Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

« Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu'il sache discerner le bien du mal » (1R 3.9)
Règles du forum
Forum de discussions entre chrétiens sur les questions morales et éthiques. Certaines discussions de ce forum peuvent heurter la sensibilité des jeunes lecteurs.
mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 14:17

Bonjour à tous,
Dans le cadre d'une discussion avec Suroît, nous avons évoqué rapidement le mensonge et ce qui le caractérisait. Ce sujet est assez compliqué et pose parfois de sacrés cas aux moralistes. Je vais essayer de définir ici ce qui caractérise le mensonge.

Tout acte moral est composé d'un objet et d'une intention (sans volonté, la porté de l'acte disparait). Quand une expression est un acte moral, on retrouve donc ces 2 éléments: la moralité de l'expression est composée de son objet (le vrai ou le faux matériel), et d'une intention.
Contrairement à d'autres actes moraux, dans l'expression, on peut distinguer une double intention: une intention formelle, qui est de vouloir dire ce que je dis, et une volonté efficiente, qui est le but ultime que l'on recherche.
On peut donc trouver dans un énoncé une triple fausseté:
- fausseté matérielle (ce que je dis est faux)
- fausseté formelle (j'ai l'intention de dire quelque chose de faux)
- fausseté efficiente (j'ai l'intention de tromper mon interlocuteur)
Selon St Thomas d'Aquin (et les moralistes sont d'accord avec lui):
- la fausseté matérielle ne constitue pas le mensonge: je peux dire quelque chose de faux sans mentir, c'est juste une erreur;
- la fausseté formelle est l'essence même du mensonge: si j'ai l'intention de dire quelque chose de faux, j'ai une volonté déréglée, et je fais un mensonge (même si en fait, je dis quelque chose de vrai)
- enfin, la fausseté efficiente n'est pas non plus essentielle au mensonge; même si c'est rare, il peut arriver que je mente sans avoir pour objectif de tromper l'autre. Par contre quand c'est le cas, on parle d'une certaine "perfection" du mensonge. Cette intention ultime va aggraver ou diminuer la faute, mais sans changer la nature de l'acte.

Conclusion, le mensonge réside uniquement dans la volonté d'énoncer quelque chose de clairement faux. le mensonge est par nature trompeur.

Ca, c'est dans la théorie, parce que dans la pratique, c'est bien plus fin et compliqué de ça.

Les moralistes vont bien plus loin que St Thomas sur les cas particuliers.
Par exemple, si je dis que 2+2=5 en étant sûr que personne ne m'entend, il n'y a pas mensonge, puisque comme il n'y a personne pour être trompé, la nature trompeuse s'en va.
De plus, tout énoncé est émis dans un contexte et des circonstances objectifs. Pour comprendre le sens de l'expression, il faut prendre en compte ce contexte, car, suivant celui-ci, l'énoncé peut avoir un sens totalement différent de sons sens obvie. Par exemple, quand on dit "monsieur n'est pas là", tout le monde comprend qu'il ne reçoit pas. Ce contexte linguistique est objectif, tout le monde s'en rend compte. Il 'y a donc pas mensonge.
Autre exemple plus parlant, quand on raconte une histoire aux enfant, les circonstances, visibles par tous, vont faire que tout le monde va comprendre qu'il s'agit d'une histoire: il n'y a donc pas mensonge, de même pour les pièces de théâtre.

Enfin, il y a le cas des paroles qui ne renvoient à aucune vérité historique, mais qui sont seulement des symboles; selon St Thomas, il n'y a pas mensonge, puisque le mensonge consiste à ne rien signifier, ou alors quelque chose de faux, alors qu'en l'occurrence, on signifie bien quelque chose (même si ce n'est pas le sens premier qu'il faut considérer dans ce cas là.

Bon, je vais m'arrêter là dans un premier temps, je développerai peut être par le suite le cas de la restriction mentale et de la dissimulation de la vérité, si ça en intéresse certains.
N'hésitez pas à me dire si ce n'est pas clair, le sujet étant complexe, il est difficile d'en faire un résumé.

Cordialement.

