Freud

Psychologie - Psychanalyse - Psychiatrie - Psychologie sociale - Pathologies psychiques
Avatar de l’utilisateur
lmx
Barbarus
Barbarus

Freud

Message non lu par lmx » mar. 06 sept. 2011, 14:24

Une grande majorité des gens ne connaitront jamais la condition d'ascète et le privilège d'être libéré des passions et eux doivent libérer leurs pulsions sous peine que la cocotte minute explose.
L'ascèse ce n'est pas que pour les bouddhistes et les hindous, cela concerne aussi les chrétiens. Je crois qu'un certain christianisme moderne infecté de ces sciences modernes qui invitent à un certain laxisme prétendument émancipateur a oublié la Bible et qu'il fallait tâcher de se purifier intérieurement et de se libérer de l'esclavage des passions (symbolisé par l'Egypte) ; passions et pulsions qui peuvent se transformer en terribles obsessions.

St Jean Climaque qui a lutté dans le désert dit quelque chose de capital sur la nécessité de réorienter vers le haut des qualités de l'âme avant qu'elles ne se tournent vers le bas et se transforment en passions :

142. Dieu n'est ni l'auteur, ni le créateur du mal; ils se trompent, ceux qui prétendent que certaines passions sont naturelles à l'âme, ignorant que nous avons changé en passions les qualités constitutives de notre nature. Par exemple, la nature nous donne le sperme pour la procréation; mais nous l'avons perverti l'employant à la luxure. La nature a mis en nous la colère contre le serpent, mais nous nous en servons contre notre prochain. La nature nous anime de zèle pour l'émulation dans la vertu, mais c'est pour le mal que nous en usons.
Il y a dans l'âme, du fait de la nature, le désir de la gloire, mais de celle d'en-haut. Il nous est naturel d'être arrogant, mais contre les démons. La joie aussi nous est naturelle, mais à cause du Seigneur et du bien qui arrive à notre prochain. La nature nous a aussi donné le ressentiment, mais contre les ennemis de l'âme. Nous avons reçu le désir d'une nourriture agréable, mais non des excès de table. St Jean Climaque L'échelle sainte.


L'ascèse , ce n'est pas uniquement l'échelle sainte de St Jean Climaque, c'est aussi la petite voie de Ste Thérèse. D'autres comme Maitre Eckhart ont proposé une ascèse plus intellectuelle et vraiment accessible à tous. Le problème c'est que par ascèse on entend : aller s'enfermer dans une cellule, s'astreindre à des jeûnes terribles, porter un cilice, d'où on conclut que le chrétien moyen n'a pas besoin de cela. Mais, il s'agit pour reprendre la formule de Benoit XVI d'un entrainement en vue du royaume de Dieu, et cela commence par exemple pour lui par le respect des rites, et donc par mettre son individualité, son égo derrière Dieu qui est le véritable maitre de la liturgie. On ne nait donc pas ascète mais on doit essayer de se faire un peu violence, car après tout, ce sont les violents, ceux qui luttent contre eux mêmes, qui s'emparent du royaume de Dieu comme l'a dit le Christ.


Je ne suis vraiment pas contre le fait de se défouler un peu, en faisant du sport par exemple, mais je voulais essayer de montrer que certaines vues modernes impliquent une vision du monde horizontale et fondamentalement athée. Et je voulais donc dire qu'il y a aussi un anthropologie proprement chrétienne où l'homme en tant qu'il est ouvert vers le haut, n'est précisément pas une cocotte minute (du moins l'homme doit-il prendre conscience qu'il n'est pas condamné à être enfermé sur lui même comme un cercle). En effet, l'homme n'est pas dans le christianisme condamné à l'horizontalité et à la circularité des passions, le but de la vie spirituelle étant précisément d'établir son "je" dans l'esprit, la partie supérieure de l'âme tournée vers Dieu et capable de communiquer avec Lui, et dont on peut dire qu'il est le lien qui nous rattache à Dieu. Ce lien, relation à Dieu, peut être vue comme notre personne que l'on doit approfondir.

Pour ce qui est de l'anthropologie chrétienne, toutes les lettres de St Paul font la différence entre la condition de l'homme psychique (psychikos anthropos/ homme charnel ou naturel) "qui est un palais écroulé qui a été rebâti avec ses ruines" selon la belle formule de Chateaubriand et l'homme pneumatique, l'homme spirituel, qui est né d'en haut et qui va où il veut, qui "juge de tout et n'est jugé par rien", qui est revêtu du manteau du St Esprit. On sent toute la différence dans la Bible et la grande littérature chrétienne entre la condition du charnel esclave du pêché et des passions et la liberté du spirituel qui est notre vraie condition que le Christ peut donner d'atteindre à condition de renoncer à s'établir dans la partie inférieure de l'âme, c'est-à-dire dans l'âme en tant qu'elle est pure psyché. Et ce renoncement correspond à la crucifixion du vieil homme, à la haine de son âme. Là encore les paroles du Christ qui invitent à renoncer à une partie de soi-même, de son faux soi, sont très nombreuses.
Ainsi, le but est-il vraiment, avec l'aide de Dieu bien sûr car l'ascèse n'est pas solitaire, de rétablir l'harmonie en soi, et non de laisser la partie inférieure de l'âme dominer. Selon la typologie des pères, le "premier stade" de la vie spirituelle est d'ailleurs la purification des passions, (avant la theoria/illumination et la theologia/connaissance et union avec Dieu), stade qu'on abandonne en réalité jamais.
Dernière modification par lmx le mar. 06 sept. 2011, 14:35, modifié 1 fois.

Avatar de l’utilisateur
Antoine Marie
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 522
Inscription : lun. 15 févr. 2010, 17:49
Localisation : France

Re: Jeux vidéos = péché ?

Message non lu par Antoine Marie » mar. 06 sept. 2011, 14:29

Merci pour cet exposé très instructif !!
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. Jn 1, 4

Avatar de l’utilisateur
mike.adoo
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1314
Inscription : sam. 08 mai 2010, 11:37

Re: Jeux vidéos = péché ?

