Esprit et Matière

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Larmorencourt
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Esprit et Matière

Message non lu par Larmorencourt » mer. 07 déc. 2005, 11:07

"La chair n'est rien, c'est l'esprit qui vivifie". Quel est le rapport entre la matière et l'esprit dans la doctrine catholique? Quel est le rapport entre l'esprit et la matière dans les autres systèmes philosophiques? La matière engendre l'esprit? L'esprit est-il émergence de la matière? L'esprit est-il autonome par rapport à la matière? Je ne suis ni philosophe ni théologien, j'aimerais que vous m'éclairiez sur ce point et si possible en termes simples. Que disent la doctrine catholique, Aristote, Spinoza ou Kant?

bajulans
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Gaudium et Spes

Message non lu par bajulans » mer. 07 déc. 2005, 12:10

Je ne sais si cela vous satisfera, j'ai trouvé cela sur le très riche site "jesusmarie" tiré de Gaudium et Spes de Vatican II :
Constitution de l'homme.

14 § 1. Corps et âme, mais vraiment un, l'homme est, dans sa condition corporelle même, un résumé de l'univers des choses qui trouvent ainsi, en lui, leur sommet, et peuvent librement louer leur Créateur (5). Il est donc interdit à l'homme de dédaigner la vie corporelle. Mais, au contraire, il doit estimer et respecter son corps qui a été créé par Dieu et qui doit ressusciter au dernier jour. Toutefois, blessé par le péché, il ressent en lui les révoltes du corps. C'est donc la dignité même de l'homme qui exige de lui qu'il glorifie Dieu dans son corps (6), sans le laisser asservir aux, mauvais penchants de son cœur.

§ 2. En vérité, l'homme ne se trompe pas, lorsqu'il se reconnaît supérieur aux éléments matériels et qu'il se considère comme irréductible, soit à une simple parcelle de la nature, soit à un élément anonyme de la cité humaine. Par son intériorité, il dépasse en effet l'univers des choses : c'est à ces profondeurs qu'il revient lorsqu'il fait retour en lui-même où l'attend ce Dieu qui scrute les cœurs (7) et où il décide personnellement de son propre sort sous le regard de Dieu. Ainsi, lorsqu'il reconnaît en lui une âme spirituelle et immortelle, il n'est pas le jouet d'une création imaginaire qui s'expliquerait seulement par les conditions physiques et sociales, mais, bien au contraire, il atteint le tréfonds même de la réalité.

Dignité de l'intelligence, vérité et sagesse.

15 § 1. Participant à la lumière de l'intelligence divine, l'homme a raison de penser que, par sa propre intelligence, il dépasse l'univers des choses. Sans doute son génie au long des siècles, par une application laborieuse, a fait progresser les sciences empiriques, les techniques et les arts libéraux. De nos jours il a obtenu des victoires hors pair, notamment dans la découverte et la conquête du monde matériel. Toujours cependant il a cherché et trouvé une vérité plus profonde. Car l'intelligence ne se borne pas aux seuls phénomènes; elle est capable d'atteindre, avec une authentique certitude, la réalité intelligible, en dépit de la part d'obscurité et de faiblesse que laisse en elle le péché.

§ 2. Enfin, la nature intelligente de la personne trouve et doit trouver sa perfection dans la sagesse. Celle-ci attire avec force et douceur l'esprit de l'homme vers la recherche et l'amour du vrai et du bien; l'homme qui s'en nourrit est conduit du monde visible à l'invisible.
(...)
§ 4. Par le don de l'Esprit, l'homme parvient, dans la foi, à contempler et à goûter le mystère de la volonté divine (8).
Pour l'esprit, vous voyez clairement, pour la chair entendue au sens chrétien, c'est me semble-t-il cela :
Toutefois, blessé par le péché, il ressent en lui les révoltes du corps. C'est donc la dignité même de l'homme qui exige de lui qu'il glorifie Dieu dans son corps (6), sans le laisser asservir aux, mauvais penchants de son cœur.
La chair, c'est la révolte du corps. C'est la tendance la plus difficile à dompter au dire des auteurs spirituels.

