par Cinci » sam. 23 mai 2020, 1:11
Bonjour,
Je veux revenir sur un point qui me semble tout de même important. C'est à propos de la mort (sujet joyeux comme vous le savez)
Dans un vidéo, - je ne me souviens plus lequel (peut-être l'entretien accordé à des prêtres à Montréal en 2018) mais si j'oublie le lieu je suis sûr du mot du père Zanotti en revanche -, ce dernier faisait remarquer que la mort n'était rien du tout. Il comparait la chose à la venue du sommeil. Une seconde avant de s'endormir on est encore en état de veille, une seconde après on a déjà plongé dans le sommeil. Sauf qu'il nous est impossible de déterminer à quel moment l'on passe de la veille au sommeil. Dans son analogie, tout ce que le sujet pourra savoir : il réalise un moment donné qu'il se trouve dans l'autre état ("Tiens, j'aurais franchi le seuil. Et ce n'est que ça !") mais pour s'y découvrir aussitôt vivant en compagnie de Jésus et tout va très bien. En un mot : le père Zanotti dit de ne pas s'en faire avec la mort. Pas de quoi s'énerver. Ce n'est rien du tout.
Aussi, sans penser le moindrement au discours du père Zanotti, je lisais ce matin une petite tranche du livre de Vittorio Messori intitulé
Le pari sur la mort. L'espérance chrétienne : réalité ou illusion ? .
Voici ce que je lisais :
" ... Ludwig Feuerbach, le philosophe allemand qui, par tant d'aspects, fut un maître pour son compatriote Marx, se berçait de l'illusion que, lui aussi, il réduirait l'inévitable "accident" en en niant l'existence même : "La mort est un fantasme, une chimère, un néant - s'évertuait-il à répéter. Sa réalité était imaginaire, elle ne naît que de nos idées. "
C'est ce que disait déjà Épicure, l'ancien philosophe à l'origine de la ligne culturelle qui aboutira à Feuerbach et à Marx. "Que nous importe la mort ? ", se demande Épicure dans un passage de ses écrits. "La mort n'existe pas. Quand nous sommes là, elle n'y est point. Et quand elle se trouve là, nous, nous n'y sommes pas."
Le calembour d'Épicure jouant sur les mots est apparemment aussi brillant qu'il est creux à la réflexion, et s'avère illusoire mis à l'épreuve des faits. C'est là toute la conception superficielle de la mort comme un but distinct de la vie : comme un problème qui ne naîtrait que lorsque, soudain, il se présente à nous. Alors que, selon la définition médicale bien connue, "la vie n'est que l'ensemble des fonctions qui s'opposent à la mort". Aussi bien sur le plan physiologique que sur celui de la psychologie, la mort ne se situe pas à la fin, mais à l'intérieur de la vie même. Elle n'est pas une fastidieuse formalité que l'on doit accomplir un jour loin dans le temps : mais bien une réalité quotidienne, une possibilité de tous les instants, sur lesquels elle projètte son exigence de signification. Dès la naissance, on est assez vieux pour mourir.
Autre chose, car Messori poursuivait plus loin :
Il n'y a pas seulement ma mort. Même si l'on admettait que cette mort qui sera mienne ne me concerne pas ("Quand nous sommes là, elle n'y est point ..."), il resterait pourtant la mort des autres : de nos parents, de nos enfants, de nos amis; de ceux que nous aimons et qui nous aiment.
Nous, nous ne sommes pas morts, pas encore. Mais autour de nous, près, tout près de nous, on meurt. Même ici "n'y sommes-nous pas quand elle se trouve là ?"
Il y eut un temps ou, comme tout chroniqueur d'un journal quotidien, je dus fréquenter les salles de morgues. Je te jure que je n'ai jamais pensé à citer Épicure, Marx, Feuerbach à tant de parents, d'épouses, de maris, d'enfants, de frères pétrifiés ou hurlant de douleur devant les dalles de marbre sur lesquelles gisaient des cadavres tout meurtris.
Dans ces lugubres souterrains, jamais il ne m'est venu à l'esprit de démontrer à ces pauvres désespérés "qu'en réalité la mort n'existe pas"; que, comme Marx l'assure, 'L'homme est un être génétiquement déterminé et comme tel il est immortel". Voici ce qu'écrit le poète Eugénio Montale :
"Que quelqu'un meure, cela ne touche personne, mais s'Il est inconnu et s'il est loin ..."
Loin de moi de songer que le père Zanotti entretiendrait les mêmes idées que Karl Marx.