Message non lu par mike.adoo » mar. 06 sept. 2011, 19:59

Bonsoir à tous

@ Ti'hamo : Dans l'ensemble , malgré les apparences , nous sommes sensiblement sur la même longueur d'onde et je partage largement vos propos . Mais quand vous écrivez :": dans notre société actuelle, la référence au concept freudien de refoulement, vous remarquerez, est une perpétuelle justification, à coloration "scientifique", à laisser libre cours à toutes ses envies " je me sens obligé d'apporter une correction : Il y a des gens qui utilisent les propos de Freud en les distordant et en les interprétant à leur convenance . Freud ne justifie pas , il explique ; C'est tout à fait autre chose .
Je prends un exemple : Un enfant veut jouer alors qu'il est l'heure de passer à table ; Son père lui demande d'arrêter le jeu ; L'enfant s'exécute passe à table et refuse de manger ...
Ce n'est pas la même chose de dire : " l'enfant refuse la nourriture parce qu'il est frustré " ce qui est tout simplement une explication et " Voilà ! Tu as gagné ! tu as grondé ton fils et , à cause de toi , il ne veut pas manger ...
Il n'est pas question de laisser libre cours à toutes les envies . Il s'agit de comprendre pour apporter une réponse adaptée . ( La sévérité n'est absolument pas exclue ) .

Le problème de notre époque , c'est qu'il ne faut pas aller à l'encontre des désirs de l'enfant et surtout , ne pas le gronder !
J'affirme que l'enfant "roi" deviendra un inadapté à l'âge adulte . Il ne supportera pas la moindre contrariété . La frustration est indispensable ; C'est un véritable "vaccin" qui permettra d' affronter les difficultés de la vie .

Bon! C'est l'heure de passer à table , je ne dois pas tarder ... ;)

Avatar de l’utilisateur
lmx
Barbarus
Barbarus

Re: Jeux vidéos = péché ?

Message non lu par lmx » mar. 06 sept. 2011, 20:07

Freud ne justifie pas , il explique ; C'est tout à fait autre chose .
Oui c'est vrai, on peut même dire qu'il ne veut pas que l'homme explose et qu'il déchaine ses pulsions. Aucun laxisme chez lui, c'est pourquoi un hédoniste comme Onfray ne l'aime pas, mais tout de même, on ne peut pas nier que les théories psychanalytiques en ce sens qu'ayant fait des pulsions notre véritable essence devant toutefois être refréné (sublimé) pour vivre en société elles ont ainsi jeté le soupçon même sur la "civilisation" et ont du même coup servi à justifier la libération des pulsions, l'émancipation de l'homme à l'égard de la "morale étouffante".
On peut dès lors déculpabiliser le pire puisque le pire est en notre coeur, dans le ténébreux "ça". Alors en effet que chez Freud il faut encore refréner l'essence ténébreuse de l'homme sous peine que l'édifice civilisationnel s'écroule, le moderne sans protester contre la définition de cette essence veut toutefois lui laisser libre cours, et en ce sens est plus cohérent que Freud.

Rien ne va chez Freud c'est toute son explication des mécanismes du psychisme qui est hasardeuse, c'est toute l'anthropologie qui s'y déploie qui est farouchement anti chrétienne et anti spirituelle. Il faut le dire, le freudisme est diabolique.
Aussi je ne vois bien pas comment il serait possible d'être chrétien et freudien, car il y a incompatibilité d'esprit.

Avatar de l’utilisateur
mike.adoo
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1314
Inscription : sam. 08 mai 2010, 11:37

Freud

Message non lu par mike.adoo » mer. 07 sept. 2011, 11:55

Bonjour lmx et bonjour à tous

La démarche de Freud est avant tout scientifique . Il ne faut pas oublier qu'avant lui , la psychologie était au stade "larvaire " . Freud a eu le mérite de débroussailler cette forêt encore inexplorée .
On lui trouvera , certes , des défauts , mais sa démarche est objective .
Ce qui est vrai , c'est que son travail a été interprété à tort et à travers . J'ai essayé de montrer dans mon précédent message comment on passe facilement de " expliquer " à " justifier " puis , pourquoi pas " excuser " et enfin "encourager " ...Il y a là une dérive malheureuse . Dire que le freudisme est diabolique , c'est porter un jugement lapidaire .( sauf au sens étymologique , puisqu'il bouleverses beaucoup d'idées reçues ) .

Avatar de l’utilisateur
lmx
Barbarus
Barbarus

Re: Jeux vidéos = péché ?

Message non lu par lmx » mer. 07 sept. 2011, 13:21

bonjoir mike.adoo

On voit chez Freud tous les préjugés de la pensée rationaliste de son époque issue de la philosophie des lumières sur les rapports entre la nature et la culture, c'est-à-dire ce qu'il appelle "la civilisation", ce corps étranger facteur d'auto contrainte et d'intériorisation refoulant dans l'inconscient les pulsions du ça. Freud est une sorte de Rousseau accompli : la civilisation est une maladie, mais pour être juste, Freud demande aux hommes d'assumer cette maladie.
D'autre part, on retrouve aussi comme chez Nietzsche le projet d'introduire le soupçon au coeur même de l'homme et de révéler les secrets motifs de ses actions et de ses pensées, motifs qui lui sont inconnus puisque cette foi-ci inconscients.
Je dirais donc que le freudisme rentre dans la catégorie des philosophies du soupçon comme le marxisme et le nietzschéisme. On pourrait aussi parler de la structure mythologique du freudisme qui à mes yeux fait de Freud une sorte de prophète fou.
On constate donc que Freud est un homme qui se nourrit de son époque.

Quant à ce qu'il dit sur la religion qu'il considère comme une grande névrose infantilisante, comme une extériorisation sublimée du ça (donc comme quelque chose ayant sa source dans les pires pulsions sexuelles), comme une volonté d'exorciser le "meurtre du père", mais qui a pu toutefois rendre service en intériorisant les pulsions, je ne vois pas bien ce qu'il y a de scientifique dedans. C'est soupçonneux, c'est "objectif", c'est petit bourgeois. Or toute son analyse sur la religion n'est que l'application de son anthropologie.

Je dirais simplement que ce qu'il y a au coeur de l'homme ce n'est pas le "ça", ce ne sont pas les pulsions cannibales et incestueuses qu'il introduit au plus profond de l'homme en ayant recours au mythe, mais c'est "l'homme intérieur" et c'est finalement le Christ qui permet d'accoucher de cette personnalité profonde. Tout l'évangile est là.
Il est donc diabolique par ce qu'il produit une inversion de sens. Ce qui est au plus haut, Dieu par exemple, devient chez lui un reflet de ce qu'il y a de plus bas en l'homme. Ce n'est plus l'esprit, l'homme intérieur, la personne qui transcende la nature dont il faut accoucher, c'est le vieil homme déchu, c'est la crasse qui recouvre l'image de Dieu en nous qui constitue notre essence profonde, essence ténébreuse que l'on ne peut pas réaliser, ce qui nous condamne donc au malheur. Freud est là encore le prophète d'une époque déchue qui condamne l'homme à l'horizontalité.

