Page 1 sur 1

Qu'est-ce que le droit ?

Publié : ven. 06 janv. 2006, 22:13
par Christophe
[Le texte suivant, transmis par son auteur - Serge BONNEFOI-STEWART - est la synthèse de l'un de ses cours. Il contient un certains nombre d'élèments qui semblent propres à alimenter les reflexions sur la nature du droit. | Fraternellement dans le Seigneur. Christophe]

Définir le droit ?

Une proposition générale pour commencer : le droit est une relation ! Le droit comme relation ? La relation entre le droit et la force impose de recourir à d'autres acteurs que les acteurs classiques que sont les États ou les organisations. Prenons l'exemple du Kosovo. Il n'y a pas eu d'autorisation initiale par l'ONU, mais seulement intervention ultérieure de l'ONU mise devant le fait accompli, celle-ci ayant été précédée par l'information et par les Etats-Unis, avec leurs alliés cependant. Il est aussi relation entre des États, entre un État et des individus, entre des individus... Sans cette idée de relation, le droit n'existe pas !

La nature du droit

Il faut donc s’interroger sur le droit, tout comme s’interroger sur l’économie impose par exemple aussi de s’interroger sur la définition du droit, ce dernier étant souvent la conséquence de l’économie en ce sens qu’il organise les relations au sein d’une société. Le droit est une discipline intellectuelle. Le droit est a priori, en théorie, une science, une science sociale. Le droit est un ensemble de connaissances formant un système faisant appel au raisonnement, à l’observation certes, mais aussi à l’intuition. Le droit se veut une science utile, ou pour le moins devrait l’être. le droit est une science liée au concept même de communication, à celui de société. L’objet de la science juridique est de formuler, d’énoncer des règles de conduite applicables aux individus, mais aussi aux groupes (Cadoux (Ch.), Droit constitutionnel et institutions politiques. Théorie générale des institutions politiques, Cujas, Paris, 1973, tome I, pp. 16-20) ; la science juridique n’est donc pas forcément le droit, ce qui permet d’affirmer que le droit dans sa globalité n’est pas une science, seule sa norme étant scientifique, … et encore…

En effet, des règles de conduite certes, mais dans une société donnée, à une époque donnée. Il est donc par exemple encore plus délicat de vouloir définir le droit lorsque l’on évoque le droit international, la vocation de ce dernier étant de policer les relations entre des sociétés diverses, des sociétés plurielles. Le but du droit est de maintenir l’ordre social tout en orientant son développement et celui de l’ordre social en fonction des évolutions et des besoins de la société qu’il organise. Parler de droit international est donc un défi - une utopie ? -, les sources de la morale et du politique étant variables selon les États, les sociétés et les organisations objets du droit international.

Le droit est double ; il est à la fois positif et naturel, et il est évident que plus que tous autres les droits régissant les relations internationales, l’environnement ou l’accès à l’alimentation devraient relever du droit naturel, même si ils tendent à être formalisés par le biais du droit positif. Le droit naturel est cependant difficile à définir, sa perception étant elle aussi variable selon les sociétés. On peut cependant entendre par droit naturel un ensemble de règles, en théorie immuables, qui devraient s’appliquer à tous les individus de toutes les sociétés, car tirant leurs sources non pas des sociétés mais de la nature humaine elle-même. Et là, les doctrines religieuses viennent au secours de l’homme en ce sens que l’on retrouve dans toutes les religions un certain nombre d’interdits ou de commandements communs qui seraient ainsi le fond du droit naturel. Le droit naturel serait donc une sorte de morale universelle s’imposant à tous en raison de la solidarité humaine elle-même, de la qualité d’homme elle-même.

On rappellera que Platon (-430/-350), fondateur de l’Académie, et Aristote (-384/-322), fondateur du Lycée, peuvent être considérés comme les fondateurs du droit naturel. Les ouvrages fondateurs de cette pensée peuvent aussi être considérés comme étant pour Platon La République, Les Lois et le dialogue du Gorgias, et pour Aristote La Morale et Du Politique. Néanmoins, Platon et Aristote s’opposent puisqu’à l’idéalisme de Platon répond le naturalisme d’Aristote, ce dernier étant de plus considéré jusqu’au XVIIème siècle et Descartes comme l’autorité suprême de la pensée profane, comme " Le Philosophe " par excellence. Il faut donc éviter l’erreur contemporaine assez commune qui tend à identifier la pensée de ces deux philosophes.

