Le problème avec l'euthanasie

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Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Cinci » mer. 12 juin 2019, 5:38

Bonjour,

Suite à une récente lecture d'un fil portant sur le cas de Vincent Lambert et à la vue des arguments soulevés, il me paraît bon d'amener ici quelques extraits d'un grand ouvrage traitant de la question. Si ça peut aider à nourrir la réflexion de quelques uns ...

Il s'agit d'un ouvrage date du tournant des années 2000. J'ai trouvé quelque chose d'intéressant au chapitre 4. Et ça va comme suit :


La solution du Pr Schwarzenberg

Le professeur ne prétend pas apporter une bonne réponse au problème des personnes dont la médecine semble impuissante à soulager la souffrance, aux fins horribles qu'entraîne parfois le cancer généralisé avec ses multiples métastases. Face à certaines situations intolérables, il affirme offrir la moins mauvaise solution. La seule bonne serait de guérir la personne, toutes les autres sont mauvaises. Prolonger la vie à tout prix, accélérer la mort, les deux réponses sont déficientes, mais la seconde l'est moins : "L'euthanasie c'est moche. Mais l'interdiction de l'euthanasie, le maintien en vie à tout prix du moribond qui souffre sans aucun espoir, c'est ignoble." Plus loin, l'auteur explique : "Je le fais non pas parce que c'est bien (cela ne peut pas être bien de donner la mort, mais parce que je serais un salaud si je ne le faisais pas."Schwarzenberg, du moins dans ses deux premiers ouvrages, ne retient en fait que deux attitudes possibles, apparemment sans autre alternative :

- Le prolongement de la vie à tout prix, la fuite, l'attente, la passivité par "peur du gendarme", la lâcheté, l'hypocrisie, l'ignominie; sa laver les mains comme Ponce Pilate.

- Agir, essayer d'aider, c'est à dire donner la mort.

L'euthanasie est justifiée par l'impossibilité de faire autrement sans être un salaud. La position de l'auteur qualifie indirectement (même si ce n'est pas son intention) de "salauds" ceux qui essaient de faire autrement. D'autre part, le professeur semble exclure une troisième voie, et la possibilité des soins palliatifs est rarement évoquée.

Le professeur affirme que la vie humaine est sacrée, et donc digne de respect absolu. Mais la vie, c'est la vie pleine, la vie digne d'être vécue, "la vie d'un être humain, pas celle d'un animal abattu, d'un végétal flétri". Lorsque la vie est diminuée, dégradée, ce n'est plus la vie, c'est déjà la mort. La dégradation que subit le malade ôte à sa vie, qui n'en est d'ailleurs plus une, toute dignité. Pour le professeur, la dignité est ce qui fonde la vie humaine. Si cette dignité est atteinte, interrompre cette existence, c'est préserver la dignité du malade tant qu'elle est encore présente. Respecter la vie : c'est refuser ce qui l'entache, ce qui lui fait perdre sa beauté, sa valeur; et cela nécessite parfois de l'interrompre.

Le commentaire de la Proposition de résolution du Parlement européen sur l'assistance aux mourants, dont le Professeur Schwarzenberg a été l'initiateur, fait deux fois référence à la dignité humaine et une fois au respect de la vie :

"La dignité est ce qui définit une vie humaine. Et, lorsqu'à la fin d'une longue maladie contre laquelle il a lutté avec courage, le malade demande au médecin d'interrompre une existence qui a perdu pour lui toute dignité, et que le médecin décide, en toute conscience, de lui porter secours et d'adoucir ses derniers moments en lui permettant de s'endormir paisiblement et définitivement, cette aide médicale et humaine (parfois appelée euthanasie) est le respect de la vie."

Tuer par amour, ou les paradoxes de Schwarzenberg

Les écrits du professeur sont parsemés d'expressions paradoxales. Cette aide médicale et humaine (euthanasie) est appelée le "respect de la vie". L'acte de donner la mort est appelé "aide" par le professeur, ce dernier n'affectionnant pas le terme euthanasie. Non seulement cet acte est une "aide", mais encore celle-ci est qualifiée de "médicale et humaine". Et cette "aide" non seulement ne s'oppose pas au respect de la vie, mais "est" le respect de la vie.

Face à un malade torturé par la souffrance, il faut avoir le courage d'oser le geste fraternel de délivrance. Le malade est ici en droit de dire au médecin : "Si tu n'es pas un assassin, tue-moi". Le bourreau serait celui qui refuse de donner la mort : "S'il y a des bourreaux, ce ne sont pas ceux qui aident les gens, ce sont ceux qui les forcent à continuer de souffrir."

Respect de la volonté du patient

Par rapport au respect de la volonté du patient avant de pratiquer une euthanasie, la pensée du professeur n'est pas uniforme dans ses ouvrages. Soit la pensée de l'auteur a évolué, soit elle est d'une profonde ambiguïté. Dans Changer la mort (1977), l'euthanasie ne peut se pratiquer que sur demande du patient. C'est un suicide par personne interposée : "L'euthanasie est parente du suicide". Mais dans Requiem pour la vie (1985) , le professeur semble admettre l'euthanasie du patient sans que celui-ci le sache et donc sans son autorisation explicite. Le cancérologue paraît justifier cette attitude : "J'étais coincé, bloqué par son malheur, par son inutilité à vivre. J'en ai eu assez. Je me suis dit que, si c'était moi, j'aurais bien aimé qu'on le fasse".

Décrivant une situation où un médecin refuse de donner la mort parce que le malade ne l'a pas demandé, Schwarzenberg critique : Le grand médecin a répondu avec sa tête de médecin bureaucrate : le malade n'a rien demandé. Il est des personnes qui entendent le langage muet, tel celui des rivières souterraines, des gens dans la plus grande peine. Et il en est qui ne peuvent entendre que le langage administratif du bureau d'aide sociale". Inutile d'insister sur la gravité d'une telle position qui conduit à un subjectivisme absolu et ouvre à tous les abus : le médecin peut projeter sur le patient ses propres sentiments, sa propre idéologie, sa propre envie d'en finir avec ce cas pénible.