Avatar de l’utilisateur
prodigal
Amicus Civitatis
Amicus Civitatis
Messages : 2292
Inscription : mar. 09 juil. 2013, 10:32

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par prodigal » mer. 23 oct. 2019, 15:01

Moi non plus je ne comprends pas.
Qu'on puisse dire le faux sans mentir, c'est clair. Cela arrive chaque fois que l'on se trompe.
Mais dans quel cas peut-on mentir sans vouloir tromper l'autre?
De plus, si j'ai l'intention de dire le faux en sachant qu'il est faux, c'est bien pour tromper autrui, non?
A moins que vous ne faites allusion au mensonge joyeux, c'est-à-dire à la plaisanterie qui consiste à dire quelque chose de faux (oh, vous avez vu, une péniche volante!). Mais là encore, la plaisanterie n'est potentiellement drôle que si autrui est trompé.
Donc, je ne comprends pas. Auriez-vous des exemples?
"Dieu n'a pas besoin de nos mensonges" (Léon XIII)

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 15:39

Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 14:34
J'ai du mal à comprendre la différence réelle entre fausseté efficiente et fausseté formelle dans le cadre du mensonge. N'est-ce pas une distinction de raison, qui vaut pour l'esprit? Quand je ment, je fais un acte de langage envers autrui, alors il y a toujours un interlocuteur.
Si la fausseté efficiente est l'intention de tromper son interlocuteur, en quoi le mensonge est accidentel? Et la fausseté formelle, avec l'intention de dire faux, ne devient-elle pas un mensonge?
Il y a bien distinction entre fausseté formelle et fausseté efficiente, distinction qu'on remarque plus facilement dans les cas pratiques.
Comme je l'ai dit, le mensonge réside dans le fait de dire volontairement quelque chose qu'on croit faux. Effectivement, quand il y a mensonge, il y a la plu part du temps une envie de tromper l’interlocuteur. Mais l'inverse n'est pas vrai. Prenons un exemple, assez onnu d'ailleurs.
Pendant la révolution française, un vendéen abrita un prêtre chez lui et le logea dans une remise, au fond du jardin; un jour, un garde républicain vint chez lui et lui demanda s'il y avait un prêtre dans cette maison. Le vendéen, tout contant de la forme de la question, répondit "non, il n'y a pas de prêtre dans cette maison" (car la remise ne faisait pas partie de la maison).
Dans ce cas là, on voit bien que le vendéen avait bien, comme intention finale, de tromper le garde républicain. Mais il n'a pas menti. On a donc bien une fausseté efficiente (intention de tromper) sans mensonge. Donc le mensonge n'est pas essentiel, mais bien accidentel à la fausseté efficiente.
La fausseté formelle, c'est l'intention de dire le faux, pas l'intention de tromper.
En fait, cette distinction entre la fausseté formelle et efficiente est surtout utile lorsqu'on traite de la dissimulation de la vérité et de la restriction mentale.
Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 14:34
Ou alors il faut aussi ajouter le problème du mensonge envers soi-même. Quel sens peut avoir une telle expression? Là c'est un gouffre psychologique, une énigme à mes yeux.
Je me demande si les passages de Jean sur les ténèbres qui rejettent la Lumière, qui ne l'accueillent pas, qui se cachent d'elle pour accomplir ses œuvres, ne concernent pas entre autre le problème du mensonge envers soi-même, si cela existe. Une sorte de mauvaise foi qui se convainc de son illusion, qui y tient tellement qu'elle en finit par se persuader que c'est vrai. Mystérieux...
On peut effectivement trouver des gens qui se "mentent" à eux même, mais le mot mensonge n'est pas ici dans son sens usuel.
Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 14:34
Juste ce texte de Saint Augustin sur le mensonge, défini comme duplicité de coeur impliquant l'intention de tromper autrui :
Saint Augustin, Du mensonge

Ainsi donc mentir, c'est avoir une chose dans l'esprit, et en énoncer une autre soit en paroles, soit en signes quelconques. C'est pourquoi on dit du menteur qu'il a le cœur double, c'est-à-dire une double pensée : la pensée de la chose qu'il sait ou croit être vraie et qu'il n'exprime point, et celle de la chose qu'il lui substitue, bien qu'il la sache ou la croie fausse.
Le mensonge n'est-il pas l'intention de dire faux et de tromper? Ou disons que l'intention de dire faux devient une tromperie quand elle s'adresse à un interlocuteur? Sans cela, ces distinctions paraissent abstraites.
Cette citation de St Augustin va bien dans le sens de St Thomas (il l'utilise d'ailleurs dans sa somme théologique). St Augustin, ici, dit clairement que le mensonge réside dans le fait de penser une chose et d'en dire une autre, il ne parle pas de l'objectif a atteindre.
Comme je l'ai dit, il est rare (à dire vrai je n'ai pas encore trouvé d'exemple) que quelqu'un mente sans avoir l'intention de tromper, d'une façon ou d'une autre. En revanche, comme dit plus haut, on peut vouloir tromper sans qu'il y ait mensonge.