Pour en revenir sur la prétendue analyse scientifique, aucune analyse véritablement scientifique n'est totalement définitive, parce que l'analyse scientifique repose sur des présupposés de départ et sur des outils conditionnant eux mêmes pour une grande part le résultat final. C'est pourquoi toute science authentique est réfutable, or le freudisme instaure tout un dispositif (le système ingénieux des "vexations") qui a pour visé de balayer d'emblée toute possibilité d'une critique de ses thèses. C'est ce projet qui fait du freudisme une doctrine quelque peu douteuse.
On pourrait dire la même chose du gender qui se présente comme scientifique, sous entendue, parfaitement neutre objective et donc irréfutable, mais qui est une pure construction sociologique et qui donc par définition n'est qu'une vue sur la réalité conditionnée par des postulats de départ.

Avatar de l’utilisateur
Antoine Marie
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 522
Inscription : lun. 15 févr. 2010, 17:49
Localisation : France

Re: Jeux vidéos = péché ?

Message non lu par Antoine Marie » mer. 07 sept. 2011, 14:46

Bien d'accord avec lmx !
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. Jn 1, 4

Avatar de l’utilisateur
lmx
Barbarus
Barbarus

Re: Jeux vidéos = péché ?

Message non lu par lmx » jeu. 08 sept. 2011, 14:01

Freud voit dans la religion "la névrose universelle de l'humanité et qui "comme celle de l'enfant dérive du complexe d'Oedipe, des rapports de l'enfant au père"
Il va chercher dans la vie de Moïse de quoi confirmer sa version des faits, à savoir que la religion est le produit d'une pulsion incestueuse produisant un rapport conflictuel entre l'enfant et le père : le complexe d'Oedipe auquel aucun enfant n'échapperait. Plus généralement sa vision de la religion s'inscrit dans le mythe originel du meurtre du père par ses fils ses rivaux sexuels qui veulent coucher avec leurs mères. Et c'est pourquoi la religion est donc une tentative pour exorciser ce meurtre en se réconciliant avec le père. Quant au christianisme il constituerait un retour du refoulé en ce que le meurtre originel du père enfin reconnu est expié par la mort du fils qui reconnait sa culpabilité.

Aussi, son interprétation n'a rien de symbolique. Le symbolisme et la signification est intrinsèque, non rapportée et conventionnelle comme celles de Freud qui cherche partout la confirmation de ces thèses perverses, et relève généralement de l'ordre spirituel proprement dit, c'est à dire non naturel et par conséquent non psychologique.

Au final, le Freudisme est selon l'expression du père Louis Bouyer un pan sexualisme, tout comme le marxisme est un pan économisme.

Avatar de l’utilisateur
ti'hamo
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 2880
Inscription : sam. 17 mai 2008, 0:04

Re: Jeux vidéos = péché ?

Message non lu par ti'hamo » jeu. 08 sept. 2011, 19:14

"La démarche de Freud est avant tout scientifique . "
Franchement, pas seulement, loin de là. Je me rappelle avoir parcouru les pages concernant l'explication des mécanismes du rêve par Freud : on est alors, comme le dit le père Louis Bouyer que cite Imx, dans le pansexualisme :

Freud y décrète que tout est symbole sexuel - mais à aucun moment on ne voit sur quoi il fonde son explication. Avez-vous lu ces pages où il affirme que croiser en rêve un caillou ou une forêt représente le sexe soit féminin ?
Le postulat même duquel il part pour fonder son analyse est contredit par la réalité : il part du principe que le "moi", n'assumant pas des désirs sexuels refoulés, les vit et les voit de façon détournée à travers ces symboles, dans les rêves ; or, les rêves à caractère érotique, ça existe ; donc, de fait, ça ne pose aucun problème au moi de faire face à des scène à caractère érotique, sans aucun paravent symbolique.

Donc, rêver de forêt et de cailloux, ça signifie qu'on rêve de forêts et de cailloux.


C'est un exemple parmi d'autres mais qui souligne suffisamment ce point : que Freud lui-même, s'il a eu l'idée juste du subconscient, en a par contre donné une explication complètement absurde, fondée sur ses propres fantasmes.
“Il serait présomptueux de penser que ce que l'on sait soi-même n'est pas accessible à la majorité des autres hommes.”
[Konrad Lorenz]

Celui qui connaît vraiment les animaux est par là même capable de comprendre pleinement le caractère unique de l'homme.
[Konrad Lorenz]
Extrait de L'Agression

Avatar de l’utilisateur
mike.adoo
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1314
Inscription : sam. 08 mai 2010, 11:37

Re: Jeux vidéos = péché ?

Message non lu par mike.adoo » ven. 09 sept. 2011, 11:58

ti'hamo a écrit :
Donc, rêver de forêt et de cailloux, ça signifie qu'on rêve de forêts et de cailloux.

C'est un exemple parmi d'autres mais qui souligne suffisamment ce point : que Freud lui-même, s'il a eu l'idée juste du subconscient, en a par contre donné une explication complètement absurde, fondée sur ses propres fantasmes.
Bonjour Ti'hamo

Avoir une opinion , c'est bien mais porter un jugement est discutable .
Freud a essayé de comprendre la physiologie du rêve . Son travail est basé sur des expériences et des témoignages . Qu'il se soit planté , c'est autre chose mais son travail peut servir de base de travail .
Il arrive que dans les rêves , une forêt signifie une forêt . Elle peut symboliser autre chose par association d'idées ... Il y a encore d'autres hypothèses ...J'ai écrit une page que je vous invite à lire , à propos du rêve de Pharaon . http://catechisme-adulte.blogspot.com/2 ... oires.html
C'est un peu technique mais cela devrait vous intéresser .
Bonne lecture

Cinci
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 11765
Inscription : lun. 06 juil. 2009, 21:35
Conviction : catholique perplexe

Freud

Message non lu par Cinci » ven. 08 févr. 2013, 14:59

Quand on scrute un peu le livre de Michel Onfray l'on peut dire que le portrait du docteur Freud n'y paraît pas très élogieux. Il faudrait songer à revisiter la pièce d'Eric Emmanuel Scmitt Le visiteur pour y apporter des correctifs (sourire).


