Luis a écrit :J'aurais aimé que les gens ici prennent la peine de lire cet excellent article et d'y réagir. Son auteur affirme rien de moins, et de manière convaincante, qu'une société qui se prive de la peine de mort est une société qui ne croit plus à la liberté comme absolu (sinon, on pourrait répondre de sa liberté, qui est absolue, par un autre absolu, qui est sa vie). Et il ajoute que s'il est mieux aujourd'hui que la peine de mort soit abolie, c'est seulement en vertu du fait que les hommes d'aujourd'hui ne croient plus à l'immortalité de l'âme et au pardon posthume, et que la vie terrestre est vue comme la seule occasion d'obtenir le pardon.
J'ai lu ce texte, qui comporte en effet une argumentation intéressante, enrichissante. Je n'ai guère eu le temps, en revanche, d'y apporter la critique. Rapidement, je crois que même si c'est un peu raccourci, rapprocher la négation de l'absolu liberté de l'homme, donc son absolu responsabilité face à ses actes, du refus de la peine de mort a du sens. Le noter ne résout cependant pas la question. Il ne suffit pas d'en être convaincu pour finalement être d'accord avec l'application pénale de la peine de mort.
On retrouve dans l'évangile le passage on ne peut plus clair qui illustre ce problème : celui de la femme adultère, qui a déjà été cité plus haut. "
Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre". Le premier à jeter la pierre était traditionnellement le premier témoin de l'accusation (autrement dit l'accusateur lui-même). Jésus soulève la question sous cet angle : qui dispose d'un discernement suffisant pour appliquer une condamnation à mort ? Le témoin/accusateur, dispose-t-il de ce discernement ? Quelle est la condition de ce discernement/jugement/application ? Etre immaculé.
Lorsque la peine de mort est prononcée par voie pénale, et dans un système tel que le notre en particulier, celui qui "jette la première pierre", c'est l'institution pénale elle-même par la main du bourreau. Autrement dit "la justice", comme on dit. Si on en croit Jésus, "la justice" d'un pays serait donc légitime à appliquer une peine de mort, seulement si elle est pure, si elle n'obéit pas à une structure de péché. Le document cité vise donc juste : nous faisons le constat simple aujourd'hui que notre justice ne reconnait plus la valeur de la vie humaine ni sa dignité. Nous sommes dans une structure de péché. Lorsqu'un tel système, irrespectueux de la vie, inique dans ses principes (ses lois, comme celles sur l'avortement ou sur l'euthanasie, dans d'autres pays), se permet d'appliquer des sentences de mort, si la loi par laquelle on condamne peut avoir sa légitimité, son application, elle, est forcément illégitime.
On retrouve alors ce que dit ce passage du texte du Saint Siège que j'ai cité dans mon précédent message :
Ôter la vie ne permet jamais de parvenir à des objectifs estimables pour lesquels les sociétés punissent les délinquants, alors que cela peut apaiser temporairement les appétits de vengeance
En effet, l'argument suivant lequel on devrait pouvoir répondre de ses actes de manière absolu, sur la vie, ne tient que dans le cadre d'une sainte institution juridique, une institution qui a un haut et saint degré de respect de la vie humaine. Sans quoi, et c'est le cas dans nos sociétés d'aujourd'hui, la peine de mort ne fait que donner l'effet contraire à celui escompté : au lieu d'exalter comme absolu la valeur de la vie humaine, et sa dignité d'homme libre, elle ne fait qu'ajouter à la longue liste de ce qui porte atteinte à la vie humaine. Elle rend ainsi un contre-témoignage, servant uniquement les appétits de vengeance.
Voilà pourquoi, dans une société qui a les moyens d'empêcher de nuire sans donner la mort, mais qui a par ailleurs une vision blessée de la dignité humaine, et un respect douteux de la vie, l'application de la peine de mort doit bien être abolie (et le rester). De la manière que j'ai de comprendre l'épisode de la femme adultère, transposé à un système comme le notre, l'application de la peine de mort par un état ne peut être juste qu'à la condition où cet état est juste et saint. L'application de la peine de mort n'a par exemple pas le même sens, ni la même légitimité, selon qu'on est une France gouvernée par un Saint Louis, ou selon qu'on est une république déicide (et infanticide de surcroit). Et encore, ne faut-il pas même attendre, par prudence et exigence, d'un système qu'il soit véritablement saint, totalement délivré du péché (royaume de Dieu ?), qu'il puisse condamner à mort ? Un tel système peut-il exister dans l'ordre temporel ? Et finalement, un tel système, si il existait, ne serait-il pas de ces systèmes dans lesquels l'application de la miséricorde surpasse l'application de la peine de mort ?