1. Je ne pense pas avoir usé de facilité. Je voulais relever la contradiction à affirmer « encore une fois il n'est pas question de dire que chaque personne de la Trinité ne s'aime pas elle-même », alors que votre pensée, plusieurs fois exprimée, est que l’amour est essentiellement dynamique, dynamisme excluant par principe que l’amour de soi puisse relever de l’amour : « la question ne se pose pas car elle n'est simplement pas dans la "logique" de l'amour ». Si l’amour est essentiellement dynamique, si essentiellement dynamique que l’amour de soi est inconcevable car n’entrant pas dans la logique de l’amour, devient contradictoire de nier que la logique de l’amour exclut l’amour de soi.Vous usez de facilité ici. Je n'ai rien concédé pour le moment, j'ai plutôt sous-entendu que le sujet ne se limitait pas à a ou b, usant du conditionnel pour le faire comprendre (et je pense que vous l'avez compris)
2. Mais qu’est cette vie sinon l’être-même de Dieu, l’acte pur, d’ordre absolu ? L’amour divin n’est pas un relatif mais un absolu, au fondement des relatifs. Il y a certes identité réelle de la nature divine à chaque personne divine, mais c’est la personne qui s’oppose corrélativement aux deux autres, pas la nature. La nature fonde la personne, elle ne s’oppose pas corrélativement à la personne. Il n’y a pas de quaternité en Dieu. Or, puisque l’amour est un acte, d’ordre absolu, au fondement des trois personnes, et puisque cet acte est absolument simple, il est à lui-même son objet. Bref, l’amour divin est essentiellement statique : l’amour divin est l’amour de Dieu pour Dieu, et cet amour est Dieu, est la Déité-Dieu commune aux trois personnes. On peut certes le qualifier de dynamique pour signifier que cet acte est au fondement des trois corrélatifs, mais certainement pas pour dire qu’il s’opposerait aux personnes qu’il fonde. Quoi donc est l’amour d’une personne divine pour une autre personne divine ? Rien d’autre que l’acte pur, d’ordre absolu, essentiel, statique, identique à sa perfection absolue : l’amabilité de la perfection absolue qu’est la déité et l’acte d’amour qu’est la déité pour elle-même sont identiquement la déité. Quoi donc est aimé dans cette personne ? Rien d’autre que sa perfection absolue, essentielle, commune aux trois personnes. Que signifie donc le caractère « dynamique » de l’amour d’une personne divine pour une autre ? Rien d’autre que la corrélation de l’une à l’autre fondée sur leur absoluïté commune. Quoi signifie le caractère « diffusif » de l’amour trinitaire ? La corrélation et consubstantialité des personnes. Bref, la « procession » divine n’est rien d’autre que l’acte au fondement des corrélatifs en tant que cet acte est référé aux personnes qu’il fonde et qui le sont distinctement selon l’opposition de corrélation.Vous dites que l'amour peut être statique mais l'amour est vivant, il se diffuse, se partage. Comment ce qui est vie pourrait-il être statique ? Un amour statique ne serait-il pas stérile, mortifère ?
3. Les attributs divins, d’ordre absolu, sont réellement identiques mais conceptuellement distincts, et conceptuellement séquencés selon la suite logique qu’impose les perfections créées desquelles, par analogie, elles sont attribuées à Dieu.En fait, ce qui peut être surprenant chez vous comme chez beaucoup d'autres que je peux lire c'est cette propension à scinder Dieu, c'est-à-dire que Dieu est amour et justice et vie mais où le "et" est séparation.
4. Nous sommes d’accord, encore que je m’étonne que vous envisagiez ici la vie comme statique.Par conséquent, tout est unifié en Dieu. Il n'y a pas de justice sans amour en Dieu ni d'amour sans justice. Pas plus qu'il n'y a d'amour sans vie (statique) ni de vie sans amour. Dieu est amour et justice et vie mais où le "et" est union.
