Bonsoir,
Je crois qu'il y a une petite confusion dans ce fil de discussion entre le dialogue interreligieux et l'apologétique. Si on reprend l'axiome de Christophe selon lequel le dialogue a nécessairement une finalité, la finalité n'est pas nécessairement "intellectuelle". Pour reprendre l'exemple de Christophe, le "bavardage" échangé à deux, dans l'amitié et la paix a une fonction qui est loin d'être négligeable. La parole, et son outil le langage, ne se réduit pas à la seule fonction argumentative. Et bien plus importantes d'ailleurs, dans la relation humaine vraie, est la fonction expressive, par exemple (l'exemple du dialogue dans le couple en témoigne largement).
Le dialogue, étymologiquement, c'est dia-Logos : à travers le Verbe (je me suis permis de mettre des majuscules à Logos et à Verbe pour que ça fasse tilt chez les chrétiens). Le dialogue véritable est donc ce qui passe à travers le Verbe véritable, le Christ. On pense immédiatement à ce verset des évangiles "Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux".
Le dialogue est une relation. Son but est bel et bien de faire éclater la vérité. Mais ce qu'on comprend de l'énoncé de l'évangile, comme de l'étymologie du mot dialogue, c'est que la Vérité (le Christ) n'est pas dans les interlocuteurs. La Vérité ce n'est pas quelque chose que j'ai et que je transmets à mon voisin. Pour parler en termes communicationnels, elle n'est ni dans l'émetteur ni dans le récepteur. Elle est dans le canal. La Vérité est dans la nature même de la relation entre deux personnes qui dialoguent. Si vous ne trahissez rien de la foi, et que votre témoignage reste bien celui de la foi, il n'y a aucun risque de dériver vers le relativisme religieux.
J'insiste vraiment sur le fait que l'essence du dialogue, dès lors qu'on n'est pas dans le mensonge ou dans l'erreur, n'est pas dans ce qu'on dit, non plus dans ce que l'autre entend ou nous dit à son tour. Lorsque vous dialoguez pendant une heure avec un ami que vous n'avez pas vu depuis longtemps, qu'il vous raconte un peu sa vie et vous la votre, vous ne cherchez pas à le convaincre et il ne cherche pas à vous convaincre. Vous êtes dans un dialogue, et si tant est que votre échange exprime l'amour et même la joie, vous pouvez être certain que vous êtes déjà dans un dialogue avec une majuscule dedans, si vous voyez ce que je veux dire. Bien sur, l'amour dont je parle n'est pas compatible avec le mensonge ou avec l'erreur. Ainsi si vous racontez des bobards à votre ami en vous inventant des folles aventures pour l'impressionner, on ne peut plus parler d'amour véritable, donc pas de dialogue en vérité non plus. De même si vous doutez de vous, ou même de lui. Un autre exemple à prendre, qui est une formidable analogie du dialogue interreligieux, c'est le dialogue dans le couple. Voilà deux interlocuteurs qui ont tout pour ne pas se comprendre, mais qui cherchent à mieux s'aimer, en se respectant l'un l'autre, à être plus proches, etc... Il y aura certainement entre eux des débats, des arguments et même des disputes, c'est bien connu. Mais l'essence du dialogue n'est pas là. Dans le dialogue de couple, comme dans le dialogue interreligieux, on ne cherche pas à ramener l'autre à soi. On cherche à aller vers lui. Sans toutefois rien trahir de ce que nous sommes en vérité.
