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par Relief » mer. 30 mai 2018, 20:31
Le Père Louis, prieur du Barroux, auteur "d'Avant le mariage, sexualité, affectivité, prière", précise sa pensée sur le livre de Thérèse Hargot :
Des demies-vérités
C'est un des problèmes majeurs de cet ouvrage. Donnons seulement quelques exemples, dont la liste n'est pas exhaustive (il faudrait aussi parler des propos ambigus de l'auteur sur la fidélité conjugale et l'homosexualité).
Commençons par la pornographie
« Il me semble fondamental de rappeler aux prêtres [Thérèse, professeur de théologie morale ?] que si un mineur vient se confesser pour demander pardon d'avoir consommé de la pornographie, il faut qu'il puisse lui dire : tu n'as pas à te sentir coupable, tu n'as pas à demander pardon pour cela : tu es victime. C'est à nous, les adultes, à te demander pardon de ne pas t'avoir protégé. Et cela, même s'il a cherché de lui-même les images. (…) Sans quoi, cette culpabilité non justifiée risque de démultiplier son mal-être, d'intensifier sa pulsion sexuelle et de le pousser davantage à retourner en consommer. » (p.219)
Oui, il est victime, c'est évident, Internet est un piège tellement facile, et un adolescent a une curiosité naturelle et en soi sompréhensible de la sexualité ; mais il n'est pas que victime, il a aussi une certaine responsabilité. Il y a un équilibre à garder : ni pure victime, ni pur coupable, mais les deux à la fois, dans une proportion variable selon chaque cas. Car les extrêmes se rejoignent : il est vrai qu'en insistant excessivement sur sa seule culpabilité, cela risque de décupler ses chutes comme dit Thérèse ; mais en lui disant : tu n'y peux rien, ce n'est pas du tout de ta faute, « tu n'as pas à demander pardon pour cela », l'adolescent risque d'en conclure : je ne fais donc rien de mal, ce n'est pas de ma faute, et puisque je n'ai plus besoin de demander pardon pour cela, même à Dieu dans le secret de la confession, alors tant pis si cela m'arrive encore… je peux même continuer sans me culpabiliser, c'est la faute des adultes et de la société !
Passons au sujet peu réjouissant de la masturbation, sur lequel T. Hargot, au moins à trois reprises, n'est pas claire du tout.
1/ « La masturbation pose à mon sens problème (…) quand elle devient un exutoire, un palliatif à un état de mal-être (…), quand elle est vécue dans une soumission à la pulsion de manière compulsive ; quand elle est une perte de liberté. Exactement comme on peut avoir un rapport compulsif avec la nourriture. » (p. 228-229)
Faut-il sous-entendre : si la masturbation n'est pas compulsive et ne traduit pas un mal-être, mais est simplement une recherche ponctuelle de plaisir, libre et consciente, cela ne pose pas de problème ? C'est, selon T. Hargot, exactement comme le plaisir de manger quand il n'est pas compulsif, mais choisi librement. Elle ne dit qu'une demi-vérité : certes, la masturbation peut être un symptôme révélateur d'un mal-être comme elle l'explique très bien ; elle est alors davantage un problème d'ordre psychologique que moral : le mal- être atténue en effet, jusqu'à parfois la réduire au minimum, la responsabilité morale de la personne (cf. CEC n°2352, cité plus loin). Mais, elle omet de le dire, c'est moralement plus grave, lorsque la masturbation n'est pas vécue comme un palliatif à un mal-être mais comme un plaisir pleinement et librement recherché.
2/ Elle semble même affirmer que cela ne lui pose alors aucun problème :
« les femmes possèdent un organe [le clitoris] qui a pour unique raison d'être le plaisir. Donc en le stimulant, les femmes ne contrediraient pas sa finalité, au contraire. Il n'a pour but ni le don mutuel ni la reproduction humaine » (p. 226).
