Christian a écrit :
Lorsque la demande d’un bien dépasse l’offre disponible, le prix de ce bien augmente. C’est une vieille loi de l’économie. Par exemple, la demande actuelle d’euros est forte, le prix de l’euro augmente. Il faut plus de dollars aujourd’hui qu’il y a un an pour acheter un appartement à New York ou une paire de Nike fabriquée en Thaïlande, mais il faut moins d’euros.
De même, si la demande de monnaie-or est forte, la valeur de cette monnaie va augmenter. Il faudra donc moins de cette monnaie pour acheter des appartements et des biens de consommation et financer des entreprises. Plutôt que de prêter plus de monnaie-papier pour acheter les mêmes choses, les banques prêteront toujours la même quantité d’or pour acheter plus de choses.
Il faut effectivement s’affranchir de l’illusion monétaire, par exemple lorsqu’un salarié reçoit une augmentation inférieure en pourcentage au taux de croissance du niveau général des prix, son salaire nominal a augmenté mais son salaire réel a baissé, inversement en cas de déflation avec maintien du salaire nominal constant, le salaire réel augmente. Et ce qui compte bien sûr c’est le salaire réel, c'est-à-dire le pouvoir d’appropriation, je préfère employer le terme de pouvoir d’appropriation que celui de pouvoir d’achat car il permet de mieux appréhender les principes généraux du capitalisme libéral, alors que le terme « pouvoir d’achat » a une connotation plus spécifique, il renvoie essentiellement à la consommation et aux consommateurs, mais un capitaliste qui achète des biens-capitaux, comme par exemple des machines-outils exerce lui aussi son pouvoir d’appropriation. Consommer, investir c’est fondamentalement le même acte c’est exercer son pouvoir d’appropriation, c'est pouvoir user et abuser de la chose appropriée, ainsi en va-t-il du spectateur mécontent qui balance des tomates sur la scène (en principe c’est fait pour manger…) que du rapace de la finance qui démantèle l’usine qu’il vient de reprendre (en principe un repreneur sauve….)
Par contre vous glissez petit à petit de la notion de prix jusqu’à celle de valeur jusqu’à les confondre, et du même coup vous faites de la loi déterminant les prix du marché, la loi déterminant les valeurs. Par ce glissement sémantique vous éludez le problème de fond qui est celui de la négation de la valeur par les économistes libéraux modernes : les théories néo-classiques sont en effet subjectivistes et individualistes, donc destructrices de l’objectivité des valeurs, et une valeur qui ne vaut que pour les uns et qui ne vaut plus pour les autres, est une valeur qui ne vaut plus rien. Entre parenthèses lorsqu’un homme dit « ce sont mes valeurs » il est tout bêtement en train de les saper, car implicitement il reconnaît qu’elles lui sont relatives, qu’elles n’ont de valeur que celle qu’il veut bien la leur reconnaître et qu’elles périront avec lui.
En sens contraire les classiques et les marxistes déterminent la valeur de l’objet par la quantité de travail socialement utile qui y a été incorporée. Contrairement aux premiers, ceux-ci ont cherché une théorie objective de la valeur. Du point de vue objectif l’offre et la demande ne déterminent en rien la valeur d’un bien, elles déterminent les fluctuations du prix de ce bien (liées à une surproduction ou à une sous-production) autour d’une certaine valeur, elle-même déterminée par le travail. Alors vous allez-me rétorquer qu’un peintre d’art moderne qui donne trois coups de pinceau en quelques secondes peut retirer de « son œuvre » des dizaines de milliers d’euros. Et de dire : «Regardez il a « travaillé » 3 secondes et il se ramasse le pactole !donc la théorie valeur-travail est fausse ! » Non elle n’est pas fausse pourvu que vous soyez capable d’établir le distinguo entre prix et valeur, il faudra donc dire : « ce qu’il a fait coûte très cher, mais sa valeur est nulle ». Dans ce cas nous sortons du cadre de l’économie capitaliste rationnelle, nous sommes dans une aberration économique où la nullité s’échange contre de la valeur, plus exactement contre le pouvoir de s’approprier de véritables valeurs, dès lors que des snobs fortunés sont prêts à dépenser des millions pour une mocheté. Il est peut-être bon de préciser aussi que le travail dont il s’agit ici est du travail socialement utile, et ce afin d’éviter l’objection inutile comme quoi l’homme qui a travaillé des milliers d’heures sur un château d’allumettes a produit un travail de valeur nulle.
Depuis que le monde est monde, que fait le monde ? Il se transforme matériellement. C’est là que la métaphysique aristotélicienne de la matière et de la forme me paraît judicieuse pour comprendre le processus de transformation. Quantitativement, du fait de la conservation de la matière et de l’énergie le monde est grosso modo toujours le même, l’homme n’ayant pas le pouvoir de création ex nihilo. Mais du point de vue des formes (formellement) le monde s’enrichit, car l’homme imprime constamment de nouvelles formes à la matière et des formes de plus en plus parfaites. Une forme c’est une perfection, c’est ce qui parfait, ce qui détermine une matière. L’homme étant lui-même une certaine perfection dans l’ordre des perfections, les nouvelles formes qu’il imprime à la matière, si elles sont à son service (point important à souligner) seront-elles-aussi des perfections. Le premier homme qui a arraché à la matière la forme de la roue a fait faire un grand bon à l’humanité, il a produit de la valeur, de même le premier sédentaire qui a travaillé la terre pour en faire jaillir des fruits. A toute forme ou perfection correspond objectivement une valeur, même une dignité pourrions-nous dire, bien sûr il ne faut pas tomber dans le fétichisme qui consiste à surévaluer une perfection qui nous est inférieure, comme par exemple l’automobiliste qui passe le plus clair de son temps à bichonner son automobile.