Dans son dernier livre, Face à la détresse (1994), le professeur Schwarzenberg manifeste apparemment moins d'autonomie : "Pour les personnes dans un état d'inconscience, la décision doit être acceptée par le personnel hospitalier à l'unanimité."Mais quant aux enfants nés mal formés, victimes d'un handicap grave et qui ne peuvent témoigner de leur intérêt à vivre - ou non - une existence perpétuellement malheureuse", Schwarzenberg, excluant pour eux toute possibilité de vie heureuse, se voit contraint de choisir à leur place, prétendant refuser la lâcheté :"Si je choisis d'une manière, je me dégoûterai moins que si je choisis telle autre. Ce n'est pas le courage que je choisis, c,est la lâcheté que je refuse."

L'auteur se montre très dur envers les "grands défenseurs de principes", les médecins du Conseil de l'Ordre, les spécialistes des comités d'éthique, les ministres défenseurs du droit. Il manifeste un mépris pour les lois écrites, faisant l'apologie des lois de la conscience, les seules inébranlables : "L'homme progresse non quand il obéit à des textes légaux mais à des lois non écrites transmises de génération en génération par ce qu'on appelle notre conscience : c'est la voix de la conscience que nous admirons chez Antigone et l'autorité juridique représentée par Créons que nous rejetons".

Si l'on sait que les deux frères du professeur Schwarzenberg sont mort dans un camp de concentration à Mauthausen en 1943, victimes d'un gouvernement et de lois iniques, dans un système où les plus courageux étaient souvent les opposants, on comprend mieux la position paradoxale du cancérologue et un certain mépris des lois. Il s'agit d'une position qui essaie de répondre à la détresse humaine, allant jusqu'à donner la mort.

Et pourtant, s'Il se défend d'avoir quelque lien avec le système nazi qu'Il tient en horreur, le professeur n'est pas cohérent avec lui-même. Dans ses écrits, il porte à plusieurs reprises des jugements de valeurs sur la vie de ses patients.

Sur la même page où le professeur prétend que "la notion de valeur de la vie d'autrui mène directement aux chambres à gaz", il affirme que "la vie, ce ne sont pas les quelques mètres carrés de cette chambre, le confinement permanent au lit où tout arrive par des tuyaux. la vie, c'est le grand large". Plus grave encore, lorsqu'il parle d'une existence à laquelle la maladie a fini par ôter toute dignité; pour le professeur, la vie, ce n'est pas la vie diminuée, c'est la vie digne. Si l'on sait que notre cancérologue semble approuver le fait de donner la mort à des patients sans leur consentement explicite, il est légitime d'avoir quelques inquiétudes par rapport à sa position vis-à-vis de l'euthanasie.

Le professeur prétend respecter la vie humaine et sa dignité en anticipant la mort et en évitant ainsi à la personne les dégradations liées aux maladies finales. Un certain regard de déconsidération est posé sur le malade atteint de fortes diminutions : selon le professeur, il y a alors perte de dignité et cette existence n'est plus vraiment humaine, n'est plus digne d'être vécue, cette vie a perdu toute valeur.

Source : Michel Maret, L'euthanasie. Alternative sociale et enjeux pour l'éthique chrétienne, p. 79
Dernière modification par Cinci le jeu. 13 juin 2019, 13:58, modifié 1 fois.

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Cinci » jeu. 13 juin 2019, 13:51

Maintenant, la position des associations pour le droit à mourir dignement.

Ici :

La position des ADMD est sensiblement différente de celle du professeur Schwarzenberg. Pour ces associations, l'euthanasie n'apparaît pas comme la moins mauvaise solution, mais comme une sortie digne et glorieuse de l'existence, comme une manière d'assumer pleinement sa mort. Les raisons principales motivant l'apparition de ces associations sont à rechercher dans la peur des souffrances liées aux phases terminales des maladies en contexte hospitalier, et à la crainte de se voir désapproprier de sa mort. Face à un contexte d'objectivation du malade et à un certain mépris de sa volonté, des groupements vont se former pour défendre les droits et le respect du patient face à la médecine.

Historique

La plus ancienne association d'une certaine ampleur fondée pour revendiquer le droit de mourir dans la dignité est très probablement la Voluntary Euthanasia Society qui a vu le jour en 1935 en Angleterre. Elle a été connue plusieurs années sous le nom d'EXIT. En 1938 fut fondée aux États-Unis la Society for the Right to Die. Consécutivement à la guerre de 1939-1945 et au souvenir qu'elle a laissé par rapport à l'euthanasie, il faudra attendre 1972 pour voir se créer un autre association de ce type.

Dans les années 70 et 80 vont se succéder les fondations revendiquant le droit de mourir dans la dignité. Elles sont répandues aujourd'hui sur toute la planète et comptent plus de 500 000 membres, dont 60 000 en Suisse et 25 000 en France. Elles sont regroupées dans la Fédération mondiale des associations pour le droit à mourir. Les membres de ces associations se recrutent principalement parmi les personnes âgées : en France, selon une étude de 1993, 62% des adhérents ont plus de 65 ans.

But de ces associations et principes

Ces associations ont également pour but de promouvoir le droit légal et social de disposer de façon libre et réfléchie, de sa personne, de son corps et de sa vie; de choisir librement la façon de terminer sa vie, de manière à la vivre jusqu'à la fin dans les conditions les meilleures. Les membres estiment qu'ils sont les seuls habilités à juger si leur vie est encore digne d'être vécue, et à quel moment ils veulent l'interrompre. La liberté de pouvoir disposer de soi-même serait une caractéristique des sociétés développées. Les ADMD considèrent le suicide comme un acte ultime de liberté, comme une acte de responsabilité vis-à-vis de soi-même. Certains membres estiment même que le "droit à la mort" devrait faire partie des droits de l'homme.

Selon une enquête de C. Montandon-Binet auprès des membres d'ADMD en France, il ressort "une grande homogénéité sur les principes qui régissent la démarche des individus : revendication du droit de disposer de soi, droit de disposer de son corps; droit de décider du moment et de déterminer les circonstances dans lesquelles quitter la vie, ou plutôt droit de définir les conditions dans lesqeulles on refuse à continuer de vivre; et surtout droit à la parole et à l'exercice de son libre-arbitre". L'auteur inscrit ces revendications dans la ligne de l'individualisme, de l'affirmation de l'autonomie marquant la modernité et la post-modernité.