C'est exactement comme si je disais : sous prétexte que les papilles gustatives ont pour seul but le plaisir et ne sont pas indispensables à l'alimentation du corps, je peux donc manger pour le seul plaisir en me faisant ensuite vomir pour pouvoir continuer de savourer indéfiniment de bonnes choses ! Si les papilles gustatives sont placées dans la bouche, c'est bien pour que le plaisir du goût accompagne et facilite l'acte de se nourrir. De même pour le clitoris situé dans les parties intimes de la femme : il ne peut être stimulé que lors de l'union des époux, pour traduire dans la chair la joie de s'aimer et de transmettre la vie. Sinon je ne respecte pas la nature, je la détourne pour un plaisir égoïste et solitaire qui ne laisse que frustration et tristesse. Pas besoin d'être chrétien pour en être convaincu. Le catéchisme ne fait donc que rappeler la loi naturelle inscrite dans le cœur de tout homme en affirmant que « la masturbation est un acte intrinsèquement et gravement désordonné. » (CEC 2352).
3/ T. Hargot commente ainsi cette affirmation :
« Écrire dans le catéchisme que la masturbation est un acte intrinsèquement et gravement désordonné (…), c'est moraliser une découverte normale et même nécessaire pour se donner à l'autre, c'est ignorer le fonctionnement de la sexualité et condamner un symptôme plutôt que les raisons qui conduisent à rechercher ce plaisir. » (p.225)
Oui, vous avez bien lu : la masturbation serait une expérience nécessaire pour se donner à l'autre ! Et après cela, elle publie sur son blog, en réaction à mon article, qu'elle a parlé de la masturbation « sans JAMAIS — c'est elle qui met des majuscules — pourtant en faire l'éloge » ! De plus, est-ce bien honnête d'écrire que le catéchisme fait ainsi preuve d'ignorance et de condamnation injuste, en omettant de citer la suite du même n°2352, que Mgr Gobilliard (p.227) a heureusement tenu à rappeler (mais dans l'ancien libellé de ce numéro, dont voici le texte définitif) :
« Pour former un jugement équitable sur la responsabilité morale des sujets et pour orienter l'action pastorale, on tiendra compte de l'immaturité affective, de la force des habitudes contractées, de l'état d'angoisse ou des autres facteurs psychiques ou sociaux qui peuvent atténuer voire réduire au minimum la culpabilité morale. »
Il faut donc toujours tenir à la fois l'aspect objectif intrinsèquement mauvais de l'acte et les dispositions subjectives de la personne qui agit.
Une phrase de Thérèse citée en dehors de son contexte, et sa pensée déformée ?
« Heureusement que vous avez la masturbation ! répond-elle à des religieuses, c'est le seul moment où votre corps est touché, vos pulsions évacuées, votre sexe considéré. » (p. 79).
Certes, T. Hargot précise qu'elle dit cela « pour provoquer ».
Oui, il faut interpréter cette phrase dans son contexte. L'interprétation la plus bienveillante serait : “si vous n'avez pas un rapport sain avec votre corps, il n'est pas étonnant que celui-ci se rattrape et s'impose à vous par des pulsions que vous ne parvenez pas à canaliser”. Mais pourquoi ne pas l'avoir exprimé ainsi avec simplicité, plutôt que de plaisanter lourdement sur une difficulté humiliante, en précisant de façon indiscrète qu'il s'agit d'une religieuse ? En outre, cette réponse déplacée peut aussi se comprendre de la façon suivante : “si vous n'avez pas la possibilité de laisser votre corps et vos émotions s'exprimer, alors mieux vaut que celles-ci puissent s'extérioriser par la masturbation, c'est un moindre mal, et même peut-être un soulagement nécessaire”, ce qui serait inacceptable. C'est pourquoi je me suis permis d'écrire que Thérèse suggérait la masturbation aux consacrés. Ce n'est peut-être pas ce qu'elle a voulu dire, mais sa phrase peut très bien être comprise ainsi, surtout si on tient compte de l'ensemble de l'ouvrage, dans lequel, nous venons de le voir ci- dessus, les propos de T. Hargot sur la masturbation ne sont pas clairs du tout. N'était-ce pas à Thérèse d'éviter d'ironiser de façon si malvenue et ambiguë sur un sujet aussi délicat et douloureux touchant des consacrés afin d'éviter une éventuelle déformation de sa pensée par les lecteurs ?
