gentil athée a écrit :
Pour faire une statue il faut informer une matière préexistante. Mais il y a un deuxième constat : si on supprime la matière, on supprime la forme qu'elle portait. Ainsi, si on fait une statue en grès, puis que le grès est corrompu par le temps, la forme portée par le grès disparaît, elle ne survit pas sous une forme séparée...
Soyons plus précis : la forme, quelque soit la forme, est par définition immatérielle, même une forme géométrique est immatérielle, puisqu’une forme géométrique est une surface d’épaisseur nulle. Par contre la forme détermine une matière et vous avez donc cette opposition déterminant-déterminé qui vous autorise à parler de matière informe (materia prima que précédemment j’identifiais au quelque chose du mur de planck) et de forme immatérielle.
Donc il suit de ces considérations qu’une forme séparée de sa matière, à supposer qu’elle puisse se séparer de sa matière, n’est pas nécessairement l’objet d’une expérience sensible, pour qu’une forme séparée de sa matière soit objet d’une expérience sensible il faut qu’elle provoque des effets sensibles, et si elle n’en provoque pas ? Eh bien dans ce cas là nous ne pouvons tout simplement pas expérimenter sa subsistance ou son anéantissement, et nous ne savons pas si elle subsiste ou pas.
Ce qui veut dire que dans les faits vous n’êtes pas autorisé à dire que la forme de votre statue en grès ne subsiste pas.
Mais en droit vous pouvez le dire en invoquant le rejet de l’hypothèse gratuite. Pourquoi pouvez-vous dire que c’est une hypothèse gratuite de supposer que la forme de votre statue en grès subsiste ? Parce que jusqu'à nouvel ordre, ni vous, ni moi, ni personne n’a produit de démonstration prouvant que la forme de votre statue en grès, et plus généralement d’une forme géométrique subsiste.
Ce point est très important à comprendre : si nous ne retenons pas l’hypothèse de la subsistance des formes géométriques, minérales, végétale et animale ce n’est pas par émotivité ou une sorte de fierté mal placée du style « Ah ! nous les hommes qu’est-ce qu’on est fort ! on est même éternel, on n’est pas comme ces minables d’animaux... », pas du tout (d’ailleurs les réactions émotives viennent bien plutôt de tous ces zoolâtres qui parce qu’ils ont quelque affection pour leur toutou voudraient qu’ils parviennent à la vie éternelle, notez qu’en ce qui me concerne je trouve l’idée sympathique, mais c’est pas moi qui décide...), si nous ne retenons pas la thèse de la subsistance de ces formes, c’est parce qu’il n’y a aucune raison valable de le faire, jamais aucune démonstration ou expérience n’a été avancée pour étayer une telle thèse, donc c’est une hypothèse gratuite que nous pouvons rejeter.
Mais en revanche, et là c’est capital, la démonstration de la subsistance de la forme humaine a été apportée, et même doublement, d’une part par un scolastique médiéval Saint Thomas d’Aquin et d’autre part par un logicien du XXème siècle Kurt Gödel, tous deux des pointures en logique. Et qui en plus n’ont pas suivi la même voie ! Saint Thomas pour y parvenir a exhibé l’autonomie d’une opération, à savoir l’abstraction, et Gödel a montré la décidabilité de certaines propositions indécidables pour le cerveau. Alors là vous ne pouvez plus parler d’hypothèse gratuite, au contraire c’est bétonné, donc à moins que vous ne déceliez une erreur dans le raisonnement (erreur d’inférence) ou une légèreté dans les prémisses (plus ou moins probables) vous êtes contraint logiquement d’admettre la conclusion, à savoir une forme humaine subsistante ou dit de façon équivalente une âme incorruptible.
