Laurent L. a écrit :
C'est-à-dire que je parlais du "grégorien" = chant messin romano-franc adopté à Rome, le messin étant un mélange de "vieux-romain", chant décrit comme "plat" et de plain chant gallican, très ornementé ; corrigez-moi si je me trompe
Hé bien, il faut déjà se mettre d'accord sur ce que signifie exactement "chant grégorien". Admettons que cette désignation corresponde au rite romain et au répertoire existant à Rome du temps de Grégoire le grand (VIe), et se développant par la suite. Lorsque Charlemagne abolit les rites ambrosien et gallican, les chantres romains débarquent à Aix-la-Chapelle avec leurs livres romains. Donc, on a bien eu une substitution de ces rites, qui ont de fait disparu, par le rite romain ("chant grégorien" si l'on veut). Mais ensuite, pendant 200 ans, à la cour impériale, les chantres germano-francs, qui avaient conservé et transmis leur façon propre de chanter, se sont approprié ce répertoire, et l'ont transformé selon leur style propre. C'est ce qui a donné, je suppose, le "chant messin". Et vers l'an 1000, l'empereur germanique renvoie la pareille à Rome, en y imposant chantres et livres germano-francs. Le "chant grégorien" romain disparaît donc (c'est le chant "vieux-romain") pour être remplacé par le "chant grégorien" messin.
Ceci étant, le chant "vieux-romain" n'était pas du tout "plat", mais bien au contraire extrêmement orné. Il n'y avait pas plus orné, en fait, que ce répertoire, d'après ce que j'ai entendu. Et j'ai vu des reproductions de livres de "vieux-romain", je peux vous dire que ça fourmille d'ornements et de mélismes dans une écriture grouillante et serrée !
; bah quoi, il y avait bien toutes sortes de plain-chants et de polyphonies, selon les rites divers et variés et les différentes traditions locales... Non ?
Les plus anciennes sources faisant état de polyphonie remontent au IXe. Je parle de sources théoriques décrivant l'usage de la polyphonie, et citant des exemples musicaux. C'était une nouveauté à l'époque, et beaucoup de prélats y étaient fortement opposés, y voyant une décadence et une altération grave de la liturgie. Quant aux manuscrits non pas théoriques, mais purement musicaux, montrant des pièces polyphoniques, ils remontent au XIe. C'est à cette même époque que se met en place, comme par hasard, la portée musicale. Evidemment, pour superposer deux sons, il fallait bien une portée. Du coup la portée et la notation carrée remplacent les neumes. Mais les neumes permettaient de figurer les ornements, alors que ce n'est pas le cas de la notation carrée, impuissante à représenter le moindre ornement. Et comme dans le même temps on passe d'une tradition orale à une tradition écrite : l'interprétation des ornements cesse de se transmettre, et tombe en désuétude (les prélats avaient donc vu juste). Au XIVe, dans les endroits où elle s'était encore maintenue, elle finit par être dénoncée par les cisterciens (Bernard de Clairvaux en tête) comme elle-même décadente et portant atteinte à la pureté de la ligne mélodique. Elle disparaît alors définitivement.
Pour en revenir aux débuts de la polyphonie (IXe), elle était très archaïque, et ne consistait que dans des octaves parallèles, puis quintes parallèles. Il y avait aussi des notes que l'on tenait dans le grave tandis que la mélodie se déployait dans l'aigu.
Sûrement, pour une part ; mais en l'occurrence, les "musicologues", historiens et liturges se basaient sur différents manuscrits remplis de moult neumes interminables : ce qui donnait un son continu montant et descendant et très ornementé ; ce n'était donc pas à 100% un "choix". Enfin, ça reste du pur archéologisme... D'autre part, les sons varient selon les lieux.
