en UdP,
Théophane
Le collectif « La manif pour tous » regroupe des citoyens d’horizons variés, qui ont en commun l’opposition au projet de loi visant à ouvrir le mariage civil à des couples homosexuels. Il est apolitique et non confessionnel.
De nombreuses raisons justifient l’opposition à ce projet de loi. En particulier des arguments juridiques. Le mariage est en effet, au regard du droit français, à la fois un contrat et une institution. Un contrat en ce qu’il consiste en un accord de volontés. Une institution, surtout, parce qu’il est l’acte fondateur de la famille et qu’il a été conçu comme son socle et le cadre dans lequel elle pourra bénéficier de diverses protections de nature juridique, sociale ou fiscale.
Pour preuve, le mariage n’est pas un simple événement intervenant dans l’intimité des deux époux, mais une cérémonie publique célébrée par un officier d’état civil.(1) Pour cette raison, l’ouverture du mariage civil aux personnes de même sexe intéresse l’ensemble des Français. Aussi, tout citoyen, quelles que soient ses opinions philosophiques, politiques ou religieuses, doit pouvoir s’exprimer sur ce sujet.
La liberté de se marier est un principe consacré à la fois par le droit international(2) et par le droit interne.(3) En France, il revêt une valeur constitutionnelle,(4) la Constitution se trouvant au sommet de la hiérarchie des normes juridiques.
La question suivante se pose alors : le mariage homosexuel doit-il être traité sur le terrain de la liberté et de l’égalité ? Aujourd’hui, la définition de l’égalité tend à s’estomper et à perdre toute objectivité au profit d’une conception purement subjective. Plus concrètement, la différence de traitement réservée aux couples hétérosexuels et aux couples homosexuels constitue-t-elle une discrimination à l’égard de ces derniers ? Pour répondre à cette question, il faut préciser deux choses. D’une part, l’égalité consiste à traiter de la même façon des situations identiques : or un couple hétérosexuel et un couple homosexuel se trouvent dans deux situations proches mais essentiellement différentes. D’autre part, l’égalité se conçoit-elle comme une égalité entre personnes ou une égalité entre couples ?
Nous voudrions ici attirer l’attention sur un problème de vocabulaire : le projet de loi désigne le mariage homosexuel sous le nom de « mariage pour tous ». Un tel pléonasme est révélateur du manque d’honnêteté des personnes à l’origine de cette réforme. Le mariage pour tous existe en France depuis 1804 : tout Français ayant atteint la majorité est libre de se marier.(5) Il le peut sous réserve de remplir les conditions posées par la loi. Si l’on suit la logique du gouvernement, l’ouverture du mariage civil aux personnes de même sexe ne constituerait toujours pas un mariage pour tous, d’autres prohibitions au mariage subsistant, notamment la polygamie(6) et le lien d’alliance ou de parenté.(7)
À cela il faut ajouter l’observation suivante : est-ce utile ? Si l’on affirme que le mariage a pour seul but d’offrir une reconnaissance publique à l’engagement stable de deux personnes, la réponse est naturellement affirmative. Si l’on estime, au contraire, que le mariage est intrinsèquement lié à la filiation et a pour objectif de protéger la famille, c’est plus discutable. En définitive, on veut se servir du mariage pour un but différent – aussi louable soit-il – de celui pour lequel il a été institué. Au final, la loi a-t-elle vocation à satisfaire les desiderata d’une partie de citoyens ?
Il faut donc aborder la question de la filiation. On s’aperçoit que le débat de société ne porte pas tant sur le mariage en lui-même que sur la place des enfants. S’il s’agissait seulement de garantir la protection du couple ou d’un de ses membres, le pacte civil de solidarité ainsi que d’autres dispositions législatives(8) suffiraient sans doute. Or, les revendications semblent tourner de plus en plus autour d’un prétendu « droit à l’enfant ».
Une telle revendication est au demeurant choquante. D’abord parce qu’une personne humaine ne saurait être un objet de droit. Ensuite, parce que dans toute procédure d’adoption, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être pris en compte. Toutes les règles relatives à l’adoption répondent à cette finalité. La loi pose des conditions particulièrement strictes. Il revient au Tribunal de grande instance d’examiner si elles sont remplies.(9)
Il convient par ailleurs de préciser que l’institution de l’adoption n’a pas pour but de créer un enfant abandonné mais de donner une famille a un enfant qui n’en a pas. La Cour européenne des droits de l’Homme refuse ainsi d’admettre un droit à l’adoption.(10)
À ces considérations, il faut ajouter une constatation : chaque année, environ cinq mille adoptions ont lieu en France dont quatre mille venant de l’étranger. De nombreux États – comme le Brésil ou le Vietnam – se ferment à l’adoption internationale pour faire cesser tout « trafic d’enfants ». Est-il donc souhaitable de penser à confier des enfants à des couples homosexuels alors même que les couples hétérosexuels souhaitant adopter sont plus nombreux que les enfants adoptables ? Est-il également opportun d’imposer arbitrairement à l’enfant un mode d’éducation radicalement différent de celui réservé à la majorité de ses semblables ? Si l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être établi, il ne reste que les revendications des adultes. Doit-on à tout prix les satisfaire ?
Cela nous conduit à nous interroger sur la procréation médicalement assistée et sur la gestation pour autrui. L’admission de cette dernière serait contraire à tous les principes jusqu’alors consacrés par le droit français.(11) En laissant alors subsister la prohibition de la gestation pour autrui, on en arrive à une situation bancale : un « mariage pour tous » avec d’un côté les couples de femmes pouvant avoir recours à une aide médicale à la procréation (à l’étranger) et de l’autre les couples d’hommes demeurant sans enfants.(12) À quoi servirait donc un mariage octroyé sans filiation, sinon à satisfaire une revendication militante ?
Au-delà de ces questions, un problème juridique majeur apparaît. L’adoption crée un lien de filiation qui se substitue à la filiation biologique et la fait disparaître.(13) Le couple adoptant prend la place des parents biologiques. Concrètement, l’adoption par des couples homosexuels reviendrait à désexualiser l’état civil, en y inscrivant qu’un enfant est né de deux personnes du même sexe. Cela n’est ni honnête ni acceptable, le droit ayant pour devoir de prendre acte du fonctionnement du monde pour l’organiser en accord avec sa nature.
Comme l’écrivait récemment un enseignant de l’Université de Paris, « le législateur ne peut pas tout lorsque l’inégalité ne résulte pas de la loi, mais des choses mêmes de la vie. »(14)
(1) Code civil, article 165
(2) Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, article 16 – Pacte international de New York du 19 décembre 1966, article 23 – Convention européenne des droits de l’homme, article 12
(3) Conseil d’Etat, 11 mars 1960 – Cour de cassation, chambre sociale, 7 février 1968
(4) Conseil constitutionnel, décision du 13 août 1993 et décision du 9 novembre 1999
(5) Code civil, article 144
(6) Code civil, article 147 – Code pénal, article 433-20
(7) Code civil, article 161
(8) Comme l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989 relative aux baux d’habitation.
(9) Code de procédure civile, article 1171
(10) Cour européenne des droits de l’Homme, 26 février 2002
(11) Code civil, article 16-7 – Code pénal, article 227-12 – Cour de cassation, assemblée plénière, 31 mai 1991
(12) La gestation pour autrui réalisée à l’étranger ne peut produire aucun effet juridique en France (Cour de cassation, première chambre civile, 6 avril 2011).
(13) Code civil, article 356
(14) Alexis Possez, « Le mariage pour tous, ou l’impossible égalité », Recueil Dalloz, 15 novembre 2012, n°39 p. 2616