Institutions défaillantes

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philémon.siclone
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Institutions défaillantes

Message non lu par philémon.siclone » lun. 02 mai 2011, 23:29

Terra nova, organe de réflexion du PS, jugeant que le système électoral de la 5e Rép. est devenu défaillant (puisqu'il rend à présent possible l'élimination au 1er tour d'un candidat potentiellement majoritaire par un candidat minoritaire et marginal), propose de supprimer le scrutin électoral par une sorte de consultation qualitative, où les électeurs (seraient-ils encore des "électeurs" ?), donneraient une mention à chaque candidat. Les données seraient ensuite traitées par une application informatique qui en déduirait un classement. De ce classement émergerait le candidat qui aura recueilli le "jugement majoritaire".

Mais pourquoi ne pas considérer plutôt que le système institutionnel de la 5e République est défaillant dès l'origine ? En effet, ce régime fait coexister un exécutif bicéphale, entre le chef de l'Etat et le chef de Gouvernement, l'un relevant d'une désignation par le peuple, et l'autre reposant sur une majorité à l'assemblée. Le système ne peut fonctionner que si la majorité est en accord avec le président. Sous De Gaulle, cela a permis de neutraliser durablement la gauche, alors incapable de s'unir et donc de devenir majoritaire, à cause de l'importance d'un PCF à plus de 20 % des voix, et ce en pleine guerre froide. C'était la principale raison d'être de ce système majoritaire uninominal. Mais dès que l'alternance est devenue possible, à partir de 1981, les crises institutionnelles se sont succédées : alternances systématiques, cohabitations, lesquelles ont favorisé l'idée d'un "establishment" "UMPS", dynamisant l'électorat de l'extrême droite. Et au terme de la plus longue de ces cohabitations, la crise institutionnelle majeure s'est produite, en 2002, avec l'élimination de Jospin par Le Pen. Comme d'ailleurs c'est au terme de la première cohabitation que s'est produite la première percée du même Le Pen aux présidentielles, en 1988.

Le quinquennat a été adopté pour palier à l'imperfection d'un régime, fondamentalement déséquilibré, en favorisant l'élection d'une Majorité présidentielle à la suite de chaque élection présidentielle, empêchant en principe toute nouvelle cohabitation. En principe ! Car naturellement, si par exemple le candidat socialiste se trouvait encore éliminé en 2012 par Le Pen fille, et Sarkozy réélu pour ainsi dire par accident, alors qu'il est extrêmement impopulaire, rien ne dit que les électeurs lui donneraient, dans la foulée, une nouvelle majorité à l'assemblée. Nous aurions alors une cohabitation qui commencerait en début de mandat, ce qui représenterait une crise institutionnelle sans précédent.

Alors, au lieu de chercher un mode de scrutin tordu et antidémocratique qui neutralise les voeux de l'électeur, comme le voudrait Terra nova, pourquoi ne pas, au contraire, remettre en cause des institutions profondément injustes, déséquilibrées, et propices à toutes les crises institutionnelles ? On peut en effet considérer que ce régime est injuste, parce qu'il repose sur un scrutin uninominal majoritaire (autant pour l'élection présidentielle que pour l'élection législative), qui contraint l'électeur à renoncer à son intention première pour se rallier à un courant susceptible d'emporter la majorité, et qui empêche par conséquent les partis non majoritaires d'être représentés. Ensuite les institutions sont déséquilibrées, car il n'y a pas de séparation entre l'exécutif et le législatif : soit le législatif est à la botte de l'exécutif (chambre d'enregistrement), lorsqu'une majorité dite "présidentielle" règne à l'assemblée, soit l'exécutif se trouve sous la tutelle de l'assemblée en cas de cohabitation.

En comparaison, les EU ont un système beaucoup plus stable que le nôtre, où le président ne peut dissoudre l'assemblée, et l'assemblée ne peut renverser le gouvernement. Les pouvoirs, législatif et présidentiel, s'équilibrent.

