Le Dogme

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prodigal
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Re: Le Dogme

Message non lu par prodigal » lun. 28 oct. 2019, 19:07

Cher Suroît,
je crois que le mot "dialogue" est un peu équivoque en l'occurrence.
En effet, le dogme, par définition, se tient au dessus de toute négociation possible. C'est bien la difficulté d'ailleurs. Il est vain de se dire que l'on veut bien y croire mais à la condition d'en supprimer une partie.
En revanche, le dogme se prête bien entendu à interprétation, et même chacun y est convié dans la mesure de sa culture théologique et de ses capacités. De ce point de vue, même celui qui ne croit pas en tel article peut néanmoins lui donner sens et même en admirer la profondeur. Mais il s'oblige, s'il veut traiter le dogme comme tel, à ne pas le contester.
Mais sans doute voulez-vous parler de la difficulté de croire aujourd'hui. Tout esprit de bonne foi la reconnaîtra. Mais il n'est pas certain que la faute en soit à une supposée irrationalité du dogme. L'obstacle premier, à mon sens, est culturel. Nous vivons dans une culture qui a appris à donner une cohérence au matérialisme athée, et à le considérer comme allant de soi. Là est le nœud de la question selon moi : ce matérialisme athée, va-t-il de soi, oui ou non? Seule une réponse négative peut laisser une chance à la foi d'exister.
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Re: Le Dogme

Message non lu par Suliko » lun. 28 oct. 2019, 19:22

Bonjour,

Je répondrai par l'acte de foi de saint Bellarmin :
Mon Dieu, je crois fermement tout ce que la sainte Eglise Catholique-Apostolique-Romaine m'ordonne de croire, parce que vous le lui avez révélé, vous qui êtes la Vérité même.
Si on croit les Saintes Ecritures, on croit que Jésus a fondé une Eglise qui a pour mission de proclamer la Vérité à tout l'univers. Si donc on croit vraiment qu'il y a un seul Seigneur, une seule foi et un seul baptême et que l'Eglise catholique nous apparaît comme étant cette Eglise fondée par le Christ, alors il me semble que l'adhésion aux dogmes proclamés et approfondis par l'Epouse de notre Sauveur va pour ainsi dire de soi. J'avoue ne pas avoir de problèmes particuliers sur ce point. Cela me paraît finalement bien plus cohérent que de chercher avec ma propre raison quels sont les dogmes de foi à partir des Saintes Ecritures. Les protestants ont cette approche, et ils ne font que se diviser...
Mais je comprends bien que cette humilité de la raison humaine face à la Révélation soit quelque chose de radicalement opposé à l'esprit occidental moderne, pour lequel le libre examen est à la base de toutes les libertés.
C'est pourquoi elle seule, prédestinée avant les générations et annoncée par les prophètes, la Mère du Créateur de tout l'univers, non seulement n'a participé en rien à la tache originelle, mais elle est toujours demeurée pure comme le ciel et toute belle. (extrait du règlement pour le monastère de Biélokrinitsa (1841)

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Re: Le Dogme

Message non lu par prodigal » mar. 29 oct. 2019, 12:47

Cher Suroît,
j'avoue que là j'ai du mal à vous suivre. Je veux dire que je ne sais plus quelle est la question :D .
Le texte de Victor Hugo est un joli morceau de bravoure, comme d'habitude, mais nous renseigne plutôt sur le progressisme romantique que sur la chrétienté. Ou disons qu'il nous propose une idée fantasmée du Moyen-Age.
Mais ce qui nous sépare (je ne dirai pas "nous oppose") me permet de revenir à la question initiale. Vous dites que le dogme se soustrait à toute discussion discursive (je vous cite). Or, cela ne me semble pas exact. Qu'est-ce que la théologie, sinon la réflexion discursive à propos du dogme? Et n'oublions pas que le Moyen-Age a inventé (ou plus exactement développé) la disputatio, c'est-à-dire le débat argumenté comme exercice universitaire, et cela valait aussi pour les sujets dogmatiques.
Je ne crois donc pas que le dogme n'ait été cru que par la crainte de l'autorité. Vous n'allez d'ailleurs pas jusque là. Au contraire, le dogme favorise la réflexion, dans la mesure où il est d'une part révélé (donc mystérieux, si vous me permettez ce raccourci) et d'autre part formulé (donc, précis, rigoureux et potentiellement apte à être discuté ou interprété). Le fait qu'on ne puisse nier le dogme sans s'avouer par là même hérétique ne me semble pas choquant intellectuellement. Ce qui est éventuellement choquant, c'est la façon dont on traite les hérétiques, ou bien que l'hérésie serve de prétexte à des fins politiques d'oppression, mais c'est autre chose. En revanche, que le dogme soit le plus clair possible ne me paraît pas menacer la liberté de l'esprit, au contraire.
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Re: Le Dogme

