Bonjour Christophe,
Christophe a écrit : Qu'il y ait différentes formes d'homosexualité, dont certaines sont "circonstanciées" et ne relèvent pas de pathologie, soit. Mais cela ne prouve absolument pas que chez d'autres personnes, l'origine de cette "impossibilité d'un accouplement hétérosexuel" - si l'on accepte ta thèse - ne soit pas de nature pathologique (peut-être une névrose, mais plus vraisemblablement un complexe). Qui dit pathologie, dit possibilité de thérapie. Et effectivement, des thérapies existent...
S'il s'agit d'une homosexualité décrite comme "névrose" ou de "complexe", ce n'est pas de forcément de pathologie qu'il s'agit. "L'impossibilité d'un accouplement hétérosexuel" dont je parle ne consiste pas dans la seule impossibilité d'un rapport hétérosexuel. C'est l'impossibilité d'une relation entre égaux sexués, l'homme et la femme s'acceptant comme époux et parents de leur enfant. Avoir un système de valeurs présentant l'accès à cette relation comme une victoire ou le fruit d'une performance quelconque peut suffire à en établir l'impossibilité. Et ce n'est pas parce qu'une telle relation est impossible qu'elle ne demeure pas la mesure, le critère, de l'épanouissement sexuel de la personne. La revendication du mariage homosexuel et de l'adoption d'enfant par les homosexuels en témoignent fortement. Et ce n'est pas parce que l'impossibilité est intérieure qu'elle est forcément pathologique. Voir Proust dans
A l'ombre des jeunes filles en fleurs où l'impossibilité apparaît clairement comme expression d'un système de valeurs :
"ce monde inhumain qui enfermait la vie de cette petite tribu, inaccessible inconnu où l'idée de ce que j'étais ne pouvait certainement ni parvenir ni trouver place"
"elles eussent jugé que la foule environnante était composé d'êtres d'une autre race et dont la souffrance même n'eût pu éveiller en elles un sentiment de solidarité"
"Et c'était par conséquent toute sa vie qui m'inspirait du désir ; désir douloureux, parce que je le sentais irréalisable"
"la supposition que je pourrais un jour être l'ami de telle ou telle de ces jeunes filles, que ces yeux dont les regards inconnus me frappaient parfois en jouant sur moi sans le savoir comme un effet de soleil sur un mur, pourraient jamais par une alchimie miraculeuse laisser transpénétrer entre leurs parcelles ineffables l'idée de mon existence, quelque amitié pour ma personne, que moi-même je pourrais un jour prendre place entre elles, dans la théorie qu'elles déroulaient le long de la mer, - cette supposition me paraissait enfermer en elle une contradiction aussi insoluble, que si devant quelque frise antique ou quelque fresque figurant un cortège, j'avais cru possible, moi spectateur, de prendre place, aimés d'elles, entre les divines processionnaires."
Ce sont ici des valeurs religieuses, comme le vocabulaire le laisse entrevoir. Religieuses mais idolâtres. Dans Gombrowicz on trouve aussi des analyses très profondes sur cette impossibilité, spécialement dans
Ferdydurke , avec tout ce qui tourne autour du personnage de la "lycéenne moderne". Et aussi dans Shakespeare avec l'impossibilité de
Mesure pour mesure .
Le commun à toutes ces analyses du désir est de montrer que les valeurs du désir sont religieuses : victoire/impossibilité, divinité/indignité, plénitude/inassouvissement... L'impossibilité suppose toujours une possibilité victorieuse, complètement fantasmée, profondément idolâtre. Mais cette foi dans la divinité des autres est secrète et c'est la chose la plus difficile à s'avouer et à confesser. On préfère se satisfaire de toute fable : je l'ai choisi, je suis né avec, je suis malade, je suis névrosé, complexé, plutôt que de reconnaître qu'on est vaincu selon une règle qu'on se donne arbitrairement à soi-même, qu'on est sacrifié selon un culte qu'aucune église ne nous a imposé.
De l'impossibilité de la relation sexuée, il faut rapprocher les phénomènes de possession. Ceux que l'on peut voir dans le documentaire de Jean Rouch :
Les maîtres fous et dans les crises de groupies devant leurs idoles.
Christophe a écrit :D'autre part, tu compares la libido au flux d'un torrent. Je sais que comparaison n'est pas raison, mais avec ce type de métaphore, on a du mal à admettre la possibilité même de la continence sexuelle...
Je parle de l'appétit sexuel qui cherche l'autre sexe et faute de le trouver se satisfait d'un substitut. L'image d'un torrent barré, c'est celle d'un dynamisme qui déborde par où il peut, au lieu de passer par où il voudrait.
Tout le monde n'est pas appelé à la continence, la vocation religieuse est particulière, mais la vocation au mariage, à l'union d'égaux sexués, est universelle. Les religieux ont des grâces d'état, les autres ont leur courage et surtout le mariage. "Mais s'ils ne peuvent pas se maîtriser, qu'ils se marient, car mieux vaut se marier que brûler de désir." (1 Co 7, 9)