J’en profite pour ouvrir une parenthèse, une parenthèse sur la logique et la notion de science architectonique et subordonnée. Vous pouvez trouver un prix nobel de médecine qui vous dira en ricanant grassement : « L’âme ? foutaise ! je n’ai jamais réussi à la scanner ! ». L’homme de la rue pourra être impressionné par un tel aplomb : « Si un prix nobel le dit alors... ». Et c’est là qu’est l’erreur, car le périmètre de la science médicale est beaucoup plus réduit que le périmètre de la science logique qui englobe toutes les autres sciences. La logique est la science architectonique des autres sciences positives qui lui sont subordonnées. La raison en est que le Logos ou le Verbe est partout. Un médecin peut-il exercer la médecine s’il est illogique ?, non. Un ingénieur peut-il faire de l’ingénierie s’il est illogique, non ?... En revanche rien n’oblige un logicien à connaître la médecine ou l’ingénierie pour faire de la logique. Et donc la double erreur de notre nobel de médecine et de l’homme de la rue c’est de croire d’une que la médecine est compétente au sujet de l’âme et de deux que l’avis d’un expert médical est autorisé en la matière, alors que cet expert œuvre dans une science subordonnée à la logique et qu’il n’en connaît pas toute l’étendue, notamment les démonstrations de Gödel et Saint Thomas sur la subsistance de l’âme, et d’ailleurs il n’a peut être tout simplement pas le niveau pour les suivre parce qu’on peut fort bien exceller dans l’art de la médecine et être un logicien médiocre.
Il me paraissait bon d’ouvrir cette parenthèse car souvent on attribue de l’importance à des propos qui sont tenus en dehors du champ d’expertise de celui qui les tient. (le cas classique est celui d’une vedette du show-bizz invitée pour dire des âneries dans une émission TV).
gentil athée a écrit :
Donc, du point de vue des seuls constats expérimentaux, la prévie et la survie sont - contrairement à ce que vous semblez penser - symétriques.
J’ai commencé à vous répondre sur le premier point, mais continuons. Précédemment nous avons vu que la survie en l’absence de démonstration ou de constat expérimental était une hypothèse gratuite à rejeter. Sauf que dans le cas de l’homme, et uniquement dans le cas de l’homme nous avons deux démonstrations prouvant sa survie.
Question : est-ce que ces démonstrations de la survie sont valables aussi pour la prévie (comme vous dites)?
De but en blanc je pourrais vous répondre non, car ces deux démonstrations ne prouvent la subsistance de l’âme qu’une fois que l’homme existe, elles ne postulent rien sur ce qui se passe au moment de la procréation de l’homme et encore moins avant.
Exemple : il est établi expérimentalement que l’homme subsiste à une amputation d’un bras, est-ce que je peux en déduire que l’homme sans bras préexiste à l’homme (et donc que la dernière étape de la conception consisterait à ajouter le bras manquant...)?
Donc vous voyez la subsistance post mortem n’implique pas la subsistance ante vitam. Il n’y aucune implication logique entre les deux, les contre-exemples ne manquent pas.
Donc « prévie »=hypothèse gratuite.
Mais on peut aller plus loin (comme je l’ai fait dans mon message précédent) et dire carrément que c’est une hypothèse erronée.
Et c’est là que je réaffirme que l’opération de formation ou plutôt d’information n’est en rien symétrique de la corruption, qui n’est pas une opération, mais le résultat d’une opération. En effet la corruption est la conséquence d’une transformation : le bœuf a été transformé en saucisse et c’est pour ça qu’il est mort, et non il est mort et cela l’a transformé en saucisse. En conséquence de quoi la corruption et ses effets ne peuvent pas être mis sur le même plan que l’information.
Attardons nous donc sur l’opération d’information. Remarquons qu’une opération opère toujours sur quelque chose pour produire autre chose (input-output). Et là il me suffit d’un simple constat expérimental pour certifier que l’information n’opère que sur la matière d’une substance (input) pour y produire une nouvelle forme (output). En input je n’ai pas déjà la forme, je ne l’ai qu’au terme de l’opération en output, c’est même je dirais la définition de l’information.