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 15:45

prodigal a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 15:01
Moi non plus je ne comprends pas.
Qu'on puisse dire le faux sans mentir, c'est clair. Cela arrive chaque fois que l'on se trompe.
Mais dans quel cas peut-on mentir sans vouloir tromper l'autre?
De plus, si j'ai l'intention de dire le faux en sachant qu'il est faux, c'est bien pour tromper autrui, non?
A moins que vous ne faites allusion au mensonge joyeux, c'est-à-dire à la plaisanterie qui consiste à dire quelque chose de faux (oh, vous avez vu, une péniche volante!). Mais là encore, la plaisanterie n'est potentiellement drôle que si autrui est trompé.
Donc, je ne comprends pas. Auriez-vous des exemples?
Comme dit à Surroît, je n'ai pas encore trouvé d'exemple de mensonge qui ne soit pas pour tromper. En revanche, on peut tromper l'autre sans mentir pour autant.

Pour ce qui est du mensonge joyeux, c'est encore un cas particulier, car il faut faire la différence entre le mensonge joyeux et la plaisanterie.
En fait, si l'énoncé est clairement faux (je veux dire par là qu'il est facile de se rendre compte qu'il est faux, par exemple dans le cas des péniches volantes :-D , c'est une plaisanterie. Par contre, s'il n'est pas possible objectivement de se rendre contre que l'énoncé est faux, et que je fais ça pour m'amuser, c'est un mensonge joyeux.

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 15:49

A la réflexion, en répondant à Prodigal, je me suis dit en fait que si tout mensonge est trompeur (par nature), quand on dit qu'il ne cherche pas forcement à tromper l'autre, cela fait reference à la fin ultime. Je m'explique. Il existe une division en 3 catégories de mensonges, en fonction de l'effet ultime recherché:
- le mensonge joyeux, on recherche en faisant ça, le plaisir, l'amusement;
- le mensonge officieux: on recherche quelque bien ou quelque utilité
- le mensonge pernicieux: ce mensonge est fait dans l'optique final de tromper la personne.

Par exemple, si je ment pour avoir un bonbon, la fin ultime est 'acquisition de ce bonbon, pas le fait de tromper quelqu'un.

Avatar de l’utilisateur
Levergero
Censor
Censor
Messages : 107
Inscription : dim. 08 sept. 2019, 15:00
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par Levergero » mer. 23 oct. 2019, 15:58

mikesss a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 15:49

- le mensonge joyeux, on recherche en faisant ça, le plaisir, l'amusement;
- le mensonge officieux: on recherche quelque bien ou quelque utilité
- le mensonge pernicieux: ce mensonge est fait dans l'optique final de tromper la personne.

Il me semble que vous avez oublié le mensonge pieux. Celui que l'on fait par exemple pour apaiser un être cher mourant.

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 16:02

Levergero a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 15:58
mikesss a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 15:49

- le mensonge joyeux, on recherche en faisant ça, le plaisir, l'amusement;
- le mensonge officieux: on recherche quelque bien ou quelque utilité
- le mensonge pernicieux: ce mensonge est fait dans l'optique final de tromper la personne.

Il me semble que vous avez oublié le mensonge pieux. Celui que l'on fait par exemple pour apaiser un être cher mourant.
Non, je ne l'ai pas oublié, c'est jsute que soit c'est un mensonge officieux (on chercher à apaiser le mourant, donc c'est utile), soit le contexte fait qu'il est suffisamment clair objectivement que ce n'est pas vrai et donc ce n'est pas un mensonge (d'ailleurs mensonge pieux est une sorte d'oxymore). C'est d'ailleurs un des exemples que donnent les moralistes pour les contexte objectifs dont je parlais.

