Qu'est-ce que le droit ?
Publié : ven. 06 janv. 2006, 22:13
[Le texte suivant, transmis par son auteur - Serge BONNEFOI-STEWART - est la synthèse de l'un de ses cours. Il contient un certains nombre d'élèments qui semblent propres à alimenter les reflexions sur la nature du droit. | Fraternellement dans le Seigneur. Christophe]
Définir le droit ?
Une proposition générale pour commencer : le droit est une relation ! Le droit comme relation ? La relation entre le droit et la force impose de recourir à d'autres acteurs que les acteurs classiques que sont les États ou les organisations. Prenons l'exemple du Kosovo. Il n'y a pas eu d'autorisation initiale par l'ONU, mais seulement intervention ultérieure de l'ONU mise devant le fait accompli, celle-ci ayant été précédée par l'information et par les Etats-Unis, avec leurs alliés cependant. Il est aussi relation entre des États, entre un État et des individus, entre des individus... Sans cette idée de relation, le droit n'existe pas !
La nature du droit
Il faut donc s’interroger sur le droit, tout comme s’interroger sur l’économie impose par exemple aussi de s’interroger sur la définition du droit, ce dernier étant souvent la conséquence de l’économie en ce sens qu’il organise les relations au sein d’une société. Le droit est une discipline intellectuelle. Le droit est a priori, en théorie, une science, une science sociale. Le droit est un ensemble de connaissances formant un système faisant appel au raisonnement, à l’observation certes, mais aussi à l’intuition. Le droit se veut une science utile, ou pour le moins devrait l’être. le droit est une science liée au concept même de communication, à celui de société. L’objet de la science juridique est de formuler, d’énoncer des règles de conduite applicables aux individus, mais aussi aux groupes (Cadoux (Ch.), Droit constitutionnel et institutions politiques. Théorie générale des institutions politiques, Cujas, Paris, 1973, tome I, pp. 16-20) ; la science juridique n’est donc pas forcément le droit, ce qui permet d’affirmer que le droit dans sa globalité n’est pas une science, seule sa norme étant scientifique, … et encore…
En effet, des règles de conduite certes, mais dans une société donnée, à une époque donnée. Il est donc par exemple encore plus délicat de vouloir définir le droit lorsque l’on évoque le droit international, la vocation de ce dernier étant de policer les relations entre des sociétés diverses, des sociétés plurielles. Le but du droit est de maintenir l’ordre social tout en orientant son développement et celui de l’ordre social en fonction des évolutions et des besoins de la société qu’il organise. Parler de droit international est donc un défi - une utopie ? -, les sources de la morale et du politique étant variables selon les États, les sociétés et les organisations objets du droit international.
Le droit est double ; il est à la fois positif et naturel, et il est évident que plus que tous autres les droits régissant les relations internationales, l’environnement ou l’accès à l’alimentation devraient relever du droit naturel, même si ils tendent à être formalisés par le biais du droit positif. Le droit naturel est cependant difficile à définir, sa perception étant elle aussi variable selon les sociétés. On peut cependant entendre par droit naturel un ensemble de règles, en théorie immuables, qui devraient s’appliquer à tous les individus de toutes les sociétés, car tirant leurs sources non pas des sociétés mais de la nature humaine elle-même. Et là, les doctrines religieuses viennent au secours de l’homme en ce sens que l’on retrouve dans toutes les religions un certain nombre d’interdits ou de commandements communs qui seraient ainsi le fond du droit naturel. Le droit naturel serait donc une sorte de morale universelle s’imposant à tous en raison de la solidarité humaine elle-même, de la qualité d’homme elle-même.
On rappellera que Platon (-430/-350), fondateur de l’Académie, et Aristote (-384/-322), fondateur du Lycée, peuvent être considérés comme les fondateurs du droit naturel. Les ouvrages fondateurs de cette pensée peuvent aussi être considérés comme étant pour Platon La République, Les Lois et le dialogue du Gorgias, et pour Aristote La Morale et Du Politique. Néanmoins, Platon et Aristote s’opposent puisqu’à l’idéalisme de Platon répond le naturalisme d’Aristote, ce dernier étant de plus considéré jusqu’au XVIIème siècle et Descartes comme l’autorité suprême de la pensée profane, comme " Le Philosophe " par excellence. Il faut donc éviter l’erreur contemporaine assez commune qui tend à identifier la pensée de ces deux philosophes.