Donc nous voyons bien que l’analogie avec la chaîne de montage où à la fin de la chaîne on retrouve assemblés tous les inputs qu’on avait en début de chaîne, a ses limites. L’information n’est pas une opération d’assemblage, elle n’assemble pas une forme et une matière, mais de la matière d’une substance elle tire une nouvelle forme.
gentil athéé a écrit :
Ainsi, selon vous, des millions de personnes pourtant pas moins intelligentes et bonnes que les catholiques en général auraient embrassés pendant 25 siècles une doctrine "absurde" et "délirante" pour reprendre vos expressions ?
C’est un constat. Et oui la doctrine bouddhique est une mystification et je vais expliquer pourquoi. La doctrine bouddhique se veut expérimentale et souvent se pare de faux airs scientifiques. Ainsi un bouddhiste vous dira : « Nous ne devons rien croire et tout expérimenter » et il vous récitera les 4 nobles vérités celles de la souffrance, des causes de la souffrance, de l’extinction de la souffrance et du chemin menant à l’extinction de la souffrance. Cela a des allures médicales : symptôme, diagnostique, remède, guérison. Et ce côté peudo-scientifique et expérimental, dégagé de tout dogme et de toute spéculation métaphysique a séduit (comme le serpent) un bon nombre d’occidentaux stressés.
Seulement voilà lorsque candidement vous demandez si quelqu’un a déjà « guéri » en suivant cet enseignement, histoire de voir s’il y a des résultats, on vous répond bien sûr le Bouddha qui a trouvé l’illumination il y a 2500 ans de cela. Et là vous êtes un peu sceptique et vous dites « Mais comment s’assurer que cet individu a été illuminé, parce que l’illumination il n’y a que lui qui l’a vue ? » et on vous répond « Vous n’avez qu’à expérimenter pour vous en assurer vous-mêmes ». C’est le serpent qui se mord la queue : « il ne faut rien croire et tout expérimenter mais pour expérimenter il faut croire aux 4 nobles vérités et à l’illumination du Bouddha, car si au début on n’y croit pas un peu on n’expérimentera jamais l’octuple sentier... »
La ficelle est grosse, c’est comme si je vous disais « en me concentrant j’ai réussi à voler dans les airs mais je ne vous demande pas de me croire, vous n’avez qu’à expérimenter par vous même pour vous en assurer... » Et si vous êtes naïf vous allez passer toute votre vie à essayer de voler, vous aurez gâché votre vie pour rien.
En fait l’erreur fondamentale dans ce type de doctrine, que je qualifierais de « syndrome du gourou » c’est l’abdication de la raison devant le gourou et l’expérience. Parce que si vous avez toute votre raison et que vous faites preuve de discernement : d’une vous ne faites pas confiance à un gourou qui affirme sans preuve, de deux vous ne vous engagez pas dans une expérience sans en avoir évalué les risques, les coûts et les bénéfices. Les programmes spatiaux de la NASA se chiffrent en milliards de dollars alors avant de faire n’importe quelle expérience il faut réfléchir à ses chances de succès. Eh bien avec votre vie c’est la même chose, si vous êtes sain d’esprit vous n’avez pas envie de la consacrer entièrement à des expériences fâcheuses...
Pour conclure l’expérience seule c’est zéro, ça n’apprend ni la vie, ni la science, il faut y rajouter la raison pour en faire quelque chose.
Et j’oubliais, la guérison c’est quoi dans le bouddhisme ? Le néant tout simplement, plus de malade et donc plus de maladie...
« Il entrera donc dans l'anéantissement complet, le Çramana Gautama ! Et ayant appris cela, content, satisfait, joyeux, transporté, plein de plaisir et de satisfaction, il disparut en cet endroit même. » (« légende de Bouddha »)
gentil athéé a écrit :
Je ne crois pas que votre préférence pour le catholicisme et votre clair désaccord avec le bouddhisme exige de porter de tels jugements humiliants et blessants qui contrastent avec ceux de Dennis Gira (Gira, Dennis, "50 clés pour comprendre le bouddhisme", magazine Pèlerin, hors série ; Paris, Bayard, mai 2008), qui bien que chrétien convaincu est un spécialiste du bouddhisme et reconnaît la richesse et l'intérêt de cette pensée.