Le vrai dialogue a aussi cette particularité, c'est d'être fécond. Pas nécessairement de la manière qu'on attend. Il est certain que si vous dialoguez dans un but uniquement prosélyte - et je vous mets au défi de jamais convertir qui que ce soit uniquement par un débat argumentaire - vous risquez d'être déçu par la fécondité, du moins l'image que vous vous en faites, de votre dialogue. On arrive alors aux tristes conclusions telles celles de Dragon du Roy dans ce fil. La fécondité d'un dialogue ce n'est pas d'avoir converti l'autre, de l'avoir fait devenir un peu plus comme nous, etc... C'est parfois repartir juste un peu changé dans son coeur à soi, même si dans l'histoire on était le celui-qui-a-la-vérité et même si l'autre n'a pas changé d'un iota. Cela peut bien sur aussi être de bouleverser un peu votre interlocuteur dans ses convictions. Cela peut être aussi faire surgir des projets communs avec votre interlocuteur. Mais plus généralement il en ressort, d'un vrai dialogue, un sentiment de plus grande fraternité avec votre interlocuteur, ce qui est une autre façon de dire que nous devenons un peu plus les enfants du même Père.
Bref, tout ne se passe pas dans l'intellect, loin de là. Et si vous regardez un peu ce qui émane du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, c'est essentiellement des choses concernant les relations (et non les débats) avec les membres d'autres religions ou confessions religieuses. J'ai beau chercher, je n'y vois aucun texte d'apologétique. Vous y trouverez d'ailleurs un texte essentiel à lire :
Lettre aux Présidents des Conférences Episcopales sur la spiritualité du dialogue
J'en relève un petit passage pour faire le lien avec ce qui a été dit des expériences de dialogues/débats :
Dans le dialogue, le chrétien est appelé à être un témoin du Christ, imitant le Seigneur dans sa proclamation du Royaume, dans son souci et sa compassion à l’égard de chaque individu et dans son respect de la liberté de la personne.
Lorsque vous débattez avec quelqu'un, sans avoir préalablement établit un lien de confiance et d'amitié réciproque, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, en lui faisant une démonstration imparable de son erreur ou de son ignorance, tout se passe comme si vous l'obligiez à croire. Il y a là une forme de contrainte par la raison. C'est une contrainte que nous devrions tous nous imposer, mais ce n'est malheureusement pas toujours le cas, et en l'état il y a là une forme d'atteinte à la liberté de l'autre. Cela ne veut pas dire que l'on ne doit pas débattre et argumenter, mais au final vous obtiendrez toujours un résultat de défense (type mensonge, négation absurde, entêtement) si la personne avec qui vous dialoguez ne s'est pas d'abord abandonnée dans une confiance totale à l'idée que vous cherchez tous deux le même Bien, la même Vérité, et dans l'amour mutuel. En gros vous ne convaincrez personne par des arguments si ces arguments ne sont pas précédés par un témoignage réel et fécond de votre part. Le témoignage est aussi parole, et peut-être même plus que le langage lui-même, et c'est pourquoi le dialogue interreligieux est d'abord un témoignage que vous devez offrir à l'autre. Ce témoignage doit dire, au-delà des mots, combien vous l'aimez et que cet amour que vous lui portez n'est autre que l'amour que le Christ a mis en vous pour lui. Encore une fois, on peut reprendre l'exemple du dialogue de couple. Dans une dispute de couple, même si c'est vous qui avez raison et l'autre qui a tort, sans les bases d'une confiance réelle, sans un témoignage de compassion de votre part envers l'autre qui sera forcément blessé dans son orgueil, vous n'obtiendrez nulle réconciliation et l'autre ne vous cèdera jamais un pouce de terrain.
Vous comprendrez alors pourquoi, par exemple, le conseil pontifical pour le dialogue interreligieux nous donne à lire essentiellement des messages de bonnes fêtes. Le dialogue interreligieux commence par là : comme vous appelez un ami pour lui souhaitez un bon anniversaire ou lui dire que vous pensez à lui, cela commence par dire aux membres d'autres religions que nous pensons à eux, que nous sommes prêt à cheminer avec eux, que nous voulons vivre en frères et dans la paix.
En bref, pardonnez-moi l'image un peu triviale, mais si nous voulons féconder les autres communautés religieuses, il faut commencer au minimum par leur faire un peu la cour, puis tenter d'établir une relation d'amour mutuel dans laquelle le Christ se trouve au centre.