Dans l'article :
Ce qu’il voit [E. Todd], c’est un épisode de « fausse conscience » (Marx) d’une ampleur inouïe. Ce qu’il voit, ce sont des
millions de somnambules se précipiter derrière un président escorté par tous les représentants de l’oligarchie mondiale, pour la
défense du droit inconditionnel à piétiner Mahomet, « personnage central d’un groupe faible et discriminé ».
Il me paraîtrait indiscutable que des représentants de l'oligarchie mondiale peuvent escorter François Hollande lors de sa marche
du 11 janvier. Pour la défense inconditionnelle à piétiner Mahomet? J'en serais moins sûr.
Mon impression est que l'oligarchie mondialiste travaillerait plutôt dans le sens d'un droit sélectif : droit de parole pour
certains et pas pour d'autres. Ce serait d'ailleurs la définition de l'oligarchie pratiquement. Certains peuvent critiquer l'islam,
pas les autres. Défense de se moquer du prophète, à l'exception de ... Une oligarchie est habituellement un système inégalitaire,
qui pousse à la restriction des droits.
Par ailleurs, je trouve étrange la remarque de Todd à l'effet que Mahomet serait «personnage central d'un groupe faible et
discriminé». Qu'est-ce ça veut dire? C'est à croire qu'il ne serait pas de musulmans ailleurs dans le monde qu'en France ou quoi?
Parce qu'il n'y a pas suffisamment de musulmans en France, il faudrait que chacun aille s'autocensurer? C'est un peu étrange de voir
un penseur qui amène des «bons sentiments» comme arguments pour éviter de faire de la peine à quelques uns.
Ce qu’il voit, c’est un mensonge d’unanimisme aussi, car, ce jour-là, le monde populaire n’était pas Charlie, les jeunes de
banlieue, qu’ils fussent musulmans ou non, n’étaient pas Charlie, les ouvriers de province n’étaient pas Charlie.
Là, je croirais bien - je suis d'accord avec Todd - qu'il y avait une certaine volonté politique présente et comme celle de créer
une unanimité de façade. «Tout le monde derrière l'idéologie de la fameuse oligarchie en question!» C'est ce qui m'aura parut
choquant après-coup. Et Todd évoque un flash totalitaire. On aura compris - moi, en tout cas (et vu du Canada!) que ceux qui ne
partagent pas les idées du parti socialiste ne devraient
pas faire partie de la république française. Rien que ça! un détail. C'est
comme si les oligarques convoitaient la république pour eux seuls. «L'État c'est moi!» C'est plutôt malsain.
Ici le journaliste glisse une remarque :
On pourrait notamment trouver très insouciants les raccourcis par lesquels l’auteur ramène tout l’enjeu des affaires dites de «
caricatures » à des violences idéologiques infligées à une religion minoritaire
En effet!
Reste l’avertissement lancé à une France inégalitaire et autoritaire, en sécession totale avec son peuple, mais n’hésitant pas,
encore et toujours, à se parer des oripeaux révolutionnaires d’hier et à se voir si belle dans la devise de ses frontons
républicains. Une France qui, ainsi, avance inexorablement vers l’abîme.
Une France inégalitaire, autoritaire, en sécéssion totale avec son peuple ... Il y a là de quoi réfléchir.
En même temps, je me demanderais s'il est si vrai que le bon peuple ne s'identifierait pas du tout aux oligarques actuels. Moi je
pourrais penser que la réelle menace réside justement dans le fait que le peuple (dans l'ensemble) a toujours le don de prendre
parti pour ses exploiteurs et contre ses libérateurs, peut-être dans 99,7% des cas. On pourrait penser que ce qui cimente une
société serait la complicité dans le vice. Le peuple de Jérusalem comme un seul homme se liguant avec Pontius Pilatus et les grands
pontifes du Sanhédrin contre Jésus. La pesanteur ...
Le journal demande :
Pourquoi porter un jugement aussi dur sur la réaction de masse qui a suivi les attentats ? N’est-il pas permis de la voir
simplement comme l’expression d’une révolte face à l’horreur de ces crimes, voire aussi comme un sursaut face au sentiment de
délitement du corps collectif que chacun ressent bien depuis des années ? Imaginez si rien ne s’était produit après, si l’atonie
avait été totale après des événements pareils, que n’aurait-on pas dit !