Avatar de l’utilisateur
prodigal
Amicus Civitatis
Amicus Civitatis
Messages : 2292
Inscription : mar. 09 juil. 2013, 10:32

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par prodigal » mer. 23 oct. 2019, 16:09

Merci mikesss, je trouve que c'est clair.
Acceptez-vous ma récapitulation?
Je dirai d'abord que tout mensonge est trompeur. Certains ont la tromperie pour fin, pour d'autres la tromperie n'est qu'un moyen. Cette distinction n'est toutefois pas absolue, car même quand la tromperie n'est qu'un moyen elle est visée objectivement par le menteur. Et lorsque elle est une fin il est très probable que cette fin en cache une autre (par exemple si je mens à quelqu'un pour qu'il commette une erreur qui mette sa vie en péril, c'est sans doute parce que j'ai intérêt à sa mort).
Il est cependant possible de vouloir tromper autrui sans mentir, comme dans votre exemple du Vendéen. Rappelons dans cet ordre d'idées que ne rien dire n'est pas mentir, même si l'on sait que son silence risque d'être interprété à contresens.
"Dieu n'a pas besoin de nos mensonges" (Léon XIII)

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 16:17

prodigal a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 16:09
Merci mikesss, je trouve que c'est clair.
Acceptez-vous ma récapitulation?
Je dirai d'abord que tout mensonge est trompeur. Certains ont la tromperie pour fin, pour d'autres la tromperie n'est qu'un moyen. Cette distinction n'est toutefois pas absolue, car même quand la tromperie n'est qu'un moyen elle est visée objectivement par le menteur. Et lorsque elle est une fin il est très probable que cette fin en cache une autre (par exemple si je mens à quelqu'un pour qu'il commette une erreur qui mette sa vie en péril, c'est sans doute parce que j'ai intérêt à sa mort).
Il est cependant possible de vouloir tromper autrui sans mentir, comme dans votre exemple du Vendéen. Rappelons dans cet ordre d'idées que ne rien dire n'est pas mentir, même si l'on sait que son silence risque d'être interprété à contresens.
CA m'a l'air bon :)
Sur votre dernier point, c'est traité dans la dissimulation de la vérité.

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 16:45

Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 16:38
Dans la dissimulation de la vérité, on peut peut-être intégrer le mensonge légitime, qui est une variante du mensonge officieux, mais dont l'utilité n'est pas mon intérêt personnel, mais l'intérêt légitime d'un autre. Par exemple si un nazi sonne à ma porte pour me demander si j'abrite un juif chez moi, si je refuse de répondre, je fais clairement comprendre au nazi qu'un juif est chez moi mais que je refuse de mentir. Il faut donc que je mente pour le sauver, en disant non. Ainsi je peux dissimuler la vérité par ce mensonge officieux, en disant que je ne dois dire la vérité qu'à celui qui est digne de la recevoir, celui à qui je la dois. Je ne dois pas la vérité à un nazi, et ainsi le mensonge officieux, dans ce cas, est sain, contrairement au mensonge officieux illégitime.
Non, la dissimulation de la vérité n'est pas en mensonge. Le mensonge, en tant qu'acte moralement mauvais (péché), n'est jamais autorisé quel que soit le contexte. La dissimulation de la vérité est tout autre: il s'agit pour faire simple de répondre quelque chose de vrai, mais de façon à ce que l'autre se trompe (et ce n'est pas évident). la notion de droit à la vérité n'entre pas en ligne de compte dans la caractérisation du mensonge.
Ainsi, dans le cas que vous venez de donner (qui ressemble un peu au cas du vendéen), cela reste un mensonge et une faute, la fin ne justifie pas les moyens.

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 17:00

Bon, j'ai un peu de temps, alors je vais préciser ce qui est autorisé dans la dissimulation prudente de la vérité:

Il est des cas où nous sommes tenus de ne pas dévoiler la vérité. Dans la plupart des cas, le silence ou dire qu’on ne veut rien dire suffiront largement.
Cependant, il est des cas où le silence même peut être un aveu: par exemple, si le vendéen ne répond rien, le garde va en conclure qu’il sait quelque chose et va fouiller la propriété.
Il est des cas où il faut même laisser ignorer aux autres qu’on sait. Bref, comment faire ?

