Raistlin a écrit :Bonjour Philémon,
Le Christ vous demande d'aimer votre prochain mais pas d'aimer le péché, ni de fermer les yeux dessus. Vous n'avez pas le droit de juger les personnes mais vous avez le droit (et le devoir, cf. les lettres de saint Paul) de juger les actes. Toute la difficulté est là.
Si vous croyez au Christ et si vous aimez vraiment ces amis homosexuels, vous ne leur mentirez pas sur ce que vous pensez de leur comportement sexuel (si la conversation vient sur le tapis bien entendu, il ne s'agit pas de les provoquer). Il s'agit là d'un souci de cohérence et d'honnêteté. Vous dites :
Il me semble, à présent, que l'amitié n'est pas possible lorsqu'on refuse d'accorder un statut de normalité, et que l'on se permet de juger, et donc de condamner, rejeter, le choix personnel de la personne avec qui l'on a cette relation amicale.
J'avoue ne pas bien voir en quoi l'amitié oblige à cautionner tous les actes et choix de ses amis. Et puis, pourquoi devriez-vous changer votre façon de voir les choses, et eux non ? Est-ce parce que la société évolue dans leur sens ? Mais en quoi cela est-il un critère de vérité et de bien ? Je trouve que la question peut se poser dans l'autre sens (et entre nous, j'ai vu plus d'homosexuels se montrer durs, intransigeants ou délibérément provocateurs et irrespectueux envers les catholiques que l'inverse).
Bref, je comprends que la situation soit compliquée mais rappelez-vous les paroles du Christ : nous devons être prêts à tout abandonner pour lui, et à subir l'opposition de nos amis, de notre famille, de notre entourage... Jamais le Christ n'a suggéré l'idée de mettre la lumière sous le boisseau pour vivre des relations sociales plus "normées". Donc oui, vous devez aimer, mais vous devez aimer en vérité même si c'est douloureux. D’ailleurs, entre nous, je ne voudrais pas d’un ami qui nie ce que lui dit sa conscience et ses convictions profondes pour me faire plaisir : ce serait un simulacre d’amitié.
Précisons aussi que si nous ne pouvons cautionner le péché, nous devons être « doux et humble de cœur » comme notre Maître. Surtout lorsque nous dialoguons sur des sujets aussi délicats avec des proches. Enfin, je rappelle que nous sommes censés vivre dans une société libre et je trouverais vraiment dommage que nul ne puisse plus penser en dehors du cadre de l’idéologie dominante sans risque d’exclusion. Et je trouverais douteux que certains de mes amis exigent de moi ce renoncement.
Pour finir, je vais parler de ma propre expérience : comme vous le savez peut-être (c'est déjà ressorti ssur différents fils de ce forum), j’ai un passé homosexuel. Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis homosexuels même à cette époque mais de ce passé, j’ai gardé une amitié forte avec un de mes ex. Et il sait parfaitement que je suis catholique, que j’ai renoncé aux pratiques homosexuelles et que je n’en pense donc pas du bien. Hé bien je ne l’ai jamais entendu me faire de reproche. Peut-être que ça viendra mais pour le moment, la complicité et l’affection demeure : on se respecte l’un l’autre sans se juger, même si l’un comme l’autre, nous réprouvons chez l’autre certaines choses.
papillon a écrit :le catholicisme me paraissant de plus en plus compliqué et difficile à suivre.
Compliqué, je ne pense pas mais difficile à suivre, c'est certain. C'est normal puisque l'Église nous demande d'être des saints. Cependant, elle ne nous demande pas d'être
tout de suite des saints, sachant que nous sommes pauvres.
Mais dans tous les cas, compte tenu de ce que nous sommes, vivre selon l'Amour véritable ne peut qu'être difficile... comme tout ce qui vaut vraiment la peine.
Cordialement,
Cher Raistlin,
Désolé de réagir si tard, je n'ai pas eu le temps de venir sur le site ces derniers jours.
Joyeux Noël à vous !
Pour vous répondre, je ne comprends pas bien la réalité concrète de la distinction que vous faites (et qui est d'ailleurs souvent reprise dans les discours abstraits et théoriques) entre juger une personne et juger un acte. Bien sûr, je comprends très bien ce qu'on entend par là, d'un point de vue théorique. Mais pratiquement, il me semble que cela revient exactement au même. Dans un procès, par exemple, ce sont bien des actes qui sont jugés, et à travers eux la personne qui les a commis. Et il en va de même dans tous les cas concrets où intervient un jugement quelconque, dans les diverses situations que l'on rencontre.
Je ne prétends pas qu'il faut donner raison au péché. Le Christ, dans sa parabole de la paille et de la poutre, nous demande plutôt de ne pas regarder le péché d'autrui. Voilà à quoi j'essaye de me conformer. Et notez bien qu'il ne s'agit pas ici de tolérance. La tolérance est d'ailleurs souvent le début de l'intolérance. Ces gens ont surtout besoin d'être acceptées comme des personnes "normales". Et je crois que notre rôle, en tant que chrétiens, est justement de leur apporter ce soulagement qu'elles recherchent, que l'on appelle "amour". Car vouloir se sentir accepté, c'est finalement vouloir être aimé, et rien d'autre. Nous avons tous besoin de ça. Ne pas se sentir reconnu et accepté, c'est, je crois, la plus grande source de frustration et de souffrance qui soit sur terre. Tout le monde, absolument tout le monde, a besoin d'être reconnu et accepté. Et c'est d'ailleurs la grande faiblesse de l'être humain.
A partir du moment où vous regardez ce qui ne va pas chez ces personnes, et où vous vous autorisez à vous occuper intérieurement à ce genre de pensées (même s'ils n'en savent rien, mais il en transparaît toujours quelque chose), vous jetez alors un regard scrutateur et inquisiteur, et vous cessez d'apporter de l'amour, lequel ne juge jamais. Je pense qu'au contraire, il faut regarder et considérer ces personnes comme Dieu les regarde et les considère, et comme Dieu nous regarde et nous considère nous-mêmes, et comme d'ailleurs nous aimerions nous-mêmes être considérées et regardées, que ce soit par Dieu ou par les hommes.
Que ressentons-nous lorsque les hommes nous déconsidèrent à cause de notre appartenance à l'Eglise catholique ? Nous ressentons de l'exclusion, un manque d'amour. Alors, "faites à vos frères ce que vous voulez qu'ils vous fassent", comment faut-il le comprendre ?
Je note que le même problème se pose quant aux personnes handicapées, qui elles aussi, recherchent non pas un regard de compassion, mais un regard qui sache les considérer comme des personnes "normales", c'est-à-dire comme faisant partie du même groupe. Elles demandent que nous fassions abstraction de leur handicap, afin de ne pas se sentir différentes, à part, pestiférées.
Pour apporter à ces êtres ce qu'ils attendent (et que l'on peut nommer "amour"), il est nécessaire d'apprendre à regarder intérieurement une personne au-delà de son handicap ou de son péché. Et pour regarder au-delà, il est nécessaire, me semble-t-il, de ne pas s'arrêter à ce handicap ou à ce péché, et de l'ignorer délibérément.
(évidemment ça ne nous dispense pas de tenir la porte à un manchot, mais vous comprenez ce que j'ai voulu dire).