Ces associations fonctionnent comme des groupes de pression sur les autorités médicales et politiques. La plupart des ADMD tentent de légaliser l'aide apportée par le médecin pour donner la mort, lorsque le patient le demande, et revendiquent la levée du délit de non-assistance à personne en danger existant dans certains pays. D'autres vont même jusqu'à mettre à disposition de leurs membres une brochure détaillée décrivant les techniques pour se procurer une mort douce.

D'autres encore se limitent à lutter contre l'acharnement thérapeutique et pour le soulagement de la douleur, principalement en tentant de donner une valeur juridique au testament biologique. En parallèle à cette volonté de légaliser l'euthanasie, les ADMD affirment très fortement le principe de tolérance : il ne faut pas imposer aux autres nos conceptions personnelles de la vie et de la mort; il faut par conséquent accepter un pluralisme moral qui doit être confirmé par le droit.

Les ADMD ont élargi leur vision de la mort digne et insistent aujourd'hui sur la nécessité des soins palliatifs et de l'accompagnement des mourants, sans pourtant renoncer à revendiquer le droit de choisir l'heure de sa mort. Elles désirent modifier leur image en ne passant pas pour des associations qui incitent au suicide. C'est pourquoi elles s'efforcent de décourager les faux suicidaires. En France, les ADMD se refusent à fournir une aide directe à ceux, nombreux, qui la réclament. Elle ne procure ni médicaments, ni adresse de médecins.

Le testament biologique

Presque toutes les associations fournissent à leurs adhérents un modèle de "testament biologique", appelé parfois "Directives anticipées" ou "Déclaration de volonté de mourir dans la dignité", dans lequel la personne exprime les volontés que le corps médical devrait respecter en cas d'accident ou de maladie grave où elle ne pourrait plus s'exprimer. Il contient en général l'exigence qu'un traitement antalgique soit administré, une demande de renonciation à toute mesure de réanimation dans certaines circonstances, et parfois, soit une demande d'assistance au suicide, soit une demande d'euthanasie.

[mais ...]

Le plus souvent, ce document n'a aucun caractère impératif pour le personnel soignant. La validité de ces directives anticipées au moment d'une maladie grave ou d'un accident est contestée. Les directives formulées par une personne plus ou moins en bonne santé, considérant la maladie de façon abstraite, ne reflètent parfois plus l'état d'esprit de la même personne réellement atteinte dans son intégrité corporelle. Nombre d'exemples sont à disposition pour en témoigner.

Ce testament biologique n'est pas une particularité des ADMD. En Suisse, par exemple, aussi bien Caritasque la Fédération des médecins suisses (FMS) délivrent un fascicule "Dispositions de fin de vie". Inutile de dire que ces deux organismes ne proposent pas la demande concernant l'aide au suicide ou l'euthanasie.

En Belgique

L'ADMD belge a été fondé en 1982, peu après la France. Elle propose à ses membres un "Testament de vie", comportant les trois mêmes demandes que le document français. Dès 1986, l'association a proposé la brochure Autodélivrance. Celle-ci a cessé d'être éditée en 1991, d'une part à cause du manque de données scientifiques relatives à la valeur des techniques de suicide proposées, et d'autre part, à cause du risque de poursuites pénales. De plus, la même année est parue une traduction française de l'ouvrage de l'Américain H. Dereck, Final Exit, qui constitue en quelque sorte un manuel du suicide sans peine, et recommandée aux membres de l'association.

p. 83

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par zelie » jeu. 13 juin 2019, 14:30

Léon Schwartzenberg était un ardent défenseur pro-choix, ses livres en témoignaient dès 1985. Il est d'origine juive, donc insensible aux dogmes chrétiens. Il luttait justement contre ce qu'on appelle trop facilement une morale chrétienne.
Il était cancérologue, ce qui explique aussi sa position : le cancéreux en phase terminale à qui il reste quelques jours à vivre pouvait à l'époque (1960-1980) mourir dans de grandes souffrances, en s'étouffant notamment. Il est très clair, il ne parle que des moribonds, c'est à dire des mourants.

Ce qui n'est pas le cas de Vincent Lambert et des pauci-relationnels.

Attention à bien connaître l'auteur et à faire la part des choses. Ses positions sont antinomiques avec celles du Vatican. Sa position était loin de faire l'unanimité à son époque, car sous une belle éloquence, il était assez activiste. Et quand il a démissionné au bout de 9 jours seulement de ministre de la Santé, c'est justement parce qu'il voulait faire passer une loi pro-euthanasie. Ce qui en dit long sur le fait qu'il n'a accepté d'être ministre que pour servir ses idées, même si elles ne correspondaient pas aux attentes de ses confrères, et pas pour se dévouer à tous les dossiers d'un ministre de la Santé.
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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Cinci » jeu. 13 juin 2019, 19:01

Zélie :

Attention à bien connaître l'auteur et à faire la part des choses. Ses positions sont antinomiques avec celles du Vatican.
Oui.

Je désire faire ressortir un peu, en premier, comme l'historique de la question, à notre époque. Il est intéressant de mettre en lumière les motivations, les arguments ou façon de voir les choses versus ce que l'Église pourrait en dire éventuellement.


:nonne:

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Cinci » mer. 19 juin 2019, 4:43

Le candidat à l'euthanasie est-il réellement libre ?

Il est reconnu que ceux qui se donnent la mort sous l'emprise de troubles psychologiques, névroses, psychoses, dépressions, ne sont pas pleinement libres. On estime aujourd'hui que 20 ou 40% des suicides sont causés par de tels troubles. Selon une enquête à laquelle se réfère l'OMS, la moitié des cancéreux présentent des troubles psychiatriques, 38% de ces malades souffrent de dépression, et 85% présentent un état confusionnel.
La remarque est plutôt judicieuse, non ?


Il existe encore un certain nombre de facteurs, mois évidents que les troubles psychologiques, susceptibles de fausser la liberté d'une personne gravement malade.

On peut affirmer avec Meynard que le suicide dicté sous l'emprise d'une passion violente n'est pas un acte de pleine liberté, de pleine lucidité, du moins dans la mesure où la volonté se trouve désormais captive de l'aveugle déchaînement. Il en est de même pour la réaction de panique.

