Bonjour Kerygme,
Croyez bien que si le sujet vous ennuie, je ne voudrais pas que vous vous sentiez obligé de répondre. Je vois d’ailleurs sur votre profil que vous exercez dans le domaine hospitalier. Vous avez sans doute bien d’autres idées en tête en ce moment.
Mais en ce qui me concerne, je trouve que nous abordons ici des thèmes très importants et même essentiels. Je poursuis donc la discussion, libre à vous de continuer de votre côté.
Kerygme a écrit : ↑ven. 20 mars 2020, 15:39
Alors historiquement la Wehrmacht, l'armée régulière allemande, n'a pas accomplie ces crimes (...).
Elle a pu collaborer en procédant aux arrestations, sur ordres bien entendu, mais je trouve que vous posez un jugement facile car a posteriori : en connaissant les faits historiques. Ce qui n'était pas leur cas.
Je m’excuse de devoir développer un petit peu, mais je ne peux pas vous laisser affirmer de telles contre-vérités.
Non seulement la Wehrmacht a collaboré avec les
Einsatzgruppen de la SS, en leur livrant des fonctionnaires soviétiques et des juifs (les deux désignations étant synonymes dans l’idéologie nazie), mais elle a aussi participé activement, et à de nombreuses reprises, aux meurtres de masse et exécutions sommaires. La liste des crimes de guerre commis sur le front de l’Est (mais pas seulement) est longue. Il suffit de penser aux 3,3 millions de prisonniers de guerre soviétiques (sur un total de 5,7 millions) sciemment et intentionnellement exterminés par la faim, le froid et les mauvais traitements.
Ces faits et ces chiffres sont bien établis et démontrés depuis un certain temps par les meilleurs spécialistes de la période. Le mythe de la « Wehrmacht aux mains propres » a vécu.
Vous me reprochez ensuite mon « jugement facile a posteriori ». Mais comment imaginer que l’armée régulière ignorait le sort réservé aux juifs et aux Soviétiques capturés qu’ils livraient aux SS ? Même sans parler des nombreux crimes perpétrés par la Wehrmacht elle-même, il ne fait aucun doute que la grande majorité des soldats allemands étaient parfaitement au courant des meurtres de masse et du génocide. De nombreuses lettres de soldats l’attestent, et d’ailleurs les ordres et décrets (ordre relatif aux commissaires politiques de 1941, décret « Nuit et brouillard » de la même année) ne laissent, là encore, aucune place au doute. Hélas.
Aucun historien sérieux ne conteste aujourd’hui la pleine intelligence de l’armée allemande et sa collaboration active au génocide. La guerre contre l’Union soviétique était une guerre d’extermination : les Slaves, les juifs et les bolchéviques devaient être éliminés pour faire de la place à un « repeuplement » allemand de l’Eurasie.
Tout ce que j’affirme ici peut être vérifié dans n’importe quel livre d’histoire récent consacré à ce sujet. Si vous avez besoin de références, je peux vous conseiller en particulier l’excellent livre de Timothy Snyder,
Terres de sang : L'Europe entre Hitler et Staline (Gallimard, 2010) ou encore (si vous lisez l’allemand, puisque je vois que vous résidez en Alsace)
Verfolgung und Massenmord in der NS-Zeit 1933–1945 de Dieter Pohl (Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2003).
Bien entendu que je serais d'accord à la condition qu'il sache ce qui se tramait. En l'absence de cette réalité le soldat devait avoir le sentiment de faire son devoir. Un système dictatorial cloisonne tout, je pense que le IIIéme Reich n'était pas dupe et qu'il n'aurait pas tenu si longtemps en rendant ses actions génocidaires publiques.
Comme je l’ai écrit plus haut, l’armée régulière et même une partie de la population devaient nécessairement être au courant du génocide.
Mais soit, prenons un autre exemple, démocratique cette fois : le massacre de
Mỹ Lai. Là encore, les soldats impliqués ne font rien d’autre que d’obéir à leurs supérieurs. Les trois militaires ayant (vainement) tenté de faire cesser le massacre ont même été désignés comme traîtres par des députés américains, lorsque l’affaire fut rendue publique.
Alors un soldat doit-il obéir selon son jugement propre ou en chrétien catholique ? Doit-il démissionner alors que depuis des années ses amis, ses voisins, sa famille payent un impôt pour qu'il s'entraîne à les défendre le jour venu ? Démissionner le jour où on attend de lui le respect et la cohérence de son engagement ? Tout compte fait, ne vaut-il mieux pas mourir bêtement que lui proposer une mort plus lente : celle du déshonneur ?
Il ne s’agit évidemment pas de démissionner pour un motif futile.
Vous défendez ici une conception homérique du serment, de l’obéissance. Ou plutôt devrais-je dire : une conception biblique. Les passages de la Sainte Bible mettant en garde contre la rupture du serment sont nombreux. Encore une fois, j’admets de bon cœur qu’il est pratiquement impossible de vous réfuter, un serment pouvant être rompu n’ayant aucune valeur si l’on se place, comme vous le faites, du point de vue de l’obéissance.
Mon objectif ici est de souligner le caractère tragique de cette conception, ou du moins, les
possibles conséquences tragiques d’un serment pris au sérieux (et oui, un serment doit être pris au sérieux). Tolkien, catholique et grand lecteur d’Homère, l’avait bien senti lorsqu’il décrivit, dans le
Silmarillion, le sort funeste des fils de Fëanor : ceux-ci, ayant juré de poursuivre de leur haine quiconque posséderait les joyaux dérobés à leur père, et ces joyaux passant de main en main au fil des événements, finalement ne reculèrent pas devant le meurtre de parents et de frères. Le malheur découlant du serment rompu n’eût-il pas été préférable à celui issu du serment tenu ?
Question insoluble ? Peut-être.
Mais comme le dit cmoi, les vertus humaines ou philosophiques ne passent pas avant celles de la foi. Elles en découlent, elles en dépendent.
Car vous n'avez pas mentionné ce point concernant ce soldat, je sais que cela fait très suranné à notre époque : l'honneur.
L'honneur de respecter sa parole dans un acte contractuel, l'honneur d'aller au bout de son engagement mais surtout l'honneur d'y aller car un peuple lui fait confiance pour défendre ses familles, ses valeurs, son territoire, sa souveraineté, ses intérêts.
Vous admettiez vous même un peu plus haut que la France servait davantage les intérêts américains que les siens propres. Or, quel honneur peut-il y avoir à mourir pour les intérêts d’un État étranger ? Les Russes se moquent des Français et des Allemands, considérant qu’ils ne sont que les supplétifs de l’armée américaine. Et ils ont raison.
Vous parlez du respect de la parole donnée : je suis d’accord avec vous, la parole est sacrée. Toute autre définition est un abus et conduirait au relativisme.
Mais tout dépend de ce que celui qui prête serment jure de défendre : si le soldat jure de défendre les intérêts de la France, et que dans les faits, il se retrouve à servir ceux de Washington, ne peut-on pas considérer que la France a trahi le soldat ?
La trahison fonctionne dans les deux sens, il me semble ! Sinon, comment pourrions-nous justifier la Résistance au régime de Vichy ?