Pour ce qui de l'immatérialité de l'âme, j'ai un court texte cité par Gilson que malheureusement je n'arrive pas à retrouver, où il est dit à peu près que l'esprit qui s'exprime par le discours, les idées, est irréductible à la matière, éternel, immatériel et il en déduit l'immatérialité et l'immortalité de l'âme ; malheureusement, j'ai perdu le texte et je n'arrive plus à le retrouver, il s'agissait d'une citation d'un philosophe grec ancien qui n'était pas Aristote. Gilson s'émerveillait à la suite de ce grand penseur que son raisonnement était irréfutable, ce qui me semblait en effet.
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Message non lu par monachorum » mer. 07 déc. 2005, 14:56

Larmorencourt a écrit :"La chair n'est rien, c'est l'esprit qui vivifie". Quel est le rapport entre la matière et l'esprit dans la doctrine catholique? Quel est le rapport entre l'esprit et la matière dans les autres systèmes philosophiques? La matière engendre l'esprit? L'esprit est-il émergence de la matière? L'esprit est-il autonome par rapport à la matière? Je ne suis ni philosophe ni théologien, j'aimerais que vous m'éclairiez sur ce point et si possible en termes simples. Que disent la doctrine catholique, Aristote, Spinoza ou Kant?
Bonour,

Je vous invîte à lire "l'être" d'Aristote. C'est une approche empirique de la philosophie première. Il décortique les concepts d'âme et substance, explique les principes d'inductions permettant d'accéder à ces deux concepts et par l'appréhension de la réalité, pose un certain nombre de déterminations (sur cette même réalité) qui sont aux nombres de 10 (les prédicaments aristotélicien)....

Aristote explique que pour saisir la matière il faut en premier lieu l'appréhender en posant ce qu'il appelle un "jugement d'existence". Je déclare "ceci est". Par ce positionnement, je détermine un certain nombre d'accidents (quantité, qualité, lieu etc) qui d'une certaine façon concrétise la réalité appréhendé. Pour simplifier le raisonnement, disons que cela me permet de conceptualiser une réalité. Mais cette conceptualisation ne détermine pas en totalité ce qu'est la chose appréhendé. Je ne saisis que la matière, son "esse" total me sera toujours étranger, parce que je ne peux saisir que ce que mon intellect peut se représenter. Il y a une symbolique très forte de la réalité imparfaite saisie de la substance de l'objet, avec en analogie le symbolisme de la réalité divine parfaite en substance et en tant que réalité, et imparfaite quand à mon accession face d'une part à ma découverte et mon appréhension de cette même réalité qui est Dieu.

Concernant le concept d'âme aristotélicienne, il fait référence aux séparations et identités intrinséque qu'est l'âme c'est à dire : l'âme intellective "le nous", l'âme appétitive ou sensitive et l'âme végétative (ou la vie plus exactement). Caractérisation spécifique de l'identité humaine. Les animaux explique Aristote n'ont que deux caractéristiques (appétitive et végétative).
Pour induire le concept d'âme, voici ce qu'il dit :
"Le couronnement des oeuvres biologiques est à chercher dans le traité De l'âme , du moins dans ses deux premiers livres, qui traitent de " cette sorte d'âme qui n'existe pas indépendamment de la matière " et qui, à la différence de l'âme immatérielle ou intellect (le "noûs"), n'est autre que le principe vital, caractéristique non seulement de l'homme, mais de tout être vivant. Aristote n'est pas parvenu d'emblée à cette conception de l'âme et, dans aucun autre domaine de sa philosophie, son évolution n'a été aussi claire que sur cette question. Parti de l'affirmation platonisante d'une dualité radicale entre l'âme et le corps, Aristote parvient, dans le traité De l'âme , à une conception qui, au contraire, voit dans l'âme la forme du corps, donc liée à lui et disparaissant avec lui. Mais l'âme n'est pas la forme de n'importe quel corps : elle est la forme d'un corps naturel, c'est-à-dire d'un corps qui a en lui-même le principe de son propre mouvement. Mais cela ne suffit pas encore à distinguer l'âme et la forme d'un corps physique quelconque, bien que la forme du corps physique, cause finale et formelle de la matière, soit souvent illustrée par l'analogie de l'âme : si la hache avait une âme, cette âme ne serait autre que la forme ou, en termes modernes, la fonction de la hache, de même que la vision est " l'âme " de l'oeil. Un pas de plus est donc nécessaire pour définir l'âme au sens strict : il faut préciser que " l'âme est la forme d'un corps organisé ayant la vie en puissance ", c'est-à-dire d'un corps pourvu d'instruments, d'organes, propres à accomplir les fonctions que réclame la vie ; mais une telle vie resterait seulement en puissance, si l'âme ne la maintenait constamment en acte (même en l'absence d'une activité en exercice, comme dans le sommeil). L'âme est définie comme le principe vital, par quoi le corps se trouve " animé " et faute de quoi il retourne à la pure matérialité.