Une personne attentant à ses jours parce qu'endurant des souffrances extrêmes agit le plus souvent de façon hétéronome, et non dans une authentique liberté. Meynard souligne que dans certains cas, la souffrance dépossède le moi de son autonomie, Ce n'est parfois plus vraiment l'individu qui fait un choix rationnel, responsable et libre, c'est plutôt la souffrance qui tend à induire des choix qui pourraient être regrettés par la suite, et l'expérience démontre que c'est parfois le cas.

Il faut noter l'influence de l'isolement dans lequel l'entourage laisse parfois un malade, l'insuffisance de relations humaines authentiques, le manque de soutien des proches allant parfois jusqu'à l'abandon : ces facteurs ont une lourde influence sur la volonté de la personne qui décide de mettre fin à ses jours.

L'exemple de sainte Thérèse de Lisieux est sur ce point significatif : durant une période de grandes souffrances, après un nuit terrible, elle a demandé qu'on ne laisse pas de médicaments mortels au pied de son lit, par peur qu'elle en vienne à se donner la mort. La situation met bien en évidence la différence entre le niveau volontaire, contrastant avec l'hétéronomie provoquée par la souffrance extrême.

p. 174

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Cinci » mer. 19 juin 2019, 14:58

Et il continue :
Sont encore à signaler nombre de forces partiellement hétéronomes agissant sur un individu : l'inconscient, les pressions sociales ou idéologiques, les manipulations médiatiques, le conformisme social, l'influence des moeurs et de la culture, le poids du passé et de l'éducation, certaines insinuations de l'entourage ainsi que le regard parfois dévalorisant des soignants. Tous ces facteurs ôtent au candidat à la mort une partie plus ou moins grande de sa liberté. Il est intéressant de rappeler les répercussions du roman de Goethe, Werther, lequel a entraîné un grand nombre de personnes à se suicider pour imiter le héros du récit : on est en droit de se demander si ces personnes étaient pleinement libres. On ne peut certes pas considérer tous les suicides comme une pathologie engendrée par la société, ainsi que le faisait Émile Durkheim, mais on ne peut pas non plus exclure que ce soit le cas pour un certains nombre de suicides.

La psychologie moderne nous rend également attentifs au fait que le désir de mort du malade peut être une projection du désir de l'entourage : les soignants, les parents peuvent induire le patient à demander la mort par un désir trop criant de mettre fin coûte que coûte à une situation difficile. Dans cette ligne, le désir de mort peut encore être "une contrainte générée par l'inconscient collectif". Je ne peux qu'approuver E. Goldenberg lorsqu'il affirme qu'il est criminel de suggérer à un mourant que la seule sortie "digne" est l'euthanasie. Il faut encore noter que le contexte social et culturel, les valeurs cultivées par une société peuvent créer une atmosphère conditionnant l'attitude de ses membres envers la vie, voire engendrant un climat suicidaire ou mortifère; ils peuvent à la longue influencer de manière décisive les tendances suicidaires.

L'histoire de Muriel. reproduite dans l'annexe VIII illustre très bien cette manipulation de la liberté des malades.

p. 175
(à suivre)

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Cinci » mer. 19 juin 2019, 15:54

Histoire de Muriel

L'autre histoire que je voulais raconter, c'est l'histoire d'une jeune fille, Muriel, qui avait la même pathologie que l'autre adolescente et qui était chez elle, comme on dit, en fin de parcours également. Elle était sous antalgique puissant, morphine, morphinique, etc.

On avait une très bonne relation avec cette gamine mais peut-être encore plus avec ses parents. Moi spécialement avec la mère qui venait me voir à chaque fois qu'elle était en radiothérapie et l'on discutait de la fin de cette enfant. Et un beau jour elle est montée me voir, c'était un vendredi, et elle m'a dit : "Écoutez ce n'est plus possible, il faut la rentrer, on n'en peut plus, et elle non plus elle n'en peut plus. Elle se voit des bosses pousser partout, elle voit sa déchéance physique c'est insupportable, il faut la rentrer ... Et c'est vrai que cette enfant était devenue d'une laideur cauchemardesque et qu'elle avait des métastases qui lui poussaient partout, c'était vraiment la fin quoi ... Ils avaient profité d'une très bonne rémission pendant un an mais là depuis deux mois c'était une agonie atroce pour les parents et on le savait ...

Donc on est allés la chercher. On a discuté longtemps parce qu'à la fois elle voulait être hospitalisée et à la fois elle ne le voulait pas, parce que je pense qu'elle savait que si elle entrait c'était pour mourir ... elle était comme cela, Muriel, c'était une ado très bizarre, assez géniale, très ambivalente ... Après sa mort, on a retrouvé son journal intime, à la fois elle disait qu'elle ne voulait pas souffrir, qu'elle trouvait cela inutile mais en même temps elle voulait vivre ...

Elle écrivait ... qu'elle savait qu'elle allait mourir, qu'elle avait un cancer, qu'elle était foutue. Mais en même temps elle faisait des projets d'avenir. Ils avaient emménagés dans un nouvel appartement. Alors elle dessinait des plans pour la décoration de sa chambre qu'elle n'a jamais voulu habiter ... elle couchait avec ses parents mais elle poussait son père à travailler jour et nuit pour en achever la décoration dans les moindres détails ... et les parents suivaient les moindres mouvements de pendule depuis deux mois, mais ils devenaient fous.

Bon, elle a fini par consentir et elle est entrée ... On l'a mise dans une chambre d'isolement et l'assistante du service est allée la voir et elle lui a dit : "Muriel, tu es déshydratée, tu es toute sèche, je vais te poser une perfusion." Elle a répondu : "Mais non je bois, je mange, je vais manger, je ne veux pas de perfusion."

- Mais tu souffres. On pourra te mettre des calmants dans ta perfusion, tu seras soulagée, - Non, je ne souffre pas. Je pourrais peut-être prendre un peu de médicaments comme ça, non, non, je ne veux pas ... non, non, je t'en prie ..." L'assistante a encore insisté et, là, Muriel a hurlé : "Non, je ne veux pas de perfusion. Non, Érika, je t'en supplie, ne fais pas ça."

Et Érika est sortie bouleversée de la chambre en expliquant cela aux infirmières qui ont toutes dit ... :"Moi, dans ces conditions, je ne pique pas ... je ne la pique pas si elle n'est pas d'accord." Et la mère, les parents qui étaient là tous les deux !