Mais d'autres systèmes sont possibles. Pourquoi ne pas opter pour un régime parlementaire ? Nous pourrions élire une assemblée avec une dose de proportionnelle, et faisant émerger une majorité relative, dont émaneraient les organes exécutifs (gouvernement et chef de l'Etat) ? Ce régime ne serait-il pas plus démocratique ? Il aurait également l'avantage de renoncer au "messianisme" politique, où un individu providentiel prétendrait résoudre à lui tout seul tous les problèmes, ce qui ne s'est finalement jamais produit depuis que la République existe.
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Re: Institutions défaillantes

Message non lu par MB » mar. 03 mai 2011, 0:13

Cher Philémon,

Vos réflexions sont très intéressantes et amènent à engager la discussion.

Tout d'abord, je pense qu'on peut mettre de côté le modèle américain. D'abord parce qu'il est fédéral, mais surtout parce qu'il n'est pas du tout efficace. Les deux pouvoirs ne peuvent pas se renverser mutuellement, et cela amène à plein de blocages, dont les discussions actuelles sur le budget ne sont que l'illustration. Washington est le lieu même du marchandage politique à tire-larigot (il suffit de regarder comment les Républicains sont aujourd'hui en train de bloquer le budget pour faire échouer le système de Sécurité sociale mis en place - avec grand'peine - il y a un an). De plus, ce système a existé une fois en France, c'était celui de la 2ème République : il a conduit à de nombreux blocages (le Prince-Président étant souvent en désaccord avec la Chambre), eux-mêmes ayant favorisé le coup d'Etat de 1851. Donc moi je dis, bof.

S'agissant de la 5ème république, je vous rejoins tout à fait dans vos critiques. Mais je pense qu'elles doivent être élargies à un peu plus que des problèmes consititionnels : c'est tout un système politique et social qui pose problème.

Du point de vue constitutionnel, le scrutin doit effectivement être modifié. Pas dans le sens ébourriffant de Terra Nova, mais d'une manière qui, sans empêcher la formation d'une majorité, doit permettre la représentation des petits partis : soit, donc, une dose de proportionnelle, soit un double vote à l'allemande (vote pour un candidat + vote pour un parti). Les gars de Terra Nova auraient pu se renseigner là au lieu d'imaginer leur système fumeux !
De plus, il me semble qu'un autre problème provient du dédoublement de l'exécutif, entre Président (PR) et Premier ministre (PM). Je pense qu'actuellement, en raison du calque des élections PR sur celles du Parlement, on peut exclure la possibilité d'une cohabitation : les électeurs, semble-t-il, ont le souci de la cohérence. Encore que, ce serait peut-être une bonne idée ? Bref. Supposons donc que nous ne sommes pas en cohabitation.
Le PM est responsable devant le Parlement, mais n'a pas vraiment l'initiative du travail gouvernemental : c'est le PR qui décide. Il y a donc multiplication des enjeux politiques et personnels à chaque niveau de décision + des différentiels d'information entre ceux-ci : même si le PM suit servilement le PR, à chaque fois, il y a un gaspillage d'énergie politique (si je peux employer cette expression bizarre). Il serait plus simple d'avoir un seul responsable de la politique gouvernementale, et un seul interlocuteur pour les parlementaires.

En revanche, s'agissant du suivisme des parlementaires, je pense qu'on ne peut pas faire grand-chose. Enfin si, au moins une : interdire toute forme de cumul des mandats, au moins pour les députés (pour les sénateurs, ça peut se discuter). Les députés n'ont pas vraiment intérêt à prendre le risque de la dissolution de l'Assemblée : même si on est du côté qui va probablement gagner les nouvelles élections, localement, il faut faire campagne, avec le risque de perdre.
Il faut savoir que les députés ont plein de moyens d'action sur le Gouvernement, et qu'ils ont été augmentés avec la révision de 2008. Tout les constitutionnalistes sont d'accord là-dessus : ils ont les moyens d'agir. Le seul problème, c'est qu'ils ne veulent pas le faire.

Pour ne pas alourdir ce message, je mets la suite dans un deuxième.
MB

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Re: Institutions défaillantes

Message non lu par MB » mar. 03 mai 2011, 0:45

Je continue en passant à autre chose.