C’est aussi la conjonction de la pensée stoïcienne, en particulier de la pensée stoïcienne tardive latine sous l’influence d’Épictète et de Cicéron, qui allait conduire à une vision nouvelle tant du droit que de la philosophie. Ainsi, après Cicéron - et notamment ses ouvrages De la République, Des Lois et Traité des devoirs -, l’esprit sera désormais placé avant la lettre, l’équité avant les textes, la loi naturelle avant la loi écrite, donnant le jour à un processus favorisant la jurisprudence, celle-ci entraînant la modification de la loi. D’une certaine manière, on peut dire qu’Aristote et Cicéron sont, plus encore que Montesquieu, à l’origine de la vision actuelle de la justice, donnant à cette dernière une primauté certaine sur le législateur, de par sa fonction d’interprétation. Une autre conséquence de cette approche aura été la définition de l’existence d’une loi universelle et naturelle : la raison, celle-ci induisant le principe d’égalité. Combiné avec le principe de charité défini par Saint Paul et par Sénèque, on a donc là une passerelle nouvelle et possible entre la raison et la Foi, donc une conjonction possible entre les deux grandes bases de la civilisation et de la culture occidentales. Cette influence se retrouve par exemple dans l’importance du " Supporte et abstiens-toi " d’Épictète sur toute la pensée catholique post-tridentine, en contradiction totale avec le " Aimes et fais ce qui te plais ! " de Saint Augustin.
D’une manière générale, toute la pensée chrétienne aura été déformée et influencée par la philosophie antique que ce soit par l’impact de Tertullien qui chercha à faire correspondre la vision chrétienne et le classicisme latin ou par celui de Saint Thomas d’Aquin qui, en donnant la primauté à Aristote, introduisit l’humanisme grec dans le christianisme, donc dans la pensée occidentale. La connaissance d’Aristote est donc fondamentale en ce sens que par l’entremise de Tertullien et de Saint Thomas d’Aquin il aura eu une influence décisive sur le christianisme, et qu’au travers de la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu, il aura eu une influence sur la société occidentale, y compris laïque.
En ce sens, on peut donc bien dire a posteriori qu’Aristote est le philosophe du droit par excellence, car son influence est toujours fondamentale, plus de vingt-trois siècles après sa mort ! C’est par exemple lui qui sera à l’origine des grandes lignes de tension philosophique et de réflexion jusqu’au XIXème siècle - influençant tout autant la vision quasi-manichéenne marxiste de la lutte des classes que la pensée ultra-libérale - en opposant les faits aux idées, la raison à la tradition, la conscience du droit à la force, donnant ainsi naissance aux couples force/idée, matière/esprit et nations/théocratie, des visions nouvelles de la liberté et du monde ne commençant à apparaître qu’avec le despotisme éclairé.
Les sept principes piliers du droit
Il faut en fait toujours garder à l’esprit les sept grands principes suivants pour bien comprendre le droit, la matière juridique…
Plus qu’une science, qu’il est dans sa formulation et dans son objectif primaire, le droit est un art soumis aux perceptions et aux attitudes humaines. Si il était véritablement une science, il serait neutre et ne chercherait ni à condamner ni à justifier, mais simplement à examiner les seuls effets des seules actions humaines.
Étant un art, donc soumis à l’interprétation et à l’action de l’homme en charge de l’appliquer ou de l’interpréter, le droit n’est pas la justice, ni même forcément juste, n’étant pas basé sur ce qui est bien pour l’homme et/ou la nature, mais sur ce qui est bien pour la société. Il n’est donc pas neutre.