C’est aussi la conjonction de la pensée stoïcienne, en particulier de la pensée stoïcienne tardive latine sous l’influence d’Épictète et de Cicéron, qui allait conduire à une vision nouvelle tant du droit que de la philosophie. Ainsi, après Cicéron - et notamment ses ouvrages De la République, Des Lois et Traité des devoirs -, l’esprit sera désormais placé avant la lettre, l’équité avant les textes, la loi naturelle avant la loi écrite, donnant le jour à un processus favorisant la jurisprudence, celle-ci entraînant la modification de la loi. D’une certaine manière, on peut dire qu’Aristote et Cicéron sont, plus encore que Montesquieu, à l’origine de la vision actuelle de la justice, donnant à cette dernière une primauté certaine sur le législateur, de par sa fonction d’interprétation. Une autre conséquence de cette approche aura été la définition de l’existence d’une loi universelle et naturelle : la raison, celle-ci induisant le principe d’égalité. Combiné avec le principe de charité défini par Saint Paul et par Sénèque, on a donc là une passerelle nouvelle et possible entre la raison et la Foi, donc une conjonction possible entre les deux grandes bases de la civilisation et de la culture occidentales. Cette influence se retrouve par exemple dans l’importance du " Supporte et abstiens-toi " d’Épictète sur toute la pensée catholique post-tridentine, en contradiction totale avec le " Aimes et fais ce qui te plais ! " de Saint Augustin.

D’une manière générale, toute la pensée chrétienne aura été déformée et influencée par la philosophie antique que ce soit par l’impact de Tertullien qui chercha à faire correspondre la vision chrétienne et le classicisme latin ou par celui de Saint Thomas d’Aquin qui, en donnant la primauté à Aristote, introduisit l’humanisme grec dans le christianisme, donc dans la pensée occidentale. La connaissance d’Aristote est donc fondamentale en ce sens que par l’entremise de Tertullien et de Saint Thomas d’Aquin il aura eu une influence décisive sur le christianisme, et qu’au travers de la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu, il aura eu une influence sur la société occidentale, y compris laïque.

En ce sens, on peut donc bien dire a posteriori qu’Aristote est le philosophe du droit par excellence, car son influence est toujours fondamentale, plus de vingt-trois siècles après sa mort ! C’est par exemple lui qui sera à l’origine des grandes lignes de tension philosophique et de réflexion jusqu’au XIXème siècle - influençant tout autant la vision quasi-manichéenne marxiste de la lutte des classes que la pensée ultra-libérale - en opposant les faits aux idées, la raison à la tradition, la conscience du droit à la force, donnant ainsi naissance aux couples force/idée, matière/esprit et nations/théocratie, des visions nouvelles de la liberté et du monde ne commençant à apparaître qu’avec le despotisme éclairé.

Les sept principes piliers du droit

Il faut en fait toujours garder à l’esprit les sept grands principes suivants pour bien comprendre le droit, la matière juridique…

:arrow: Plus qu’une science, qu’il est dans sa formulation et dans son objectif primaire, le droit est un art soumis aux perceptions et aux attitudes humaines. Si il était véritablement une science, il serait neutre et ne chercherait ni à condamner ni à justifier, mais simplement à examiner les seuls effets des seules actions humaines.

:arrow: Étant un art, donc soumis à l’interprétation et à l’action de l’homme en charge de l’appliquer ou de l’interpréter, le droit n’est pas la justice, ni même forcément juste, n’étant pas basé sur ce qui est bien pour l’homme et/ou la nature, mais sur ce qui est bien pour la société. Il n’est donc pas neutre.