Message non lu par prodigal » mar. 29 oct. 2019, 16:38

Suroît a écrit :
mar. 29 oct. 2019, 15:12
Je suis bien d'accord avec vous pour dire que le dogme a besoin d'être interprété. La disputatio de l'Ecole en est un exemple, avec question, objection et réponse. Et dans le cadre du catholicisme, il s'agit du rôle privilégié du théologien. Mais il me semble que la discussion porte sur la manière de comprendre une proposition elle-même indiscutable dans son principe, et c'est pourquoi, en invoquant le "mystère", la partie fondamentale du dogme se soustrait à l'interprétation, au discursif. Il y a toujours quelque chose qui se retire de la discussion dans le dogme, et c'est pourquoi cela s'appelle un dogme, me semble-t-il. Et c'est précisément ce qui a pu poser problème au protestantisme, par exemple, pour les raisons dites dans les messages précédents.
Je remarque par ailleurs que cette "interprétation du dogme" dont vous parlez ne me paraît pas partagée par tous les catholiques. Il semblerait que pour certains, il faut accepter et il n'y a rien à en dire, sinon...
Et puis : où est la ligne de démarcation entre l'interprétation du dogme et son énonciation claire et précise de départ?
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les discussions à ce propos sont très vites tendues, et virent à l'idéologie, créant des formes de partis, avec les mots "progressistes", "traditionalisme", "moderniste", "individualiste", etc., qui sont autant de symptômes, à mon avis, de l'introduction de quelque chose de politique en théologie, d'une politisation de tout ce qui est, tendance propre à notre époque qui dit que "tout est politique", phrase assez effrayante quand on y pense.
La querelle à propos du dogme du péché originel me paraît exemplaire sur cette question, tant elle brasse des notions centrales (liberté, faute, responsabilité, origine, etc.) qui ont un impact direct sur la formulation du dogme.
Excusez-moi d'insister, mais il faut distinguer interpréter et nier.
Le texte que vous présentez en spoiler, par exemple, n'interprète pas le dogme, il le rejette, et dit pourquoi. Mais remarquez qu'il ne précise pas en quoi il consiste, il ne s'appuie sur aucune formulation dogmatique. En d'autres termes, c'est un texte ambigu. Il le serait beaucoup moins s'il y avait une définition claire du péché originel et un énoncé clair de ce qui n'est, selon l'auteur, pas acceptable dans cette doctrine. Il est d'ailleurs assez étonnant que ce texte s'achève par la suggestion d'une reformulation du dogme (au nom de l'incapacité de nos contemporains à comprendre) qui consiste en fait en tout autre chose que le dogme. Je ne vois pas comment "péché originel" et "grâce originelle" peuvent être synonymes, et si l'on veut dire qu'on ne peut comprendre l'un sans l'autre, alors cela suppose de préserver le dogme du péché originel tel qu'il est, afin d'en saisir son lien avec la grâce. Bref, le problème avec ce texte, ce n'est pas qu'il se heurte à la fermeture du dogme, c'est qu'il dit tout à fait autre chose, tout en souhaitant que cela ne se voit pas trop.
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Message non lu par prodigal » mar. 29 oct. 2019, 19:28