Il est caractéristique qu'Aristote se croie en mesure d'expliquer la vie avec les seuls concepts fondamentaux qu'utilisait sa physique (mais une physique qui, nous l'avons vu, est tout autre que mécaniste) : l'âme est forme, acte, fin ; le corps est matière, puissance, instrument, ce qui n'empêche pas le corps organisé d'être lui-même forme, acte et fin par rapport aux tissus dont il est constitué. L'âme n'est donc pas autre chose que le terme suprême d'une hiérarchie de formes qui expliquent successivement la cohésion de la matière spécifiée (par opposition à la matière première), du corps physique et, finalement, de l'être animé. Quoiqu'elle soit le terme ultime de la série, l'âme semble bien encore appartenir à cette série, somme toute " physique ", de sorte que la théorie aristotélicienne de l'âme sera entendue par certains disciples, comme Straton et Aristoxène, en un sens " physiciste ", voire matérialiste. Il serait plus exact néanmoins de parler d'organicisme. L'âme est au corps ce que la fonction est à l'organe, ce que la vision, par exemple, est à l'oeil. La conséquence en est que l'âme n'est pas un être subsistant par lui-même. La substance, ce n'est pas l'âme, mais le composé d'âme et de corps. À la question posée dès le premier chapitre du livre I du traité De l'âme : " L'âme a-t-elle des attributs qui lui soient propres ? " Aristote répond négativement : ce qu'on appelle improprement " passions de l'âme " n'affecte pas l'âme seule, mais l'âme avec le corps ; c'est l'être vivant tout entier <<âme et corps>> qui se met en colère, fait preuve de courage, éprouve des désirs ou des sensations..."""
(Commentaire d'un prof de philosophie en encadré)


En Christ,

"Monachorum"

PS: Si j'ai fais des erreurs d'analyses c'est que mes années d'études en philosophie sont loin derrière moi....

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Message non lu par Larmorencourt » mer. 07 déc. 2005, 18:14

Merci pour vos eclaircissements, si j'ai bien compris, l'âme est à l'homme ce que le "sens" ou la fonction est à l'outil. C'est celui qui fabrique ou utilise l'outil qui confère le sens et pas l'outil-lui-même. Donc, si je comprend bien, la matière ne peut générer l'esprit par elle-même puisque c'est quelque chose de plus organisé qui est l'homme qui donne un sens à quelque chose d'inférieur qui est de la matière inerte et par voie d'analogie, c'est quelque chose de supérieure à l'homme (cependant avant que celui-ci soit pourvu d'une âme) qui donne une âme à l'homme. Je lisais le dernier Science et Vie, plusieurs articles semblent affirmer que la conscience émergeait de la matière organisée, ce qui me semble effrayant. Quel est le point de vue de la science, reconnaît-elle ne pas pouvoir expliquer l'émergence de l'esprit ou émet-elle des hypothèses?

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"Science et Vie"

Message non lu par bajulans » mer. 07 déc. 2005, 18:29

Cher Larmonrencourt,

N'allez pas chercher dans Science et Vie la vérité catholique ni une philosophie sérieuse. Si l'esprit surgit de la matière, c'est plus qu'un miracle, car la matière ne peut rien produire au dessus d'elle, du moins ne résulte jamais le plus.