:arrow: Le droit est d’autant moins la justice qu’il se réduit de plus en plus souvent à une procédure, ce qui importe n’étant plus les notions de bien ou de mal, de légal ou d’illégal, mais celle de forme, cette dernière ayant désormais - sous la pression d’une vision plus ou moins absolue des " droits de l’homme " - la priorité sur l’acte et/ou l’action eux-mêmes ; dérive anglo-saxonne ? Enfermé dans des conventions de formes qui ne sont même plus les canons d’une morale sociale mais l’accumulation de procédés mécanistes, le droit comme art se voit réduit à une technicité, donc à un ordre dont seule l’application reste soumise à la perception des praticiens du droit ; cette réduction montre bien la contradiction que beaucoup des praticiens du droit qui, oubliant la nature même du droit qui est de protéger à la fois des individus victimes et la société sphère dont il ressort, se servent de la procédure, donc d’une idée d’ordre pour lutter contre l’ordre social au profit d’intérêts non pas divins, non pas sociaux, non plus individuels, mais seulement personnels. Le droit comme procédure n’est plus qu’une exigence d’ordre répondant à un besoin non humain de fixer une fois pour toute des " articles de foi " et une mécanique assemblant des objets autour d’un seul principe d’ordre quasi-mathématique. Le droit semble aujourd’hui découler dans sa pratique de la seule machine, montrant par là-même son retard par rapport à la société, l’idée d’homme-machine étant dépassée depuis une cinquantaine d’années ; il n’est plus que la construction d’une logique froide et technique rejetant l’homme lui-même du droit par une rationalisation trop draconienne. Comme l’art a connu sa révolution et sa sublimation par la transition du seulement descriptif et " bourgeois " à l’abstraction (lire à ce sujet : Schapiro (M.), " La nature sociale de l’art abstrait ", in : Les Cahiers du Musée national d’art moderne, Paris, 1990, n° 4, réédition d’un texte de 1937), il faut que le droit se remette en cause pour revenir à l’humain, tant individu que composante sociale.

:arrow: Le droit n’est pas forcément la morale car, si il est une science, il est neutre donc tant au service du bien qu’à celui du mal, si il est un art, il est variable donc contraire à la morale qui, normative par nature, cherche à établir quelle doit être la conduite de l’homme dans son cadre de vie. De plus, alors que la morale n’est fondée que sur la seule notion de devoir, le droit induit des droits ! Enfin, ce n’est pas d’aujourd’hui - et a contrario de ce qu’écrivit en son temps Jacques-Yves Cousteau – que les lois morales que les hommes ont inventées, prévues et adoptées ont des difficultés à s’imposer. Il suffit pour s’en convaincre de relire ces phrases de l’Antigone de Sophocle : " - Créon - Ainsi tu as osé passer outre ma loi ? - Antigone – Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! … non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles en datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru… Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite de folle. "

:arrow: Dans la pratique, le droit n’existe que pour être contourné ou détourné de son objet, ce qui lui dénie encore plus la qualification de science.

:arrow: Le droit n’existe pas dans l’absolu, le droit positif étant distinct de la loi naturelle et de la loi de nature - au sens de Löcke -. Il n’est donc qu’une pratique humaine visant à réguler les relations internes aux sociétés humaines, la notion de bien ou encore celle de nature n’étant pas forcément ses éléments constitutifs, d’autant plus qu’elles sont variables selon les sociétés. Le lien avec les valeurs est ici évident.

:arrow: Le droit, tel qu’il est conçu aujourd’hui, est fondé sur une quasi-contradiction , devant satisfaire à la fois l’individu et la société, et il connaît en ce sens la même contradiction que l’économie qui est bloquée par la double vision d’une micro- et d’une macro-économie, alors même qui faut concevoir une économie d’équilibre entre ces deux pôles complémentaires par le biais d’une méso-économie, à la fois plus et moins globale, mais percevant les intérêts de tous. On pourrait ici établir un parallèle avec le droit des Etats-Unis qui ne protègent que des intérêts, jamais des valeurs… Aujourd’hui, il semble que, dans le cadre d’une vaste contestation de la société occidentale, les impératifs de la société s’effacent de plus en plus dans la pratique du droit devant les seuls intérêts de l’individu, alors même que les impératifs de l’individu - donc " ses " intérêts - ne peuvent se concevoir que comme moyens de la société humaine au sens large. On peut dire qu’il y a aujourd’hui primauté du " micro-droit " sur le " macro-droit ", alors même que le droit ne doit être qu’équilibre, donc " méso-droit ".

Le parallèle entre les problématiques actuelles et les blocages contemporains du droit et de l’économie sont ici évidents, la mécanique et l’absolu de la technique y prenant le pas tant sur l’individu que sur la société, ce qui est doublement négatif. Il faut donc qu’à l’imitation de l’art, et tout particulièrement de la peinture et de la sculpture, voire même de la musique si l’on pense au Traité d’harmonie d’Arnold Schoenberg, droit et économie, retrouvant leur forme naturelle d’arts sociaux, fassent comme il a déjà été écrit leur révolution et passent d’une forme " classico-mécanique " à une forme " abstraite " revenant à la perception, à la confraternité, à la raison, à l’émotion et au subconscient !