Le droit est d’autant moins la justice qu’il se réduit de plus en plus souvent à une procédure, ce qui importe n’étant plus les notions de bien ou de mal, de légal ou d’illégal, mais celle de forme, cette dernière ayant désormais - sous la pression d’une vision plus ou moins absolue des " droits de l’homme " - la priorité sur l’acte et/ou l’action eux-mêmes ; dérive anglo-saxonne ? Enfermé dans des conventions de formes qui ne sont même plus les canons d’une morale sociale mais l’accumulation de procédés mécanistes, le droit comme art se voit réduit à une technicité, donc à un ordre dont seule l’application reste soumise à la perception des praticiens du droit ; cette réduction montre bien la contradiction que beaucoup des praticiens du droit qui, oubliant la nature même du droit qui est de protéger à la fois des individus victimes et la société sphère dont il ressort, se servent de la procédure, donc d’une idée d’ordre pour lutter contre l’ordre social au profit d’intérêts non pas divins, non pas sociaux, non plus individuels, mais seulement personnels. Le droit comme procédure n’est plus qu’une exigence d’ordre répondant à un besoin non humain de fixer une fois pour toute des " articles de foi " et une mécanique assemblant des objets autour d’un seul principe d’ordre quasi-mathématique. Le droit semble aujourd’hui découler dans sa pratique de la seule machine, montrant par là-même son retard par rapport à la société, l’idée d’homme-machine étant dépassée depuis une cinquantaine d’années ; il n’est plus que la construction d’une logique froide et technique rejetant l’homme lui-même du droit par une rationalisation trop draconienne. Comme l’art a connu sa révolution et sa sublimation par la transition du seulement descriptif et " bourgeois " à l’abstraction (lire à ce sujet : Schapiro (M.), " La nature sociale de l’art abstrait ", in : Les Cahiers du Musée national d’art moderne, Paris, 1990, n° 4, réédition d’un texte de 1937), il faut que le droit se remette en cause pour revenir à l’humain, tant individu que composante sociale.
Le droit n’est pas forcément la morale car, si il est une science, il est neutre donc tant au service du bien qu’à celui du mal, si il est un art, il est variable donc contraire à la morale qui, normative par nature, cherche à établir quelle doit être la conduite de l’homme dans son cadre de vie. De plus, alors que la morale n’est fondée que sur la seule notion de devoir, le droit induit des droits ! Enfin, ce n’est pas d’aujourd’hui - et a contrario de ce qu’écrivit en son temps Jacques-Yves Cousteau – que les lois morales que les hommes ont inventées, prévues et adoptées ont des difficultés à s’imposer. Il suffit pour s’en convaincre de relire ces phrases de l’Antigone de Sophocle : " - Créon - Ainsi tu as osé passer outre ma loi ? - Antigone – Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! … non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles en datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru… Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite de folle. "
Dans la pratique, le droit n’existe que pour être contourné ou détourné de son objet, ce qui lui dénie encore plus la qualification de science.
Le droit n’existe pas dans l’absolu, le droit positif étant distinct de la loi naturelle et de la loi de nature - au sens de Löcke -. Il n’est donc qu’une pratique humaine visant à réguler les relations internes aux sociétés humaines, la notion de bien ou encore celle de nature n’étant pas forcément ses éléments constitutifs, d’autant plus qu’elles sont variables selon les sociétés. Le lien avec les valeurs est ici évident.
Le droit, tel qu’il est conçu aujourd’hui, est fondé sur une quasi-contradiction , devant satisfaire à la fois l’individu et la société, et il connaît en ce sens la même contradiction que l’économie qui est bloquée par la double vision d’une micro- et d’une macro-économie, alors même qui faut concevoir une économie d’équilibre entre ces deux pôles complémentaires par le biais d’une méso-économie, à la fois plus et moins globale, mais percevant les intérêts de tous. On pourrait ici établir un parallèle avec le droit des Etats-Unis qui ne protègent que des intérêts, jamais des valeurs… Aujourd’hui, il semble que, dans le cadre d’une vaste contestation de la société occidentale, les impératifs de la société s’effacent de plus en plus dans la pratique du droit devant les seuls intérêts de l’individu, alors même que les impératifs de l’individu - donc " ses " intérêts - ne peuvent se concevoir que comme moyens de la société humaine au sens large. On peut dire qu’il y a aujourd’hui primauté du " micro-droit " sur le " macro-droit ", alors même que le droit ne doit être qu’équilibre, donc " méso-droit ".
Le parallèle entre les problématiques actuelles et les blocages contemporains du droit et de l’économie sont ici évidents, la mécanique et l’absolu de la technique y prenant le pas tant sur l’individu que sur la société, ce qui est doublement négatif. Il faut donc qu’à l’imitation de l’art, et tout particulièrement de la peinture et de la sculpture, voire même de la musique si l’on pense au Traité d’harmonie d’Arnold Schoenberg, droit et économie, retrouvant leur forme naturelle d’arts sociaux, fassent comme il a déjà été écrit leur révolution et passent d’une forme " classico-mécanique " à une forme " abstraite " revenant à la perception, à la confraternité, à la raison, à l’émotion et au subconscient !