Outre les problèmes constitutionnels, il faut voir plus large. Je pense que de façon générale, on atteint les limites du système parisiano-centré. En fait, on les a mêmes dépassées depuis longtemps.

1. Le fait de tout mettre à Paris, y compris la population (au début des années 60, il n'y avait pas encore tant de monde en Ile-de-France) crée des distorsions. D'abord, cela accentue le fait que, pour réussir, il faut aller dans la capitale. C'était déjà le cas auparavant, mais là, c'est devenu vraiment beaucoup trop fort. Ce phénomène crée des goulots d'étranglement : fatalement, ce sont toujours les mêmes milieux sociaux qui se reproduisent, avec leurs codes à eux, etc, et avec énormément de systèmes de copinage, et, pire encore, dans une articulation organique entre secteur politique, social, économique et culturel, puisque tout est à un seul endroit.
Ajoutons encore que le fait de créer un tel "continent", noir de monde, presque sans limites spatiales, en Ile-de-France et à Paris, entraîne d'autres problèmes. Un homme politique, qui a grandi dans le 7ème, a étudié dans le 5ème, travaille dans un ministère du 8ème, connaît-il vraiment son pays ? Le centre de Paris est tellement grand, tellement énorme, qu'on peut y passer toute sa vie sans jamais voir un pauvre, un "plouc" ou un zyva de banlieue : sans rien voir de la manière dont la France fonctionne. Un énarque qui vit là-dedans, de bonne foi, ne connaît pas son pays ; on conviendra que l'île de Ré, la Côte et un chalet à Megève n'y suffisent pas...
Autrement dit, la surconcentration parisienne fait que le système tourne à vide : il repose sur le principe implicite que la province fournira sans cesse du sang neuf et de l'argent à volonté.
On se dit peut-être, "mais la France a toujours été centralisée". Oui, mais le phénomène s'est très accentué avec la 5ème République. Et surtout, elle a peut-être été centralisée depuis toujours, sauf que, jusqu'en 1950, la moitié de la population vivait à la campagne : la macrocéphalie parisienne avait donc ses contreparties.

2. Il y a un phénomène corollaire à celui-là : l'hypertrophie de l'Etat. On parle souvent de "libéralisme", de privatisations, mais en réalité, le poids de l'Etat n'a jamais été aussi fort : alors que les dépenses publiques équivalaient à 45 % du PIB en 1980, en 2008, elles se montaient à un peu moins de 53 % (et elles n'ont pas baissé depuis) ; la part des effectifs de la fonction publique a aussi augmenté (je n'ai pas les chiffres, mais ça doit pouvoir se trouver).
Attention, je ne dis pas que l'Etat doit devenir maigre comme un clou. Le problème est que l'on crée des poids lourds, qui ont un fort pouvoir de lobbying, et qui empêchent toute réforme ou toute amélioration. Par exemple, à Bercy, les différentes branches du Ministère des Finances passent leur temps à se tirer dans les pattes et à empêcher - parfois ensemble, parfois séparément - le ministre et les parlementaires d'avoir accès à l'information. Il en va de même dans un secteur dont je fais partie, celui de l'Education nationale, où c'est encore pire (la deuxième administration du monde après l'ex-Armée rouge...). Aucun homme politique ne peut embrasser eficaement l'ensemble de ces problèmes.
Il faut donc tenir compte de cela : si les hommes politiques ne parviennent pas à faire ce que veulent les Français, en général, ce n'est pas seulement à cause de tel ou tel lobby, c'est aussi et surtout que le système administratif leur impose son inertie. On aura beau changer mille fois de Constitution, si ce poids lourd demeure, on n'arrangera rien.

3. AUtre problème - corollaire encore... - la formation des hommes politiques. Tous sont aujourd'hui des technocrates : ils ne sont riches que de leur savoir technique, qui est lui-même très limité (à Sc Po, à l'ENA, on n'apprend pas du concret, mais des processus et des façons de faire). Ce sont loin d'être des imbéciles, mais ils ont peu de culture : il est donc très facile de les influencer. Par exemple - et c'est un ami financier qui me le dit, pas farouchement marxiste - quand un homme politique veut comprendre un problème de la finance mondiale, comme il n'y connaît rien, il appelle un ami banquier à la retraite ! On imagine que son info sera plutôt orientée...
Le système de la 3ème République, de ce point de vue, était beaucoup plus équilibré.

