Si Versailles m'était conté...

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Amfortas
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Si Versailles m'était conté...

Message non lu par Amfortas » jeu. 25 nov. 2010, 13:35

Bonjour,

Hier j’ai vu un reportage sur le château de Versailles, qui est une splendeur monumentale, un cas unique au monde. Mais j’ai été très surpris de voir que toutes les salles étaient dédiées à des dieux et déesses de la mythologie païenne. Disons-le franchement ce château n’avait déjà plus rien de catholique, alors que je me souviens de châteaux du Velay, Forez et Haute Auvergne dans lesquels on peut admirer des fresques et tapisseries représentant des scènes bibliques et épiques (les preux, les Prophètes, les Saints etc…), et tout un tas de symboles évocateurs de la Chrétienté.

Cela m’a fait une impression étrange : tout ce mystère, cette profondeur et cette gravité chrétienne remplacés par un néo-paganisme de pacotille.

Et dans le reportage ils parlaient aussi du château de Blois et du pâle Henri III toujours représenté comme un faiblard ou une femme, ce roi peureux et lâche, dernier rejeton des Valois, se cachant et fomentant des assassinats (celui du Duc de Guise et du Cardinal), et finalement mourant pitoyablement assassiné par le moine Jacques Clément. En revanche Henri IV est toujours représenté gaillardement, incarnant les vertus viriles.

Ce que je me suis dit et je souhaiterais avoir l’avis d’historiens sur ce point : ne peut-on pas dire que le vrai Etat catholique français est mort avec la décadence des Valois et que par la suite sous l’impulsion des Bourbons, des protestants convertis par intérêt, il est allé vers une protestantisation croissante au point de séparer dans une frénésie schizophrénique et laïciste le pouvoir temporel du spirituel et de consommer le divorce entre le siècle et l’Eglise, allant jusqu’à peupler ses palais d’idoles païennes ? La façade était catholique, mais l’intérieur ne l’était plus…

D’autant plus qu’une érudite déclarait que les « étiquettes » ce n’est pas à Louis XIV qu’on les doit mais à Henri IV…

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coeurderoy
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Re: Si Versailles m'était conté...

Message non lu par coeurderoy » jeu. 25 nov. 2010, 16:40

Bonjour,

Vous savez, les jardins de Versailles sont plein de statues de Flore, Saturne, Apollon, Castor et Pollux et autres dieux ou demi-dieux...L'antiquomanie est surtout le fait de la Renaissance italienne (XV ème s.), des grandes familles érudites plaçant leurs rejetons au pouvoir en se cherchant des ancêtres mythologiques (les Médicis prétendaient descendre d'un Roi-Mage) et ce goût humaniste s'est propagé dans l'Europe du XVI ème siècle : on peut regretter la coupure entre les élites lettrées frottées au latin et au grec d'avec le peuple mais parler de paganisme est, de l'avis de tous les spécialistes de la Renaissance, une erreur de perspective historique : la fureur des passions religieuses au XVI ème, la querelle du Jansénisme et l'essor des ordres issus de la Contre-Réforme au XVII ème s. prouvent que la foi était sincère et vécue à la Renaissance et à l'époque classique.
Evidemment, je préfère aussi une société où l'Art chrétien est compris de tous mais j'avoue ma fascination devant les belles réussites de l'Ecole de Fontainebleau (les superbes fresques du château d'Oiron par ex. donnent une idée de la culture classique des élites de la Renaissance).

Concernant Henri III, j'ai apprécié les interventions intelligentes (et historiquement fondées) du jeune historien : sachez que ce roi, intelligent et particulièrement attaché au rôle de médiateur et pacificateur qu'incarnait sa personne, a été la cible de deux camps aussi violents qu'intéressés politiquement : Sainte-Ligue d'un côté ( prétendant descendre de Charlemagne le Duc de Guise briguait le trône), et Huguenots d'autre part : c'est d'eux je crois que sont venues les principales attaques contre la cour des "hermaphrodites", légende noire reprise pour des raisons idéologiques par les historiens et romanciers du XIX ème s.
Aucune preuve fondée n'existe de l'homosexualité d'Henri III. Le terme "mon mignon, ma mignonne" est un poncif de la préciosité de Cour des XVI et XVII ème s. On appelait ainsi les enfants. Les "favoris" sont les amis que rois et reines de toutes époques appréciaient de voir à leurs côtés.
Des rois très virils, multipliant les maitresses, offraient l'honneur de partager leur lit à leurs familiers : cela depuis la période médiévale, comme on invitait un hôte de marque à s'étuver sans penser forcément à mal.