Et puis c'est Béatrice qui s'en est occupée. Elle est retournée la voir, elle a discuté et, finalement, elle l'a convaincue et lui a posé sa perfusion. Muriel a fini par accepter et elle s'est endormie. Elle s'est endormie, bon, en se réveillant de temps en temps et puis après ... elle s'est rendormie profondément et elle a fait son coma ... enfin, le coma des antalgiques est vite fait ... enfin des morphiniques.

- Béatrice, pourquoi fallait-il la convaincre ?

Béatrice : Moi, quand je suis allée la voir, il n'était pas question que je la perfuse tant qu'elle n'était pas prête. Et je suis allée la voir, je lui ai expliqué la même chose, je lui ai dit : "Tu es déshydratée, tu seras mieux. Si tu veux, je déjeûne, je te laisse le temps de souffler un peu et je reviens, on en discute tout à l'heure. Quand je suis revenue au bout d'une heure, elle m'a dit : "Bon, pique maintenant". Alors là, je l'ai piquée ...

- Et qu'est-ce qui se serait passé si on ne l'avait pas piquée ?

Béatrice : Ce qui se serait passé ...

Elle aurait souffert ... Elle aurait souffert parce que ses tumeurs continuaient de pousser et elle avait une tumeur, notamment, qui, entre le matin et le soir, avait ... projeté son oeil en avant, c'était vraiment une horreur. Ah oui, c'était affreux.

Elle aurait souffert, elle aurait demandé d'elle-même un peu plus tard.

Et puis la vérité c'est qu'on aurait craqué, que les parents surtout auraient craqué ... Quand elle s'est endormie, enfin quand elle a fait son coma, on a tous poussé un ouf de soulagement ... On l'a laissée seule avec ses parents qui eux manifestement étaient très apaisés ... nous on pensait en avoir fini, on pensait avoir fait notre travail; comme elle avait les poumons criblés de métastases on s'attendait à ce qu'elle fasse une détresse respiratoire très brève et puis qu'elle ... s'éteigne ... au lieu de ça elle s'est mise à respirer avec un dixième de poumon en consommant très peu d'oxygène et en fait avec un souffle très court, tout était parfait à l'auscultation ... Respiration parfaite, coeur parfait ... Et là on a vu le moment où ça pouvait durer encore longtemps, elle ne se serait pas réveillée mais elle pouvait continuer comme ça ... là les parents ont dû sentir qu'on ne savait plus très bien parce qu'ils nous ont demandé l'euthanasie ... Alors on a mis une dose de valium qui n'a produit aucun effet, on a mis deux fois la dose mortelle sans résultat ... Alors on a dû paniquer ... Comme le valium n'agissait pas je suis passée à des produits plus dégueulasses dont on est pas sûr qu'ils ne font pas souffrir même quelqu'un dans le coma ... et là elle est morte mais j'ai toujours ce doute que peut-être elle a souffert.

Alors voilà, si je n'avais pas flippé devant les parents qu'on aimait beaucoup ... peut-être qu'on aurait laissé faire le temps ... n'empêche que même si ça été dur dans la forme, la mort de Muriel, je crois quand même que c'était un vrai, un bon accompagnement. Pour les parents en tout cas ... C'est vrai que quand j'ai ajouté les dernières drogues, c'est moi qui l'ai fait, j'étais en face de cet enfant de quinze ans, et je me suis dit une heure, trois heures, la nuit en plus, ça apporte quoi à qui ? Alors j'ai pensé aux deux adultes de quarante ans dans la pièce d'à côté qui avaient encore tout une vie à vivre ...

Témoignage tiré de B. Martino, Voyage au bout de la vie, cité dans M. Maret, L'euthanasie. Alternative sociale et enjeux pour l'éthique chrétienne, p. 383 ( en annexe)

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Cinci » mer. 19 juin 2019, 16:08

La tradition catholique :

Saint Thomas d'Aquin

La première raison est que tout être s'aime naturellement lui-même; de là vient qu'il s'efforce, selon cet amour inné, de se conserver dans l'existence et de résister autant qu'il se peut à ce qui pourrait le détruire. Aussi le suicide va-t-il contre cette tendance de la nature, et contre la charité que chacun doit se porter à soi-même. Le suicide sera donc toujours un péché mortel, à cause de son opposition à la loi naturelle et à la charité.

De plus, la partie, en tant que telle, est quelque chose du tout. Or l'homme est dans la société comme une partie dans un tout; tout ce qu'il est appartient donc de quelque manière à la société. Par le suicide, l'homme se rend donc coupable d'Injustice envers la société à laquelle il appartient.

Enfin la vie est un don de Dieu concédé à l'homme, et qui demeure toujours soumis au pouvoir de Celui qui fait vivre et mourir. Aussi qui conque se prive lui-même de la vie pèche contre Dieu, absolument comme celui qui tue l'esclave de son prochain, lèse les droits du maître de cet esclave, ou comme pèche encore celui qui s'arroge le droit de juger une cause qui ne relève pas de sa juridiction. Décider de la mort ou de la vie n'appartient qu'à Dieu seul ; Il nous dit, en effet, dans l'Écriture : "C'est moi qui fais mourir et qui fais vivre."

- Somme théologique, II-II, q. 64

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Cinci » mer. 19 juin 2019, 16:37

Quelques chiffres ...

Un article des auteurs de l'Enquête Remmelink aux Pays-Bas a comparé l'évolution de l'opinion publique entre les années 1966 et 1991. Cet article montre le passage de 39% de personnes absolument d'accord avec l'euthanasie en 1966, à 57% en 1991. Pour des chiffres plus globaux, je me réfère à un article de Y. Kénis se fondant sur 26 enquêtes réalisées entre 1980 et 1989 dans 14 pays. Ses conclusions sont les suivantes : "Dans toutes ces enquêtes, une majorité des personnes interrogées (de 56 à 84%) s'est exprimée en faveur de l'euthanasie active, dans certaines conditions (ex : pour un malade incurable et dont les souffrances sont intolérables). Dans les pays d'Europe, la majorité en faveur de l'euthanasie active a été de 60 à 80%. Ce constat de l'auteur, montrant une majorité en faveur de l'euthanasie, rejoint les chiffres d'un sondage récent en Suisse, révélant que près de 80% de personnes sont en faveur de l'euthanasie, ainsi que l'enquête de 1994 en Australie, qui donnait les mêmes chiffres, et est confirmé par le Service des affaires européennes : "Les sondages révèlent, dans tous les pays, un pourcentage croissant d'opinions favorables à l'euthanasie : entre 70 et 80 % des personnes interrogées sont d'accord pour qu'un médecin puisse mettre un terme à la vie d'un patient qui en aurait préalablement fait la demande par écrit et qui souffre d'une maladie incurable. " (Sénat, L'euthanasie, p. 1)

Du côté des médecins ...