Une vision méprisante de l'Église
N'est-il pas choquant de publier dans un livre édité à des milliers d'exemplaires et destiné au grand public des détails appris lors de consultations avec des prêtres et des religieuses ayant des difficultés avec la chasteté ? « Je prends ma douche hyper rapidement, (…) me confiait cette sœur qui souffrait d'un rapport compulsif à la masturbation » (p.79). Bien que le secret professionnel ne soit pas directement violé, ces révélations — car il y en a d'autres — sont vraiment odieuses et ridiculisent lâchement les consacrés. Les lecteurs ne se laisseront-ils pas — hélas ! — davantage toucher par les anecdotes “croustillantes” de la sexologue que par l'humble sagesse de l'évêque ?
Et au sujet d'un prêtre qui détourne le regard en croisant une splendide femme, Thérèse commente : « Détourner ou baisser son regard, c'est un aveu de faiblesse » (p.207). N'est-ce pas un jugement un peu hâtif et simpliste, voire méprisant ? Oui, cela peut parfois traduire une peur scrupuleuse et un certain manque d'équilibre. Mais dans d'autre cas, cela ne peut-il pas aussi être l'expression d'une belle force d'âme et d'une grande liberté intérieure : “Merci Seigneur pour cette splendide femme ! Mais je ne suis pas obligé, malgré mon attirance naturelle, de tourner la tête pour la voir une seconde fois. Je veux rester libre avec mes yeux. Et surtout, j'ai choisi par amour de renoncer à la joie de l'amour humain pour réserver mon cœur au Christ et à tous les mal-aimés que la providence mettra sur ma route.” Jésus n'a-t-il pas dit : « Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà commis l'adultère avec elle, dans son cœur » (Mt 5,28) ? Thérèse ne s'arrête pas là, elle poursuit : « Détourner son regard, c'est refuser de voir en face la dimension sexuelle de son existence. La peur de sa propre sexualité peut rendre profondément agressif, pas seulement fuyant. On accuse l'autre d'être trop séductrice, trop vulgaire, trop aguicheuse sans reconnaître que l'autre n'est pas responsable du trouble qui naît en moi » (p.207). Thérèse ne serait-elle pas en train de se trahir en s'auto-justifiant ? En effet, il est évident qu'une femme, non pas simplement attirante, mais volontairement séductrice et aguicheuse, est responsable du trouble qu'elle provoque chez l'homme ; c'est du simple bon sens, nul besoin d'être sexologue pour en être convaincu !
Par ailleurs, Thérèse se rend-elle compte qu'en reprochant à l'Église d'être « donneuse de leçons » (p.35), elle ne cesse tout au long de l'ouvrage de regarder l'Église de haut en lui faisant la leçon : « oui, c'est certain ! » répond-elle au journaliste lui demandant si l'Église n'aurait-elle pas plus à apprendre qu'à enseigner en matière de sexualité. « Juger avant même de comprendre, juger par méconnaissance ; c'est là que l'Église souvent fait du mal » se permet-elle d'affirmer (p.34). Il faut relire aussi le rappel (cité plus haut) qu'elle adresse aux prêtres concernant la façon dont ils doivent exercer le ministère de la confession, ainsi que les injonctions faites à l'Église : « qu'elle se taise » (p.32) ou « qu'elle se forme » (p.35). Thérèse Hargot, la nouvelle sainte Catherine de Sienne du XXIè siècle ?
Une vision anachronique et faussée de l'Église
Thérèse, ne seriez-vous pas un peu ringarde ? À l'entendre, l'Église serait encore en plein jansénisme ou puritanisme, où il ne serait question que de refoulement et de gêne vis-à-vis de la sexualité ! « Ras-le-bol d'entendre des curés nous faire des leçons de morale (…) Le discours de l’Église raisonne dans nos esprits comme une litanie d'interdits. » (p.33) Ce fut sans doute parfois le cas durant la première moitié du XXè siècle, mais le problème actuel de bien des prêtres dans leur ministère au sujet de la morale sexuelle n'est-il pas plutôt au contraire un certain relativisme, par exemple en permettant le préservatif ou la contraception dans certains cas, en niant la gravité intrinsèque de la masturbation, ou en donnant leur bénédiction au remariage civil de divorcés remariés et à des couples homosexuels le jour de leur “mariage” civil, etc., s'écartant ainsi du magistère de l'Église ?