Todd répond :
On a voulu y voir un salutaire sursaut collectif. Moi, j’y vois au contraire une perte de sang-froid de la part du pays.
Une perte de sang-froid? Il resterait à comprendre ce qu'Emmanuel Todd veut dire avec ça.
Peut-être veut-il nous faire entendre que la classe dirigeante commencerait à craindre un peu que les immigrés et fils d'immigrés puissent échapper à son contrôle. En d'autres termes, le pouvoir craint que le père Le Pen ait pu avoir raison à quelque part cf. les immigrés ne s'assimilent plus, etc. On pourrait comprendre ainsi que la manifestation jouerait le rôle de rituel "shamanique", une sorte d'opération publique pour exorciser la peur. Le pouvoir tient à démontrer bruyamment toute sa solidarité avec les immigrés ou que les immigrés (et fils de ...) sont de son côté. De fait, le réflexe policier visant à boucler des enfants d'école dénoncés par leurs professeurs participerait probablement de cette perte de sang-froid.
La pensée de Todd c'est peut-être que les élites ou même ceux de la classe moyenne supérieure ne seraient pas réellement en contact avec ces immigrés à la base, et soit que c'est ce qui ouvrirait le champ pour que des peurs fantasmatiques puissent s'y ébattrent en toute liberté. Todd croirait que nos musulmans à la base s'intégreraient bien mieux à la société française qu'on ne le pense communément de nos jours. Et ces musulmans auraient été prêts à recevoir un discours clair de condamnation de l'action des Coulibaly, Kouachi et compagnie.
Au lieu de cela : on serait témoin d'une sorte d'opération hypocrite de raccolage auprès des musulmans («On vous aime»; «Nous sommes avec vous», etc.) mais tout en pensant réellement que ces mêmes musulmans seraient dangereux à quelque part. On tombe dans le non-dit, l'impensée ... Le pouvoir se donne bonne conscience avec tout ça.
Ceux qui sont orphelins de père : le citoyen français modeste qui n'entend justement pas ce qu'il voudrait entendre : la condamnation de l'islamisme, du terrorisme religieux, le rappel qu'à Rome on fait comme les Romains.
On agitera plutôt une notion de martyrs (Charb le martyr) d'un côté, en parallèle à une sorte de refus pratique de combattre l'islamisme militant à domicile. Les immigrés sont livrés pieds et poings liés aux idéologues religieux fanatisés, de même que les Français modestes ne sont plus appuyés par leurs représentants (cf. sermonnés plutôt, accusés, critiqués, suspectés, etc.) Dans le fond, c'est peut-être ça que Todd veux dire avec son concept de
catholique-zombie (?) Nos socialistes seraient tels une nouvelle sorte de curés incroyants, mais une sorte de curés n'ayant retenu qu'une chose : les pauvres doivent rester pauvres et les pauvres sont dangereux et les pauvres doivent recevoir la bonne parole mais ils n'ont pas à être entendus. Todd trouverait donc que le pouvoir ne fait pas suffisamment confiance au peuple.
Tout le débat actuel sur la laïcité ne s’inscrit pas dans la continuité des valeurs laïques, écrivez-vous en effet dans ce livre. Les forces qui se réclament aujourd’hui le plus des valeurs laïques sont les forces en réalité les moins républicaines. Comment en est-on arrivé à un tel paradoxe ?
Réponse :
Ce que j’ai eu, au fond, face à ces manifestations, c’est une sorte d’illumination concernant la vraie nature du système social et politique français. C’est-à-dire pas du tout une République prenant en compte toute la population, plutôt ce que j’appelle une « néo-République » qui n’aspire à fédérer que sa moitié supérieure éduquée, les classes moyennes et les gens âgés. Tous ceux-là forment un bloc hégémonique qui a une incroyable puissance d’inertie et paralyse tout le système français.
Todd dit finalement que les amateurs du multiculturalisme qui travaillent le plus pour la laïcité de nos jours sont exactement ceux-là qui étaient hier le moins en faveur de l'extension démocratique des droits ou de la république égalitaiste. Le multi, le différentialisme, le gettho ou les bantoustans "immatériels" marcheraient de concert. Todd voudrait peut-être défendre l'ancien modèle républicain et assimilationniste français (?)