Néanmoins, je pourrais y voir un lieu commun touchant la mort ou plutôt comme la négation de celle-ci, la volonté d'écarter cette réalité de notre paysage parce qu'il n'en vaudrait réellement pas le coup de s'y arrêter, qu'il n'y aurait rien là de toute façon. Dans un cas comme dans l'autre, l'on se retrouve, philosophiquement parlant, dans ce cas de figure ou la mort n'y est comprise que tel un instant survenant
à la fin. Mais comme le fait remarquer Messori dans sa réflexion, en réalité c'est que la mort est déjà là, nous expérimentons déjà sa présence, ses effets.
En lisant Messori, je songeais également à quel point le mot du père Zanotti escamotait le fait que dans le christianisme la mort représente réellement une peine, comme on parlerait de la peine que doit subir un prisonnier purgeant une sentence. Les hommes n'ont pas été crées pour mourir, pour subir un réel préjudice. Or les baptisés qui meurent, même un grand saint qui se retrouve au paradis, subissent tout de même un préjudice du fait de la mort, ne serait-ce que de ne pas pouvoir jouir de son corps bien à soi d'ici le Jugement dernier. Ce n'est rien là d'agréable en soi.
Le père Zanotti omet (encore et toujours) de soulever cette perspective chrétienne selon laquelle certains risqueraient de se retrouver pour un bon moment au purgatoire. Il ne dit rien, rien de rien, sur l'éventualité que soi-même ou d'autres pourraient tous finir leur course dans le préjudice définitif et éternel.
A écouter le père Zanotti, il n'y aurait que la vie et la vie.
Je réfléchissais sur le fait que nous rencontrons beaucoup de prêtres, de nos jours, qui semblent réellement minimiser, relativiser-effacer, les difficultés ou problèmes lancinants que nous nous pouvons éprouver dans nos vies, avant même d'être morts ! Et que ça peut être frustrant. Ce serait comme de se trouver en face de jovialistes qui nieraient le sérieux des épreuves "Ta ta ta ... N'y pensez pas ! " ou "Vous confesser ? Bahhh ! C'est tout pardonné depuis longtemps. Considérez juste que Jésus vous aime." ou "Inutile de se morfondre. Suffit de regarder Jésus.", etc.
Je pense à une sorte d'évitement sur le fait que, en effet, la mort fait déjà sentir ses ravages de notre vivant. Le problème ne se trouve pas saisi à bras le corps, ni vécu dans une sorte de compassion réelle pour autrui ni ne lui donne concrètement comme des moyens pour s'attaquer à la peine elle-même, des moyens de rédemption. L'attitude pastorale jovialiste peut sembler confiner parfois à la méthode du placebo ou à la méthode Coué.
Bonjour,
Je veux revenir sur un point qui me semble tout de même important. C'est à propos de la mort (sujet joyeux comme vous le savez)
Dans un vidéo, - je ne me souviens plus lequel (peut-être l'entretien accordé à des prêtres à Montréal en 2018) mais si j'oublie le lieu je suis sûr du mot du père Zanotti en revanche -, ce dernier faisait remarquer que la mort n'était rien du tout. Il comparait la chose à la venue du sommeil. Une seconde avant de s'endormir on est encore en état de veille, une seconde après on a déjà plongé dans le sommeil. Sauf qu'il nous est impossible de déterminer à quel moment l'on passe de la veille au sommeil. Dans son analogie, tout ce que le sujet pourra savoir : il réalise un moment donné qu'il se trouve dans l'autre état ("Tiens, j'aurais franchi le seuil. Et ce n'est que ça !") mais pour s'y découvrir aussitôt vivant en compagnie de Jésus et tout va très bien. En un mot : le père Zanotti dit de ne pas s'en faire avec la mort. Pas de quoi s'énerver. Ce n'est rien du tout.
Aussi, sans penser le moindrement au discours du père Zanotti, je lisais ce matin une petite tranche du livre de Vittorio Messori intitulé [i]Le pari sur la mort. L'espérance chrétienne : réalité ou illusion ? [/i].
Voici ce que je lisais :
[quote]" ... Ludwig Feuerbach, le philosophe allemand qui, par tant d'aspects, fut un maître pour son compatriote Marx, se berçait de l'illusion que, lui aussi, il réduirait l'inévitable "accident" en en niant l'existence même : "La mort est un fantasme, une chimère, un néant - s'évertuait-il à répéter. Sa réalité était imaginaire, elle ne naît que de nos idées. "
C'est ce que disait déjà Épicure, l'ancien philosophe à l'origine de la ligne culturelle qui aboutira à Feuerbach et à Marx. "Que nous importe la mort ? ", se demande Épicure dans un passage de ses écrits. "La mort n'existe pas. Quand nous sommes là, elle n'y est point. Et quand elle se trouve là, nous, nous n'y sommes pas."