A propos de Freud et du fascisme :

« ... la politique d'un homme dont l'ontologie se révèle si noire a en effet du mal à être rose. Le pessimisme tragique interdit l'optimisme social. A quoi peut bien ressembler la politique de Sigmund Freud ? La question intéresse peu et l'historiographie freudienne passe rapidement sur le sujet sous prétexte qu'il n'y aurait rien à dire. La carte postale politique se résume la plupart du temps à ce programme minimum : le maître de la psychanalyse viennoise était un juif libéral modéré et éclairé ... La réalité paraît bien loin de cette fiction rassurante car juif, certes, il le fut, mais libéral, modéré, éclairé, sûrement pas.

[...]

On peut lire en effet dans La famille Freud au jour le jour. Souvenirs de Paula Fichtl : «Le gouvernement autrichien est certes un régime plus ou moins fasciste» déclare Freud à Max Schur, son ami médecin; malgré tout, selon le souvenir que Martin, le fils de Freud, conserve, des dizaines d'années plus tard, «il avait toutes nos sympathies». Le massacre que fait le Heimwehr parmi les ouvriers de Vienne laisse Freud indifférent.

Allons voir du côté du chancellier Dollfuss. Qui est-il ? En un mot : le créateur de l'austro-fascisme. Le 4 mars 1933, ce chrétien conservateur et nationaliste supprime la république et instaure le parti unique, il abolit la liberté de presse, établit un État autoritaire, catholique et corporatiste. Il supprime le droit de grève, celui de se réunir, il abolit les cours d'assises. Le 30 mai de la même année, il interdit le parti socialiste, le 20 juin le parti national-socialiste, non pour cause d'incompatibilité doctrinale majeure, mais parce que Hitler réclame l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne. Il crée un parti unique, le Front patriotique, et gouverne par décrets. Le 3 avril 1933, Freud écrit une lettre à Max Eittington à Berlin : «Personne ici ne comprend notre situation politique, on ne juge pas vraisemblable que l'évolution suive un cours analogue à ce qui se passe dans votre pays, la vie ici suit son cours sans trouble, mis à part les défilés qui occupent la police» ...

A Vienne, le 12 février 1934, les ouvriers déclenchent une émeute réprimée dans le sang par l'armée : on compte entre 1500 et 2000 morts et 5000 blessés - voilà le massacre qui laisse Freud indifférent. Cette révolte oppose les socio-démocrates armés de mitraillettes aux tirs de l'artillerie de l'armée. Le combat dure trente-six heures. Un pont de chemin de fer est dynamité pour empêcher la progression d'un train blindé venu mâter la rebellion. La soldatesque de Dollfuss utilise des gaz et recourt à l'aviation. La répression est terrible. Les tribunaux d'exception jugent sommairement et condamnent à mort. Des ouvriers sont pendus. Dans une lettre envoyée le 5 mars 1934 à Hilda Doolitle, Freud signale que la répression s'est abattue sur les bolchéviks - en vérité des socio-démocrates ! - ce qui ne le gêne pas plus que ça, car, selon son aveu, il n'attend rien de bien de ce côté là du spectre politique.

[...]

Les petits écrits freudiens se constituent donc de lettres. Mais également de tout ce qui a été signé par sa main. Ainsi une dédicace élogieuse faite à ... Benito Mussolini. Voici les faits : Eduardo Weiss, un psychiatre ayant fait ses études de médecine à Vienne, est le seul psychanalyste en Italie dans les années 1920, il a fondé une société de psychanalyse dans son pays. Il s'agit donc du psychanalyste italien. En 1933, une patiente résiste à son analyse, il demande à Freud l'autorisation de la lui présenter. Elle vient à Vienne, accompagnée de son père et de son analyste.

Le père de la jeune fille est un ami de Mussolini. Il demande à Freud un de ses livres avec une dédicace pour l'offrir au Duce à son retour en Italie. Freud a soixante-dix-sept ans et une réputation internationale. Il peut dire non; il dit oui. [...] Il choisit Pourquoi la guerre ?, ouvre le livre et écrit ces mots : «A Benito Mussolini, avec le salut respectueux d'un vieil homme qui reconnait en la personne du dirigeant un héros de la culture. Vienne, 26 avril 1933.» Puis il signe ...

Qui est Benito Mussolini en avril 1933 ? D'abord, le soutien de la politique fasciste du chancellier Dollfuss ... Ensuite, un dictateur qui mène d'une main de fer l'Italie depuis onze ans [...] : parti unique, suppression de l'opposition politique, chasse à la gauche, nationalisme exacerbé, persécution des syndicalistes, violences de rue avec milice brutale, assassinats politiques, emprisonnements arbitraires, lois interdisant aux non fascistes d'être fonctionnaires, censure de la presse, suppression du droit de grève, [...] instruction militaire, intellectuelle et physique des enfants selon les principes fascistes, politique nataliste militante avec taxes sur les célibataires, prime aux naissances, interdiction de l'avortement et de la contraception, mainmise sur la radio. Voilà qui est Mussolini le jour de cette signature funeste ...

Que dit cette dédicace ? Elle présente un salut respectueux. Or chacun sait que, dans un régime fasciste, le salut vaut acte d'allégeance au dictateur. De plus, elle s'adresse à la personne du Duce en faisant référence à sa fonction de dirigeant assimilée à celle d'un héros de la culture ... On chercherait vainement une ambiguïté dans ces quelques mots, elle n'existe pas : le 26 avril 1933, à Vienne, dans son cabinet, au 19 Bergasse, Sigmund Freud âgé de soixante-dix-sept ans, psychanalyste, mondialement reconnu et disposant de toute sa lucidité, dédicace un livre à un dictateur fasciste en le saluant comme un homme de culture ...

[...]



(à suivre)

Cinci
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 11765
Inscription : lun. 06 juil. 2009, 21:35
Conviction : catholique perplexe

Re: La psychanalyse est-elle conciliable avec la foi?