Dans cette... matière si élevée, si abstraite, je crois qu'il faut renoncer à comprendre comme nous comprendrions les notions de base de la grammaire, par exemple. Nous pouvons contempler, nous pouvons admirer, nous ne saisissons pas entièrement et pleinement. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu'il faille renoncer à se cultiver, mais pas avec Science et Vie, au moins pas exclusivement, car S et V est une publication notoirement simpliste et matérialiste qui cherche à nous faire croire que la science (qui est en fait souvent de l'histoire, mais au niveau de S et V, ils ne distinguent pas vraiment) pourrait démontrer la vérité du matérialisme. Vieille utopie, car les principes et donc nécessairement les conclusions ne sont pas les mêmes du point de vue philosophique ou du point de vue scientifique (sciences "dures") et de la science ne sortira nécessairement que de la science et rien d'autre.[/i]
Loué soit Jésus-Christ

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Message non lu par Larmorencourt » jeu. 08 déc. 2005, 0:49

Si Aristote prétend que l'âme est la forme du corps et qu'elle "forme" avec le corps une substance, Thomas d'Aquin affirme, si j'ai bonne mémoire, que les "intellects immatériels" ne sont pas des corps mais tout de même des substances. Donc il y a contradiction à moins qu il y a une différence entre âme et intellect ou qu'il n'y ait aucune différence entre forme et substance. Pourriez vous m'expliquer, le cas échéant, la différence entre Esprit, Ame et Intellect? De même, pourriez vous m'expliquer la différence, le cas échéant, entre substance et essence? Personnellement je comprenais l'essence d'une chose comme la forme de la chose, comme la combinaison d'universaux qui la décrivent . Et je comprenais la substance comme la réalisation de la chose. Peut-être je me trompe tout à fait et que la philosophie n'est décidemment pas mon truc.

PS: j'ai en effet remarqué le parti pris de S§V dans certains articles traitant de la religion.

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Message non lu par bajulans » jeu. 08 déc. 2005, 9:10

Larmorencourt a écrit :je comprenais la substance comme la réalisation de la chose. Peut-être je me trompe tout à fait et que la philosophie n'est décidément pas mon truc.
Je ne pense pas que la philosophie soit un truc pour qui que ce soit, c'est une histoire, une culture, on n'a jamais fini d'être philosophe, on progressera toujours. Nous sommes ici dans l'abstraction la plus haute de l'esprit humain, nous en arrivons aux nécessités ultimes de pensée, très générales, leur saisine est donc difficile, elles échappent souvent au regard de l'intellect le plus attentif.

Selon ce que je sais, la solution à vos questions se trouve dans le De Ente et Essentia, difficile opuscule de St Thomas. Et du De Principiis Naturae, un autre opuscule plus facile de St Thomas d'Aquin.

Je crois qu'un esprit est une intelligence. Une âme anime un corps est n'est pas nécessairement intelligente : les végétaux ont une âme, les animaux, même inférieurs ont une âme, sensible, l'homme a une âme végétative, animale et spirituelle. Il faut prendre garde que ces termes peuvent parfois être employés parfois l'un pour l'autre (âme pour esprit, par exemple) sans qu'il y ait faute de la part de l'auteur, il suffit du contexte, pour remettre l'idée derrière le terme employé.

L'intellect (se subdivisant lui-même en intellect agent et intellect... (trou de mémoire) est une faculté de l'âme spirituelle ou d'un être purement spirituel (l'ange), dans l'âme intelligente subsiste également la volonté, deuxième faculté, laquelle volonté subsiste aussi dans l'âme animale (l'animal veut, même s'il ne "comprend" rien ou presque), qui elle ne comprend pas d'intellect proprement dit.
Unde, simpliciter loquendo, forma dat esse materiae, sed subjectum accidenti, licet aliquando ponatur unum pro alio scilicet materia pro subjecto, et e contrario
La forme donne l'être à la matière, tandis que l'accident ne donne pas l'être au sujet ; c'est le sujet qui donne l'être à l'accident : et pourtant on les prend quelquefois l'un pour l'autre, la matière pour le sujet ou inversement.
Les Principes de la Réalité Naturelles St Thomas d'Aquin, traduction de Jean Madiran, Nouvelles Editions Latines 1963

Substance s'oppose à accident. La naissance d'un homme, c'est la production substantielle, si cet homme qui est petit grandit, c'est la production accidentelle de la grandeur (il était substantiellement un homme, même quand il était petit)

La matière n'est que de l'être en puissance et n'existe pas en cette seule qualité de matière. Ce qui fait exister la matière, c'est la forme.

