Message non lu
par ti'hamo » mar. 12 juin 2012, 11:05
Deux autres points pour appuyer les explications précédentes :
je suis en train de lire "le système totalitaire" de Hannah Arendt - certes, il s'agit de son analyse, qu'il faudrait compléter par d'autres, mais elle constitue tout de même une référence. À cette lecture, il ressort que :
. un tel système de pensée et de politique, échappant à toute logique habituelle, y compris à celle des systèmes dictatoriaux, fascistes, despotiques, n'a forcément été compris qu'après coup. Certains haut fonctionnaires nazi eux-même n'y comprenaient plus rien et semblaient un peu perdus, sans parler des haut fonctionnaires allemands non nazi auxquels la logique du système échappait totalement.
Il semble donc que, vraiment, dans le contexte et la mentalité de l'époque, personne ne pouvait réellement prévoir, envisager, imaginer, ce que les nazi mettaient en œuvre. Ce qui de nos jours, parce que nous savons, est devenu la référence universellement connue en terme de Mal et de crime, aurait été, raconté à l'époque, de la science-fiction.
. il faut rappeler aussi que notre compréhension du monde semble toujours en retard d'une guerre : de même que, de nos jours, nous avons tendance à envisager tout conflit et toute guerre à la lumière de la dernière guerre mondiale (à chercher presque systématiquement qui est le nazi et qui est le résistant, à chercher qui extermine qui, à chercher les préjugés raciaux sous-jacents, à dénoncer les génocides avant même qu'ils soient avérés),
de même il est assez logique de penser qu'à l'époque, la plupart percevaient ce nouveau conflit à l'aune du précédent, qui marquait encore les mémoires, la première guerre mondiale :
or, la première guerre mondiale est une guerre d'impérialisme et de nationalismes. A priori, l'agressivité de l'Allemagne devait être perçue comme un nationalisme classique, qui imposait par la force sa domination aux nations conquises - y compris, donc, déplacements de populations, travaux forcés, esclavagisme.
(très révélatrice à ce sujet, la réaction, rapportée plus haut, du grand rabbin de Rome demandant au pape d'envoyer des vêtements chauds à ses coreligionnaires qui, au même instant, ne sont sans doute plus pour beaucoup que des corps décharnés déjà morts ou presque plus vivants) (d'ailleurs c'est déchirant de penser à cet homme plein de sollicitude pour son prochain, de l'imaginer s'échiner à leur faire envoyer des couvertures en pensant les réconforter un tant soi peu, alors qu'eux sont en train de se faire exterminer)
aussi bien le pape que Pétain que les Juifs que les français que les Alliés, voyaient sans doute tous les choses de cette façon ; ce qui est logique : ils comprenaient, tous, la réalité vécue, en référence à la réalité connue. Ils refaisaient la première guerre mondiale, alors qu'ils étaient plongés dans la deuxième : nous avons beau jeu, après coup, une fois les faits connus et analysés, de le leur reprocher.
. À la lecture de Hannah Arendt, apparaît bien aussi toute l'étendue des visées nazies en terme d'extermination raciale : ça ne concerne vraiment pas que les Juifs, mais à peu près tout : "slaves" - polonais entre autres, donc -, tziganes, ...
Il s'agit bien de viser à une domination raciale, aussi délirante et imaginaire soit-elle, et cela ne concerne donc pas du tout que les Juifs : en gros, tout ce qui n'est pas défini comme "aryen" était destiné à disparaître, un jour ou l'autre.
Elle montre cependant une spécificité des Juifs dans cette logique, en ce qu'ils servaient, en quelque sorte, dans la pensée nazie, de référence - paradoxalement. L'image du Juif, telle que reprise et entretenue par les nazis, comme un peuple, et même une race, accusée de viser à la domination du monde par la conspiration (cf "Protocoles des sages de Sion"), universelle, détachée de tout nationalisme et sans autre but et référence morale qu'elle-même,
représente très précisément l'image que les nazis avaient d'eux-mêmes, et le but qu'ils se donnaient.
Les Juifs, dans cette pensée nazie, ont donc cette particularité d'être, en quelque sorte, les premiers rivaux - ceux qui, du point de vue nazi, tels qu'ils les imaginaient, auraient approché le plus près du but que les nazis voulaient se réserver, mais uniquement par le secret et sans la force.
Mais, bon, ça, il fallait être nazi et penser en nazi pour le pressentir et prédire ce à quoi cela aboutirait logiquement.
“Il serait présomptueux de penser que ce que l'on sait soi-même n'est pas accessible à la majorité des autres hommes.”
[Konrad Lorenz]
“Celui qui connaît vraiment les animaux est par là même capable de comprendre pleinement le caractère unique de l'homme.”
[Konrad Lorenz]
Extrait de L'Agression