Jésus est-il D.ieu?

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Cinci
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Re: Jésus est-il D.ieu?

Message non lu par Cinci » mar. 10 déc. 2013, 17:34

C'est l'interpellation de Ben1306 qui rappelle à mon souvenir un texte magnifique d'un père jésuite.

Voici :

Le scandale du mal ...

«Sous ses deux formes, la souffrance et la faute, le mal est ce qui heurte notre volonté la plus profonde, notre conscience. Il est ce que nous ne pouvons comprendre (il n'y a pas de solution) ni aimer (il est donc un scandale). Le problème se pose avec une acuité toute particulière pour le chrétien. Car être chrétien veut dire que l'on n'est pas dualiste, on ne croit pas qu'il y a un principe éternel du Mal en face d'un principe éternel du Bien qui est Dieu. Nous affirmons que Dieu est le créateur de tout ce qui existe, pourtant nous ne pouvons pas dire qu'il est le créateur du mal car cela ne ferait que décupler le scandale. Que serait un tel Dieu ?

D'autre part, nous affirmons que Dieu est Amour, en lui il ne peut y avoir autre chose que de l'amour. Que de fois je me suis hasardé à dire à des incroyants : l'essentiel de la foi chrétienne est d'affirmer que Dieu est amour. Savez-vous la réponse que je me suis attirée : «Ça ne se voit guère !» C'est pourquoi il faut être très délicat et ne pas affirmer que Dieu est amour comme on affirmerait que deux et deux font quatre ou que la somme d'un triangle est égale à deux droits. «Si Dieu existe et si Dieu est amour, de telles choses n'arriveraient pas : la guerre, la torture, la maladie, l'épidémie, la trahison sentimentale, le deuil, etc.»

[...]

On comprend que, de tout temps, l'existence du mal a été invoquée comme argument contre l'existence de Dieu. Si le mal et la souffrance existent, il n'est pas possible que Dieu soit. On comprend que, de tout temps aussi, les penseurs se soient employés à justifier Dieu, à l'innocenter, à essayer de montrer que Dieu ne pouvait pas faire autrement, comme s'il fallait plaider en faveur de Dieu pour le déclarer innocent de tout le mal et de toute la souffrance qu'il y a dans le monde.

A mon avis, toutes ces tentatives pour innocenter Dieu n'aboutissent pas et c'est pourquoi mon dessein est de vous recommander, dans l'usage de ces arguments, une extrême prudence.

1) Le mal serait l'ombre du bien

Il faut intégrer le mal dans un plan ou une réalisation plus vaste où il joue le rôle de moyen ou de condition nécéssaire pour un plus grand bien. De même que dans un tableau de Rembrandt, les ombres sont nécéssaires à l'harmonie de l'ensemble, la lumière ne serait pas si belle s'il n'y avait pas d'ombre, de même, par rapport à la beauté du monde, le mal et la souffrance sont nécéssaires pour faire ressortir le bien. Allez dire cela à quelqu'un qui souffre ! Or cet argument est développé par de très grands philosophes, tels saint Augustin, saint Thomas d'Aquin, Descartes. Celui-ci écrit : «La même chose qui pourrait, peut-être avec quelque raison, sembler imparfaite si elle était toute seule ... est très parfaite si elle est regardée comme une partie de l'univers.»

Leibniz, qui a poussé le plus loin cette idée-là, pense que «le mal n'est plus le mal s'il est un moment nécéssaire dans le progrès». Staline ne disait pas autre chose, Hitler pareillement. Pour celui-ci, la suppression de six millions de juifs était une condition du progrès de l'humanité, comme pour Staline, la liquidation de tous ceux qui s'opposaient à son régime. Le mal, dit-on, perd son caractère de mal dès qu'il est replacé dans la perspective du développement total : la souffrance n'est plus qu'une crise de croissance; la guerre est l'enfantement de l'histoire; le sacrifice des générations permet l'accès à la société du future.

Le chrétien doit refuser une telle argumentation, car il se place au point de vue du sujet, de celui qui souffre et qui subit l'injustice. Et il pense qu'une telle justification du mal est non seulement superficielle mais injuste et donc, si elle est injuste, elle est aussi un mal. Ce n'est pas faire disparaître le mal, c'est ajouter le mal au mal.