L'homme ne produit par son industrie rien de substantiel, mais rien que de l'accidentel, seule la nature produit des êtres substantiels (l'homme, le chat, l'arbre), mais une voiture, une chaise, une machine à laver, une statue de marbre ne sont que des êtres accidentels.

La matière et la privation sont une seule et même chose dans la réalité, seul notre esprit les distingue. etc.

Chez les anges dépourvus de matière, il semble bien qu'il n'y ait pas de différence entre substance et essence. C'est pourquoi il y a autant d'essences que d'anges. Mais chez l'homme l'essence correspond à la définition de l'homme, elle va se retrouver dans chaque substance qui constitue chaque être humain.

Je crois cependant que pour bien saisir ces notions, il est nécessaire préalablement d'avoir une bonne culture en matière de grammaire, de rhétorique et de logique, car je crois que ces notions ne se manient bien (pour autant que l'esprit humain puisse facilement manier ces notions) que si préalablement on possède, au moins partiellement, ces sciences moins abstraites. Moi-même, vous savez, je marche sur des oeufs lorsque j'ai l'inconscience de m'engager sur des terrains si difficiles. Mais j'espère que j'ai pu vous être utile comme vous l'avez été pour moi en me donnant l'occasion d'écrire ce post.
Loué soit Jésus-Christ

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Les Universaux

Message non lu par Larmorencourt » jeu. 08 déc. 2005, 12:58

Qu'en est-il des Universaux? Russel croyait, à l'instar de Platon ou Aristote, à un monde immuable et atemporel des idées. Etait-ce pour mieux nier l'existence de Dieu? Sans doute. Il illustre cela, si je me souviens de mes rudiments de philosophie, par son fameux "Oxford sera toujours au Nord Ouest de Londres quand bien même l'angleterre fût rayé de la carte" Pourtant thomas d'Aquin semble y acquieser quand il dit que Dieu peut rendre vierge une fille déflorée mais non pas rendre fausse la proposition "la jeune fille a été déflorée". ne prenez pas mes ecrits pour argent comptant, je ne voudrais pas mener le lecteur dans l'erreur. Quelle est la position des catholiques a ce sujet: Y-a-t-il un monde immuable des idées? Ce monde est il atemporel et donc éternel , est-il sinon créé par Dieu ou est-il comme émanent de lui , un peu à la façon du Fils?

PS: Bajulans, merci pour vous éclaircisements, je crois comprendre mais difficilement vos explications pourtant fort clairs.

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La philosophie

Message non lu par bajulans » sam. 10 déc. 2005, 8:36

Cher Larmorencourt,

La philosophie est une culture, ce n'est un étalon déposé au pavillon de Sèvres à zéro degré. C'est pourquoi votre anxiété de ne pas dire de bêtise doit être modérée par cette idée que nous nous entr'aidons à rechercher la vérité et que, même quand on est dans l'erreur, on aide à rechercher la vérité en stimulant l'autre, pourvu que l'on reste de bonne foi.

Gilson dit quelque part, dans les Constantes Philosophiques de l'Etre que ce qui fait que les gens sont dans l'erreur, ce n'est pas qu'ils aient tort, mais qu'ils ont raison. En effet, celui qui a raison refuse de déplacer son point de vue sur l'objet, sur la réalité et se prive ainsi d'un autre point de vue et tombe ainsi dans l'erreur. Celui qui a raison (et objectivement raison), se cramponne anxieusement sur sa vérité et ne comprend pas pourquoi on l'invite à changer de point de vue, puisqu'il a raison (et effectivement il a raison). Donc avoir raison est un danger, si l'on ne reste pas ouvert aux autres points de vue. Gilson est, pour moi, un puissant philosophe. Comme le dit le Concile Vatican II, notre obligation est de chercher sincèrement la vérité, quand nous avons satisfait à cette obligation, nous progresserons toujours, jusqu'à notre mort serait-elle lointaine, notre connaissance de la vérité ne sera jamais parfaite.

