Aimer ce que l'on ignore ?

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Cinci
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Aimer ce que l'on ignore ?

Message non lu par Cinci » sam. 14 mars 2020, 12:49

"On n'a pas besoin de dogmes pour vivre en chrétiens."


Voilà une proposition qui disjoint la connaissance (le dogme) de la pratique. Est-ce possible ? Peut-on pratiquer ce que l'on ignore ? Et aimer ce que l'on ne connait pas ? "Mais nous n'ignorons pas ce que commande le christianisme !" se récrient nos a-dogmatiques. "C'est l'amour que nous devons mettre en pratique, continuent-ils. Et pour ce faire, point n'est besoin de dogmes imposés !"

Prend la mesure de l'amour de Dieu

Cette opposition orthodoxe-orthopraxie, foi objective-amour fraternel, est une idée toute faite, c'est à dire une idée dont il s'agit de se détromper. Pourquoi ? Parce que le dogme n'est pas une "idée", fut-elle imposée. Il est l'affirmation de ce que Dieu a fait pour nous, et aussi de ce qu'il est en Lui-même. Lorsque nous récitons le Credo, nous attestons que Dieu a crée le monde (pour nous) , que son Fils unique s'est incarné, est mort et ressuscité (pour nous), et que l'Esprit Saint a été envoyé pour achever toute sanctification (toujours et encore pour nous). Le dogme dévide le récit des merveilles de Dieu en notre faveur. Ce ne sont pas là des "idées imposées", mais simplement l'attestation de la bonté de Dieu à notre égard.

Mais, dira-t-on, quel rapport y a-t-il entre ces faits théologiques et notre vie de chrétiens ? Nous sommes assez grands pour savoir ce que aimer veut dire, nous rétorque-t-on. Certes, l'amour du Christ assume cet amour humain que nous croyons si bien connaître. Cependant, son amour est aussi divin, ne l'oublions pas. Le Christ est vrai homme et vrai Dieu. Il nous a aimé à la fois humainement et divinement. Et comment sait-on que l'amour qu'il a déployé pour nous est divin ? Qu'il est l'expression de la charité incrée, charité qui est Dieu ? Précisément grâce au dogme, qui nous instruit qu'il est le Fils de Dieu, consubstantiel à son Père, de même nature que lui. Cet amour est divin aussi parce qu'il a eu pour effet de nous préférer à lui-même, tout Fils de Dieu qu'il était, en mourant sur la croix pour nous ! Cet excès dans le désintéressement porte indéniablement la marque du divin.

Cet Amour ne s'arrête pas là. Ou plutôt, il ne commence pas là. Le Père lui-même partage cet Amour avec le Fils, car c'est Lui qui nous l,a donné. Ce Fils pourtant chérit plus que lui-même. Aussi, pour nous l'avoir donné, il faut bien que son Amour du monde soit transcendant, qu'il dépasse toute mesure humaine, mondaine, bref qu'il soit divin. Supérieur à toute chose crée. Et cet Amour transcendant, éternel est une personne divine : l'Esprit Saint.

Père-Fils-Esprit : la Trinité tout entière manifeste sa dilection pour nous, et c'est par le dogme que nous en prenons connaissance. Comme le dogme nous apprend que ces trois personnes vivent une communion d'amour, communion en laquelle réside le principe de l'unité divine et qui fait que le Dieu chrétien est un. Si les trois personnes de la Trinité nous aiment, c'est bien le moins, en effet, qu'elles s'aiment entre elles de toute éternité ! Ainsi le dogme nous renseigne-t-il sur l'identité de Dieu, sur "Dieu en soi".

Savons-nous aimer ?

La pensée dogmatique nous éclaire également sur la manière d'aimer de Dieu. Est-ce facultatif que de s'en informer ? Les chrétiens ne sont-ils pas appelés à reproduire dans leur existence cet amour divin - certes, non pas par leurs propres forces, mais avec l'aide de Dieu ? Mieux : nous devons intérioriser, faire nôtre, nous approprier l'Amour trinitaire afin qu'il devienne la grammaire de nos êtres. Et comment y parviendrons-nous si nous ignorons en quoi il consiste ? Le dogme, en projetant une lumière éclaire sur cet Amour, me permettra d'éprouver celui que je pense vivre dans mon existence, de mesurer le mien à l'aune de celui que Dieu a montré à mon égard - non pour me lamenter de mes déficiences, mais pour faire de la charité divine un stimulant de ma vie en Christ.