Pour le rôle de l'étiquette (très complexe au XVIème, chez les Habsbourg notamment), c'est vrai qu'Henri III joue un rôle de premier plan dans son développement à la Renaissance.
La propreté du roi "fait tache" au XVI ème. s époque où les habitudes médiévales de l'hygiène se perdent : on préfère alors les parfums violents venus d'Italie qui, sous Louis XIV remplaceront définitivement la toilette matinale (Louis XIII disait "je suis comme mon père, je sens le gousset").

Le parallèlisme Henri III efféminé (fidèle à son épouse, propre, intelligent mais trop élégant) et Henri IV, plutôt...macho, bon enfant, proche du peuple, etc était très intéressant dans ce reportage.
On sait par ailleurs qu'Henri IV (remarquablement intelligent quoique mené par ses passions et écrivant admirablement bien) avait un sens élevé de son autorité et était doué dans la mise en scène des "public relations" : c'est pourquoi le milieu légitimiste exaltera tant "le bon roi Henry" vers 1830.


Par ailleurs on a répandu au XIX ème s. l'idée que les derniers Valois n'étaient que le fruit "du sang pourri des Médicis" (les banquiers de Florence : l'union de Catherine avec Henri II, descendant de Saint-Louis avait scandalisé les cours d 'Europe). Protestants et Ligueurs ont noirci à plaisir l'image de "La Florentine", comme plus tard pamphlets et gazettes noirciront Marie-Antoinette.

La reine Catherine, aimée et défendue par François Ier, son beau père, n'a eu que le malheur de vivre dans une époque violente, orgueilleuse et débridée : épouse fidèle elle tenta au colloque de Poissy un rapprochement avec les protestants (qui ravagèrent un royaume aux reins solides, détruisant, pillant, tuant et calomniant surtout les souverains légitimes).
Aimant la musique et les arts, on lui doit l'introduction des premiers violons en France ; sportive elle fut la première à monter "en amazone" (la jambe de la femme calée sur l'arçon) et de galoper au lieu de suivre gentiment les chasses "à la planchette" comme le faisaient les dames du Moyen-Age.
Quant-à-sa prétendue superstition, rappelez-vous que tous les souverains d'Europe consultaient leur astrologue particulier avant une bataille, un mariage ou un traité de paix.

Dire que le vrai catholicisme français est mort avec les Valois est une erreur historique : le dernier roi couronné, Charles X, avait conscience de l'acte qu'il posait en recevant l'onction à Reims en 1825,, comme son frère, Louis XVI, élevé comme lui au temps des "Lumières" sut faire preuve d'un admirable courage chrétien dans ses épreuves...

Cordialement !

Un très bon livre : La Cour de Henri III. Jacqueline Boucher (coll. de mémoire d'homme). Ouest France Université 1986. Le renouveau spirituel catholique et la vive pitié du roi Henri III protégeant plusieurs ordres religieux sont remarquablement analysés : roi bien moins "païen" ni ribaud que son grand-père François Ier que...je n'aime guère pour ma part !
Dernière modification par coeurderoy le jeu. 25 nov. 2010, 19:23, modifié 2 fois.
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Re: Si Versailles m'était conté...

Message non lu par Amfortas » jeu. 25 nov. 2010, 17:08

Très intéressant, mais il y a quelque chose qui me chiffonne : dans l’histoire de France il y a eu 2 conversions : celle du païen Clovis et celle du protestant Henri IV.

Autant celle de Clovis me paraît crédible, d’autant plus crédible que en choisissant la foi catholique Clovis faisait manifestement un très mauvais choix stratégique dans une Europe dominée par l’hérésie arienne. Donc on ne peut pas l’accuser de s’être converti par intérêt, surtout que sa victoire sur les Alamans fut une « divine surprise ».

Par contre Henri IV se convertissant parce que « Paris vaut bien une messe » ça me laisse perplexe…

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Re: Si Versailles m'était conté...