Les universaux, je ne connais pas Russel et ai une connaissance fort imparfaite de Platon et Aristote. Je ne pense pas qu'il y ait en philosophie une position "catholique", l'Eglise comprend plusieurs écoles et recommande le thomisme qui se subdivise lui-même en plusieurs écoles. "Autant de têtes, autant d'avis" disaient les scolastiques (qui n'étaient pas tous catholiques, il y en a eu de musulmans et de juifs). Pour moi, je ne vois pas qu'il puisse y avoir un monde des idées, les idées, les universaux sont un mode de formation et surtout d'expression de la pensée. Tout cela disparaîtra à la fin du monde, il me semble, époque à laquelle tout sera renouvelé. St Thomas à la fin de sa vie disait, après avoir eu une extase, que tout ce qui l'avait écrit lui semblait comme de la paille, par rapport à ce qu'il avait ressenti et VU.

Cela dit, selon Maritain, in Eléments de Philosophie p. 5 du résumé-aide-mémoire (éd. Pierre Téqui juillet 94)
Importance capitale du problème de l'UNIVERSEL, étudié en logique majeure. Les idées sont les similitudes internes des choses par lesquelles celles-ci nous sont présentées de manière que nous puissions raisonner sur elles (et donc en acquérir la science) ; Les IMAGES sont les similitudes internes des choses par lesquelles celles-ci nous sont présentées comme nous les ont montrées d'abord les sensations. Les mots signifient directement les idées, en évoquant en même temps les images. Nos sensations et nos images nous présentent directement et par soi de l'individuel, nos idées nous présentent directement et par elles-mêmes de l'universel (UNUM IN MULTIS).
Vous le voyez, ce tout petit résumé nous montre, avec le génie pédagogique de Maritain, que la scolastique, c'est la philosophie naturelle de l'esprit humain, sur laquelle philosophie, fonctionnent, même les esprits humbles et non formés à la philosophie (sans pouvoir l'exprimer toutefois). L'idée est une présentation, un instrument intellectuel, la réifier ne serait pas réaliste, cependant, elle a une existence objective et est nécessaires à la connaissance de la réalité par l'esprit humain, elle renvoie à une existence réelle dans les choses (un homme - une idée - renvoie à une vérité objective, à une adéquation de l'esprit, de l'intellect avec la réalité, ce n'est pas qu'un mot).
Loué soit Jésus-Christ

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Re: La philosophie

Message non lu par Larmorencourt » mer. 14 déc. 2005, 15:30

Ante-Scriptum: Le texte de Larmo n'est pas un cours de philosophie, donc aux néophytes comme lui, s'abstenir d'y rechercher la vérité
bajulans a écrit :
Importance capitale du problème de l'UNIVERSEL, étudié en logique majeure. Les idées sont les similitudes internes des choses par lesquelles celles-ci nous sont présentées de manière que nous puissions raisonner sur elles (et donc en acquérir la science) ; Les IMAGES sont les similitudes internes des choses par lesquelles celles-ci nous sont présentées comme nous les ont montrées d'abord les sensations. Les mots signifient directement les idées, en évoquant en même temps les images. Nos sensations et nos images nous présentent directement et par soi de l'individuel, nos idées nous présentent directement et par elles-mêmes de l'universel (UNUM IN MULTIS).
Merci por vos explications, Maritain semble reconnaître explicitement l'existence de l'universel. Mais pour en revenir à la science. La science explique les choses par l'universel, même s'il dépouille ces choses de leur sens, elle les vide de leur substance si je peux m'exprimer comme cela pour n'en garder que le "comment". Et le matérialisme plonge dans cette voie jusqu'à affirmer que non seulement la morale, les valeurs, etc mais même l'esprit ne sont qu'"illusion".

Or si il y illusion il y a nécessairement quelque chose qui illusionne une autre, le sujet peut être illusion mais pas l'objet , me semble-t-il.

Mais pour en revenir aux universaux, je pense que l'argument de Russel, qui était un anti-chrétien notoire, est le suivant: puisque la matière est soumise à des lois, qui eux-mêmes sont des propositions universelles, le monde des universaux existe et est atemporel et immuable puisqu'il ne peut émaner d'un esprit préexistant. Guillaume d'Ockham rejette les universaux, il les jugent superflus, c'est le nominalisme. Thomas d'Aquin est plus perplexe, j'avoue ne pas comprendre sa distinction de choses en "acte" ou en "puissance".
Dernière modification par Larmorencourt le jeu. 15 déc. 2005, 9:15, modifié 3 fois.

