touriste a écrit :
Je me demande alors dans quelle mesure le chien n'est pas également capable d'abstraction :
vous lui lancez une balle jaune de taille moyenne en mousse en lui demandant d'aller chercher la balle.
Il la ramène.
Une fois bien dressé, vous lui posez au fond du jardin divers objets, dont une balle rouge de petite taille en bois, et vous lui demandez de ramenez la balle.
Eh bien il vous ramène la balle et pas le chiffon ou tout autre objet ...
Il a intégré le concept de "balle", même si les deux balles sont totalement différentes en texture, en taille et en couleur.
Vous pouvez faire l'expérience, ça marche très bien.
Le chien a-t-il donc une intelligence qui le rend "capable d'abstraction, d'universel" ?
Non il n’a pas intégré le concept de balle, il en a simplement reconnu la forme, et la reconnaissance de forme est un processus mécanique et informatisable, de même d’ailleurs que la reconnaissance vocale :lorsqu’au téléphone vous tombez sur un menu vocal interagissant avec votre voix, cela ne veut pas dire que l’automate comprend ce que vous dites, cela veut dire qu’il reconnaît les phonèmes par une analyse fréquentielle. De même un lecteur optique (comme employé à la poste) ne comprend pas ce qui est écrit mais il reconnaît la forme des lettres. (pourvu que ce ne soit pas trop mal écrit...)
Reconnaître n’est pas abstraire : lorsque le petit enfant joue avec un tamis et fait passer la boule dans le trou circulaire, il a reconnu la forme sphérique, mais il ne l’a pas abstraite, car l’opération qu’il réalise est toujours une opération de comparaison entre objets matériels, il n’a pas encore dégagé le concept de forme sphérique de la matière, il le fera, à l’âge de raison, lorsque son esprit géométrique sera pleinement actualisé et qu’il comprendra, je dis bien « comprendra », que la sphère est une surface dont tous les points sont équidistants d’un centre.
Si l’on veut un peu formaliser tout cela et introduire un peu plus de rigueur on distinguera le concept dans son extension et le concept dans sa compréhension. Par exemple l’extension du concept « rouge » ce sont tous les objets rouge mais la compréhension du concept rouge c’est la couleur rouge abstraite de tous ses objets.
Ainsi un automate pourra toujours opérer sur l’extension du concept et faire des opérations de reconnaissance ainsi que nous l’avons plus haut, mais il ne pourra jamais opérer sur la compréhension du concept, pour une raison extrêmement simple c’est que le concept en compréhension a une portée infinie (puisque dégagé de la finitude matérielle) et que l’automate par définition et construction n’est qu’une organisation matérielle, donc frappé du sceau de la finitude.
Alors attention je ne dis pas que les animaux sont des automates (grossière erreur commise pas Descartes) mais qu’en aucun cas on ne peut leur attribuer la faculté d’abstraction sous prétexte qu’ils sont capables de reconnaissance de forme, chose qu’un automate peut fort bien réaliser.
Ensuite je voudrais insister sur un point, c’est que la physique hylémorphique ou physique de la matière et de la forme est entièrement commandée par la métaphysique de la puissance et de l’acte, ce qui en assure la cohérence :
Par exemple du bloc d’airain le sculpteur en tire la forme de la statue : la statue était donc présente en puissance dans le bloc d’airain, mais sa forme y était-elle ? Non, il n’y avait que sa matière. Par conséquent on peut dire que le bloc d’airain et la statue sont identiques matériellement, mais qu’ils diffèrent formellement. Cela justifie aussi la tournure de langage : la forme actualise la matière, soit la forme compose avec la matière pour produire la substance.
On constate également dans l’exemple précédent que la matière de la statue préexiste à la forme de cette même statue, que ce n’est qu’une fois que le sculpteur aura opéré sur le bloc d’airain que la matière recevra sa forme. Cela aussi a son importance, car ce simple constat, réfute les thèse d’Origène et celles des incarnationistes ou réincarnationistes basées sur la préexistence des formes : la forme est produite consécutivement à l’action d’un agent opérant à partir d’une matière, sans matière pas de forme. Alors attention cela ne réfute pas l’existence des Anges, qui sont de pures formes ou substances purement spirituelles, mais cela réfute un mode de production des substances composées de forme et de matière (comme les hommes notamment) qui procéderait à partir d’une forme préexistante à une matière à laquelle elle viendrait s’unir.
Question plus délicate : la forme subsiste t-elle à la destruction de la substance ? Question plus délicate, car contrairement à précédemment, elle ne s’appuie pas sur un simple constat expérimental. Il faut d’abord trouver un critère de subsistance, et ce critère est celui de l’autonomie, plus précisément de l’autonomie d’une opération.
On pourrait formuler ce critère ainsi : « Si un être est capable de réaliser une opération de façon autonome, alors cet être subsiste par soi » ou par contraposition « Si un être ne subsiste pas par soi (subsiste par un autre donc) alors il ne peut réaliser aucune opération de façon autonome ». Par exemple : « je peux courir sans mes mains, je peux donc subsister sans mes mains » et par contraposition: « Mes mains ne peuvent subsister par elle-mêmes donc elles ne peuvent réaliser aucune opération de façon autonome » (il faut qu’elles soient commandées par le cerveau, tout au moins par un influx nerveux...). Ou encore « je peux respirer sans mes jambes, donc je peux subsister sans mes jambes » etc...
Or la forme humaine est capable de réaliser une opération de façon autonome, auquel le cerveau ne prend pas part (et là je vous renvoie à ce qui a été dit précédemment ainsi qu’aux démonstrations du logicien Gödel sur l’impossibilité de réduire le fonctionnement de l’esprit à celui du cerveau), à savoir : l’abstraction.
Donc en ayant exhibé l’autonomie d’une opération de la forme humaine (dit aussi âme pourvu qu’on ne la confonde pas avec les conceptions primitives des animistes et le « pilote du corps » de Platon) par rapport au corps, on peut légitimement en inférer la subsistance de cette forme.