Moi je vous cite Jack Kornfield, un des enseignants les plus connus du bouddhisme, américain formé dans les monastères bouddhistes et voilà ce qu’il rapporte dans le « Dharma vivant » :
« Puis je suis allé dans un temple birman d’un style très différent. J’y rencontrai un célèbre maître de méditation qui avait eu dix mille disciples avant moi. Pourtant quand je le vis il avait un air négligé, sa robe traînait par terre ; il fumait des cigares birmans, et passait la plus grande partie de la journée assis à bavarder avec les femmes d’une manière fort éloignée de celle des moines, à l’opposé de mon ancien maître. Il lui arrivait de se mettre en colère pour des choses insignifiantes. Pendant mes deux premiers mois de pratique intensive dans ce monastère, je ne cessais de tracer des comparaisons et de souffrir. Le maître était bon avec moi et m’avait donné un des meilleurs cottages à proximité du sien. Le résultat était que je le voyais toujours assis à fumer ses cigares en bavardant avec les femmes. Cela me dérangeait énormément dans ma pratique. Je me disais : « Qu’ai-je à apprendre de cet homme ? Je travaille dur à ma méditation, et il est là, comme ça, il n’a rien à m’apprendre. Pourquoi ne se conduit-il pas comme un vrai moine, comme Achaan Chaa ? »
Il me fallut deux mois pour réaliser que son apparence extérieure ne m’empêchait pas de tirer grand bénéfice de ma méditation. Et que juger et comparer les formes extérieures, chercher le Bouddha à travers mon maître ne pouvait que me causer des souffrances supplémentaires. L’esprit qui juge crée de la souffrance. Enfin, quand je fus capable de renoncer à juger, je tirais le meilleur parti de son enseignement de la méditation (et tout ce qui était inutile, je ne m’en souciais plus. J’avais beaucoup souffert avant de comprendre que l’esprit qui discrimine crée des difficultés ; mais constatant cela, j’eus la force d’y renoncer). »
Illustration parfaite de ce que je disais précédemment : plutôt que de remettre en cause son gourou ou sa propre démarche il préfère renoncer à sa raison, et en renonçant à sa raison il souffre moins, donc il estime qu’il avait raison de renoncer à sa raison ! Cette phrase qu’il a écrite « L’esprit qui juge crée la souffrance » est emblématique de toute la perversité du bouddhisme, et poussé à son paroxysme cela donne « l’être crée la souffrance, donc ne soyons plus ».
gentil athéé a écrit :
Or, puisqu'après la mort, l'âme ne dispose plus de l'accès au monde sensible, il s'ensuit que si elle continue de penser, c'est par contemplation directe des idées, à la manière des anges.
Attention ça c’est du platonisme, et ça ne rentre pas dans le cadre démonstratif de Saint Thomas d’Aquin et de Gödel, j’ai bien dit que la raison était impuissante à accéder au contenu de la vie dans l’au-delà, elle ne peut même pas savoir si il est vide ou non, tout ce qu’elle peut faire c’est établir l’incorruptibilité de l’âme humaine et ça s’arrête là.
Le chanoine Lallement évoquait la conception platonicienne comme le péché de l’Ange, c’est à dire une âme se suffisant à elle-même, un homme devenu ange en fait, un homme qui souhaiterait accéder à une nature supérieure de même que Lucifer a voulu accéder à la nature divine, rendant ainsi vaine la résurrection de la chair...
Mais vous connaissez certainement la faille dans le platonisme, faille qu’a trouvée Aristote et qu’il est convenu d’appeler le problème du « troisième homme » : Si il existe un homme idéal auquel l’homme participe, alors puisque l’homme et l’homme idéal sont deux réalités séparées (eh oui puisque chez Platon l’idéal est plus réel que la réalité...), il va de nouveau falloir se donner une troisième idée d’homme à laquelle tous deux participent, et ainsi de suite à l’infini...
Un Tel verra comme feu Celui qu'il n'a pas connu comme lumière (St Grégoire Le Théologien)