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Re: Esprit et Matière

Message non lu par Fée Violine » jeu. 25 juil. 2013, 8:59

Noté dans un vieux n° de Famille chrétienne (décembre 20113) :

"Le christianisme n'est pas un dualisme qui dissocie le corps de l'esprit, mais un spiritualisme incarné" (auteur ?).

"Le réalisme de la conception aristotélicienne de l'âme comme principe qui anime le corps et lui attribue sa dignité, est plus compatible avec les découvertes de la biologie moderne que le dualisme de Descartes, qui dissociait les fonctions du corps et celles de l'esprit, et croyait que l'âme était un produit de la glande pinéale" (P. Pascal Ide).

"Les recherches de la biologie moderne sur le cerveau butent sur ce que le philosophe Georges Steiner appelle "le sens du sens". Pourquoi, à partir de tel type d'interactions neuronales, pensons-nous ceci et pas cela? Je ne crois pas que la conception qui fait de l'intelligence une fonction comparable à celle d'un ordinateur y réponde jamais" (JF Mattei, philosophe spécialiste d'Aristote).

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Re: Esprit et Matière

Message non lu par gerardh » jeu. 25 juil. 2013, 10:26

______

Bonjour,

Dans le passage cité, le mot chair a le sens de première nature pécheresse des hommes. L'Esprit (et non l'esprit), c'est le Saint Esprit, personne divine, qui vient faire son habitation dans le chrétien.



___________

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Re: Esprit et Matière

Message non lu par rolandgrenoble » jeu. 09 janv. 2014, 16:55

L'ame est la forme du corps
L'approche d'Aristote a été si j'ai bien compris , reprise par St Thomas mais modifiée en ce sens que St Thomas voit dans l'ame une forme substantielle.

Avec Descartes et Bacon, nous avons eu le prodigieux développement de la physique mécaniste, qui s'était initialement instituée contre Aristote.
La science moderne avec la biologie notamment retrouve la nécessité de distinguer la forme et la matière.
Il n' y a là nul dualisme, mais notre société conserve un paradigme matérialiste ( avec sa variante spinoziste qui revient à diviniser la matière )
j'ai essayé de développer cela de façon simple et j'espère assez exacte dans http://renegrenoble.unblog.fr/2014/01/0 ... aphysique/

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Re: Esprit et Matière

Message non lu par sil20 » lun. 13 avr. 2015, 13:41

Le titre de ce sujet est "Esprit et Matière".

Personnellement, je préfère le couple "Conscience et matière".

Vu d'ici, la matière est une forme partiellement enténébrée de la Conscience.

Il est intéressant de constater que les physiciens commencent enfin à se pencher sur le couple Conscience / matière.

Un professeur du Massachussetts Institute of Technology (MIT), Max Tegmark, vient de publier l'article Consciousness as a State of Matter, (La conscience comme état de la matière).

Une fois que la communauté scientifique aura reconnu la pertinence du couple matière / conscience, il ne restera qu'à inverser l'édifice en Conscience / matière.

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Re: Esprit et Matière

Message non lu par etienne lorant » lun. 13 avr. 2015, 18:54

Larmorencourt a écrit :"La chair n'est rien, c'est l'esprit qui vivifie". Quel est le rapport entre la matière et l'esprit dans la doctrine catholique? Quel est le rapport entre l'esprit et la matière dans les autres systèmes philosophiques? La matière engendre l'esprit? L'esprit est-il émergence de la matière? L'esprit est-il autonome par rapport à la matière? Je ne suis ni philosophe ni théologien, j'aimerais que vous m'éclairiez sur ce point et si possible en termes simples. Que disent la doctrine catholique, Aristote, Spinoza ou Kant?
Je n'ai pas non plus de philosophie ni de théologie à vous citer, même si j'ai étudié les deux. Mais quand Jésus dit ces mots, il dit que les pensées, les raisonnements, les idées et tous les calculs auxquels l'homme peut se livrer - en se considérant lui-même comme "chair", ce qui veut dire immédiatement : périssable, cela ne l'avance en rien, il n'en tire aucun avantage. Il n'y a véritablement que l'esprit qui vivifie.