Concernant les médecins se déclarant en faveur de l'euthanasie : "Avant 1988, le taux de réponses positives est toujours inférieur à 50% et se situe de façon presque constante entre 30 et 40%. Les cinq sondages réalisés en 1988, dont un en Belgique, donnent des résultats nettement plus élevés : de 50 à 70% de réponses positives, c'est à dire une majorité d'avis favorables à la pratique de l'euthanasie dans certaines circonstances, et qui se rapprochent de ceux de la population générale."

Il est important de signaler que pratiquement toutes les autorités médicales se déclarent fortement opposées à l'euthanasie. Il existe donc un certain décalage entre les pratiques ainsi que les opinions médicales, et les règles de déontologie médicale.

p. 43

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Cinci » mer. 19 juin 2019, 17:09

Critique :


Liberté autarcique ou liberté relationnelle ?

Le monde occidental contemporain, qui a érigé l'autonomie en valeur suprême, tend à réduire soit le suicide soit l'euthanasie à un acte purement individuel, sans conséquences sociales du moment qu'il ne lèse pas directement les droits d'autrui. Il est un autre discours moins fréquent estimant que le suicide et l'euthanasie ne sont pas des actes isolés, mais qui ont au contraire à la fois des causes et d'importantes conséquences sociales.

Les deux courants affirment la liberté de l'être humain, mais pas de la même manière. Il semble que l'on se trouve en face de deux anthropologies très différentes : la première est une anthropologie de l'autonomie, où celle-ci s'avère la valeur suprême de l'être humain; la seconde est une anthropologie de la communion, plus relationnelle, où l'homme est considéré comme un être social par nature, qui ne peut se réaliser que par les autres et dans des relations anthropologiques où la liberté même est marquée par les relations interpersonnelles.

Je pense avec H. Doucet que l'approche du premier courant est fondée sur une interprétation partielle de l'être humain, une interprétation essentiellement individualiste. Si l'homme est un être sociale par nature, présenter la liberté (comprise dans le sens de la modernité) comme le bien suprême de son existence ne peut être que réducteur.

Il est intéressant de faire écho à ce que Xavier Thévenot écrit de l'autarcie précisément dans le contexte de l'euthanasie :
Xavier Thévenot :

L'autarcie c'est le fait d'être en tout son propre maître et de disposer sur soi-même, dans toutes ses dimensions (biologique, psychique, sociale) d'un pouvoir absolu. Affirmer l'autarcie du sujet humain c'est affirmer qu'il n'a de comptes à rendre à personne quant à l'usage qu'il fait de son corps, de son intelligence, de son affectivité ... et de sa vie. C'est affirmer le droit au suicide, le droit de quitter ce que nous avons appelé l'entretien social dans lequel il est entré le jour de sa conception. Or tant du point de vue de la philosophie que de la théologie, l'autarcie apparaît comme une illusion dangereuse. (la bioéthique)
La liberté de tout individu, qu'il le veuille ou non, est inévitablement influencée par le contexte social dans lequel il est inséré dès sa conception. Son goût de vivre dépend en partie du goût de vivre qui lui a été communiqué dès avant sa naissance par sa mère, ainsi que de celui qui s'est développé dans les relations interpersonnelles tout au long de son existence.

Cela est bien exprimé par B. Ribes :

"Pour personnelle que soit l'existence de l'individu et irréductible sa liberté, à aucun stade de son existence il ne peut se réaliser lui-même ni actualiser sa liberté sans les autres : ils sont pour lui une condition aussi nécessaire que son propre corps; il ne peut donc s'en abstraire jusque dans son approche de la mort. L'individu n'est pas liberté pure, mais liberté socialement incarnée."

Si elle n'inclut pas cette dimension de réciprocité, la liberté tend au solipsisme, à l'autarcie, elle tend à désagréger la personne, le tissu communautaire et toute la société. La liberté fondant le suicide rationnel et l'euthanasie volontaire me paraît par conséquent réductrice, car dépourvue de la dimension relationnelle qui lui est inhérente si elle veut rester authentiquement humaine.

p. 182

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Suliko » mer. 19 juin 2019, 21:19

Bonjour

Ce récit sur Muriel a quelque chose de profondément monstrueux ! A lire ce récit, on a l'impression que l'infirmière qui parle de perfusion ne précise même pas à la malade qu'il s'agit de la plonger dans un semi-coma avec issue fatale ! C'est quand même dingue, non ? Et surtout, aucun, mais alors absolument aucun accompagnement spirituel ! Non seulement on euthanasie passivement les gens, mais en plus, ils meurent sans sacrements, sans Dieu, sans rien. Il vaudrait mieux souffrir pendant des années que subir une telle mort. En lisant ce récit et le vide spirituel dans lequel il s'inscrit, vide qui explique en grande partie le refus de la souffrance, je n'ai pu m'empêcher de penser à un texte de Mgr de Ségur sur la mort de sa mère. Son agonie fut longue et très pénible, d'autant plus qu'à l'époque, on n'avait pas autant de médicaments pour apaiser les douleurs, et son fils n'en cache guère les détails, mais tout cela fut vécu dans un tel esprit de foi et de soumission à Dieu que la lecture en est très édifiante. La différence avec nos modernes, c'est Dieu. S'il n'y a pas de paradis et d'enfer, si la vie n'a aucun sens, alors la souffrance est incompréhensible et on préfère la fuir en se faisant euthanasier passivement ou activement. Voilà la vérité. Mais la solution, la vraie, qui serait de revenir à la foi, étant rejetée par principe, je ne vois pas l'Europe sortir de cette situation dans un avenir proche...
C'est pourquoi elle seule, prédestinée avant les générations et annoncée par les prophètes, la Mère du Créateur de tout l'univers, non seulement n'a participé en rien à la tache originelle, mais elle est toujours demeurée pure comme le ciel et toute belle. (extrait du règlement pour le monastère de Biélokrinitsa (1841)

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par zelie » jeu. 20 juin 2019, 9:32

Chère Suliko, merci infiniment!
Vous serait-il possible de retrouver ce témoignage de Mgr Ségur et de nous le partager? Pour avoir autre chose comme témoignage...