Il est donc vain de vouloir vivre en chrétiens en refusant de porter nos regards sur la manière dont Dieu se conduit lui-même, sur les hauts faits de l'économie du salut, sur la possibilité qu'il nous offre de participer de sa nature divine et d'agir de la même façon qu'il le fait Lui-même : toutes choses dont le dogme déroule la logique trinitaire.

Ignorer le dogme, c'est tout simplement refuser de prendre la mesure de l'amour sans mesure que Dieu nous porte. Et cette ignorance n'est pas neutre. Elle répercutera ses effets sur notre amour des autres : nous ne les aimerons alors qu'à notre fragile et éphémère mesure, c'est à dire que nous ne les aimerons pas beaucoup. Et encore notre dilection risque de ne se porter que vers les affiliés de nos réseaux, au détriment des autres. Non seulement notre justice sera partielle et partiale, mais il y a de fortes chances que nous discréditerons ainsi le nom du Seigneur en lui faisant cautionner nos préférences toutes humaines. Mieux vaudrait que nous assumions notre partialité en notre nom plutôt que d'y impliquer Celui qui n'a de mépris pour aucun des êtres qu'il a crées. Ainsi le dogme nous prémunit contre toute attitude qu'on a pris l'habitude de qualifier improprement de "dogmatique" ...

P.S. : Cela est expliqué par Jean-Michel Castaing dans son ouvrage portant sur les objections à la foi chrétienne, 48 objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent

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Re: Aimer ce que l'on ignore ?

Message non lu par Cinci » sam. 14 mars 2020, 13:55

Et l'auteur va plus loin ... quand il répond à ceux qui assimilent le catéchisme à du bourrage de crâne.


"L'Église a inventé son catéchisme pour contrôler les rapports des croyants avec Dieu."

L'Église n'a pas été instituée par le Christ pour régenter les rapports des fidèles avec Dieu. Elle n'est pas un organisme de contrôle. Sans doute a-t-il existé des périodes de l'histoire ou la tentation "caporaliste" a semblé prédominer en elle : mais telle n'est pas sa nature profonde. En vertu de quoi alors a-t-elle pris soin de préciser les données de la foi ? Pourquoi éprouve-t-elle le besoin d'énoncer des vérités à ce sujet ? Quel but poursuit-elle lorsqu'elle prend soin d'éditer un catéchisme ?

Un exercice de précision

La foi chrétienne possède un contenu notionnel et dogmatique très précis. Elle va au-delà du sentiment, de l'effusion. Elle ne se réduit pas non plus à l'exaucement d'un désir de sécurité face à la contingence des événements. Son objectivité doctrinale et dogmatique transcende la simple affectivité. Par ailleurs cette foi ne trouve pas son achèvement en un catalogue de vérités à accepter, ou de formules à réciter. Elle est autant une Vie qu'une Vérité. Cependant, le disciple du Christ a tout intérêt à ne pas sombrer dans un vague piétisme ou une sentimentalité bon marché qui le rendrait quitte d'approfondir le mystère toujours plus lumineux et infini de son Dieu. Il en va ici aussi de la transcendance du Père en qui je me confie, à qui je remets ma vie, un Père désirant me donner des biens inouïs, beaucoup plus gratifiants que l'objet de mes mesquines demandes, ou de mes désirs trop familiers.

Si la foi se réduit à une série de vérités, comme le proclamait l'acte de foi des anciens catéchismes, elle se dégrade, elle devient impersonnelle, figée, voire doctrinaire ou sectaire : ce qui prime alors est l'orthodoxie des formules. A l'inverse, la foi qui exclut tout contenu perd son identité : elle devient incapable de s'exprimer et dégénère en une confiance vague, purement émotionnelle, ou en une expérience strictement individuelle. Bref, tout indique que cette tension entre confiance et contenu est féconde. La relation interpersonnelle entre Dieu et les croyants interroge, purifie, stimule le contenu de la foi.

Peut-être ce Dieu, qui réconcilie affectivité et énoncé doctrinal, liberté et vérité, est-il celui que cherche confusément notre époque parce qu'il est au-delà du besoin et de l'arbitraire, au-delà de la nécessité et du simple sentiment.

