menace des armes) les préférences, préjudices et intérêts des plus puissants du moment.
Le droit n’est pas la justice … n’est pas neutre
Rendre la justice consiste à rendre à chacun le sien :
suum cuique tribuere, c'est-à-dire, appliquer le droit de propriété.
Un état juste de la société est celui où les droits de propriété de chacun sont respectés.
Cet état social juste n’est pas forcément pour nous plaire. Les malins et les veinards peuvent y accumuler plus de droits de propriété que les gentils, les handicapés et les malchanceux.
La justice est une affaire de règle, pas de résultat. La jeune joueuse vaillante, inexpérimentée et malheureuse, peut perdre devant sa rivale chevronnée, mais si la partie a été jouée selon les règles, le résultat est juste que qu’il soit. Notre sens de la justice souffre, mais avec les sens, on quitte la science, on sort de l’objectivité, on entre dans l’arbitraire, on ne juge plus, on lynche.
Certes, un état social juste, conforme au Droit, peut comporter de grandes inégalités, de grandes souffrances. Il appartient à une autre vertu, la charité, qui, elle, n’est pas une science, qui est subjective, arbitraire, gratuite, de corriger l’inflexibilité de la justice.
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Je l’ai écrit déjà sur ce forum et développé ailleurs dans un article
[i]Doit-on obéir aux lois ?[/i]http://w ... sperer.htm, notre liberté et notre sécurité dépendent de notre capacité à distinguer entre les notions de Droit, de morale et de législation.
Car confondre la morale et le Droit, rendre juridiquement contraignant ce qui doit rester une obligation en conscience (par exemple, la tempérance, la pratique religieuse), c’est le
fondamentalisme.
Confondre la législation et le Droit, vouloir l’universalité du Droit pour les lois occasionnelles, arbitraires et confiscatoires que les plus puissants infligent à leurs concitoyens, c’est faire le jeu de
l’autoritarisme.
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Voilà une bien longue réponse qui montre l’intérêt que j’ai pris à l’article de Serge Bonnefoi-Stewart et la reconnaissance que je dois à Christophe pour l’avoir mis en ligne.
Cordialement
Christian