Message non lu par Cinci » ven. 08 févr. 2013, 15:07

(suite)


Deuxième argument : l'oeuvre complète de Freud témoigne d'un antifascisme viscéral, dit-on, dès lors, la dédicace ne peut donc vouloir dire dans l'esprit ce que dit la lettre. Mais là encore c'est se contenter de la légende, de la carte postale et refuser de lire ce que Freud écrit sur les rapports entre le chef et la masse, la nécéssité de contenir les pulsions des foules par un maître, le caractère inévitable du grand homme en politique et sa parenté avec le père de la horde primitive : lire ou relire Psychologie des masses et analyse du Moi, ou bien encore Totem et tabou, sinon Malaise dans la civilisation ...

Troisième argument : l'ironie, le clin d'oeil du vieux sage qui ne choisit pas par hasard Pourquoi la guerre ?, un livre que la légende présente comme un bréviaire du pacifisme ... Mais il ne faut pas avoir lu ce texte pour affirmer une pareille sottise ! Car ces pages illustrent le pessimisme césarien du personnage qui aimerait bien, de fait, que la guerre disparaisse, mais qui sait sa protestation vaine, car il ne doute pas, toute son oeuvre témoigne en ce sens, qu'on n'en finira jamais avec la pulsion de mort, avec le désir d'agressivité, avec la haine mortelle des hommes entre eux et que dès lors il faut raisonnablement envisager autre chose qu'une disparition de la guerre sur la planète : soit faire confiance au grand homme, au héros de la culture, pour sculpter cette énergie noire, soit faire contre fortune bon coeur, autrement dit, composer avec l'éternel retour des guerres.

Pourquoi la guerre ? est le petit livre d'une commande faite par le comité des lettres et des arts de la Société des Nations qui souhaitait un échange de lettres entre Sigmund Freud et Albert Einstein sur ce sujet. La critique oublie donc habituellement que si ce livre passe pour un éloge du pacifisme, c'est exclusivement pour la partie rédigée par Albert Einstein, qui, lui, était franchement pacifiste et défendait activement le désarmement. C'est au physicien que l'on doit la présence de Freud comme interlocuteur - un rôle que ce dernier n'aimait pas beaucoup, car il n'y était pas au premier plan.

Dans une lettre écrite à Jeanne Lampl-de Groot, le 10 février 1933, Freud donne son avis sur les thèses pacifistes d'Albert Einstein contenues dans cet échange. Il s'agit, écrit-il, de sottises ... On distinguera bien deux registres dans ce livre Pourquoi la guerre ? D'une part : un Einstein clairement désireux de trouver les moyens de faire la paix en invitant les États à renoncer à une partie de leur souveraineté pour constituer un organisme international à même d'empêcher les guerres, autrement dit, une SDN disposant des moyens pratiques de sa théorie; un Einstein se désolant de l'existence de marchands d'armes qui prospèrent sans jamais être inquiétés par les États; un Einstein dénonçant la propagande idéologique des États qui, avec une presse, une école et une Église aux ordres abrutissent les peuples et les envoient au combat; un Einstein qui n'ignore pas l'existence en l'homme de passions agressives, de pulsions de mort, mais qui fustige les dictateurs qui fourbissent une psychose de masse; un Einstein étendant la guerre aux persécutions de minorités nationales - autrement dit, un Einstein qui débite des sottises, dixit Freud.

Et puis, d'autre part, le registre de Freud : Einstein pose une question claire à Freud : «Y a-t-il un moyen de libérer les hommes de la fatalité de la guerre ?» La réponse se fait longuement attendre [...] avec des considérations convenues sur la violence, la force musculaire et le droit du plus fort, les relations entre les outils et les armes, le transfert de la violence à une autorité supérieure, autrement dit le banal contrat social. Poli, Freud consacre quelques lignes à célébrer la puissance invitante, autrement dit la fédération nationale qui gérerait les conflits d'intérêts. Puis il fait l'éloge de certaines guerres qui ont contribué à la mutation de la violence en droit, en instaurant des unités plus grandes à l'intérieur desquelles la possibilité d'employer la violence avait désormais cessé et où un nouvel ordre juridique aplanissait les conflits. - pas vraiment une position pacifiste, donc, que cette justification de la guerre pour remplacer la violence tribale par la violence d'État et légitimer qu'on nomme droit la force qui supprime toutes les autres forces. Car aplanir les conflits par la violence d'État déplace la guerre mais ne la supprime pas. Ces lignes ne pouvaient pas déplaire à Mussolini ...

Mais la réponse arrive en fin de lettre : «Pourquoi nous indignons-nous tant contre la guerre, vous et moi et tant d'autres, pourquoi ne l'acceptons-nous pas comme telle autre des nombreuses et cruelles nécéssités de la vie ? Elle semble pourtant conforme à la nature, biologiquement bien fondée, pratiquement à peine évitable». Et puis encore : «La question est de savoir si la communauté ne doit pas avoir également un droit sur la vie de l'individu; on ne peut condamner toutes les espèces de guerre, au même degré, tant qu'il y a des empires et des nations qui sont prêts, sans aucun égard, à en anéantir d'autres, ces autres doivent être armés pour la guerre». Dès lors : la lucidité et le pragmatisme nous obligent à conclure que la guerre est une nécéssité cruelle de la vie, qu'elle se trouve biologiquement fondée, qu'elle est quasi inévitable, que la communauté a des droits sur les individus qui la constituent; que toute guerre n'est pas mauvaise en soi, qu'il faut l'accepter, que le désarmenent est une utopie, une chimère, qu'il faut être armé tant que les autres le seront, c'est à dire toujours. Certes, il faut vouloir la paix, désirer la fin de la guerre, éduquer, investir dans la culture qui éloigne de l'agressivité, mais qui éduquerait et comment ? La solution freudienne ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu'il faut instruire une élite pour diriger les masses. Voilà la solution à apporter au problème de la guerre : un élitisme aristocratique afin d'éduquer les masses au renoncement pulsionnel. [...] Lisons : «Il faudrait consacrer davantage de soins qu'on ne l'a fait jusqu'ici pour éduquer une couche supérieure d'hommes pensant de façon autonome, inaccessibles à l'intimidation et luttant pour la vérité, auxquels reviendrait la direction des masses non autonomes. [...] L'État idéal serait naturellement une communauté d'hommes ayant soumis leur vie pulsionnelle à la dictature [sic] de la raison. Rien d'autre ne saurait susciter une union des hommes si parfaite et si résistante, même au risque d'un renoncement aux liaisons de sentiments entre eux [...]»