5. Je m’y suis arrêté : « À poser trois subsistences relatives constitutives et distinctives des personnes divines, le primat est aux personnes divines, et d’abord à la première des trois : Dieu, c’est le Père. En ce schème, auquel je souscris, c’est la personne du Père qui constitue la Déité. Elle la constitue, puisque nonobstant que la relation de paternité n’a pas d’autre perfection que celle de son fondement, ce fondement n’existe qu’en les relations qui le sont réellement. Et parce que la relation de paternité est la première des trois relations corrélativement opposées, la personne du Père est la raison de la Déité autant que la source de la Trinité. Mais nul devenir en ceci. C’est de toute éternité que les personnes s’aiment les unes les autres, et cet amour n’est autre que la nature divine qu’elles sont toutes et chacune. Enfin, si cet amour va aux personnes, il n’y va qu’en tant qu’elles sont réellement identiques à la nature divine, puisque toute l’amabilité de la personne est dans la nature divine qu’elle est. Le Père aime le Fils parce que le Fils est aimable, mais cette amabilité du Fils ne résulte pas de son altérité à la personne du Père, mais de son identité de nature à la personne du Père. L’amabilité du Fils, c’est la divinité commune aux trois personnes. »Sauf que tout infiniment aimable que soit la personne divine et tout motif qu'elle aurait de s'aimer infiniment, elle est source.
Vous me direz que dans ce cas les trois personnes divines sont sources et qu'elles ne devraient alors pas s'aimer les unes les autres. Mais c'est justement là où je dirais que prend tout son sens la pluralité en Dieu, la divinité en trois personnes pour permettre cet amour à travers cette distinction.
Par ailleurs, vous avez plusieurs fois repris l'aspect don mais sans forcément vous arrêter sur l'aspect encore plus important qui est celui de source. Dieu n'a pas l'amour en lui, il est amour. Or, "étant" alors il est source et ce qui est source est don.
6. Je ne m’oppose donc pas à toute théologie du don, mais à toutes celles qui ne respectent pas les exigences posés en 2. et conséquemment en 8. et 9.
7. Aïe. L’amour est d’ordre absolu (cf.2). S’il était d’ordre relatif, comment le Père pourrait-il recevoir l’amour du Fils sans procéder du Fils ?Pourtant, je me dis que toute source qu'il soit, il peut bien recevoir aussi l'amour. Mais c'est certainement du fait de la dimension relationnel de l'amour. C'est dans la relation que l'amour peut se recevoir, pas de soi à soi.
8. Par ailleurs, la procession divine n’est rien d’autre que l’acte au fondement des corrélatifs, en tant que cet acte est référé aux personnes qu’il fonde et qui le sont. La procession divine n’impliquant aucun devenir de la personne qui procède, puisqu’elle est divine et ainsi immuable, s’en suit que parler de « réception » de la divinité en la personne qui procède, c’est seulement signifier qu’elle est divine et corrélative à la personne dont elle procède. La personne dont elle procède lui est logiquement antécédente selon l’ordre ou la suite des relations, quoiqu’elle lui soit réellement simultanée (co-éternelle) selon leur fondement commun. De même, parler de « donation » de la divinité par la personne dont l’autre procède, c’est seulement signifier qu’elle est divine et corrélative à la personne lui étant logiquement conséquente quoique réellement simultanée. Parler de donation ou de réception est user d’une métaphore pour signifier la déité immuable au fondement de la personne divine en signifiant cette personne dans sa corrélation à une autre.
9. C’est l’ordre d’origine des relations divines qu’on affirme en disant que le Père est source de la Trinité, origine sans origine, principe sans principe des hypostases procédantes, que le Fils procède du Père et est co-principe de l’Esprit, que l’Esprit procède du Père principaliter et du Fils. Car quoique les personnes divines soient réellement distinctes les unes des autres, elles sont toutes réellement identiques à la déité éternelle, raison pourquoi l’ordre d’origine des différentes personnes n’introduit aucune antécédence ou conséquence réelle entre les personnes. L’ordre d’origine des relations ne réfère pas au fondement des relations, par quoi elles sont divines, éternelles, réelles, mais à la seule opposition de corrélation se déployant selon la suite logique des corrélatifs. La relation n’étant pas une perfection relative mais un rapport n’ayant pas d’autre perfection que celle que la relation est par son fondement, rapport ou relation corrélatif à d’autres relations corrélatives, la corrélation est selon l’ordre même de cette corrélation : du Père au Fils jusqu’à l’Esprit.