Écoutons encore Thérèse au sujet de l'éducation chrétienne des adolescentes (p.203-204) :
Mère de famille et éducateurs se sentent investis d'un divin devoir : maîtriser la libido féminine à coups de messages culpabilisants (…). On leur donne pour modèle la Vierge Marie, “Celle qui a conçu sans péché” (sic!), ou dans un autre style Jeanne d'Arc, pucelle, guerrière, habillée en homme, brûlée sur le bûcher, ou encore sainte Thérèse de Lisieux, entrée au carmel à quinze ans, et morte neuf ans plus tard. De quoi envoyer du rêve aux jeunes filles ! (…) le message instillé aux fillettes c'est l'idée que la sexualité serait quelque chose d'impur, qui relève du péché et qu'il vaut mieux ne pas avoir de relations sexuelles, désirer et jouir pour entrer plus directement au Paradis. Quelles sont les saintes dont on sait qu'elles avaient une vie sexuelle régulière et un amour conjugal durable ? Les époux Martin béatifiés en 2015, qui avaient d'abord décidé de vivre dans une continence perpétuelle, ont finalement eu cinq filles, toutes entrées au couvent et ont “seulement” eu 19 ans de mariage avant que la maladie n'emporte Zélie. Voilà pour les modèles.
Quelle caricature injuste ! Et où donc éduque-t-on ainsi des jeunes filles aujourd'hui ? Peut-être dans de rares établissements en marge de l'Église ? Toujours est-il que ces propos déforment complètement la réalité.
Tout d'abord, il n'a jamais été question de Marie « qui a conçu sans péché » parce qu'elle a conçu Jésus en demeurant vierge — par pitié, qu'elle se forme, Thérèse ! —, mais de Marie qui est conçue sans péché, c'est-à-dire conçue elle-même dans le ventre de sa mère sans hériter comme nous d'une nature blessée par le péché originel. Concernant la sexualité, la conséquence pour Marie fut d'hériter d'une sexualité non pas abîmée comme la notre, mais spontanément saine : pour elle, ce domaine est parfaitement paisible, elle n'éprouve aucune gêne ni aucun trouble concernant ce qui touche à la sexualité ; ce n'est pas un terrain glissant, ce n'est même pas un lieu d'effort : elle peut admirer la beauté de la sexualité humaine avec encore plus de liberté et de facilité qu'Adam et Ève qui « étaient nus l'un devant l'autre sans en avoir honte » (Gn 2,25). Et sa résolution de demeurer vierge ne l'a pas empêchée d'être amoureuse de Joseph probablement vers l'âge de 14 ans ! Voilà donc un top modèle pour l'épanouissement des adolescentes !
Quant à Jeanne d'Arc, elle est aussi un magnifique modèle : étant la seule femme le soir au campement près du champ de bataille et ne pouvant retirer seule sa lourde armure, elle se faisait aider par Jean d'Aulon, son compagnon d'arme. Ce dernier a témoigné combien elle avait de belles formes et combien il était stupéfait de n'éprouver aucun trouble en la voyant presque nue. On devine avec quelle simplicité et dignité, fraîcheur et noblesse d'âme à la fois, Jeanne dut retirer ses vêtements de guerre, pour qu'un guerrier gaulois puisse la regarder avec un tel respect ! Je cite souvent cet exemple aux fiancées, afin qu'une fois mariées, elles aident leur mari à poser un beau regard sur elles.
Passons à sainte Thérèse de Lisieux qui a écrit des lignes prophétiques, malgré l'influence janséniste encore très présente, pour éviter de se focaliser excessivement sur les péchés contre la chasteté : « C'est étonnant comme les âmes perdent facilement la paix à propos de cette vertu ! (…) Et pourtant, il n'y a pas de tentation moins dangereuse que celle-là. Le moyen de s'en délivrer, c'est de les regarder avec calme, ne pas s'en étonner, encore moins les craindre. Habituellement, à la première attaque, on s'épouvante, on croit tout perdu : c'est justement de cette peur, de ce découragement dont le diable se sert pour faire tomber les âmes. Pourtant, soyez sûre qu'une tentation d'orgueil est bien plus dangereuse — et le bon Dieu bien plus offensé quand on y succombe — que lorsqu'on fait une faute, même grave, contre la pureté (…). Une tentation d'orgueil devrait être crainte plus que le feu, tandis qu'une tentation contre la pureté ne peut qu'humilier notre âme et par là lui faire plus de bien que de mal. » Encore un beau modèle !