Autrement dit, il y a les pensées qui sont d'abord issues de la conscience que nous avons d'être des chairs "périssables" et il y a des pensées qui sont issues de l'Esprit. En réalité, le seul fait de pouvoir se reconnaître comme périssable, implique que l'esprit de l'homme est vivant. C'est un paradoxe. Mais c''est cela qui peut sauver l'homme- et il n'y a que l'esprit pour vivifier la chair qui va pourrir, et il n'y a que la chair pour nier qu'il y a l'esprit.

La frontière entre les deux, c'est la conscience de chacun. Ce que j'écris n'est pas forcément logique, mais peu importe, la vérité chez un humain est dans son mouvement.

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En mon temps, le poème de Victor Hugo m'a obligé de faire le choix :

Victor Hugo n'était pas catholique - mais j'ai eu l'occasion d'écouter ce poème récité par Jean Negroni, et quel souffle a ce texte !
Et la chute est évidemment extraordinaire.


Tout est azur, aurore, aube sans crépuscule,
et fournaise d'extase où l’âme parfum, brûle.
Le noir c'est non et non c'est rien.

Tout est certain, tout est blancheur, vertu, soleil levant,
matin placide et clair, rayon serein, frisson de flamme.

Un ange qui dirait "la nuit" dirait "je blâme".
Tout rayonnement vient du centre et du milieu.

Comme il n'est qu'une aurore, il n'est qu'un soleil: Dieu.
Qui, pour les yeux de chair couverts de sombres voiles
pleut le jour en rayons et la nuit en étoiles.
L’âme est l'œil, Il est l'astre
elle ne voit que Lui !
Tout est clarté !
Le ver rampant , l'ange ébloui, tout !
Les immensités ou se perdent les sondes, tout !
Ces vagues de Dieu que vous nommez les mondes,
l'apparent, le réel, le lever, le déclin,
hommes, enfants, cieux et mers, espaces,
tout est plein d'un resplendissement d'éternité tranquille !

Rien n’existe que Lui !
Le flamboiement profond et les âmes, les grains de lumière,
les mythes, les mois mystérieux -atomes sans limites-
qui vont vers le grand Moi, leur centre et leur aimant !
Point touchant au zénith par le rayonnement
ainsi qu'un vêtement subissant la matière,
traversant tour à tour dans l'étendue entière
la formule de chair propre à chaque milieu :
ici la sève, ici le sang, ici le feu.

Bloc, arbre, griffe, dent, front pensant, auréole
retournant au cercueil, comme à des alvéoles,
mourant pour s’épurer, tombant pour s’élever sans fin,
ne se perdant que pour se retrouver.

Chaîne d’Êtres qu'en haut, l'échelle d'or réclame
vers l’Éternel foyer, volant de flamme en flamme.

Juste éclos du pervers, bon sorti du méchant,
montant, montant, montant sans cesse
et Le cherchant, et L'approchant toujours
mais sans jamais l'atteindre,

Lui, L’Être qu'on ne peut toucher, ternir, éteindre,
Le Voyant, Le Vivant,
sans mort, sans nuit, sans mal,
l'idée énorme au fond de L’immense idéal.

La matière n'est pas et l’âme seule existe !

Astres, mondes, soleils, étoiles, apparences, masques d'ombre ou de feu,
face des visions, globe, humanité, terre, création,
univers ou jamais on ne voit rien qui dorme,
point d'intersection du nombre et de la forme,
choc de l’éclair: puissance! et du rayon: beauté !,
rencontre de la vie avec l'éternité,

Ô fumées écoutez,
et vous écoutez, âmes qui seules resterez étant souffle et flamme,

esprits purs qui mourrez et naissez tour à tour,

Dieu n'a qu'un front Lumière
et n'a qu'un Nom Amour !'
«Cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ mais bien pour les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’ëtre associés au mystère pascal ». ( Gaudium et Spes, le Concile Vatican II )

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