Ainsi, dans un climat de nihilisme et d'indifférence religieuse qui caractérise la modernité, la question de Dieu devient la question la plus libre qui soit. Et si l'on cherche dans l'expérience humaine un point de départ pour la question de Dieu, il ne faudra pas tant faire appel à son besoin de sens ou à son besoin de sécurité devant l'angoisse de l'avenir qu'à sa capacité de gratuité dans l'ordre de l'amour, de la création, de la fête, du dépassement et du désaisissement de soi dans la responsabilité éthique. Le visage de Dieu qui répond à une telle situation historique sera au-delà du théisme et de l'athéisme. C'est là une chance pour la découverte du Dieu spécifiquement chrétien, c'est à dire inséparablement le Dieu crucifié et le Dieu trinitaire qui s'est révélé en Jésus-Christ.

Parce qu'elle n'émane pas d'abord d'un besoin religieux, mais de Dieu, la foi chrétienne possède un contenu dogmatique précis. Et le disciple de Jésus est appelé à s'approprier ce contenu objectif de peur de laisser son dynamisme se dissoudre dans un pur silence dont l'inconsistance, à la longue, ne lui sera d'aucun secours.

Non seulement la foi du chrétien est la "foi de toute l'Église" (Ce qui ne me dispense pas de la faire mienne), mais de plus je ne crois jamais seul. La foi baptismale m'agrège à une communauté. Le futur baptisé (ou son parent pour l'enfant) est invité à prononcer le Credo devant l'assemblée. Après s'être tourné vers Dieu dans un élan de tout son être pour lui dire sa foi, le chrétien, sans détourner sa pensée de la présence divine, se tourne donc aussitôt vers les hommes pour confesser devant eux ce qu'il croit.

La confession baptismale s'exprime toujours distinctement. L'homme, être de langage, formule à lui-même et aux autres les convictions, les certitudes qui guident sa vie. Sinon, comment se reconnaître entre hommes d'une même foi ? C'est la fonction même du symbole des apôtres. Dans l'Antiquité un "symbole" servait d'ailleurs de signe de reconnaissance entre personnes d'une même appartenance.

En dépassant le "besoin religieux" en direction d'une foi adulte et objective, j'inscris ma conviction religieuse dans un cadre communautaire, ecclésial. Je passe ainsi d'une foi égocentrée à une foi responsable qui s'exprime dans des articles précis au lieu d'en rester au simple plan du "nuage d'inconnaissance".

Gageons qu'il ne manquera pas d'esprits chagrins pour opposer la lettre des formules théologiques à l'épanouissement de la pensée religieuse, la profession de foi imposée par l'autoritarisme de l'Église au libre épanchement d'une confiance sous le souffle sanctifiant de l'Esprit. Mais ces oppositions stériles oublient que la confession de foi en l'Église est un acte aussi personnel que la libre donation de sa confiance en Dieu.

Derrière cette réticence à objectiver sa foi dans le langage ecclésial, derrière cette méfiance envers le "catéchisme", se cache souvent le désir moins avouable de n'être pas confondu avec le "chrétien moyen" , quand ce n'est pas avec le chrétien vulgaire ... On aurait tort de sous-estimer cette résurgence du montanisme (secte qui distinguait les chrétiens "charnels" des charismatiques prophétiques animés par l'Esprit). La transcendance de la foi chrétienne se vérifie précisément dans le fait que l'on ne peut pas dépasser le Credo de l'Église. Ce n'est pas parce que celui-ci est récité par de "petites gens" le dimanche que ma "religion personnelle" est davantage marquée du sceau de l'Esprit.

Dieu ne considère pas sa majesté offensée par le fait que les lèvres de "petites gens" le confessent d'un seul choeur en assemblée. Cette exigence essentielle de la foi chrétienne, qui s'inscrit dans le caractère communautaire de la confessio, est difficilement comprise aujourd'hui par un certains nombre de croyants cultivés, qui se croient obligés de prendre leurs distances par rapport aux chrétiens "vulgaires" et qui semblent redouter qu'on puisse ramener l'expression de leur foi, sinon leur foi elle-même, à quelque schéma commun.

Signe de la transcendance du christianisme : le "schéma commun" de la confession de foi est non seulement à la portée de tous, mais de plus il est inépuisable dans son explicitation théologique, inépuisable comme Dieu lui-même, et comme les richesses dont il promet de nous gratifier.

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