Enfin, écrire que l'Église n'a rien d'autre à proposer comme modèle d'amour conjugal que les époux Martin, ce n'est pas seulement de l'ignorance, c'est aussi du mauvais esprit ! Déjà, Louis et Zélie Martin sont un magnifique modèle de délicatesse et de tendresse pour les époux. Ne leur a-t-il pas fallu un très grand amour conjugal pour surmonter ensemble tant d'épreuves, dont le décès en bas- âge de 4 de leurs 9 enfants ? Ensuite, le document hagiographique le plus ancien que nous possédons concernent deux jeunes mères du début du IIIè siècle, Félicité et Perpétue, dont le récit du martyre nous livre avec une simplicité et une fraîcheur étonnante des détails concernant leurs soucis maternels de grossesse et d'allaitement. Perpétue, envoyée en l'air par une vache furieuse, prit soin de rabattre sa tunique sur sa cuisse et de se recoiffer dans un geste féminin plein de charme, avant de tendre la main à sa compagne pour mourir avec elle. Il serait facile de trouver d'autres exemples dans la littérature chrétienne, comme celui de Saint Louis, tellement amoureux de son épouse Marguerite de Provence, qu'il fit construire un escalier secret pour pouvoir retrouver celle-ci en échappant à la surveillance jalouse de sa mère Blanche de Castille ! Plus proche de nous les bienheureux époux Quatrocchi nous ont laissé de précieux témoignages de leur amour conjugal avec de très belles pages concernant la sexualité, ainsi que sainte Jeanne Beretta Molla qui préféra donner sa vie pour mettre au monde son quatrième enfant. L'Église propose aussi en exemple de nombreux jeunes — comme les bienheureux Karl Leisner et Pier Georgio Frassati, déclarés patrons de la jeunesse par S. Jean-Paul II — nous parlant avec réalisme de leur combat pour conserver la chasteté.
Un ton volontairement cru et arrogant
Il n'y a pas seulement le fond, mais aussi la forme qui pose problème. Car l'essentiel, dans ce domaine si délicat, ne consiste pas seulement dans ce que l'on dit, mais aussi dans l'atmosphère de beauté et de finesse avec laquelle on en parle. Or, dans ce dernier livre, T. Hargot multiplie une fois de plus les provocations, comme par exemple en parlant des évêques et des prêtres rencontrés en septembre 2017 lors de la préparation du synode sur les jeunes : "on pense que dès lors qu'on porte une robe, on n'a plus de sexe !" (p.39) ; ou en parlant de « celles et ceux qui pénètrent ou se font pénétrer sexuellement » (p.27) ; ou encore : « le mariage, c'est une affaire de sang, de sperme, de sueur, de peau à peau… » (p.105). Faut-il vraiment parler un langage aussi cru pour “bien passer” auprès des jeunes ? Pensez-donc !, cela ne choque que les moines et les bonnes sœurs, me répondra- t-on, les jeunes n'en sont plus à ça près, avec tout ce qu'ils voient et entendent ! Mais précisément, parce qu'ils sont déjà abreuvés de paroles et d'images obscènes par leur environnement, il est très important de faire contre-poids en leur parlant de sexualité de façon belle et délicate, surtout de la part de ceux qui sont chargés de leur éducation, qui plus est, dans des établissements catholiques. Or, ici, aucune délicatesse, le ton reste volontairement cru. On est très loin de l'art de s'aimer chastement décrit avec tant de finesse par Gabrielle Vialla, dans Confidences Billings à un frère prêtre, ou Recevoir le féminin, qui vient de paraître en mai 2018. Le discours de Thérèse ne risque-t-il pas d'écœurer les jeunes sur le mystère si fragile de la sexualité, ou du moins de les empêcher de voir la dimension sacrée qu'elle contient ?