Serge BONNEFOI-STEWART
Nota : Ceci n’est que le résumé de la partie introductive à l’un de mes cours. Merci à Christophe d’avoir bien voulu l’insérer.
Définir le droit ?
Une proposition générale pour commencer : le droit est une relation ! Le droit comme relation ? La relation entre le droit et la force impose de recourir à d'autres acteurs que les acteurs classiques que sont les États ou les organisations. Prenons l'exemple du Kosovo. Il n'y a pas eu d'autorisation initiale par l'ONU, mais seulement intervention ultérieure de l'ONU mise devant le fait accompli, celle-ci ayant été précédée par l'information et par les Etats-Unis, avec leurs alliés cependant. Il est aussi relation entre des États, entre un État et des individus, entre des individus... Sans cette idée de relation, le droit n'existe pas !
La nature du droit
Il faut donc s’interroger sur le droit, tout comme s’interroger sur l’économie impose par exemple aussi de s’interroger sur la définition du droit, ce dernier étant souvent la conséquence de l’économie en ce sens qu’il organise les relations au sein d’une société. Le droit est une discipline intellectuelle. Le droit est a priori, en théorie, une science, une science sociale. Le droit est un ensemble de connaissances formant un système faisant appel au raisonnement, à l’observation certes, mais aussi à l’intuition. Le droit se veut une science utile, ou pour le moins devrait l’être. le droit est une science liée au concept même de communication, à celui de société. L’objet de la science juridique est de formuler, d’énoncer des règles de conduite applicables aux individus, mais aussi aux groupes (Cadoux (Ch.), Droit constitutionnel et institutions politiques. Théorie générale des institutions politiques, Cujas, Paris, 1973, tome I, pp. 16-20) ; la science juridique n’est donc pas forcément le droit, ce qui permet d’affirmer que le droit dans sa globalité n’est pas une science, seule sa norme étant scientifique, … et encore…
En effet, des règles de conduite certes, mais dans une société donnée, à une époque donnée. Il est donc par exemple encore plus délicat de vouloir définir le droit lorsque l’on évoque le droit international, la vocation de ce dernier étant de policer les relations entre des sociétés diverses, des sociétés plurielles. Le but du droit est de maintenir l’ordre social tout en orientant son développement et celui de l’ordre social en fonction des évolutions et des besoins de la société qu’il organise. Parler de droit international est donc un défi - une utopie ? -, les sources de la morale et du politique étant variables selon les États, les sociétés et les organisations objets du droit international.
Le droit est double ; il est à la fois positif et naturel, et il est évident que plus que tous autres les droits régissant les relations internationales, l’environnement ou l’accès à l’alimentation devraient relever du droit naturel, même si ils tendent à être formalisés par le biais du droit positif. Le droit naturel est cependant difficile à définir, sa perception étant elle aussi variable selon les sociétés. On peut cependant entendre par droit naturel un ensemble de règles, en théorie immuables, qui devraient s’appliquer à tous les individus de toutes les sociétés, car tirant leurs sources non pas des sociétés mais de la nature humaine elle-même. Et là, les doctrines religieuses viennent au secours de l’homme en ce sens que l’on retrouve dans toutes les religions un certain nombre d’interdits ou de commandements communs qui seraient ainsi le fond du droit naturel. Le droit naturel serait donc une sorte de morale universelle s’imposant à tous en raison de la solidarité humaine elle-même, de la qualité d’homme elle-même.
On rappellera que Platon (-430/-350), fondateur de l’Académie, et Aristote (-384/-322), fondateur du Lycée, peuvent être considérés comme les fondateurs du droit naturel. Les ouvrages fondateurs de cette pensée peuvent aussi être considérés comme étant pour Platon La République, Les Lois et le dialogue du Gorgias, et pour Aristote La Morale et Du Politique. Néanmoins, Platon et Aristote s’opposent puisqu’à l’idéalisme de Platon répond le naturalisme d’Aristote, ce dernier étant de plus considéré jusqu’au XVIIème siècle et Descartes comme l’autorité suprême de la pensée profane, comme " Le Philosophe " par excellence. Il faut donc éviter l’erreur contemporaine assez commune qui tend à identifier la pensée de ces deux philosophes.