Il y a des argumentations qui sont non seulement inefficaces mais moralement mauvaises et littéralement scandaleuses. Une telle philosophie n'est possible que si l'on compte pour rien l'individu, la personne, l'homme concret. Je proteste : C'est l'homme qui existe.

C'est la personne qui est au coeur du christianisme.

Nous insistons beaucoup, à l'heure actuelle, sur la communauté et nous avons raison. Mais communauté signifie communauté de personnes et les communautés finalement existent pour le bien des personnes. Chaque être humain est l'objet d'un amour infini de Dieu. Il ne peut pas être une condition pour autre chose, un moyen pour la beauté du monde. Comment ne serions-nous pas gênés lorsque nous voyons Leibniz sacrifier Judas à l'harmonie du monde ? Dans une perspective chrétienne, la gloire de Dieu ne peut pas servir à justifier la souffrance ou le mal d'une seule créature consciente.

La vérité est, au contraire, dans cette parole d'Ivan Karamazov, dans le roman de Dostoïevski : «Quand bien même l'immense fabrique de l'univers apporterait les plus extraordinnaires merveilles et ne coûteraient qu'une seule larme d'un seul enfant, moi, je refuse.» Le chrétien s'oppose à cette idée que, dans la pensée divine, une génération puisse être réduite au simple rang de moyen pour la réalisation de l'humanité future. Chaque moment du temps compte autant aux yeux de Dieu. Les richesses et les progrès de l'avenir ne sauraient compenser le mal subi par des personnes humaines.

Sur ce thème, on brode. On dit qu'au plan physique, la douleur est un avertissement utile et qu'au plan spirituel surtout l'épreuve est purifiante. Peut-être n'est-ce pas complètement faux ! La souffrance peut engendrer un sursaut de courage, la faute elle-même peut engendrer un redressement. Beaucoup de romans de Mauriac sont bâtis sur cette idée qu'il faut que l'homme descende très bas dans le péché pour pouvoir rebondir et s'ouvrir à la vérité et à la justice. On a voulu voir dans la souffrance, et même dans le péché, un moyen employé par Dieu pour le bien même de ses créatures. On va même jusqu'à dire que la souffrance est une marque de la prédilection divine et nous avons tous entendu la phrase (imprudente en dehors de la foi) : «Dieu éprouve ceux qu'il aime.» Je vous avoue que je suis tenté de répondre spontanément : «Pourvu que Dieu ne m'aime pas trop !»

Si la douleur est un avertissement, on peut toujours demander avec Max Scheler : faut-il que ces signaux soient douloureux ? Pourquoi est-il nécéssaire qu'ils fassent mal ? ll pourrait bien y avoir des sonnettes d'alarme qui ne fassent pas mal, il pourrait y avoir d'autre maître que la souffrance pour que l'homme devienne véritablement adulte.

On dit encore : Dieu ne veut certainement pas le mal mais il le permet. Que pensez-vous de cette distinction ? Je multiplie les points d'interrogation, vous n'êtes pas obligé de penser comme moi, vous pouvez estimer que ces plaidoiries sont efficaces, mais je vous laisse aux prises avec ceux qui souffrent ou avec les esprits vraiment exigeants. Pensez-vous que cette distinction entre une volonté formelle de Dieu et une permission de Dieu soit valable ? Qu'est-ce qui nous permet de parler d'une sorte de nécéssité qui s'impose à Dieu lui-même comme si Dieu ne pouvait pas faire autrement ?

N'oublions pas que la toute puissance de Dieu est la puissance de l'amour. Dieu ne peut pas détruire, écraser, dominer. Il ne peut que ce que peut l'amour. Faut-il donc que ce soit l'amour qui exige que Dieu permette la souffrance ? Peut-être, mais nous ne pourrons le dire que si nous nous situons vraiment à la pointe du christianisme.

Dans toutes ces tentatives pour innocenter Dieu ou pour résoudre le problème du mal, il s'agit de rendre acceptable pour Dieu ce qui scandalise ou révolte notre conscience. C'est tout de même un peu fort ! Un Dieu qui tolère le mal n'est qu'une idôle. Une conscience qui refuse le mal est supérieure à un Dieu qui le tolère. [...]»

Source : François Varillon, Joie de croire joie de vivre. Conférence sur les points majeurs de la foi chrétienne. Préface de René Rémond, «Quatrième partie : combattre le mal et la souffrance», Éditions Bayard/Centurion, 1981

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