10. Aïe. L’amour divin n’est pas une relation divine mais le fondement divin des relations divines. L’amour divin est d’ordre absolu, pas d’ordre relatif.Mais ce n'est pas vraiment en raison de l'altérité en soi que les personnes sont aimées, tel que s'apportant quelque chose qui manquerait à l'autre. Mais c'est surtout que l'amour est relationnel, échange (et amour de ce qui est aimable bien évidemment). Ce que justement l'opposition de corrélation permet.
11. Si n’était qu’une seule personne divine, elle serait toujours divine, toujours d’essence divine, toujours réellement identique à la nature divine, donc toujours aimable d’une amabilité absolue réellement identique à l’acte d’amour de Dieu pour Dieu qu’est Dieu. Ce qui changerait, c’est que cet acte d’ordre absolu ne serait pas le fondement de trois relatifs corrélativement opposés.Or, sans distinction, si Dieu était une seule personne, solitude de toute éternité alors comment l'amour pourrait-il circuler, être vivant ? Pourtant, dans cette idée de Dieu le Père qui aimerait Dieu le Père c'est un peu l'idée qu'on retrouve que cet amour solitaire.
L'amour du Dieu vivant peut-il vraiment être statique ? Là, je peine avec l'idée.
12. Qu’entendez-vous par « don de sa vie » ? Si vous voulez signifier le fait que sur la Croix le Christ s’est offert pour nous, c’est de sa vie humaine dont vous parlez. Si vous voulez signifiez qu’au Ciel il imprime sa Déité dans l’intellect des élus, cette impression n’implique aucun mouvement de la Déité, supposant seulement que Dieu présent à toute choses par sa présence active d’immensité surélève l’intellect patient de l’homme par la lumière de gloire afin que l’intellect puisse enfin voir Dieu. Ou serait-ce que vous sous-entendez ici la monstrueuse doctrine de la kénose intra-divine ? Au sens orthodoxe et paulinien du terme, la kénose ou dépouillement de soi consiste, pour le Fils, sans cesser d’être Dieu, à se faire homme pour mourir sur la Croix. Par le double voile de son incarnation et de sa passion, la personne du Fils s’est provisoirement dépouillée, en son humanité, des marques glorieuses induites par l’union hypostatique de son humanité à sa divinité. Au sens profondément malsain et blasphêmatoire, la kénose est intra-divine. La kénose intra-divine, c’est, poussée en ses ultimes conséquences, l’exinanition et l’exaltation de chaque personne divine en tant que divine : dans la vie intradivine d’amour, les personnes divines sont des relations mutuelles de désintéressement et de désappropriation d’elles-mêmes. Cette désappropriation de soi, de la déité qu’est la personne dont l’autre personne procède, est la forme extrême de la théologie du don : en donnant tout ce qu’elle est, la personne cesse d’être du fait même, pour n’avoir rien gardé pour soi, pas même l’être ou la déité qu’elle est. De sorte enfin que, pour éviter d’avoir à affirmer de but en blanc que le Père décède en engendrant le Fils, est excipé d’une prétendue dynamique de l’amour trinitaire en conséquence de quoi l’amour reçu est rendu, le mort est ressuscité, le Père rendu à la vie. Outre qu’alors le Père procède du Fils autant que le Fils procède du Père, ceci que la Déité est réduite au mistigri que les joueurs de carte se refilent à tout va : chaque personne divine, en son éternité assimilée à un perpétuel devenir, trépasse et ressuscite au gré des dons et contre-dons. Les hypostases ne sont divines que par intermittence, la déité clignote en chacune d’elles en un procès éternel dont l'éternité permet, contre toute logique, d’affirmer que même mortes les personnes divines sont vivantes, le contre-don annulant l’effet mortifère du don.Vous soulignez souvent que l'amour consiste à aimer ce qui est aimable et donc que chaque personne divine étant infiniment aimable alors elle s'aime infiniment. Mais il me semble que cet amour de soi infini car infiniment aimable met en branle la notion de sacrifice. Comment Dieu le Fils s'aimant infiniment pourrait-il alors faire don de sa vie ?