Mais encore une fois je ne reproche pas à ce prêtre d'interpréter le dogme, je constate (que ce soit bien ou mal) qu'il le rejette sans le formuler. Il n'y a aucun a priori de ma part, juste une simple constatation. Ce texte n'est pas une interprétation, mais une tentative de resituer dans le contexte historique afin de s'autoriser à ne pas accorder à la doctrine du péché originel le statut d'un dogme.
En revanche, sa lecture de Gaudium et Spes est une interprétation. Vous constatez, comme moi, qu'il ne rejette pas Gaudium et Spes, et qu'il fait porter l'attention du lecteur sur une formulation particulière : "dès le début de l'histoire".
J'ignore si Benoit XVI s'est un jour livré au même exercice, mais ce que vous nous avez donné à connaître (ou alors j'ai lu trop vite) ne rejette aucunement le dogme du péché originel, il en appelle à une interprétation non naïve. Pour lui, l'important est le sens qu'il faut donner au péché originel, et pas de savoir ce qui s'est passé "historiquement" (si cela a du sens de parler d'histoire à propos de ce qui s'est passé aux origines).
Ce que dit Benoit XVI me semble frappé au coin du bon sens, et parfaitement en accord avec la doctrine du péché originel telle qu'elle a été établie par l’Eglise.
Où finit l'interprétation, où commence la négation du dogme? Je ne crois pas que cette question soit aussi compliquée que vous le dites. Certes, le champ de l'interprétation est vaste, et nier la vérité d'un texte n'empêche pas de l'interpréter. Mais quand on veut enrichir la lecture d'un texte dont on se nourrit on ne dit pas qu'il faudrait le supprimer.
Je crois que la confusion n'est pas entre interpréter et nier, mais entre la formulation du dogme et la signification qu'on lui prête. Si on prête à un texte une signification qui contredit sa formulation, c'est qu'on le nie, quand bien même ce soit pour faire mieux que lui.
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Re: Le Dogme

Message non lu par prodigal » mar. 29 oct. 2019, 20:27

Je comprends ce que vous dites, je crois, sauf la dernière phrase. Je ne vois pas bien le paradoxe. Je vois bien la complexité, je reconnais qu'il n'est pas facile de juger la valeur et la pertinence d'une interprétation, mais je ne vois pas en quoi c'est lié au dogme.
D'une part en effet tout texte peut être interprété, les contresens sont toujours possibles, mais aussi il arrive que des interprétations très divergentes (comme c'est le cas en musique) soient toutes convaincantes. Donc, ce n'est pas le problème du dogme. Inventez une religion sans dogme, et vous rencontrerez le même problème pour toute parole prononcée.
D'autre part le dogme, parce qu'il est formulé, offre la possibilité d'être affirmé ou nié, et que l'on dise précisément ce que l'on en affirme ou ce que l'on nie, si l'on veut adopter une position critique. Que ce soit par prudence ou par conviction (je penche pour la deuxième possibilité) Benoit XVI ne nie pas le dogme du péché originel même s'il propose d'aiguiller son interprétation dans un sens existentiel. On est donc fondé à croire qu'il ne le remet pas en question.
Donc, par rapport à la question de départ telle que je l'ai compris, le dogme ne ferme pas du tout la porte à l'activité intellectuelle, fût-elle herméneutique, au contraire, comme dans ce cas de figure avec Benoit XVI, il contribue à la rendre plus claire et plus féconde.
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Re: Le Dogme

Message non lu par prodigal » mer. 30 oct. 2019, 11:19

Je pense que nous arrivons progressivement à nous mettre d'accord.
Ce que vous dites du dogme à la fin de votre message en fait une pierre d'achoppement. Je vois mal comment l'on pourrait l'éviter (si tant est qu'il faille l'éviter). Toute affirmation est en même temps une négation. Si je dis A, je nie que A soit faux. Si j'affirme le péché originel, je nie être né bon. Si j'affirme la résurrection du Christ, je nie que son cadavre se soit décomposé quelque part en Palestine aux environs de l'an 30, etc.
J'avoue que je craindrais fortement une religion sans dogme, car sur quoi reposerait le lien entre les fidèles? Pourrait-il être autre chose que la participation commune à des formes d'autosuggestion?
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Message non lu par prodigal » jeu. 31 oct. 2019, 10:17