Une fois reconnue qu’il y a bien de la valeur qui est produite, valeur objective, reste à savoir comment le système capitaliste la produit et comment il la répartit. Il y a déjà un premier point à noter c’est que le capitaliste, le détenteur de capitaux ne fait pas partie du système productif, mais s’est approprié le système productif dans son ensemble. En effet le système productif est formé de la conjonction du facteur humain et du facteur machine : la hiérarchie des salariés et le parc de machines. C’est là qu’il ne faut pas se méprendre, car bien souvent les salariés assimilent le capitaliste à la hiérarchie qui les surplombe, mais dans une armée aussi il y a une hiérarchie pour autant les généraux ne sont pas propriétaires de l’armée. Cette erreur de perception est liée au fait que le salarié ne rencontre jamais son (ou ses) capitalistes, c'est-à-dire les personnes qui sont propriétaires du système productif dans lequel il se trouve, les seules personnes qu’il rencontre sont eux-aussi des salariés, car il ne faut pas oublier qu’a priori un PDG est lui aussi un salarié, dans certains cas le capitaliste peut aussi occuper un poste de salarié (voir par exemple Bill Gates se faisant directeur technique de son propre groupe).
A ce sujet les économistes libéraux, en réponse aux marxistes, ont déclaré : « cette distinction entre la classe capitaliste et la classe salariée ne tient pas car tout le monde est ou est en puissance d’être à la fois capitaliste et salarié » faisant allusion à la possibilité pour le salarié lambda de détenir des actifs financiers. Réponse ô combien hypocrite car combien de salariés peuvent se permettre aujourd’hui de vivre des seuls dividendes de leur plan épargne salariale ou carnet d’actions ?
Cette distinction est d’autant plus flagrante lorsque l’on analyse le processus de production capitaliste : en début de période le capitaliste consent à céder une partie de son pouvoir d’appropriation (sous forme de salaire) aux salariés, ceux-ci en contrepartie et avec l’aide éventuelle de machines produisent de la valeur, c’est la fin de la première période. La deuxième période s’ouvre lorsque la valeur est détachée du système productif, cette valeur c’est aussi un pouvoir d’appropriation puisque le capitaliste peut la vendre. Si le capitaliste après déduction des salaires, frais fixes et variables ainsi qu’amortissement des machines a encore quelque chose pour lui, on dit qu’il réalise un profit, sinon c’est une perte. Donc si l’on regarde les choses d’une façon globale, nous avons des capitalistes qui concèdent une partie de leur pouvoir d’appropriation à des salariés, des salariés qui avec l’aide de machines produisent de la valeur, et des capitalistes qui vendent cette valeur pour réaliser un profit, et bien sûr à terme voir leur pouvoir d’appropriation s’accroître. Mais à qui les capitalistes vendent-ils les valeurs produites par le salariat et les machines ? A eux-mêmes et au salariat auquel ils ont déjà transféré une partie de leur pouvoir d’appropriation en début de période, la boucle est bouclée. Sauf que rien ne garantit que le pouvoir d’appropriation des salariés, concédé par les capitalistes, soit suffisant en regard des nouvelles valeurs produites, rien ne garantit qu’à terme le pouvoir d’appropriation des capitalistes ne devienne hégémonique et que le monde ne devienne leur propriété.
Une objection fréquente est la suivante : « oui mais le capitaliste fait un saut dans l’inconnu, il peut faire un profit ou une perte, il est donc récompensé pour son courage, tout au moins pour la prise de risque ». Nonobstant le fait que le capitaliste peut ventiler les risques et souscrire à des assurances, cette objection ne serait valable qu’à l’échelon local, c'est-à-dire dans le cas bien précis de l’individu isolé qui cherche à vendre sa production sur un marché décentralisé avec une information imparfaite, or ce qui est intéressant dans un monde qui prétend à la globalisation ce n’est pas de nous pencher sur les pseudo-justifications morales d’une tête brûlée qui joue à la roulette russe, mais c’est d’essayer de comprendre quels seront les rapports de forces globaux, à qui appartiendra le monde et quel sera la nouvelle « governance ».
Pour bien mettre en évidence ce que le mode de production capitaliste a de spécifique, je vais prendre le contre-exemple de l’association, notion pourtant chère aux libéraux.
Dans une association type coopérative, il peut y avoir une hiérarchie, une répartition inégale des parts, des revenus inégaux, mais en revanche tous les associés tirent leurs revenus de la vente, personne n’est extérieur au système productif, tous les associés produisent, tous vont à la vente et partagent les risques.
Alors la question que l’on est en droit de se poser est celle-ci : si le mode de production associatif est bien plus valorisant et responsabilisant pour l’ensemble des acteurs pourquoi s’enferrer encore et toujours dans un mode de production capitaliste pour lequel le profit est moteur et le salariat simple variable d’ajustement ?
Finalement qui a intérêt à ce que les salariés restent des salariés, et donc le mode de production capitaliste en état, si ce n’est les capitalistes eux-mêmes ?