[...]

Cinci
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 11765
Inscription : lun. 06 juil. 2009, 21:35
Conviction : catholique perplexe

Re: La psychanalyse est-elle conciliable avec la foi?

Message non lu par Cinci » ven. 08 févr. 2013, 15:13

(suite et fin)


En politique, les publications en témoignent, Freud campe donc sur des positions publiques anticommunistes, antibolchéviques, antisocialistes, antisocial-démocrates et puis, de manière exclusivement privée, les correspondances le prouvent, sur des thèses favorables à l'austro-fascisme de Dollfuss et au fascisme de Mussolini. Voilà pourquoi il défend des thèses franchement inégalitaires, sinon raciales à défaut d'être racistes. Comment, sinon, comprendre cette phrase, toujours dans Pourquoi la guerre ? : «Aujourd'hui déjà les races non cultivées et les couches attardées de la population se multiplient davantage que celles hautement cultivées» On chercherait vainement sous la plume d'Einstein l'équivalent de pareilles vilennies ...

Pourquoi la guerre ? pouvait donc en effet plaire à Mussolini, avec ou sans dédicace, et non pas contribuer à son édification intellectuelle, philosophique et morale dans le sens pacifiste comme la vulgate l'enseigne pour entretenir le mythe d'un Freud juif libéral, modéré, penseur des Lumières, ferment de progressisme social, éthique et culturel. Que faire, alors, des effroyables thèses politiques contenues dans cette lettre de treize pages imprimées : la pulsion de mort à l'origine de la guerre est donc une nécéssité inévitable de la nature; on doit donc composer avec cette évidence pulsionnelle [...] l'idéal serait une société élitiste avec une poignée d'hommes supérieurs dirigeant les foules, ce qui aurait le mérite d'inverser l'actuel mouvement de multiplication des «races» incultes au détriment des «races» hautement cultivées.

A lire ces pages accablantes pour Freud, on peut comprendre que les thèses pacifistes d'Einstein soient en effet qualifiées par lui de sottises. Et qu'il n'ait pas choisi par hasard Pourquoi la guerre ? comme cadeau à faire au héros de la culture qu'était le dictateur italien depuis plus de dix années ! De même, la dédicace n'apparait pas comme une erreur, le trait d'ironie d'un vieux sage à l'endroit d'un tyran à éduquer, mais comme le réel hommage respectueux d'un homme dont les thèses psychanalytiques dispersées dans l'oeuvre complète n'invalident pas la dédicace. Bien au contraire ...»

- Michel Onfray, id., pp. 519-530

Cinci
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 11765
Inscription : lun. 06 juil. 2009, 21:35
Conviction : catholique perplexe

Re: La psychanalyse est-elle conciliable avec la foi?

Message non lu par Cinci » lun. 11 févr. 2013, 7:22

Document :


«... ce développement de Freud vers l'universalisation de la maladie - et du mal - n'est pas seulement une influence de Charcot. De manière plus fondamentale, c'est une habitude héritée de la doctrine chrétienne du péché originel. [...] Le christianisme n'a-t-il pas, d'une certaine manière, universalisé le concept de péché afin d'insister sur le besoin qu'ont tous les hommes, même les plus vertueux, du salut apporté par Jésus ?

Personne n'a mieux souligné cette analogie que David Bakan, dans son étude sur l'influence de la mystique juive dans la pensée de Freud :


  • Que la psychanalyse ait grandi dans le contexte de la guérison des malades réputés incurables par les moyens médicaux orthodoxes, cela s'accorde avec la nature messianique du mouvement psychanalytique. Car il est typique que le messianisme prouve sa légitimité par sa guérison miraculeuse des malades. Ensuite, il se prononce sur des réformes sociales de grande ampleur. Ainsi, la psychanalyse de Freud partit de la guérison des individus pour aller vers la guérison de la société.



Freud lui-même n'est manifestement pas conscient de sa dette envers les archétypes religieux. De même, il ne mesure pas à quel point sa pensée parodie le judéo-christianisme lorsqu'il présente la psychanalyse comme un des coups majeurs infligés à l'amour-propre de l'homme (le deuxième coup après celui de Galilée, ayant été celui de Darwin, qui avait prouvé la nature animale indéracinable de l'homme). En prétendant saper les fondements de l'orgueil humain par sa révélation des pulsions inconscientes qui gouvernent l'homme, Freud s'arroge une mission prophétique qui ressemble fort à celle, par exemple, de saint Augustin quand il élabora la doctrine du péché originel, laquelle devait former le coeur de l'orthodoxie chrétienne au moins jusqu'au dix-huitième siècle. L'essence même de cette doctrine résidait dans son attaque portée à l'encontre de l'orgueil spirituel. Saint Augustin mena cette attaque en se servant d'une théorie de la nature humaine selon laquelle les hommes et les femmes, au lieu d'être maîtres de leur propre vie, étaient voués à demeurer la proie d'une masse grouillante et malpropre de pulsions et de désirs devenus, par la chute d'Adam, une partie indéracinable de leur nature. Remplacez l'âme par l'inconscient, le péché originel par le complexe d'Oedipe (et le confessionnal par le divan), et vous avez la religion freudienne.

Selon la doctrine augustinienne, les individus pouvaient chercher à contrôler ces pulsions grâce à la raison, mais ne pouvaient jamais espérer leur échapper durant leur vie terrestre. L'importance de cette doctrine était due au fait que par elle, et par elle seule, on pouvait établir le besoin d'une rédemption chrétienne de l'homme. Car le but essentiel de la doctrine était d'universaliser le concept du mal. Posant que tous les êtres humains souffraient d'une maladie de l'âme, elle impliquait du même coup que tous avaient besoin d'un médecin. Dans les mots de Pascal, la foi chrétienne traditionnelle reposait sur deux choses : «La corruption de la nature et la rédemption par Jésus Christ.»

La doctrine du péché originel régna pendant des siècles comme la théorie psychologique la plus importante de l'Europe chrétienne. Elle constitue, par son immense portée historique et son profond attrait psychologique, une part essentielle de l'héritage de la culture intellectuelle moderne.

[...]

