Premier point il est difficile de comprendre une doctrine si on ne parvient pas à se détacher de l'esprit de sa doctrine de prédilection.
Le grand thomiste E. Gilson est approximatif sur Platon qu'il expédie en quelques pages dans son histoire de la métaphysique et dit ailleurs des bêtises sur Denys qu'il soupçonne de "panthéisme". Depuis, on a largement fait justice à Denys (voir les ouvrages d'Ysabel de Andia).
Il y a un danger à vouloir interpréter une doctrine par une autre, c'est ainsi qu'on ne peut pas comprendre la théorie de Idées platonicienne si on en reste à une ontologie aristotélicienne chosiste pour laquelle il n'y a d'être que substantielle, car c'est alors qu'on en vient à croire que Platon pensait que ces idées sont des objets (comme Marx le croyait), des choses, ce qui devient alors vraiment absurde.
On ne peut pas non plus comprendre pourquoi dans le platonisme l'être relatif (qui comme le dit St Augustin est comme n'étant pas), ne peut pas être objet de connaissance absolue si d'une part on fait comme Aristote (et à l'inverse de Platon) de la connaissance discursive (dianoia) la connaissance par excellence et si d'autre part on fait de l'être relatif un être par soi et indépendant de son Principe, car c'est alors qu'on en vient à oublier que pour Platon la véritable connaissance est essentielle (spirituelle) laquelle ne peut être donnée que par une grâce divine et d'autre part que toute connaissance est ordonnée à son objet de sorte qu'il ne puisse avoir de connaissance absolue d'un objet relatif et dépendant du principe ; l'objet n'étant pas totalement déterminé en lui même la connaissance purement rationnelle ne peut pas l'analyser totalement.
Alors s'il n'est pas aisé de comprendre Platon avec un oeil Aristotélicien sans le caricaturer, il est encore plus difficile de comprendre le Vedanta .
La Création a beau être maintenue dans l'existence par Dieu, elle n'en est pas irréelle pour autant.
Irréel est synonyme d'éphémère, de relatif. Aussi la création est bien dans le vedanta un produit de maya la puissance de Dieu (l'art divin aussi traduit par "illusion"). Elle est créée, "manifestée", par opposé à Dieu qui est "non manifesté" c'est-à-dire incréé.
Quand St Augustin (de concert avec la tradition platonicienne) dit que l'être créé est comme n'étant pas et que seul Dieu est véritablement, il ne nie pas l'existence du monde et il n'est pas entrain de "dévaluer" le monde comme cela a pu être pensé par de nombreux penseurs athées. C'est d'ailleurs dans le fait que le monde soit entièrement dépendant de Dieu, et qu'il en soit un reflet créé, un vestige, qu'il tient sa dignité propre.
En définitive, seul Dieu est suprêmement réel, l'Etre, la Réalité des réalités (Grégoire de nysse), les choses n'étant pas absolues comme Dieu elles ont moins d'être et moins de réalité que Dieu. Et à cet égard il y a chez St Augustin une "métaphysique de la conversion" envisagée comme constitutive d'être (Gilson), car c'est le retours à Dieu qui permet d'enrayer la chute de la créature dans le non être, et donc qui permet aux êtres humains d'être et de vivre véritablement.
Ceci dit si le vedanta considérait vraiment la création comme une illusion pure et simple, il ne pourrait pas offrir une vision panthéiste du monde. On ne peut soupçonner cette doctrine de choses contradictoires.
Elle a une consistance qui lui est propre.
C'est un point de vue qui se discute. La création étant je cite Gilson soutenue dans "l'exister" par Dieu. C'est en effet Dieu qui la soutient directement dans l'être et donc hors du néant, ce qui lui donne sa réalité.
C'est Dieu qui est le Vrai en soi, la Réalité des réalités que les réalités inférieures participent.
Je ne crois pas qu'il y ait là une très grande difficulté, d'ailleurs le thomisme permet d'exprimer cela limpidement avec les notions d'acte, d'esse, et de causalité et participation.
Mais on peut évidemment avoir un point de vue autre sur le statut ontologique de la création.
J’avoue que c’est peu clair. Ce n’est pas parce que Dieu vit dans l’éternité que ce qui se passe dans le temps n’existe pas.
Il me semble avoir dit que le point de vue humain était légitime. Sinon pourquoi les ascètes hindous travailleraient activement à atteindre la délivrance et ainsi à faire cesser pour eux le cycle des réincarnations.
Si tout n'était qu'illusion pure au sens strict du terme, je ne crois pas que les fondateurs du vedanta se soient fatigués à défendre ce qu'ils considéraient être la révélation hindou (shruti) et à réfuter les doctrines comme le bouddhisme qui sont hérétiques par rapport à leur interprétation de la révélation.
Mais en tout état de cause il est difficile de rendre humainement logique l'enchaînement des points de vues humain et divin.
En effet, on sait bien que Dieu sait tout, même les futurs possibles qui ne se réaliseront pas disent les scolastiques. Il connait toute chose en se connaissant Lui même, et donc sait déjà tout ce qui s'est passé. Faut-il donc dire comme les calvinistes qui ont eu une compréhension erronés de la prédestination que certaines personnes sont destinées à aller en enfer ? Non. Le fait que Dieu sache ce qu'il s'est passé, n'ayant pour Lui aucun passé présent ou future et connaissant toute chose en tant qu'il se conçoit Lui même éternellement, n'empêche pas par nous qu'il se passe réellement des choses.
Mais il reste que dans le point de vue divin, il n'y a pas de temps, pas de successions d'instants, or ce point de vue divin n'est pas à proprement parler un point de vue.
Voilà ce que je peut dire , le point de vue du vedanta est abstrait, difficile et souvent, il faut le reconnaitre, très systématique, aussi je ne suis pas entrain de dire qu'il est en tout point acceptable pour un chrétien. Le platonisme a été reçu moyennant des correctifs, mais je ne crois pas que le vedanta lequel use d'un langage, de catégories et de vues propres soit panthéiste.
C’est là une erreur qu’on entend parfois chez les détracteurs du théisme : Dieu, dans le théisme, ferait nombre avec Sa Création, ce qui est contradictoire s’Il est infini.
Et pourquoi le critique-t-il ? Parce que celui-ci depuis la fin du moyen age et avec ce qu'on a appelé l'onto théologisme (qui réduit l'être à l'étant, et Dieu à un super Etant) pense Dieu comme un objet, massif, fermé, écrasant ce qui a pour effet de le poser face à la création et ce qui tend aussi à susciter la révolte de celui-ci à son égard. Aussi, la grandeur de Gilson a été de montrer à une époque où l'on soutenait qu'il n'y avait pas de philosophie chrétienne que St Thomas notamment échappait à cette critique et par là même que la pensée chrétienne s'est belle et bien élevée à la pensée de l'être.