Cher Cinci,
les chiffres que vous citez n'ont pas été formulés à des dates au hasard ; depuis 1980 environ, et tout au long des années 1978-1990, il y a eu une vague de livres, d'interviews, de conférences pro-euthanasie comme outil de la société future. A coté de Léon Schwartzenberg, on trouve en autres devinez qui... Jacques Attali, -le saint homme-, qui a participé à un ouvrage collectif sur le sujet en 1981, recueil d’entretiens mené par Michel Salomon sorti il y a près de 30 ans, en 1981, et intitulé «l’avenir de la vie» ( coll. Les Visages de l’avenir ed. Seghers), où il déclare tranquillement : (de: https://www.liberation.fr/checknews/201 ... ns_1684599)
«L’euthanasie sera un des instruments essentiels de nos sociétés futures dans tous les cas de figure. Dans une logique socialiste, pour commencer, le problème se pose comme suit : la logique socialiste c’est la liberté et la liberté fondamentale, c’est le suicide ; en conséquence le droit au suicide direct ou indirect est donc une valeur absolue dans ce type de société.

Dans une société capitaliste, des machines à tuer, des prothèses qui permettront d’éliminer la vie lorsqu’elle sera trop insupportable, ou économiquement trop coûteuse, verront le jour et seront de pratique courante. Je pense donc que l’euthanasie, qu’elle soit une valeur de liberté ou une marchandise, sera un des règles de la société future»,
L'euthanasie, à l'époque, c'était le truc révolutionnaire, vous savez, ce genre de choses qui attise autant et même plus qu'il choque, et où "chocking" mais curieux, on achète le magazine, le livre "pour savoir", "pour comprendre", et on en ressort séduit, voire convaincu, par des personnes à l'éloquence rare et où l'esprit de fer est tellement bien habillé d'un bonnet de velours... Et cela produit tellement bien son petit effet qu'on y perd son esprit critique ; "ouais, finalement, l'euthanasie, c'est pas tuer, parce que tuer c'est quand on est méchant, alors que l'euthanasie c'est quand on est gentil, qu'on aime tellement qu'on ne veut pas voir souffrir". Tout est en place pour un effet papillon : d'une idée banalisée sortira à terme un génocide appelé de nos voeux, où la nazisme n'aura plus besoin d'exister, car nous serons nous-mêmes nos propres bourreaux.
Il faut savoir que ces livres avaient tellement d'influence dans les milieux médicaux, hospitaliers, intellectuels que dès la bac fini et l'arrivée en fac, on nous les recommandait chaudement, et même, pour une de mes profs, le livre de Schwarzenberg était dans sa liste de lectures obligatoires...!! La même prof nous faisait avaler aussi que la démission de ministre de la santé de Schwarzenberg était une "occasion ratée", sorte de dommage pour l'humanité dans son esprit, parce que "lui, enfin, aurait fait bouger les choses"...
Et c'est pas la seule ineptie qu'on nous faisait avaler ; on nous prédisait la disparition de la population noire d'Afrique à cause du Sida et de l'industrie pharmaceutique qui ne pouvait sauver tant de monde sans être grassement payée parce que sinon elle ferait faillite, pauvre petite industrie, alors que quelques années plus tard, quand Pfizer rachètera un conglomérat américain, il le fera sans recourir aux emprunts tout en sortant cash une somme avoisinant les 90 milliards de dollars...
Et que les femmes qu'on engueule quand elles accouchent c'est normal elles sont hystériques il faut les calmer...
Mais je vous passe les détails, vous voyez l'ineptie inhérente à l'époque? Une époque typiquement post-années 60/70, où tout ce qui a été semé a commencé à bien germer? La condition des femmes par exemple, libérées et mères célibataires jusque dans les chansons, alors que c'est un drame de n'avoir qu'un seul parent, et que cela demande de protéger la mère et l'enfant, et tant, tant d'autres choses...

Donc les études que vous citez, elles n'ont été ni plus ni moins demandées, à un point zéro, celui juste avant le boom de mode de l'euthanasie, mais "euthanasie que pour les moribonds, les mourants, pas les vieux, pas les handicapés, pas les souffrants, juste les mourants" en nous faisant avaler que ça en resterait là, (mon oeil!), et ensuite elles ont été renouvelées 10 ans plus tard, pour pouvoir constater les effets des écrits des sommités de l'époque. Et force est de constater que leurs idées ont pénétré l'esprit des gens.
L’intégrisme est un refuge pour la misère parce qu’il offre un sursaut d’espérance à ceux qui n’ont rien.
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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par Valentin » jeu. 20 juin 2019, 10:39

Suliko a écrit :
mer. 19 juin 2019, 21:19
En lisant ce récit et le vide spirituel dans lequel il s'inscrit, vide qui explique en grande partie le refus de la souffrance, je n'ai pu m'empêcher de penser à un texte de Mgr de Ségur sur la mort de sa mère. Son agonie fut longue et très pénible, d'autant plus qu'à l'époque, on n'avait pas autant de médicaments pour apaiser les douleurs, et son fils n'en cache guère les détails, mais tout cela fut vécu dans un tel esprit de foi et de soumission à Dieu que la lecture en est très édifiante. La différence avec nos modernes, c'est Dieu. S'il n'y a pas de paradis et d'enfer, si la vie n'a aucun sens, alors la souffrance est incompréhensible et on préfère la fuir en se faisant euthanasier passivement ou activement.
En effet.

Au-delà du problème concret de l'euthanasie, il y a le mal plus profond qui est à sa source : la lâcheté devant la vie (qui est souffrance), induite par ce nihilisme moral qu'est le relativisme.
Dernière modification par Valentin le jeu. 27 juin 2019, 20:07, modifié 4 fois.