Nous sommes donc d'accord pour ne pas imputer au dogme ce que l'on reproche au dogmatisme.
Celui-ci est partout, et n'est donc pas spécifiquement religieux. Beaucoup de scientifiques plus ou moins avérés, par exemple, adoptent une attitude dogmatique qui se traduit par "la science a montré que...".
Il y a dogmatisme quand on juge inutiles la discussion et la réflexion sous le prétexte qu'on est dans la vérité. Or, ce n'est pas du tout à cela que nous invite le dogme. Le dogme parle à l'intelligence, et veut contribuer à la rapprocher de Dieu. C'est pourquoi il y a des millions de livres qui méditent au sujet du dogme, non pas pour échafauder de nouvelles théories, mais bien pour entrevoir l'intelligence des grands mystères. Le dogme de la trinité, pour ne citer que le plus fameux, n'est pas la solution d'un problème théorique, mais une invitation à la prière. Que l'intelligence participe à la prière est parfaitement conforme à la destination de l'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu.
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Re: Le Dogme

Message non lu par cmoi » jeu. 31 oct. 2019, 10:44

Je voudrais quand même répondre à la dernière question de Suroît, laquelle réponse est si traditionnellement évidente : le Saint Esprit.

Ce qui révèle toute la difficulté, car il s'agit d'une personne, avec ce que cela peut avoir de volatil, et à plus forte raison quand il s'agit d'une des personnes de la Trinité en laquelle tous ne croient pas et dont chacun peut s'arroger le droit d'extrapoler la pensée.

Il y a donc nécessairement un complément à donner à cette réponse, un garde-fou, et qui est historique.
Le dogme, pour commencer, n'a jamais été défini que d'abord pour résoudre des dissensions et désaccords sur des points précis, qui apparaissaient au fur et à mesure que les croyants approfondissaient le donné de leur foi.

Il est à noter le fait aussi remarquable, qu'à l'origine, la question des autres religions (toutes comparaisons subséquentes) ne se posait pas : ils 'agissait de gérer au mieux l'élan nouveau, la suite à apporter à la venue et à l'ascension du Christ, à sa promesse de retour.

Ce n'était pas là un signe d'intolérance ou d 'extrémisme, mais d'une naïveté riche en fraîcheur.
Ne se posait pas celle non plus de la légitimité d'un tel ou d'un tel, quoiqu'elle apparut très vite (Cf. St Paul).

Les conditions de sa définition (au dogme) étaient très strictes : concile œcuménique en présence du pape.
C'est pourquoi les orthodoxes se sont refusé à y ajouter quoi que ce soit après le schisme.

Depuis, il est arrivé qu'au lieu de résoudre des dissensions, des promulgations en ont provoqué, ce qui est bien triste...
N'avait-il pas été donné pour cadre de se réconcilier avec son frère avant de présenter son offrande ?

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Message non lu par Crosswind » sam. 02 nov. 2019, 15:09

prodigal a écrit :
lun. 28 oct. 2019, 19:07

En effet, le dogme, par définition, se tient au dessus de toute négociation possible. C'est bien la difficulté d'ailleurs. Il est vain de se dire que l'on veut bien y croire mais à la condition d'en supprimer une partie.
En revanche, le dogme se prête bien entendu à interprétation, et même chacun y est convié dans la mesure de sa culture théologique et de ses capacités. De ce point de vue, même celui qui ne croit pas en tel article peut néanmoins lui donner sens et même en admirer la profondeur. Mais il s'oblige, s'il veut traiter le dogme comme tel, à ne pas le contester.
Je vois pour ma part une forme de contradiction. Si l'on prend pour définition de l'interprétation la mise au clair d'une proposition nébuleuse "dont l'explication n'apparaît pas de manière évidente" (source CNRTL), cela reviendrait à dire que l'on attribue une valeur de vérité - nous croyons - à une proposition dont le sens nous échappe, puisque nébuleux et soumis à diverses tentatives explicatives. Or, ce n'est pas possible : la condition d'attribution d'une valeur de vérité à une proposition quelconque est tributaire d'une forme de compréhension sémantique minimale de la proposition en question. Si je vous affirme croire en "Sproutch", vous me prendriez pour un rigolo. Et moi-même en penserai de même, car croire en "Sproutch" est sémantiquement vide : pour croire, il faut du sens, il faut de la matière pour faire naître le statut de vérité. C'est pour cela qu'il me semble contradictoire de dissocier la négociation du dogme avec son interprétation. Développons :