Serge BONNEFOI-STEWART

Nota : Ceci n’est que le résumé de la partie introductive à l’un de mes cours. Merci à Christophe d’avoir bien voulu l’insérer.

Publié : sam. 07 janv. 2006, 17:44
par Jonathan
Merci beaucoup à vous pour cette information !

Re: Qu'est-ce que le Droit ?

Publié : mar. 10 janv. 2006, 14:13
par Christian
Bonsoir Christophe, bonsoir à tous,

Je suis content de retrouver ici un article de Serge Bonnefoi-Stewart, dont la solide culture et la diversité des intérêts peut apporter bcp à nos débats.

En bon libéral, je ne partage évidemment pas sa conception du droit. A la volée, voici quelques remarques que son article m’inspire.
Le droit est une relation
Oui. Le droit est une relation entre les êtres humains concernant des choses. Du point de vue du droit, chaque être humain est propriétaire d’au moins une chose, la plus précieuse qu’il possèdera jamais, son corps. C’est le respect de ce droit de propriété qui nous interdit d’user du corps d’autrui sans son consentement, de le mutiler, violer, agresser, séquestrer…

Cette propriété initiale nous permet d’en acquérir d’autres, par échange, par le bénéfice de dons ou par première appropriation (d’un bien qui n’appartenait à personne). Il n’existe pas d’autre moyen que ces trois-là pour créer et transférer légitimement une relation entre un être humain et une chose.

Tout le droit est donc le droit de propriété (que j’écrirai donc ‘le Droit’ pour le distinguer de l’emploi abusif de ce mot et de la multitude des faux-droits).

Il faut constamment rappeler ce fondement. Il y va de notre sécurité juridique à tous. En cessant de tenir le droit pour le seul droit de propriété, nous devenons victimes de fumisteries comme le « droit public », le « droit du peuple » ou « de la nation », le « droit des minorités », le « droit révolutionnaire », le « droit du sol » et le « droit du sang », le « droit de l’environnement », sans compter la liste ubuesque et proliférante des « droits à… » :sick: (à la santé, au logement, à des congés payés, à l’orgasme, etc.)
Il est délicat […] de vouloir définir le droit lorsque l’on évoque le droit international […] des sociétés diverses, des sociétés plurielles.
Mais non, pourquoi ? :o Si l’on a bien compris que le Droit est le droit de propriété, on possède l’outil pour régler les relations de tous les êtres humains. Toutes les langues possèdent une forme de pronom personnel distinguant ‘le mien’ du ‘tien’. Seul le droit de propriété universel permet aux êtres humains de nouer dans la confiance des relations par delà l’arbitraire de leur législation étatique.

La constitution légitime du plus petit Etat comme de la Fédération Galactique tiendrait en un article unique : Chacun a le droit de faire ce qu’il veut avec ce qui lui appartient, et seulement avec ce qui lui appartient.
Le but du droit est de maintenir l’ordre social tout en orientant son développement […] en fonction des évolutions et des besoins de la société qu’il organise.
Le but du Droit, en effet, est bien de maintenir l’ordre social. Il n’existe pas de conflits entre les gens qui respectent leurs droits de propriété, écrit la philosophe Ayn Rand. Certes, les gens peuvent se méprendre sur l’origine et l’étendue de leurs droits. Le travail des juges consiste à arbitrer ces conflits. Mais ces juges, en Droit, n’ont pas à suivre d’autre procédure que de vérifier si quelqu’un a subi une agression dans son corps ou ses biens, identifier sans doute possible l’auteur de cette agression, et déterminer la réparation matérielle et/ou symbolique que l’agresseur doit à la victime (ou ses ayants-droit en cas d’homicide).