On devine le rapport entre ces aspects quelque peu oubliés de l'histoire religieuse et les raisons de l'accueil de la psychanalyse au vingtième siècle. Dans l'environnement intellectuel de la Vienne du dix-neuvième siècle, Freud se trouva au prise avec un obstacle culturel semblable par maints aspects à celui vécu par Johnatan Swift au dix-huitième siècle. A quelques exceptions près, le climat intellectuel versait dans l'optimisme rationnel sûr de soi. Beaucoup parmi les penseurs rationalistes les plus influents semblaient résolus à oublier que les hommes et les femmes aient jamais possédé toutes ces pulsions animales et perverses auxquelles on associe le corps. Tout cela était souvent traité comme le résidu animal d'une nature qui finirait par se raffiner en pure rationalité, grâce au pouvoir de la science.

Freud résista contre ce courant intellectuel par une doctrine qu'il croyait, à tort, fermement ancrée dans la science, alors qu'elle n'était qu'une imitation pseudo-matérialiste et crypto-spiritualiste de la doctrine du péché originel. C'est comme résurgence de cette pensée traditionnelle provisoirement refoulée par le rationalisme que s'explique le mieux, à mon sens, l'étrange sentiment de familiarité que suscita la psychanalyse. Elle permettait en somme à des matérialistes convaincus de satisfaire leur nostalgie ancestrale de la doctrine du péché originel.

En 1917, le biologiste de Harvard William Morton Wheeler se fit l'écho de beaucoup quand il souligna le contraste entre les théories de la psychanalyse et les psychologies plus rationnelles :


  • Après avoir lu attentivement depuis vingt ans toute une bibliothèque de psychologies académiques à l'eau de rose, et avoir noté combien leurs auteurs ignorent ou survolent l'existence de phénomènes biologiques aussi prodigieux et fondamentaux que la faim, le sexe, ou la peur, je ne serais pas en désaccord avec, disons, un critique imaginaire débarqué de Mars, qui trouverait que beaucoup de ces ouvrages se lisent comme s'ils avaient été composés par des êtres nés et élevés dans un cloître, castré dans leur prime enfance et nourris pendant cinquante ans par un tube acheminant une nourriture liquide de composition chimique constante ...



  • A présent, je crois que les psychanalystes en viennent aux choses sérieuses ... Ils ont eu le courage de creuser l'inconscient, ce terreau de tout l'égoïsme, la cupidité, la luxure, l'agressivité, la lâcheté, la paresse, la haine et l'envie que chacun d'entre nous porte comme héritage du monde animal.



A cet égard, la partie la plus révélatrice de son propos en est la conclusion. Car ce qui se présente comme un plaidoyer pour le réalisme biologique s'exprime dans un langage de moralité chrétienne traditionnelle; alors même qu'il discute la base biologique de la nature humaine, Wheeler semble bien proche de présenter une liste des sept péchés mortels.

[...]

Freud, pas moins que Swift ou Wesley, offrait une vision de la personnalité qui peignait la nature humaine comme radicalement divisée contre elle-même. Les pulsions et appétits animaux qu'il localisait dans l'inconscient étaient caractérisés en termes essentiellement négatifs. Ils ne devaient pas, selon Freud, être affirmés ou incorporés dans le moi, comme faisant partie de sa richesse; ils devaient plutôt être reconnus par l'intellect puis contrôlés et sublimés par les pouvoirs de la raison.

Freud lui-même ne répugnait pas à employer la traditionnelle rhétorique du moralisme judéo-chrétien pour affirmer cet aspect de sa vision. Même s'il avait une approche douce de la perversion sexuelle, il continua d'employer ce concept et en venait presque parfois à endosser les vues conventionnelles, comme lorsqu'il compara «les pervers» aux monstres grotesques peints par Breughel pour la tentation de saint Antoine, décrivant leur pratiques sexuelles comme abominables.

Il usa d'une démonologie semblable pour décrire les souhaits cachés derrière les rêves. «Ceux-ci étaient, écrivit-il, les manifestations d'un égotisme débridé et sauvage ... ces désirs censurés semblent jaillir tout droit d'un véritable enfer.» Ailleurs, Freud emploie parfois le terme «mal» pour décrire l'inconscient. Comme on l'a déjà vu, il fait allusion à un moment donné au contraste entre l'être moral et l'être mauvais, ce dernier équivalent à l'inconscient.

[...]

Tout ce qui est mauvais dans l'esprit humain est contenu à l'état de prédisposition. Freud dit clairement qu'il trouve désirable de supprimer et de contrôler cette partie mauvaise de l'esprit : «Notre esprit n'est pas une unité paisiblement maîtresse d'elle-même. On doit plutôt la comparer à un État moderne, dans lequel une foule, ivre de jouissance et de destruction, doit être matée par la force d'une classe supérieure.»

Comme les moralistes chrétiens du Moyen Âge, Freud eut aussi tendance à diviser les êtres humains entre bons et mauvais; d'un côté, ceux qu'il jugeait susceptibles de thérapie psychanalytique et, de l'autre, ceux qui étaient «hors du salut». Ceux qui pouvaient être aidés par la psychanalyse étaient vus comme intéressants moralement - dignes de tenir compagnie à Freud lui-même. La plupart des gens, toutefois n'avaient pas accès à cette catégorie de la dignité psychanalytique. Écrivant à propos d'un homosexuel, Freud déclara que «dans les cas les plus défavorables, on embarque de telles personnes ... à travers les océans, avec un peu d'argent, disons vers l'Amérique du Sud et là, on les laisse trouver leur destinée.» Ailleurs, dans une lettre à Lou Andreas Salomé, Freud fit même la confession explicite qu'un de ses pires traits de caractère était une certaine indifférence au monde ... En mon tréfonds, je ne puis m'empêcher de penser que mes compagnons humains, à quelques exceptions près, ne valent rien. Dans une lettre à son ami et disciple, le pasteur Oscar Pfister, il amplifia cette vue :

  • «Je ne me suis pas trop cassé la tête sur le bien et sur le mal, mais je n'ai pas trouvé grand chose de bon chez les êtres humains pour tout dire. De mon point de vue, la plupart sont des ratés, peu importent qu'ils souscrivent en public à telle ou telle doctrine éthique ou à aucune. Si on doit parler éthique, je souscris à un haut idéal dont la plupart des êtres humains auquel j'ai eu affaire s'écartent lamentablement.»
[/size]

La plus troublante ressemblance entre la doctrine psychanalytique et la doctrine chrétienne de la perversion innée des êtres humains par le péché originel apparaît dans les propos de Freud et de ses disciples sur l'enfance. Car l'enfant est pour Freud un «pervers polymorphe». Il est peint de manière implicite ou explicite, comme un bouillon intérieur de perversion sexuelle et de rage sadique. Pour user des termes approbateurs de Erik Erikson, les théories de Freud présentent une vue de l'organisme infantile comme «une centrale d'énergie sexuelle et agressive».