Je tire du Concile d'Ephèse la proposition "Marie mère de Dieu" et je pose la question de son sens. Seul au monde, il ne fait aucun doute que j'en tirerais un certain sens, ce qui me permettrait d'y accoler une valeur de vérité sous forme dogmatique. J'ai des représentations précises des concepts de "Marie", "mère" et "Dieu", le tout dans un contexte de compréhension du Monde qui m'est spécifique. Nous aurions alors affaire à un dogme bien établi, sitôt mon propre travail interprétatif terminé. Mais je ne suis pas seul. A mes côtés se bousculent de très nombreuses personnes qui, pour la même phrase ne partagent pas le sens que j'y place, moi. En ce sens, leur dogme est différent du mien, quoique symbolisé par une même phrase. Ils jouissent différemment des concepts de "Marie", "mère" et "Dieu", les manipulent dans une logique propre mais différente. Mus par un vigoureux désir d'entente cordiale, nous interprétons les contenus sémantiques "Marie", "mère" et "Dieu", en discutons longuement en vue d'accorder nos violons sur ceux-ci, et finissons par nous entendre sur une compréhension sémantique commune de la phrase. Ce travail d'interprétation terminé, chacun d'entre nous aura abandonné son dogme d'origine pour un nouveau dogme commun, le tout au travers d'une seule et même phrase et au cours d'un travail interprétatif qui aura transformé nos structures conceptuelles des mots "Marie", "mère" et "Dieu".

Ce nouveau dogme partagé restera cependant à la merci de la moindre dissidence, qui forcera tôt ou tard à réinterpréter certains détails en vue d'adopter, toujours au travers de la même phrase, un nouveau dogme. Et ainsi de suite. Il n'est donc pas exact selon moi d'affirmer que le dogme n'est pas négociable. L'interprétation est par elle-même la négociation de ce que sera le dogme, elle en est la méthode de construction.

Cependant l'Eglise ne travaille pas ainsi. La procédure d'interprétation se passe en petit comité de sorte que le véritable dogme auquel s'attache le fidèle "moyen" n'est pas du tout le contenu sémantique "Marie mère de Dieu" mais bien la croyance en ce que d'autres en ont dit au nom d'une représentativité divine. Le véritable dogme qui permet de court-circuiter un travail interprétatif dantesque et permanent n'est pas "Marie mère de Dieu", mais l'autorité du Pape. Notre exemple montrait des individus qui, au terme d'un travail très difficile, pour ne pas dire impossible en pratique, terminent tous convaincus de la justesse de la conception nouvelle. L'Eglise fait ce travail à huis-clos, et l'"impose" par son autorité.

En définitive, un dogme n'est rien d'autre que l'attribution d'une valeur de vérité absolue à un ensemble sémantique plus ou moins complexe, plus ou moins partagé par d'autres, mais néanmoins spéculatif. Au plus l'ensemble sémantique est simple (le Pape est infaillible) au plus il a de chances d'être cru de la même manière par le plus grand nombre, d'être partagé. Au plus il est complexe, (la Trinité), au plus il risque la dissidence et son fractionnement.

Mais, toujours, à sens différent, dogme différent.

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Re: Le Dogme

Message non lu par prodigal » sam. 02 nov. 2019, 15:38

Crosswind a écrit :
sam. 02 nov. 2019, 15:09
prodigal a écrit :
lun. 28 oct. 2019, 19:07