13. La donation n’est pas un mouvement mais la déité immuable référée à la personne dans sa corrélation à la personne qui lui est logiquement conséquente selon l’ordre d’origine (cf. 8. et 9.). La donation n’étant que la déité envisagée en la personne logiquement antécédente, cette personne étant réellement identique à son fondement, s’en suit que le même amour essentiel, la deité, fondement commun aux trois relatifs consubstantiels, pourra être dit statique ou dynamique selon qu’on l’envisage : ou en la personne dont il est le fondement ; ou en cette personne dont il est le fondement en tant que cette personne est corrélative aux autres. L’amour comme don, l’amour d’autrui, l’amour d’une personne divine pour une autre, ne s’oppose donc pas à l’amour de soi, à l’amour d’une personne divine pour elle même : c’est le même amour (cf. 2.) !!! Ainsi selon que vous envisagiez la relation substantielle qu’est le Père comme réellement identique à sa substance ou comme relation substantielle consubstantielle aux deux corrélatifs consubstantiels auxquels il s’oppose, vous envisagerez sa déité comme amour statique ou dynamique.Comment une personne s'aimant infiniment (parce qu'infiniment aimable) pourrait-elle donner tout simplement ? Je crois que le plus gros problème ici est dans cet infini de cet amour de soi. Comme un effondrement infini sur soi qui ne laisserait échapper aucune ouverture. Si encore il y avait une limite dans cet amour mais ici il n'y a pas de limite qui permette une sortie. Comment resolvez-vous cela ?
14. Je ne considère pas que Dieu soit humble, sinon par manière de parler. Voyez iciEt autre point important : l'humilité divine, en quoi consiste-t-elle pour vous ?
15. Je ne considère pas que vous cherchiez à me piéger. Vous vous interrogez, et commencez probablement à percevoir que vous n’aurez les réponses qu’à plonger votre regard au plus profond du mystère trinitaire. La complexité conceptuelle qu’il faut déployer pour parvenir à l’intelligence scolastique d’un tel mystère en découragerait beaucoup. Comme vous le dites fort justement, ce n’est vraiment pas évident, à première vue du moins.Ne voyez pas un piège dans ces questions. Car en approfondissant le sujet, je me rend compte à quelle point il n'est vraiment pas évident.
16. L’unité n’est pas le fondement de l’amour : :elle est l’amour essentiel de la déité pour elle-même (cf. 2) au fondement des personnes qui sont essentiellement toutes cet amour. C’est bien pourquoi l’amour de la personne divine pour elle-même ou pour les autres personnes ne se distingue pas de l’amour de la déité pour elle-même : c’est réellement identiquement le même amour, mais conceptuellement distingué selon qu’on l’envisage ou comme essence divine ou comme cette essence en tant qu’elle est au fondement de l’une quelconque des personnes.L'amour de la personne divine pour elle-même n'est fondée que sur l'unité, sur l'unité des personnes divines et non sur l'union de trois individualités justement.
17. L’unité est le fondement de la pluralité. L’unité, c’est la Déité-Dieu que sont Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, non pas trois dieux mais un seul Dieu, non pas trois amours mais un seul Amour, l’acte d’amour de la déité pour l’amabilité infinie de la perfection absolue qu’est la déité (cf. 2.). Chaque personne s’aime elle-même, aime les deux autres, aime la Trinité, parce que chacune est la nature divine aimant la nature divine. En aimant la nature divine, l’unité de la nature divine, chaque personne aime la pluralité des personnes, chaque personne étant réellement identique à la nature divine., laquelle est sa seule perfection.Comme si l'amour ne pouvait qu'être pluriel, ne pouvait qu'être substantiellement communion "je m'aime parce que je t'aime. Je m'aime parce que j'aime". Comme si l'amour ne pouvait qu'être unité mais de façon assez étonnante comme si l'unité ne pouvait qu'être pluriel.
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Je m’aperçois que je viens de vous donner un cours de théologie trinitaire.
Je prends maintenant congé, quelques jours de vacances.
Je vous souhaite bonne continuation.