C’est aussi la conjonction de la pensée stoïcienne, en particulier de la pensée stoïcienne tardive latine sous l’influence d’Épictète et de Cicéron, qui allait conduire à une vision nouvelle tant du droit que de la philosophie. Ainsi, après Cicéron - et notamment ses ouvrages De la République, Des Lois et Traité des devoirs -, l’esprit sera désormais placé avant la lettre, l’équité avant les textes, la loi naturelle avant la loi écrite, donnant le jour à un processus favorisant la jurisprudence, celle-ci entraînant la modification de la loi. D’une certaine manière, on peut dire qu’Aristote et Cicéron sont, plus encore que Montesquieu, à l’origine de la vision actuelle de la justice, donnant à cette dernière une primauté certaine sur le législateur, de par sa fonction d’interprétation. Une autre conséquence de cette approche aura été la définition de l’existence d’une loi universelle et naturelle : la raison, celle-ci induisant le principe d’égalité. Combiné avec le principe de charité défini par Saint Paul et par Sénèque, on a donc là une passerelle nouvelle et possible entre la raison et la Foi, donc une conjonction possible entre les deux grandes bases de la civilisation et de la culture occidentales. Cette influence se retrouve par exemple dans l’importance du " Supporte et abstiens-toi " d’Épictète sur toute la pensée catholique post-tridentine, en contradiction totale avec le " Aimes et fais ce qui te plais ! " de Saint Augustin.
D’une manière générale, toute la pensée chrétienne aura été déformée et influencée par la philosophie antique que ce soit par l’impact de Tertullien qui chercha à faire correspondre la vision chrétienne et le classicisme latin ou par celui de Saint Thomas d’Aquin qui, en donnant la primauté à Aristote, introduisit l’humanisme grec dans le christianisme, donc dans la pensée occidentale. La connaissance d’Aristote est donc fondamentale en ce sens que par l’entremise de Tertullien et de Saint Thomas d’Aquin il aura eu une influence décisive sur le christianisme, et qu’au travers de la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu, il aura eu une influence sur la société occidentale, y compris laïque.
En ce sens, on peut donc bien dire a posteriori qu’Aristote est le philosophe du droit par excellence, car son influence est toujours fondamentale, plus de vingt-trois siècles après sa mort ! C’est par exemple lui qui sera à l’origine des grandes lignes de tension philosophique et de réflexion jusqu’au XIXème siècle - influençant tout autant la vision quasi-manichéenne marxiste de la lutte des classes que la pensée ultra-libérale - en opposant les faits aux idées, la raison à la tradition, la conscience du droit à la force, donnant ainsi naissance aux couples force/idée, matière/esprit et nations/théocratie, des visions nouvelles de la liberté et du monde ne commençant à apparaître qu’avec le despotisme éclairé.
Les sept principes piliers du droit
Il faut en fait toujours garder à l’esprit les sept grands principes suivants pour bien comprendre le droit, la matière juridique…
Plus qu’une science, qu’il est dans sa formulation et dans son objectif primaire, le droit est un art soumis aux perceptions et aux attitudes humaines. Si il était véritablement une science, il serait neutre et ne chercherait ni à condamner ni à justifier, mais simplement à examiner les seuls effets des seules actions humaines.
Étant un art, donc soumis à l’interprétation et à l’action de l’homme en charge de l’appliquer ou de l’interpréter, le droit n’est pas la justice, ni même forcément juste, n’étant pas basé sur ce qui est bien pour l’homme et/ou la nature, mais sur ce qui est bien pour la société. Il n’est donc pas neutre.