Serge Bonnefoi-Stewart confond le Droit, toujours déjà-là lorsque deux personnes sont ensemble (car il n’existe jamais de ‘vide juridique’), et la législation, fabrication de quelques individus au moment où ils exercent le pouvoir sur leurs concitoyens.
Le droit naturel est […] difficile à définir, sa perception étant […] variable selon les sociétés
Nullement. Toutes les sociétés, sans exception, connaissent parfaitement le droit naturel. Aristote, Thomas d’Aquin et les merveilleux juristes/économistes de l’Université jésuite de Salamanque au 16ème siècle ont malheureusement brouillé la question. Par ‘nature’, ils entendaient celle de l’être humain. L’objection immédiate est la difficulté de définir cette nature humaine. Mais puisque « le droit est une relation », son fondement se trouve non pas dans la nature de l’être humain, mais dans la nature des sociétés. L’individu isolé, le Robinson, n’a que faire du droit ; toute société, en revanche, des Aborigènes aux Français, connaît et fait appliquer les mêmes prohibitions : ne pas tuer, ne pas voler, etc., soit le droit de propriété.

En effet, la société qui ne respecterait pas ces diverses applications du Droit sombrerait dans « la lutte de tous contre tous », elle serait vite colonisée par d’autres ou ses membres la quitteraient.

Les prohibitions du Droit (ne pas tuer, ne pas voler…) sont tellement dans la nature de toute société que les plus puissants qui veulent s’en affranchir doivent inventer des justifications. C’est le rôle de la politique. La fonction de la politique consiste à rationaliser la prédation (esclavage, conscription, impôt, ‘régulation’…) en faisant accroire que cette prédation est dans l’ordre des choses (Aristote et l’esclavage), ou qu’elle est scientifiquement nécessaire (la planification marxiste), ou qu’elle est au bénéfice de tous (la social-démocratie).

Vérification : lorsque la prédation est trop importante, en Afrique, en URSS, la société périclite. Lorsque l’argument pour justifier cette prédation ne fonctionne plus (comme en 1789), il y a révolution.
Le droit n’est pas forcément la morale car, s’il est une science, il est neutre, donc tant au service du bien que du mal
Le Droit est la science des sociétés vivantes, selon l’éclatante formule romaine, vitam instituere (instituer la vie). Le Droit est bien une science, car identifier le lien entre une personne et une chose et juger ses éventuelles violations reposent sur des éléments objectifs et vérifiables, titres de propriété, contrats, témoignages, examens médicaux, analyses biologiques, etc.

De même qu’il survient des pannes dans les réacteurs atomiques, il existe des erreurs judiciaires, mais personne ne prétendra que la physique nucléaire n’est pas une science.

Science donc, le Droit est aussi une branche de la morale. Ce caractère normatif n’invalide pas son statut scientifique. Si l’on veut obtenir une réaction nucléaire, il faut suivre un certain processus. De même, si l’on veut garder une société vivante, il faut que ses membres se conforment au Droit.

Parce que Serge Bonnefoi-Stewart ne conçoit pas clairement le Droit, il ne voit pas où il se démarque de la morale. La morale enseigne à l’être humain la voie du bien (l’eudaimonia pour Aristote, le témoignage de Celui qui a dit « Je suis la Voie » pour les chrétiens…). Le Droit, lui, parce qu’il est ‘relation’, ne se soucie pas comme la morale de ce que l’être humain fait à lui-même, mais de ce qu’il ne doit pas faire aux autres (tuer, voler, tromper…). La morale est donc une obligation en conscience, car celui qui ne suit pas la morale n’est coupable que d’agresser lui-même, alors que le Droit est cette partie de la morale, la seule, que nous devons imposer par la force, car la transgression d’une propriété violente autrui.

Serge Bonnefoi-Stewart confond la morale et le Droit, parce qu’il confond aussi la morale et la législation, comme nous l'avons vu plus haut. La législation, objet de l’activité politique, est inutile et redondante lorsqu’elle répète les interdits du Droit. Mais cette répétition n’est évidemment pas son but. La législation s’emploie plutôt à désigner qui sera dispensé de se conformer au Droit et pourra tuer, voler, tromper, avec impunité.

(exemple : si je vole mon employeur pour acheter un tracteur à mon copain agriculteur, j’irai en prison. Le bon plan est de demander aux hommes de l’Etat de voler mon employeur et quelques autres pour donner une subvention à mon copain agriculteur. Les hommes de l’Etat feront alors impunément ce qu’ils m’auraient mis en prison pour avoir fait.)

