Je vous remercie de votre intervention, Suliko.
J'exprime ici mon sentiment personnel.
Mais l’Église orthodoxe a de tous temps plaidé la miséricorde envers les condamnés à mort, pour une raison très simple : la peine de mort exclut pour toujours le repentir. Or, comment concilier la doctrine chrétienne, fondée sur le rachat du Péché, et cette sentence impitoyable et définitive, fût-ce envers des criminels endurcis ? L'homme anticipe alors le Jugement, qui n'appartient qu'à Dieu. C'est la raison première de mon opposition à ce châtiment : cette folie prométhéenne voudrait ériger des hommes, si faibles et accablés de péchés, en juges de leurs semblables !
Et puis, je vous rappelle qu'il n'y a pas que le crime commis dans la Réalité sensible. Le crime en pensée, dans les profondeurs du cœur, est déjà commis lui aussi : et nous serons jugés pour cela ; mais pas par le tribunal des hommes.
N'est-ce pas là une excellente raison de s'exercer à la retenue ? N'est-ce pas une raison suffisante de se méfier de la justice humaine ?
Cela étant dit, voyons de plus près quelques-uns des arguments de saint Augustin et de Thomas d'Aquin.
[...] il ne faut pas croire que ceux-là aient violé le précepte: « Tu ne tueras point », qui ont entrepris des guerres par l’inspiration de Dieu, ou qui, revêtus du caractère de la puissance publique et obéissant aux lois de l’État, c’est-à-dire à des lois très-justes et très-raisonnables, ont puni de mort les malfaiteurs.
Il est assez périlleux, je crois : ce concept de guerre sainte... car
tout commence en mystique et finit en politique (Péguy).
Surtout, toute guerre entraîne des morts innocentes : par conséquent, seule la guerre défensive est voulue par Dieu, et encore ! Comment croire en effet que Dieu agrée la mort de jeunes enfants ? Il n'y a jamais eu de guerre sans mort d'enfants.
Et que dire des lois de l'époque ? Étaient-elles aussi justes et aussi raisonnables que le croit saint Augustin ? Les juges n'ont-ils jamais enfreint cette loi qu'ils étaient chargés d'appliquer ? Il serait juste et raisonnable, en tout cas, de douter de leur infaillibilité.
Se soumettre à la justice des hommes, oui ; se soumettre aveuglément, non.
Je ne reviendrai pas sur les deux exemples tirés de l'Ancien Testament, puisqu'il me semble que leur propos est ailleurs.
Quant à Thomas d'Aquin, il écrit :
Puis que la paix entre les hommes est compromise par quelques hommes dangereux, il faut les retirer de la société des hommes.
Bien entendu, cela est vrai ; mais la mort n'est pas le seul moyen pour cela.
Le fait enfin que tant qu'ils vivent, les méchants peuvent s'amender, n'empêche pas qu'ils puissent être mis justement à mort, car le risque que fait courir leur vie est plus grand et plus certain que le bien attendu de cet amendement.
Étrange affirmation. Comment être certain de cela, précisément ?
Et quant au catéchisme du concile de Trente...
Le but de cette Loi est en effet de veiller à la conservation de la vie des hommes, par conséquent les châtiments infligés par les magistrats, qui sont les vengeurs légitimes du crime, ne tendent qu’à mettre notre vie en sûreté [...]
Si la Loi veille à la conservation de la vie des hommes, cela doit inclure la vie des criminels ; et si c'est le cas, il ne faut pas les exécuter.
Pour conclure, je vous invite humblement, Cinci, ô Suliko, à méditer l'attitude de Notre Seigneur face au crime d'adultère :
Jésus se rendit au mont des Oliviers. Mais dès le matin il revint dans le temple et tout le peuple s'approcha de lui. Il s'assit et se mit à les enseigner.
Alors les spécialistes de la loi et les pharisiens amenèrent une femme surprise en train de commettre un adultère. Ils la placèrent au milieu de la foule et dirent à Jésus: «Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère.
Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes. Et toi, que dis-tu?»
Ils disaient cela pour lui tendre un piège, afin de pouvoir l'accuser.
Mais Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur le sol.
Comme ils continuaient à l'interroger, il se redressa et leur dit: «Que celui d'entre vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle.»
Puis il se baissa de nouveau et se remit à écrire sur le sol.
Quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés et jusqu'aux derniers; Jésus resta seul avec la femme qui était là au milieu.
Alors il se redressa et, ne voyant plus qu'elle, il lui dit: «Femme, où sont ceux qui t'accusaient? Personne ne t'a donc condamnée?»
Elle répondit: «Personne, Seigneur.» Jésus lui dit: «Moi non plus, je ne te condamne pas; vas-y et désormais ne pèche plus.»
(Jn, VIII:1-11)