Le droit est d’autant moins la justice qu’il se réduit de plus en plus souvent à une procédure, ce qui importe n’étant plus les notions de bien ou de mal, de légal ou d’illégal, mais celle de forme, cette dernière ayant désormais - sous la pression d’une vision plus ou moins absolue des " droits de l’homme " - la priorité sur l’acte et/ou l’action eux-mêmes ; dérive anglo-saxonne ? Enfermé dans des conventions de formes qui ne sont même plus les canons d’une morale sociale mais l’accumulation de procédés mécanistes, le droit comme art se voit réduit à une technicité, donc à un ordre dont seule l’application reste soumise à la perception des praticiens du droit ; cette réduction montre bien la contradiction que beaucoup des praticiens du droit qui, oubliant la nature même du droit qui est de protéger à la fois des individus victimes et la société sphère dont il ressort, se servent de la procédure, donc d’une idée d’ordre pour lutter contre l’ordre social au profit d’intérêts non pas divins, non pas sociaux, non plus individuels, mais seulement personnels. Le droit comme procédure n’est plus qu’une exigence d’ordre répondant à un besoin non humain de fixer une fois pour toute des " articles de foi " et une mécanique assemblant des objets autour d’un seul principe d’ordre quasi-mathématique. Le droit semble aujourd’hui découler dans sa pratique de la seule machine, montrant par là-même son retard par rapport à la société, l’idée d’homme-machine étant dépassée depuis une cinquantaine d’années ; il n’est plus que la construction d’une logique froide et technique rejetant l’homme lui-même du droit par une rationalisation trop draconienne. Comme l’art a connu sa révolution et sa sublimation par la transition du seulement descriptif et " bourgeois " à l’abstraction (lire à ce sujet : Schapiro (M.), " La nature sociale de l’art abstrait ", in : Les Cahiers du Musée national d’art moderne, Paris, 1990, n° 4, réédition d’un texte de 1937), il faut que le droit se remette en cause pour revenir à l’humain, tant individu que composante sociale.
Le droit n’est pas forcément la morale car, si il est une science, il est neutre donc tant au service du bien qu’à celui du mal, si il est un art, il est variable donc contraire à la morale qui, normative par nature, cherche à établir quelle doit être la conduite de l’homme dans son cadre de vie. De plus, alors que la morale n’est fondée que sur la seule notion de devoir, le droit induit des droits ! Enfin, ce n’est pas d’aujourd’hui - et a contrario de ce qu’écrivit en son temps Jacques-Yves Cousteau – que les lois morales que les hommes ont inventées, prévues et adoptées ont des difficultés à s’imposer. Il suffit pour s’en convaincre de relire ces phrases de l’Antigone de Sophocle : " - Créon - Ainsi tu as osé passer outre ma loi ? - Antigone – Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! … non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles en datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru… Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite de folle. "
Dans la pratique, le droit n’existe que pour être contourné ou détourné de son objet, ce qui lui dénie encore plus la qualification de science.
Le droit n’existe pas dans l’absolu, le droit positif étant distinct de la loi naturelle et de la loi de nature - au sens de Löcke -. Il n’est donc qu’une pratique humaine visant à réguler les relations internes aux sociétés humaines, la notion de bien ou encore celle de nature n’étant pas forcément ses éléments constitutifs, d’autant plus qu’elles sont variables selon les sociétés. Le lien avec les valeurs est ici évident.
Le droit, tel qu’il est conçu aujourd’hui, est fondé sur une quasi-contradiction , devant satisfaire à la fois l’individu et la société, et il connaît en ce sens la même contradiction que l’économie qui est bloquée par la double vision d’une micro- et d’une macro-économie, alors même qui faut concevoir une économie d’équilibre entre ces deux pôles complémentaires par le biais d’une méso-économie, à la fois plus et moins globale, mais percevant les intérêts de tous. On pourrait ici établir un parallèle avec le droit des Etats-Unis qui ne protègent que des intérêts, jamais des valeurs… Aujourd’hui, il semble que, dans le cadre d’une vaste contestation de la société occidentale, les impératifs de la société s’effacent de plus en plus dans la pratique du droit devant les seuls intérêts de l’individu, alors même que les impératifs de l’individu - donc " ses " intérêts - ne peuvent se concevoir que comme moyens de la société humaine au sens large. On peut dire qu’il y a aujourd’hui primauté du " micro-droit " sur le " macro-droit ", alors même que le droit ne doit être qu’équilibre, donc " méso-droit ".
Le parallèle entre les problématiques actuelles et les blocages contemporains du droit et de l’économie sont ici évidents, la mécanique et l’absolu de la technique y prenant le pas tant sur l’individu que sur la société, ce qui est doublement négatif. Il faut donc qu’à l’imitation de l’art, et tout particulièrement de la peinture et de la sculpture, voire même de la musique si l’on pense au Traité d’harmonie d’Arnold Schoenberg, droit et économie, retrouvant leur forme naturelle d’arts sociaux, fassent comme il a déjà été écrit leur révolution et passent d’une forme " classico-mécanique " à une forme " abstraite " revenant à la perception, à la confraternité, à la raison, à l’émotion et au subconscient !
Serge BONNEFOI-STEWART
Nota : Ceci n’est que le résumé de la partie introductive à l’un de mes cours. Merci à Christophe d’avoir bien voulu l’insérer.