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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par PaxetBonum » jeu. 20 juin 2019, 10:42

Je n'ai pas encore lu les différentes interventions mais je ne peux m'empêcher de citer Desproges concernant le Dr Schwazenberg :

'Je vais citer 4 mots chercher l'intrus : cancer, métastases, Schwarzenberg, espoir…'
Et la phrase qu'il avait demandé à publier pour annoncer sa mort (finalement sa femme ne lui a pas obéi de peur d'un procès) : « Pierre Desproges est mort d'un cancer sans l'assistance du professeur Schwartzenberg »
Pax et Bonum !
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Re: Le problème avec l'euthanasie

Message non lu par zelie » jeu. 20 juin 2019, 10:42

L'histoire de Muriel est monstrueuse à plus d'un titre ; d'abord le vide spirituel, du moins apparent. Ensuite l'errance des parents derrière les derniers voeux d'une enfant en début de deuil, en phase de marchandage, qui est une phase d'angoisse, et là, aucun accompagnement psychologique n'est mentionné, comme libérer les parents du coté "sacré" des derniers voeux où ces pauvres parents s'esquintaient à réaliser l'irréalisable, l'irraisonnable. Cela aussi enfonce le clou du vide spirituel.

Enfin une enfant à qui on ne laisse aucune autre voie que l'euthanasie, à laquelle on prépare les parents, qui forcément, comme toute personne qui souffre beaucoup, va demander l'arrêt de sa propre souffrance, car ce sont eux, qui souffrant de l'épuisement lié à la perte, à la maladie qui déforme, etc.., ont été écoutés, un peu trop écoutés et beaucoup trop vite, dans le service de fin de vie.
Cela va tellement loin que devant le refus réïtéré de Muriel, les adultes du service se relaient, en lui disant qu'ils vont respecter ses choix alors qu'en fait le but ultime est unique : arriver à la persuader, c'est à dire à la faire craquer pour lui arracher un oui, exactement comme font les policiers avec les ados délinquants, les parents qui manipulent leur enfant pour les faire accepter un truc que l'enfant ne veut pas. C'est une conduite typique de manipulation, devant une enfant typique de cet âge qui n'a que peu de défenses en dehors de son coup de gueule, et qui perdue devant le front parents-équipe, craque, comme aurait fait n'importe quel ado en pareille situation, parce que cette réaction qui accepte vite après un premier rejet, elle est généralisable, on la voit tous les jours avec les enfants qu'on destine à n'écouter que les adultes et à se nier soi-même! C'est hideux d'ignorance et d'orgueil de la part de l'équipe d'avoir aussi peu de recul sur ce qu'est la dignité humaine et la réflexion qu'on doit avoir dessus.

On touche là aussi un autre point: les services de fin de vie servent à mourir, les services de soins palliatifs servent à accompagner dans le confort et l'attente de la mort naturelle. Pourtant, dans les faits, la limite peut être ténue; le même médicament qui calme, si on augmente la dose, peut être celui qui tue. Et être mal orienté, et se retrouver à mourir alors que la demande profonde est d'être aidé et accompagné dans le respect des choix profonds,(non dits car on n'a pas les mots ou les concepts pour le dire, mais qui correspondent à notre ressenti profond), est une erreur qui peut se produire très, trop, facilement.

Ce témoignage, qui est celui d'une assistante, vraisemblablement une interne ou une infirmière, pointe bien l'horreur de l'euthanasie chez la personne qui n'est pas aux dernières extrémités, qui n'est pas mourante ; la mise à mort, car cela en a été une, est une lutte où l'on doit s'acharner pour arriver à tuer, à éradiquer le vivant... Ce qu'elle raconte est digne des condamnations à mort texanes:
là les parents ont dû sentir qu'on ne savait plus très bien parce qu'ils nous ont demandé l'euthanasie ... Alors on a mis une dose de valium qui n'a produit aucun effet, on a mis deux fois la dose mortelle sans résultat ... Alors on a dû paniquer ... Comme le valium n'agissait pas je suis passée à des produits plus dégueulasses dont on est pas sûr qu'ils ne font pas souffrir même quelqu'un dans le coma ... et là elle est morte mais j'ai toujours ce doute que peut-être elle a souffert.
Les parents et les soignants paniquent... forcément! Quand on noie son chat, qu'il se débatte ou pas, il faut aller jusqu'au bout, on est formatés comme ça, on doit réussir, surtout un acte aussi contre-nature, qui s'il échouait à la première tentative, nous renverrait à un tel questionnement, à une telle prise de conscience qu'on ne s'y risquerait pas une deuxième fois, et qu'on souffrirait immensément de notre aveuglement premier.
Il faut en rester à ne pas se poser de questions, à ne pas renoncer à son aveuglement pour faire un acte contre-nature et lui survivre ensuite. Les guerres en sont un exemple typique. La souffrance forte engendre toujours un réflexe de survie, mais pour soi, pas pour celui en face de nous, fut-il notre enfant, et au jeu de l'euthanasie, et c'est frappant dans l'exemple de Muriel, l'équipe a préservé les parents et achevé une enfant avec des médicaments engendrant une telle souffrance que son coeur s'est arrêté, mais cela, ils ne sont pas capables de lui laisser une autre place que celui du doute, qu'on gère dans le vague pour survivre à sa propre culpabilité. Alors qu'au fond, on SAIT : le produit était mortel à coup sûr et inhumainement douloureux. C'est tellement bien connu que les vétos avertissent les propriétaires d'animaux que celui ci va souffrir et passer un sale moment, mais que de quelques secondes, parce que le produit est TRES efficace... La pharmacopée est un outil puissant, mais tuer quelqu'un de 60 kilos, c'est autre chose que de tuer un chien écrasé... Je vous laisse imaginer les doses et la lutte de Muriel.
L’intégrisme est un refuge pour la misère parce qu’il offre un sursaut d’espérance à ceux qui n’ont rien.
Que leur mal disparaisse, et l’intégrisme perdra ses troupes. L'Abbé Pierre
Vis vraiment chaque instant. Fais-le meilleur. Aime-le. Chéris-le. Fais-le beau, bon pour toi-même et pour Ton DIEU. Ne néglige pas les petites choses. Fais-les avec Moi, doucement. Fais de ta maison un Carmel où Je puisse Me reposer. Jésus, Premier Cahier d'Amour

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