Bonsoir Christian !
Je reviens sur votre message publié il y a déjà quelques semaines.
Christian a écrit :Si les seules condamnations catholiques du prêt à intérêt qu’on peut dénicher sont Vix Pervenit et la déclaration de Jean-Paul II citée plus haut, les banquiers peuvent dormir du sommeil du juste. Ces textes réprouvent l’usure telle que définie par notre droit pénal, soit un taux excessif chargé par des aigrefins hors des circuits financiers réglementés plutôt que le principe même du prêt à intérêt.
Si la déclaration de Jean-Paul II semble effectivement ne concerner que les taux
usuraires, en revanche - et en toute honnêteté intellectuelle - il n'en est pas de même de l'encyclique de Benoît XIV qui condamne, sous le terme d'usure, le prêt à intérêt sans considération du taux appliqué :
"
L'espèce de péché appellée usure et dont le lieu propre est le contrat de prêt - dont la nature demande qu'il soit rendu autant seulement que ce qui a été reçu - consiste pour le prêteur à exiger - au nom même de ce contrat - qu'il lui soit rendu davantage que ce qui a été reçu et, par conséquence, à affirmer que le seul prêt donne droit à un profit, en plus du capital prêté. Pour cette raison, tout profit de cette sorte qui excède le capital est illicite et usuraire. [...]
Personne ne pourra être préservé de la souillure du péché d'usure en arguant du fait que ce profit n'est pas excessif ou inconsidéré mais modeste, qu'il n'est pas grand mais petit. "
( Bulle Vix Pervenit, SS le Pape Benoît XIV, 1745 )
Savoir si ce document appartient au Magistère de l'Eglise est une question que je laisse aux canonistes. Savoir si l'enseignement qu'il contient doit appartenir au Magistère de l'Eglise est une question dont j'attends de notre nouveau pape une réponse... Une nouvelle encyclique sur la question de l'usage de l'argent ? Cela me semblerait une idée excellente et très pertinente !
Christian a écrit :Curieusement, le prêteur ne jouit d’aucune sympathie pour nous fournir ce précieux service alors que l’emprunteur pressé de jouir est perçu comme une victime.
A la question du sondage, posée par François : "
L' intérêt tue-t-il, comme le dit le Caéchisme de Trente ? ", j'ai répondu " Oui ". Le prêt à intérêt ne tue certes pas à chaque fois ni partout, mais il tue parfois.
Il y a des situations pour lesquelles cette institution me semble être un véritable bienfait. J'ai ainsi évoqué l'accession à la propriété foncière. Mais il existe aussi d'autres situations où il me semble être un instrument terrible placé entre les mains du malin. L'Afrique et ses habitants sont affamés par une dette dont le montant du capital initial a été remboursé plusieurs fois sous forme d'intérêts. Effacer régulièrement cette dette ne change rien si le système est laissé inchangé : une nouvelle dette, toute aussi inexorable, se substitue alors à l'ancienne et le continent noir est maintenu exsangue. Je ne dis pas que les guerres, la corruption ou la mauvaise gouvernance des pays concernés sont étrangères au sous-développement de l'Afrique. Mais les prêts à intérêt qui lui sont ( soit-disant généreusement ) "accordés" ne font jamais que d'hypothéquer davantage son avenir. L'Afrique est insolvable. Nous devons, en toute justice, soit lui donner sans exiger de remboursement, soit lui prêter sans intérêt en ne demandant que le remboursement du capital, soit investir là-bas. Mais prêter à l'Afrique avec intérêts, c'est la tuer. Comme le dit le Catéchisme de Trente.
Dans nos contrées occidentales, le surendettement ne tue plus ( j'espère que je ne pèche pas par naïveté et que personne ne me contredira ) et des procèdures de liquidation ont été mises en place pour les particuliers qui en sont victimes. Mais il me semble que les pouvoirs publics pourraient s'engager bien plus résolument à lutter contre le surendettement lui-même, par exemple par la création d'un "fichier central du crédit"... Je reviendrais, si Dieu m'en donne l'occasion, sur cette proposition.
En conclusion, je dirais que la moralité ou l'immoralité du prêt à intérêt me semble ne pas pouvoir être traité dans l'absolu mais doit tenir compte des situations et des conditions concrêtes dans lesquelles celui-ci est octroyé. Je ne suis pas compétent pour énumérer les conditions sous lequelles un prêt à intérêt pourrait être licite, et il est même de mon devoir de préciser que cette conception "situationniste" n'était pas partagé par le saint-Père Benoît XIV, qui écrivait dans sa bulle
Vix Pervenit : "
Personne ne pourra être préservé de la souillure du péché d'usure en arguant du fait que ce profit n'est pas excessif ou inconsidéré mais modeste, qu'il n'est pas grand mais petit. Ni du fait que celui à qui on le réclame n'est pas pauvre mais riche. Ou bien encore que l'argent prêté n'a pas été laissé inactif mais a été employé très avantageusement pour augmenter sa propre fortune, acquérir de nouveaux domaines, ou se livrer à un négoce fructueux. "
Christian a écrit :Le bien-fondé du prêt à intérêt est une question totalement séparée de celle des réserves fractionnaires des banques.
Entièrement d'accord avec vous. Il est important de bien distinguer ces deux problèmatiques abondamment traitées sur nos pages ces derniers mois. Je crois maintenant que vos positions et les miennes sont réciproquement connues, donc je n'y reviens pas.
Christian a écrit :N’est-il pas juste que ceux qui nous permettent de satisfaire notre impatience soient rémunérés ? [...] Pour résumer, prêter sans intérêt est comme de travailler sans salaire. Pourquoi pas ? C’est généreux. Mais on ne peut pas plus reprocher au prêteur de demander un loyer pour l’utilisation de son argent qu’au propriétaire immobilier pour l’occupation d’un appartement ou à Hertz pour la location de ses autos.
En fait, si vous prenez la peine de lire attentivement l'encyclique
Vix Pervenit ( seul document romain traitant spécifiquement de la question ), vous vous apercevrez trés vite que si l'
intérêt sur le prêt est explicitement condamné ( c'est le sens du terme "
usure" à l'époque de la rédaction ), en revanche la
rémunération du prêteur ( sans doute faut-il comprendre sous forme d'honoraires ) n'y est pas interdite :
"
En troisième lieu, il faut avertir ceux qui veulent se préserver de la souillure du péché de l'usure et confier leur argent à autrui, de façon à tirer un intérêt légitime, de déclarer, avant toutes choses, le contrat qu'ils veulent passer, expliquer clairement et en détail toutes les conventions qui doivent y être insérées, et quel profit ils demandent pour la cession de ce même argent. "
( Bulle Vix Pervenit, SS le Pape Benoît XIV, 1745 )
In Christo
Christophe