Il s'agit d'une interview que Mathieu Bock-Côté aura réalisé avec Christian Saint-Germain.
Christian Saint-Germain est présenté ainsi :
"Professeur à l'UQAM, philosophe et essayiste, Christian Saint-Germain est certainement une des figures les plus singulières de notre vie intellectuelle. Auteur de nombreux ouvrages sur la condition québécoise, il vient de faire paraître, chez Liber, Quebec circus, un pamphlet qui poursuit son entreprise de démolition de ce qu’il croit être les fausses idoles québécoises, sur lequel je reviendrai bientôt sur ce blogue. Mais Christian Saint-Germain est aussi un observateur très fin de ce qu’on pourrait appeler le système médiatique. Pour cela, je l’ai interviewé sur le traitement médiatique des grands enjeux qui traversent l’actualité québécoise. Au programme : immigration, laïcité, euthanasie, marijuana ! Dans ses réponses, on retrouve son art de secouer nos consensus."
Dans le corps de l'article, j'ai retenu :
etMBC : Cette manière d’orienter idéologiquement le traitement médiatique des enjeux politiques s’impose sur bien d’autres questions essentielles, non?
CSG: Un même phénomène d’unanimité préfabriquée est apparu avec certes moins de virulence dans le dossier des soins de fin de vie (l’euthanasie active) et la légalisation du cannabis. Pour peu que l’on regarde la télévision, la rhétorique des images, des experts, des « débats » se déploie selon une mise en scène réglée comme du papier à musique. Au début, la constitution d’un panel la plupart du temps majoritairement masculin, le vieil avocat, le médecin complaisant ou militant ensuite la réitération par une légère modification des « trios ». Aucun recours à l’intellectuel exotique aux intérêts des corporations (anthropologue, psychanalyste, philosophe) ou qui penserait en dehors de la boîte. On converge ainsi au pas de charge vers l’unanimité parfaite avec de fausses nuances et de pseudo mises en garde sur des points de détail. Si la conclusion privilégiée n’apparaît toujours pas: des victimes en détresses sont appelées en renfort et entrent alors en scène mourants et drogués réalisant des percées dans le champ de l’émotivité pure et de la culpabilité par association contre ce qui reste d’indécis ou de récalcitrants encore insensibles à l’air du temps.
MBC : On retrouve là le progressisme obligatoire qui caractérise l’esprit de notre temps, non?
CSG : Radio-Canada postule d’emblée que tout changement participe de l’existence du progrès social, d’une évolution des mœurs. Ça ne peut être que bon, on est rendu là! Ça l’existe de toute manière. La légalisation du cannabis, une saprée bonne idée! Ça détend pis finance nos soins de santé.... L’euthanasie, ça désengorge les urgences et les soins palliatifs, pis en plus, ça tient compte de la fatigue des aidants naturels. C’est tout de même curieux qu’on ait dû attendre si longtemps pour découvrir l’eau tiède. Avant ça, la société n’était composée que de tortionnaires et de moralistes kantiens particulièrement intraitables.
MBC : En d’autres mots, on peut bien débattre, mais jamais sur l’objectif qui est posé comme allant de soi?
CSG : La « délibération » médiatique ne portera que sur les modalités : combien de plants de marijuana permis dans les maisons, combien de temps séparent l’agonisant ou l’apprenti suicidaire de la mort médicalement encouragée? Pour reprendre une formule de Pierre Legendre, l’ensemble des enjeux n’apparaît que depuis le strict point de vue individuel, du self-service normatif. Qu’importe la perspective globale, la portée inconsciente du meurtre même encadré ou de l’intoxication volontaire à l’échelle des familles, des réserves indiennes ou même de discours s’aventurant dans la nécessité d’exigence morale ou de la solidarité entre les générations.
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