En effet, le dogme, par définition, se tient au dessus de toute négociation possible. C'est bien la difficulté d'ailleurs. Il est vain de se dire que l'on veut bien y croire mais à la condition d'en supprimer une partie.
En revanche, le dogme se prête bien entendu à interprétation, et même chacun y est convié dans la mesure de sa culture théologique et de ses capacités. De ce point de vue, même celui qui ne croit pas en tel article peut néanmoins lui donner sens et même en admirer la profondeur. Mais il s'oblige, s'il veut traiter le dogme comme tel, à ne pas le contester.
Je vois pour ma part une forme de contradiction. Si l'on prend pour définition de l'interprétation la mise au clair d'une proposition nébuleuse "dont l'explication n'apparaît pas de manière évidente" (source CNRTL), cela reviendrait à dire que l'on attribue une valeur de vérité - nous croyons - à une proposition dont le sens nous échappe, puisque nébuleux et soumis à diverses tentatives explicatives.
]
Jusque ici je vous suis parfaitement, sauf que vous voyez une contradiction là où il n'y en a pas, et que le terme "nébuleux" est mal choisi, car en faire un synonyme de "mystérieux" est inutilement polémique. Mais cela ne change rien sur le fond. En effet, je veux bien le redire : le dogme se présente comme une vérité dont le sens nous échappe partiellement, et qui est revêtu d'une autorité solennelle dans le cadre d'une religion dont il définit le contenu de croyance. Telle est ma définition, que je crois très conforme à la tradition chrétienne.
Crosswind a écrit :
sam. 02 nov. 2019, 15:09
Or, ce n'est pas possible : la condition d'attribution d'une valeur de vérité à une proposition quelconque est tributaire d'une forme de compréhension sémantique minimale de la proposition en question.
Bien entendu. Cette forme de compréhension sémantique minimale, comme vous dites, est évidemment postulée, comme dans toute communication. C'est même la raison d'être de la formulation du dogme.
Pour la suite de votre propos, intéressante mais qui risque de nous faire parler de plusieurs questions en même temps, et donc de semer une confusion inextricable, je voudrais justement bien distinguer trois réalités différentes.
- le dogme en lui-même, qui est non négociable
- la formulation du dogme, qui en revanche peut être revue sous la pression des questions ou des objections, mais le but n'est pas en ce cas d'inventer un nouveau dogme, mais de clarifier le même dogme.
- la réception par chaque sujet pensant du dogme, qui est évidemment susceptible d'un nombre infini de variations, ce pourquoi le dogme est un sujet de réflexion, voire de discussion.
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Re: Le Dogme

Message non lu par Crosswind » sam. 02 nov. 2019, 16:00

prodigal a écrit :
sam. 02 nov. 2019, 15:38
Bien entendu. Cette forme de compréhension sémantique minimale, comme vous dites, est évidemment postulée, comme dans toute communication. C'est même la raison d'être de la formulation du dogme.
[…] je voudrais justement bien distinguer trois réalités différentes.
- le dogme en lui-même, qui est non négociable
- la formulation du dogme, qui en revanche peut être revue sous la pression des questions ou des objections, mais le but n'est pas en ce cas d'inventer un nouveau dogme, mais de clarifier le même dogme.
- la réception par chaque sujet pensant du dogme, qui est évidemment susceptible d'un nombre infini de variations, ce pourquoi le dogme est un sujet de réflexion, voire de discussion.
Je demande ici une clarification d'importance : comment comprendre un dogme qu'aucune formule ne formerait? La proposition "Marie mère de Dieu" est une formule. Mais où trouver le dogme dans ces symboles scripturaux? Je ne peux vous comprendre qu'en admettant une formulation minimale du dogme non-négociable.

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Re: Le Dogme

Message non lu par prodigal » sam. 02 nov. 2019, 18:19

Je ne vois pas de vraie difficulté. Le dogme est ce que la formule exprime. Il a donc besoin d'être formulé.
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Re: Le Dogme

Message non lu par Crosswind » sam. 02 nov. 2019, 18:26

prodigal a écrit :
sam. 02 nov. 2019, 18:19
Je ne vois pas de vraie difficulté. Le dogme est ce que la formule exprime. Il a donc besoin d'être formulé.
Mais alors, pourquoi différenciez-vous initialement le dogme de sa formulation?

J'oppose vos trois propositions : 'le dogme est ce que la formule exprime", "le dogme lui-même" et "la formulation du dogme". Si je les surimprime, cela me donne une tautologie : le dogme lui-même serait "la formulation de ce que la formule exprime".

Comprenez que je n'y retrouve pas mes jeunes ;-)

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Re: Le Dogme

Message non lu par prodigal » sam. 02 nov. 2019, 19:22

Parce que vous changez l'ordre des mots! :D
Le dogme est ce que la formule exprime, c'est l'ordre des mots dans ma phrase. Il n'y a pas à ajouter ni à déplacer "la formulation" comme vous le faites. Il n'est pas la formulation de ce que la formule exprime, il est ce que la formule exprime. Cela fait bien une différence entre le dogme et sa formulation, même si celle-ci s'efforce d'être au plus près du dogme, d'être la plus précise possible.
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