Source : Richard Webster, Le Freud inconnu. L'invention de la psychanalyse, Éditions Exergue, 1998 (Titre original : Why Freud Was Wrong, Sin, Science, and Psychoanalysis), pp. 360-368

http://www.youtube.com/watch?v=FN8THGtN5Yk

(une illustration cinématique a posteriori du propos de Webster; c'est vrai que si le cinéaste était lui-même fils de pasteur, Freud descendait d'une lignée de rabbins)

Cinci
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 11765
Inscription : lun. 06 juil. 2009, 21:35
Conviction : catholique perplexe

Re: La psychanalyse est-elle conciliable avec la foi?

Message non lu par Cinci » jeu. 14 févr. 2013, 3:45

D'autres observations intéressantes :

«... la psychanalyse et la psychologie analytique fonctionnaient en définitive comme des moyens de restaurer chez leurs fondateurs et les disciples de ces derniers, des éléments de la foi religieuse qu'ils avaient perdue. Mais avec toutes ces similitudes, il y a cependant un aspect crucial - au-delà de tout ce qu'on a mentionné - par lequel le système psychologique de Jung diffère de celui de Freud. Car, alors que Freud développa la psychanalyse en s'opposant passionnément à tous les modes de pensée superstitieux, et crut sincèrement que les êtres humains les plus valables avaient, tout comme lui, évolué à un stade de rationalité où ils n'avaient plus besoin des modes de pensée religieux, Jung prit une direction différente. Au lieu de balayer la religion comme une partie du problème, il y voyait une solution potentielle et une source de guérison. «Au cours des trente dernières années,» écrivait-il en 1932,


  • des gens de tous les pays civilisés de la terre m'ont consulté. Parmi mes patients dans la seconde moitié de leur vie - autrement dit à partir de trente-cinq ans - il n'en était pas un seul dont le problème ne fut, en dernier ressort, celui de trouver une vision religieuse de la vie. On ne se trompera pas en disant que chacun d'eux est tombé malade en ayant perdu ce que les religions vivantes de tous les âges ont donné à leurs fidèles, et qu'aucun d'eux n'a vraiment été guéri qui n'ait regagné cette perspective religieuse. (Carl G. Jung, Modern Man in Search of a Soul, Routhledge and Kegan, 1960, p.264)



[...] les termes de Jung dénotent manifestement une lucidité plus grande sur sa propre identité religieuse que n'en montra jamais Freud. La compréhension de Jung de son rapport à la tradition religieuse s'exprime fréquemment ailleurs dans ses écrits, et il se révèle fort intéressant quand il souligne l'influence pénétrante du christianisme sur la culture intellectuelle occidentale :


  • Nous croyons toujours que le christianisme consiste en une profession de foi et en l'appartenance à une église. Non, le christianisme est notre monde. Tout ce que nous pensons est le fruit du Moyen Âge, et du Moyen Âge chrétien. Toute notre science, tout ce qui passe par notre tête, a inévitablement traversé cette histoire. Cela vit en nous et a laissé son empreinte en nous pour toujours, et formera toujours une couche vitale de notre psyché, tout comme les couches phylogénétiques en notre corps. La nature tout entière de notre mentalité, la façon dont nous voyons les choses, est aussi le résultat du Moyen Âge chrétien; que nous le sachions ou non est relativement sans importance. L'âge des Lumières rationalistes n'a rien éradiqué. Même notre méthode rationaliste des Lumières est chrétienne. La Weltanschauung chrétienne est donc un fait psychologique qui ne permet pas de rationalisation plus poussée; c'est quelque chose qui s'est produit, qui est présent. Nous sommes inéluctablement marqués comme chrétiens, mais nous sommes aussi marqués par ce qui a précédé le christianisme. (dans Carl G. Jung, Psychological Reflexions, Routhledge and Kegan, 1953, p. 341)


[...]

Il semble bien que Jung possède une réelle lucidité, tant sur sa propre tendance religieuse que sur la nature religieuse des besoins qu'il cherche à satisfaire par ses recherches. Et c'est Jung lui-même qui, dans une série de réflexions sur le problème de la réalisation de soi, saisit le plus clairement les raisons qui poussèrent Freud à se séparer de lui avec tant d'exaspération et dans une telle atmosphère de haine et d'animosité :


  • Notre réticence à voir nos propres fautes et le fait de les projeter sur autrui est la source de la plupart des querelles, et l'assurance la plus solide que l'injustice, l'animosité, et la persécution ne s'éteindront point.

    La haine d'un homme se concentre toujours sur la chose qui le rend conscient de ses défauts.

    Quand nous laissons quelque chose nous irriter au-delà du raisonnable, ne croyons pas que la cause de notre irritation réside simplement et uniquement en-dehors de nous, dans la personne ou la chose irritante. De cette façon, nous leur conférons simplement le pouvoir de nous mettre dans un état d'irritation. Nous nous retournons alors, et condamnons sans hésiter l'objet de l'offense, alors que pendant tout ce temps, nous pestons contre une partie inconsciente de nous-même qui se projette sur l'objet exaspérant.

    Un homme qui est inconscient de lui-même agit de façon aveugle, à l'instinct, et est en outre berné par toutes les illusions qui surgissent quand il voit ce dont il n'est pas conscient en lui-même venir à sa rencontre de dehors comme projection sur son prochain.

    Les projections font du monde une réplique de notre visage inconnue (Jung, Psychological Reflexions, p. 224)



A la racine du conflit entre Freud et Jung, nous pouvons donc discerner la fuite de Freud devant sa propre religiosité. Plus il niait les profondeurs religieuses de sa personnalité, et plus il tentait de présenter son propre système crypto-théologique comme une construction purement scientifique, plus il était déconfit de voir son plus éminent disciple manifester au grand jour la religiosité même qu'il réprimait.»

Source : Richard Webster, id., pp. 415-417

Répondre

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 43 invités