Message non lu par Alex101 » jeu. 25 nov. 2010, 17:39

Bonjour Amfortas,
Connaissez-vous Robert Merle? Il a ecrit une longue saga (Fortune de France) se deroulant pendant les guerres de religion; il a effectue de longues et passionnantes recherches pour ecrire cette epopee. Cette belle serie, emprunte d'humour, decrit les moeurs et la vie durant cette epoque troublee.
Tout cela pour vous dire qu'Henri IV est un des personnages de cette saga. Comme le dit coeurderoy, c'est un grand homme d'Etat, un grand roi, mais guide par ses pulsions, surtout charnels. Juste avant son assassinat, il etait pret a partir en guerre dans les Flandres pour aller chercher la jeune femme dont il etait epris, et que son mari avait enferme. Henri IV croyait en Dieu, il ne voyait probablement pas d'enormes differencse sur la maniere de croire. Si je ne me trompe pas, il changea 7 fois de religion, en fonction de ses interets. Croyant oui, mais protestant ou catholique, peu lui importait.
L'etat catholique francais n'est pas mort avec les Valois. Louis XIII fut extremement pieux, Richelieu ecrivit de nombreux traites de theologie. Louis XIV prenait au serieux la religion, tout comme Louis XVI.
Le catholicisme a souffert du republicanisme extreme de la fin du XIX, debut du XXieme.
La religion catholique est brocardee et moquee comme aucune autre religion en France. Il suffit de regarder les differences de traitements entre les religions. On ne se moque pas d'un imam ou d'un rabbin, mais l'on va se moquer du cure du village rubicond et rondouillard, qui boit du rouge en cachette dans la sacristie (qui n'a pas deja entendu cette remarque desobligeante?), ou aime donner un bon coup de fourchette a un plat de saucisse lentilles au troquet du coin. J'en passe et des meilleurs, qui sont encore plus insultantes, mais que helas j'ai entendu de nombreuses fois...
O
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Re: Si Versailles m'était conté...

Message non lu par coeurderoy » jeu. 25 nov. 2010, 19:28

Amfortas a écrit :
Par contre Henri IV se convertissant parce que « Paris vaut bien une messe » ça me laisse perplexe…
Après sa conversion Henri IV a pourtant fait preuve d'une bonne volonté véritable pour s'instruire des dogmes catholiques : de bonnes études ont montré qu'il n'était ni cynique, ni sceptique (opportuniste ? disons que...l'occasion fit le larron) : ce fut TOUT BENEFICE pour la France : au début XVII ème le redressement et la reconstruction sont un peu comparables à la vitalité dont le royaume avait su faire preuve vers 1460-1510 (reconstruction après la guerre de Cent Ans, paix retrouvée, essor démographique).
Sous Henri IV : foisonnement d'ordres nouveaux, vitalité de "l'Ecole française" (Bérulle, Saint-François-de-Sales, Ollier, Saint-Vincent-de-Paul) sans parler des réussites urbaines : place Royale (des Vosges), Pont-Neuf, place Dauphine à Paris, etc, etc...Les diplomates et voyageurs étrangers donnent de la France de la fin XVI ème s. l'image d'un vaste chantier de reconstruction : à Orléans, Blois, en Saintonge, Poitou, etc, il fallait tout bonnement reconstruire des églises et des quartiers entiers ravagés par les querelles religieuses...
Dernière modification par coeurderoy le ven. 26 nov. 2010, 10:37, modifié 2 fois.
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Re: Si Versailles m'était conté...

Message non lu par Amfortas » jeu. 25 nov. 2010, 20:42

Alexis101 a écrit :
On ne se moque pas d'un imam ou d'un rabbin, mais l'on va se moquer du cure du village rubicond et rondouillard, qui boit du rouge en cachette dans la sacristie (qui n'a pas deja entendu cette remarque desobligeante?), ou aime donner un bon coup de fourchette a un plat de saucisse lentilles au troquet du coin. J'en passe et des meilleurs, qui sont encore plus insultantes, mais que helas j'ai entendu de nombreuses fois...
J’attribuerais cela plutôt à l’absurdité de l’action politique moderne : après la deuxième guerre mondiale tout le monde s’est dit « il faut protéger, voire même privilégier les minorités tant persécutées pendant la guerre » et du coup les majorités ont complètement été oubliées, méprisées, et la France était (et est ?) un pays majoritairement catholique. Donc on arrive à cette situation absurde d’un Etat qui couve et même fait le lit de minorités parfois extrémistes et affiche une arrogance et un mépris inouïe vis-à-vis de ces majorités silencieuses et souffrantes dont pourtant il est censé être le fondé de pouvoir !

Je trouve ça idiot et criminel de confondre un enjeu passé avec l’enjeu actuel qui n’a plus rien à voir. L’enjeu actuel est diamétralement opposé de celui de 1940 : il ne s’agit plus de combattre pour les minorités qui désormais se portent très bien, il s’agit de défendre des majorités qui sont en voie d’extinction démographique, des majorités porteuses d’une civilisation sans cesse bafouée par les media, et qui finiront par devenir minoritaires.

Fermons la parenthèse, mais il me paraissait important de signaler ce décalage historique voulu et sciemment entretenu et source de beaucoup de maux pour notre civilisation chrétienne.

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