Un certain malaise ressenti par beaucoup
Avant même la publication de ce dernier livre, plusieurs parents et élèves du collège Stanislas à Paris, où T. Hargot est intervenue pendant plusieurs années, m'avaient confié leur gêne vis-à-vis de la façon dont Thérèse parlait aux élèves de la sexualité, en jouant avec eux une certaine provocation. Depuis mon article sur le Salon Beige, nombreux sont ceux qui m'ont dit que, tout en appréciant la justesse de certains propos de Thérèse, ils avaient pourtant pressenti quelque chose qui sonnait faux dans son discours : « sa mise en scène “jeuniste” » et « sa crudité confinant à la vulgarité », pour reprendre les expressions de ceux qui m'ont contacté. Ils m'ont donc remercié d'avoir mis des mots sur ce malaise qu'ils avaient éprouvé en l'écoutant.
Les extrêmes se rejoignent
Enfin, j'ai tenu à rappeler à la fin de mon article les propos de T. Hargot sur la théologie du corps, publiés sur son blog en 2015, en réponse à un jeune couple ayant des difficultés pour vivre de façon harmonieuse l'union conjugale :
La déception dont vous me témoignez est partagée par la majorité des jeunes membres de la communauté catholique à laquelle vous appartenez, biberonnés depuis leur conversion à la théologie du corps selon Jean-Paul II. (…) L’idéal spirituel a aspiré la connaissance indispensable du fonctionnement des pulsions, des fantasmes, des émotions. (…) Retenez qu’il n’y a certainement rien de plus ennuyeux sur terre que de faire l’amour à un être humain angélique ! Rien. (…) Les jeunes chrétiens se mettent la pression pour être à la hauteur de l’idée qu’ils se sont fabriquée de l’acte sexuel (…). Au risque de vous décontenancer, l’enseignement de la théologie du corps peut avoir les mêmes effets désastreux que la pornographie sur la sexualité. C’est une vision partielle et idéalisée de la sexualité qui suscite des angoisses (…).
Ces quelques lignes ne sont elles-pas une exagération simpliste de la réalité ? Est-ce vraiment « la majorité » des jeunes couples qui sont « biberonnés » à la théologie du corps ? Hélas !, celle-ci est au contraire encore trop peu connue, car riche, très vaste et parfois complexe. Quant au risque d'angélisme, certes, il peut exister : en voulant remédier au danger si répandu de banaliser et de réduire l'union des époux à une simple récréation sensuelle, il faut se garder de tomber dans le danger opposé, celui d'une spiritualisation exagérée de l'amour et de la sexualité, mystique contre laquelle le pape François, dans Amoris Laetitia, met en garde. Mais est-ce pour cela qu'il faille cantonner la sexualité dans le seul monde « des pulsions, des phantasmes et des émotions » et renoncer à tendre vers ce sommet lumineux de l'amour tel qu'il a été voulu par Dieu dans la création (et non « fabriqué » par les chrétiens !) et que S. Jean-Paul II expose de façon réaliste en tenant compte de la situation concrète, pauvre et limitée, de la condition humaine ? Quant à oser prétendre que cet enseignement puisse « avoir les mêmes effets désastreux que la pornographie sur la sexualité », cela se passe de tout commentaire. Le lecteur n'aura pas de mal à voir l'ineptie de tels propos.
Toutefois, le plus incroyable, c'est que lorsque Thérèse essaye de discréditer la théologie du corps auprès des couples chrétiens, de l'autre côté, certains catholiques jettent aussi le discrédit sur cette même théologie du corps, mais pour des motifs inverses : l'une trouve que cet enseignement met trop de spiritualité dans l'union conjugale, et les autres estiment qu'il donne trop de place à la dimension charnelle au détriment de la spiritualité ! Pour notre sexologue c'est de l'angélisme, et pour les autres c'est du sensualisme et du laxisme ! “In medio stat virtus”, le juste équilibre de la vertu se trouve comme un sommet entre ces deux extrêmes ; merci saint Jean-Paul II !
Que conclure ?
Je me contenterai de poser trois questions :
Est-ce vraiment opportun de faire appel à Thérèse Hargot pour parler d'éducation affective et sexuelle aux élèves et aux parents d'élèves dans des établissements catholiques ?
Est-ce prudent que des prêtres l'invitent à venir parler à leurs paroissiens ou lui envoient des jeunes et des couples en difficulté ?
Est-elle la personne idoine pour aider des prêtres, des séminaristes et des religieux à vivre sereinement et joyeusement leur célibat consacré ?
Père Louis, prieur du Barroux
Le Salon Beige