Le calembour d'Épicure jouant sur les mots est apparemment aussi brillant qu'il est creux à la réflexion, et s'avère illusoire mis à l'épreuve des faits. C'est là toute la conception superficielle de la mort comme un but distinct de la vie : comme un problème qui ne naîtrait que lorsque, soudain, il se présente à nous. Alors que, selon la définition médicale bien connue, "la vie n'est que l'ensemble des fonctions qui s'opposent à la mort". Aussi bien sur le plan physiologique que sur celui de la psychologie, la mort ne se situe pas à la fin, mais à l'intérieur de la vie même. Elle n'est pas une fastidieuse formalité que l'on doit accomplir un jour loin dans le temps : mais bien une réalité quotidienne, une possibilité de tous les instants, sur lesquels elle projètte son exigence de signification. Dès la naissance, on est assez vieux pour mourir. [/quote]
Autre chose, car Messori poursuivait plus loin :
[quote] Il n'y a pas seulement [i]ma[/i] mort. Même si l'on admettait que cette mort qui sera mienne ne me concerne pas ("Quand nous sommes là, elle n'y est point ..."), il resterait pourtant la mort des autres : de nos parents, de nos enfants, de nos amis; de ceux que nous aimons et qui nous aiment.
Nous, nous ne sommes pas morts, pas encore. Mais autour de nous, près, tout près de nous, on meurt. Même ici "n'y sommes-nous pas quand elle se trouve là ?"
Il y eut un temps ou, comme tout chroniqueur d'un journal quotidien, je dus fréquenter les salles de morgues. Je te jure que je n'ai jamais pensé à citer Épicure, Marx, Feuerbach à tant de parents, d'épouses, de maris, d'enfants, de frères pétrifiés ou hurlant de douleur devant les dalles de marbre sur lesquelles gisaient des cadavres tout meurtris.
Dans ces lugubres souterrains, jamais il ne m'est venu à l'esprit de démontrer à ces pauvres désespérés "qu'en réalité la mort n'existe pas"; que, comme Marx l'assure, 'L'homme est un être génétiquement déterminé et comme tel il est immortel". Voici ce qu'écrit le poète Eugénio Montale :
"Que quelqu'un meure, cela ne touche personne, mais s'Il est inconnu et s'il est loin ..." [/quote]
Loin de moi de songer que le père Zanotti entretiendrait les mêmes idées que Karl Marx.
Néanmoins, je pourrais y voir un lieu commun touchant la mort ou plutôt comme la négation de celle-ci, la volonté d'écarter cette réalité de notre paysage parce qu'il n'en vaudrait réellement pas le coup de s'y arrêter, qu'il n'y aurait rien là de toute façon. Dans un cas comme dans l'autre, l'on se retrouve, philosophiquement parlant, dans ce cas de figure ou la mort n'y est comprise que tel un instant survenant [i]à la fin[/i]. Mais comme le fait remarquer Messori dans sa réflexion, en réalité c'est que la mort est déjà là, nous expérimentons déjà sa présence, ses effets.
En lisant Messori, je songeais également à quel point le mot du père Zanotti escamotait le fait que dans le christianisme la mort représente réellement une peine, comme on parlerait de la peine que doit subir un prisonnier purgeant une sentence. Les hommes n'ont pas été crées pour mourir, pour subir un réel préjudice. Or les baptisés qui meurent, même un grand saint qui se retrouve au paradis, subissent tout de même un préjudice du fait de la mort, ne serait-ce que de ne pas pouvoir jouir de son corps bien à soi d'ici le Jugement dernier. Ce n'est rien là d'agréable en soi.
Le père Zanotti omet (encore et toujours) de soulever cette perspective chrétienne selon laquelle certains risqueraient de se retrouver pour un bon moment au purgatoire. Il ne dit rien, rien de rien, sur l'éventualité que soi-même ou d'autres pourraient tous finir leur course dans le préjudice définitif et éternel.
A écouter le père Zanotti, il n'y aurait que la vie et la vie.
Je réfléchissais sur le fait que nous rencontrons beaucoup de prêtres, de nos jours, qui semblent réellement minimiser, relativiser-effacer, les difficultés ou problèmes lancinants que nous nous pouvons éprouver dans nos vies, avant même d'être morts ! Et que ça peut être frustrant. Ce serait comme de se trouver en face de jovialistes qui nieraient le sérieux des épreuves "Ta ta ta ... N'y pensez pas ! " ou "Vous confesser ? Bahhh ! C'est tout pardonné depuis longtemps. Considérez juste que Jésus vous aime." ou "Inutile de se morfondre. Suffit de regarder Jésus.", etc.
Je pense à une sorte d'évitement sur le fait que, en effet, la mort fait déjà sentir ses ravages de notre vivant. Le problème ne se trouve pas saisi à bras le corps, ni vécu dans une sorte de compassion réelle pour autrui ni ne lui donne concrètement comme des moyens pour s'attaquer à la peine elle-même, des moyens de rédemption. L'attitude pastorale jovialiste peut sembler confiner parfois à la méthode du placebo ou à la méthode Coué.