Vérification : Code pénal, art. 327 : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par l’autorité légitime. »

Pour résumer

Le Droit (de propriété) instaure la justice et prévient la violence entre les êtres humains (et aussi la violence contre la nature)
La morale leur enseigne comment bien vivre leur vie, sans les contraindre physiquement à le faire (il n'est de morale que dans la liberté)
La législation leur impose (sous la menace des armes) les préférences, préjudices et intérêts des plus puissants du moment.
Le droit n’est pas la justice … n’est pas neutre
Rendre la justice consiste à rendre à chacun le sien : suum cuique tribuere, c'est-à-dire, appliquer le droit de propriété. Un état juste de la société est celui où les droits de propriété de chacun sont respectés.

Cet état social juste n’est pas forcément pour nous plaire. Les malins et les veinards peuvent y accumuler plus de droits de propriété que les gentils, les handicapés et les malchanceux. La justice est une affaire de règle, pas de résultat. La jeune joueuse vaillante, inexpérimentée et malheureuse, peut perdre devant sa rivale chevronnée, mais si la partie a été jouée selon les règles, le résultat est juste que qu’il soit. Notre sens de la justice souffre, mais avec les sens, on quitte la science, on sort de l’objectivité, on entre dans l’arbitraire, on ne juge plus, on lynche.

Certes, un état social juste, conforme au Droit, peut comporter de grandes inégalités, de grandes souffrances. Il appartient à une autre vertu, la charité, qui, elle, n’est pas une science, qui est subjective, arbitraire, gratuite, de corriger l’inflexibilité de la justice.

++++

Je l’ai écrit déjà sur ce forum et développé ailleurs dans un article [i]Doit-on obéir aux lois ?[/i]http://w ... sperer.htm, notre liberté et notre sécurité dépendent de notre capacité à distinguer entre les notions de Droit, de morale et de législation.

Car confondre la morale et le Droit, rendre juridiquement contraignant ce qui doit rester une obligation en conscience (par exemple, la tempérance, la pratique religieuse), c’est le fondamentalisme.

Confondre la législation et le Droit, vouloir l’universalité du Droit pour les lois occasionnelles, arbitraires et confiscatoires que les plus puissants infligent à leurs concitoyens, c’est faire le jeu de l’autoritarisme.

++++

Voilà une bien longue réponse qui montre l’intérêt que j’ai pris à l’article de Serge Bonnefoi-Stewart et la reconnaissance que je dois à Christophe pour l’avoir mis en ligne.

Cordialement

Christian

Re : Qu'est-ce que le droit ? (notez la minuscule)

Publié : mar. 10 janv. 2006, 15:02
par Christian
Pour faire suite à mon article ci-dessus sur la nature du Droit et de la législation, je voudrais signaler la grande avancée qu’a effectuée l’Union Européenne il y a quelques jours. Les medias n’en ont guère parlé. La nouvelle nous concerne tous pourtant. L’Union Européenne a acquis un nouvel attribut de l’Etat. Ses employés ont tué une innocente, ils ont grièvement blessé un enfant, et ils sont assurés de l’impunité.

La femme de Dragomir Abazovic, un Serbe mis en examen pour crimes de guerre par le TPI, a été abattue par des soldats de l’EUFOR. Son fils de 12 ans a reçu une balle dans la tête. Si des justiciers se réclamant de la culture européenne qui réprouve les crimes de guerre, s’autorisant de Nuremberg, etc., et voulant capturer un criminel, avaient commis exactement ce même acte, ils seraient accusés de meurtre. Mais miracle ! l’EUFOR a acquis un statut étatique. Les soldats de l’EUFOR ont donc le droit de tuer.

Le territoire est le lieu où le maître peut terrifier. Le territoire où certains Etats peuvent terrifier s’étend maintenant au-delà de leurs frontières. Il est temps de devenir conscients du danger.

Bon appétit à tous

Christian

Re: Qu'est-ce que le Droit ?

Publié : mar. 10 janv. 2006, 16:58
par Charles
Christian a écrit :
Le droit est une relation
Oui. Le droit est une relation entre les êtres humains concernant des choses. Du point de vue du droit, chaque être humain est propriétaire d’au moins une chose, la plus précieuse qu’il possèdera jamais, son corps. C’est le respect de ce droit de propriété qui nous interdit d’user du corps d’autrui sans son consentement, de le mutiler, violer, agresser, séquestrer…

Cette propriété initiale nous permet d’en acquérir d’autres, par échange, par le bénéfice de dons ou par première appropriation (d’un bien qui n’appartenait à personne). Il n’existe pas d’autre moyen que ces trois-là pour créer et transférer légitimement une relation entre un être humain et une chose.