On peut discuter d'éventuelles solutions, mais y a du boulot...

Amicalement
MB

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Re: Institutions défaillantes

Message non lu par philémon.siclone » mar. 03 mai 2011, 21:39

Cher MB,

Evidemment, le modèle américain n'est pas parfait. Mais il est démocratique. Ne vaut-il mieux pas un régime qui laisse sa place aux débats publics, même passionnés, au prix de quelques bloquages, plutôt qu'un régime qui écrabouille toute contestation, et fait régner la loi du parti unique ? Car la Ve République se résume bien à un régime de parti unique, finalement. Ainsi, l'UMP, qui ne pèse pourtant qu'environ 20-30 % des voix aux élections, dispose d'une majorité absolue à la chambre, et des pleins pouvoirs présidentiels. Trouvez-vous cela sain ? Et il en va de même lorsque le PS remplace l'UMP (ou le RPRUDF). Si un seul clan politique, et en l'occurrence une seule personne régnant tel un roi au milieu de sa cour, tient dans sa main tous les leviers de gouvernement, n'est-ce pas la route ouverte à l'arbitraire, à la tyrannie ? Ne peut-on pas juger que le régime français, sous la présidence de Sarkozy, s'est dangereusement rapproché d'un mode de gouvernement dictatorial, à l'état brut ? Et pour quelle efficacité, au final ? Finalement, je préfère la démocratie à l'américaine, avec ses blocages. Au moins, il y a une liberté de parole, et une vraie vie politique. Regardez les français, à côté : ils sont écrasés, soumis, humiliés, réduits aux courtisaneries les plus viles. Le système français actuel est à vomir !

Concernant le mode de scrutin idéal, je verrais bien un système sur le modèle des municipales, mais au niveau du département. On organise deux tours au scrutin de liste. Entre les deux tours, seuls les listes qui ont franchi 10 % des SE peuvent se maintenir. Mais celles qui ont entre 2 et 10 % peuvent soit fusionner avec celles qui se maintiennent, soit fusionner entre elles si elles atteignent ensemble 10 %. Au 2e tour, la liste arrivée en tête, obtient d'emblée une prime de 30 ou 50 % (par exemple) des sièges. Les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la proportionnelle intégrale. Un département peu peuplé, qui a moins de 10 sièges à pourvoir, serait couplé avec un département voisin. Ainsi, on permet à une majorité d'émerger, et aux petits partis d'avoir une représentation.

Il faut réformer le Sénat, qui est une institution aberrante, qui surreprésente les élus ruraux, qui pour la plupart se reconnaissent dans les partis de droite modérée. A mon avis, il faudrait que les électeurs puissent voter directement pour les sénateurs, sur le même modèle que pour les députés, mais en pourvoyant peut-être moins de sièges, et en conservant le système du renouvellement par tiers tous les trois ans (pour tempérer les ardeurs d'une chambre trop réformatrice).

Si on veut que le président soit élu par le peuple, pourquoi pas, mais il ne doit pas disposer des pleins pouvoirs exécutifs. L'essentiel des décisions doivent se discuter au Parlement, qui représente la volonté nationale dans sa diversité.

D'accord pour l'interdiction du cumul des mandats. On devrait même déprofessionnaliser la politique. Les élus devraient être des citoyens de base, et non ces espèces de barons qui se pavanent comme des paons à la télé. Il faut virer tous les potentats locaux, les roitelets qui se sont taillés des "fiefs", tels des seigneurs féodaux. Il faut assurer un renouvellement constant du personnel politique : pas plus de deux mandats consécutifs, puis retour au turbin, place aux suivants. Les énarques devraient être cantonnés aux cabinets techniques, et devenir ce qu'ils auraient toujours dû être : des cadres administratifs formés pour aider les élus à gouverner, des "serviteurs" de la nation.

Voilà pour le premier message. La suite au prochain épisode...
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