Tous les musicologues ne sont pas d'accord sur ce chapitre, loin de là. Le chant primitif était certes très orné, personne ne dit le contraire. Mais personne ne saura jamais non plus comment ces ornements étaient exécutés. Et le parti-pris de certains interprètes actuels est de faire sonner ces ornements à la façon orientale. Ils s'inspirent même de la "cantillation" coranique, disant, d'après un texte ancien vraiment très équivoque, que les musulmans auraient emprunté leur façon de réciter la prière aux chants chrétiens. A supposer même qu'ils aient raison, on a quand même la preuve que cette cantillation coranique a elle-même évolué avec le temps, puisque nous avons des disques centenaires enregistrés en Egypte dans les années 1900, et lorsqu'on les écoute, ça n'a rien à voir avec ce qu'on connaît aujourd'hui. Alors pour ce qui est de ce qui se faisait au XIe ou au VIe (et où ? En France, en Espagne ? A Paris, Lyon ?), laisse tomber, quoi. C'est du pur délire. En plus, ils ne tiennent pas compte du fait que chaque peuple possède ses particularités et adopte une manière bien à lui de faire ceci ou cela. Donc la manière qu'ont les Arabes de chanter aujourd'hui pourquoi correspondrait-elle forcémnet à la façon qu'avaient les francs ou les romains de chanter il y a mille ou mille cinq cents ans ??? Le véritable but de la manipulation est encore de nous faire comprendre à nous, misérables petits occidentaux de rien du tout, que nous devons abandonner nos cultures, traditions et civilisations pour adopter celles des orientaux. C'est tout.
Oui, le grégorien continuait d'exister, mais il y avait alors une forte tendance à lui substituer la polyphonie, non?
Forte ? Je ne sais pas. ça dépend où ? A Notre-Dame de Paris, ou à la chapelle du château de Versailles, sans doute. A l'église de Trifouilly-lès-Oies, j'en doute fortement. Et le fait est qu'à toutes les époques, il y a eu partout et toujours des livres liturgiques, réédités régulièrement depuis le début de l'imprimerie, et contenant le plain-chant prévu pour toute la liturgie de l'année liturgique. Ces livres, propres à chaque diocèse, ont existé jusqu'à la réforme de St Pie X.
Le rite ambrosien existe toujours dans le diocèse de Milan. (Mais il me semble que c'est du grégorien qu'on y chante
) Tout comme le rite de Braga au Portugal et le rite Mozarabe dans le diocèse de Tolède (avec des chants à sonorité "orientale").
Ils ont subi la réforme liturgique, comme partout. Le rite Mozarabe a été entièrement refondu dans les années 1980. Le rite ambrosien a également été remanié. Pour Braga, je ne sais pas.
Je croyais que Charlemagne avait adopté le Canon romain (datant du VIe siècle, aujourd'hui appelé Prière Eucharistique n°1, et presque jamais utilisée ; j'ai dû l'entendre deux fois dans ma vie
) mais les liturgies dites "néo-gallicanes" ont subsisté jusqu'à Vatican II, il me semble... (rite lyonnais, rite parisien, etc.)
D'ailleurs, c'est à cause de cet éparpillement liturgique que St Pie V a promulgué son missel (autorisant les rites vieux de plus de 200 ans). D'autre part, il me semble que ce sont les archevêques de Paris et de Lyon qui ont décidé de passer au rite romain après la réforme de Paul VI, je ne suis pas sûr qu'ils y étaient obligés
, puisque d'autres rites latins continuent à exister.
Les particularités locales n'ont pas tardé à se manifester de nouveau (comment empêcher ça ?), après l'extension du rite romain à toute la chrétienté d'Occident sous Charlemagne. Mais ce ne sont que des variantes locales d'un seul et même rite : le rite romain (et donc du chant grégorien). Entre Charlemagne (VIIIe) et St Pie V (XVIe), il y a quand même 8 siècles. En 8 siècles, les choses ont eu largement le temps de se développer localement, avec des particularités diverses. Quant à la réforme de St Pie V, elle consiste autant à autoriser les anciens usages qu'à supprimer les récents. Cette réforme a permis de fixer et de stabiliser la liturgie au point où elle en était au XIVe, ce qui représente quand même 6 siècles d'évolution locale. Et quand on arrive à l'époque de St Pie X, les traditions locales sont toujours là : rite parisien, rite lyonnais, rite de Langres, rite de Laon, etc. autant de rites que de diocèses, en fait ! La réforme de St Pie X consiste à remplacer tous ces livres diocésains par le nouveau paroissien romain unique composé au XIXe par les moines de Solesmes, d'après une synthèse qu'ils ont faite à partir des manuscrits de St Gall, Metz, et je ne sais plus quoi d'autre : c'est notre fameux 800.