Tout le droit est donc le droit de propriété (que j’écrirai donc ‘le Droit’ pour le distinguer de l’emploi abusif de ce mot et de la multitude des faux-droits).

Il faut constamment rappeler ce fondement. Il y va de notre sécurité juridique à tous. En cessant de tenir le droit pour le seul droit de propriété, nous devenons victimes de fumisteries comme le « droit public », le « droit du peuple » ou « de la nation », le « droit des minorités », le « droit révolutionnaire », le « droit du sol » et le « droit du sang », le « droit de l’environnement », sans compter la liste ubuesque et proliférante des « droits à… » :sick: (à la santé, au logement, à des congés payés, à l’orgasme, etc.)
Selon votre définition rien n'empêcherait les animaux d'avoir des droits, si vous ne fondez le droit que sur la proprieté. De plus votre définition est contradictoire puisque vous dites : le droit concerne des choses et initialement le corps... la propriété du corps étant en effet impossible à établir car se fondant sur un dualisme, une distinction conceptuelle et non réelle. La distinction âme/corps est selon la raison mais pas selon la chose. Il faut considérer que le sujet du droit inclut le corps, que c'est le corps et l'âme, c'est-à-dire la personne. Ce qui garantit le droit ce n'est donc pas la propriété du corps mais la dignité de la personne. Parce que je suis une personne, je suis inclus dans un type de relation implique le droit. Il est impossible de séparer le corps du droit et du type de relation que détermine le droit., tout simplement parce que la séparation du corps e de l'âme est la mort.

Publié : mar. 10 janv. 2006, 18:29
par Christian
Bonsoir Charles,
votre définition est contradictoire puisque vous dites : le droit concerne des choses et initialement le corps... la propriété du corps étant en effet impossible à établir car se fondant sur un dualisme, une distinction conceptuelle et non réelle. La distinction âme/corps est selon la raison mais pas selon la chose. Il faut considérer que le sujet du droit inclut le corps, que c'est le corps et l'âme, c'est-à-dire la personne. Ce qui garantit le droit ce n'est donc pas la propriété du corps mais la dignité de la personne.
Le Droit ne s’occupe pas de l’âme, car alors il n’aurait rien à dire à ceux qui ne croient pas à son existence. Bien sûr, je suis mon corps, autant que ‘je’ le possède, mais mon esprit est toujours libre. Immatériel, il est invulnérable, et c’est donc son incarnation, l’outil à travers lequel il s’exprime, qu’il faut garantir. En outre, être propriétaire, ce n’est pas seulement avoir le droit de conserver une chose, mais avoir le droit d’agir avec elle. Or c’est le bien le corps qui agit. C’est pourquoi — j’ai pris la peine de le souligner — du point de vue du Droit, le corps est une propriété.

Christian

Publié : jeu. 12 janv. 2006, 10:21
par Christian
L'intervention de Charles (que je salue) comprenait deux arguments intéressants auxquels je n'avais pas répondu ci-dessus :
Selon votre définition rien n'empêcherait les animaux d'avoir des droits, si vous ne fondez le droit que sur la proprieté
Contrairement à la morale, nécessaire à l’individu, même isolé, le droit, nous l’avons dit, n’existe que dans la relation. Il est affaire de réciprocité. Ainsi le criminel perd les droits qu’il n’a pas respectés chez autrui (pas plus, pas moins, la justice exige la proportionnalité entre le crime et la sanction). Les animaux ne reconnaissant aucun droit aux êtres humains, ils n’en possèdent donc aucun eux-mêmes.

(Il ne s’ensuit pas que les êtres humains soient sans devoirs envers les animaux, mais ces obligations sont alors morales, non plus juridiques.)

Je peux ajouter que le Droit (de propriété) est un principe universel mais abstrait, qui réclame précisions et négociations dans ses applications aux cas particuliers (sous forme de règlements librement acceptés, de contrats, etc.). Le Droit réclame donc un usage élaboré de la parole, qui est le propre de l’être humain.
Ce qui garantit le droit ce n'est donc pas la propriété du corps mais la dignité de la personne.
La dignité est un beau concept, mais exorbitant du droit. Car pour régler les relations entre les êtres humains, ce qui est sa fonction, le droit doit être objectif, mesurable, quantifiable, négociable. Comment pourrait-on transférer la dignité, la fractionner, la mettre en location ?

Christian