Du fait de la relative rigidité du langage (on ne peut pas faire ressortir toutes les nuances avec des mots) et en même temps de sa relative souplesse (on a quand même une liberté dans l’utilisation des mots), l’expression peut devenir :
- Obscure (on le voit bien, certaines personnes n’arrivent pas à exprimer clairement leur pensée)
- Equivoque (un mot peut avoir un double sens, une phrase peut s’interpréter différemment...)
On peut donc utiliser ces 2 moyens pour cacher une vérité sans mentir :
- Utiliser l’équivoque : on prévoit que l’autre va utiliser le mauvais sens de la phrase ou que s’il remarque le double sens, il reste dans le doute ; mais attention : cela ne peut être utilisé qu dans des circonstances graves et cela risque d’exposer à d’autres question desquelles il sera plus difficile de se tirer.
- Utiliser un langage obscur : Il faut qu’il soit le plus évasif et le plus obscur possible : par un discours obscur et qui ne veut rien dire, on signifie qu’on ne veut rien dire, ce qui laisse le doute dans l’esprit de l’interlocuteur (en gros, c'est de la langue de bois).

Il existe une autre moyen légitime :
Toute expression est donnée dans un contexte et des circonstances objectives (personnes qui parlent, à qui on parle, époque...) Tout homme intelligent prendra en compte ce contexte.
Ce contexte et les circonstances peuvent changer objectivement le sens d’une expression et donc sa véracité. Les circonstances objectives peuvent changer le sens des expressions.

Quelques exemples:
- Quand on raconte une histoire (un conte) aux enfants, inutile de préciser qu’il s’agit d’une fiction, le contexte est suffisamment clair pour que ce ne soit trompeur pour personne (idem pour les paraboles du Christ ou les pièces de théâtre). Et si un interlocuteur ne se rend pas compte que Blanche neige est un conte, ça n’en fait pas un mensonge pour autant : le contexte est objectif
- Les formules de politesses (« je suis votre tout dévoué », n’en concluez pas que je me jetterai pour vous à la rivière)
- Un cas un peu plus intéressant : l’accusé lors de son procès qui nie son crime et invente une histoire : tout le monde comprend que l’accusé n’est pas en train de narrer des faits historiques, mais de mettre en place une défense et empêcher d’établir une vérité juridique. (j'avoue que j'ai un peu de mal avec cet exemple, mais il est donné par des moralistes)
- Le confesseur peut dire qu’il ne sait pas les péchés de ses pénitents, inutile de préciser « comme homme », parce que c’est sous-entendu par son poste de confesseur.
- Enfin, le secret dû à la fonction, à sa situation : le médecin « ne sait pas » ce qui relève du secret médical. Même Jésus a dit ne pas savoir le jour du jugement.

Conclusion : il y a un certain nombre de cas où la dissimulation de la vérité n’est pas un mensonge
- Non pas parce que personne ne s’y est trompé (si quelqu’un s’y est trompé, tant pis pour lui) ; même le fait de vouloir tromper ne constitue pas un mensonge dans ce cas-là.
- Mais parce que l’expression aura au moins un sens vrai, celui de dire qu’on ne veut rien dire, sens compréhensible d’après un contexte objectif.

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 17:05

Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 16:57
Cela c'est vous le dites. Ce n'est pas l'avis d'un Benjamin Constant par exemple. Vous tenez une position kantienne. Mais dans l'exemple que je prends, il y a deux voies, sans alternatives :
-dire oui, un juif est chez moi, ou refuser de répondre pour ne pas mentir - et ainsi le nazi comprend qu'il y a un juif chez moi et va le chercher pour le tuer.
-dire non, c'est-à-dire mentir, pour sauver le juif.

D'où la distinction opérée pour discerner à qui je dois la vérité. Est-ce une faute de sauver une vie innocente des mains d'un criminel par le mensonge quand c'est la seule solution? Non, à mes yeux. C'est pourquoi je parlais d'un mensonge officieux légitime dans ce cas. Je ne dois la vérité qu'à celui qui est digne de la recevoir, pas à celui qui en fera un usage meurtrier.
Je crois qu'il faut distinguer et hiérarchiser les actes.

C'est comme l'acte de rendre un dépôt. Un ami sain d'esprit me prête une arme pour un temps. Entre temps il devient fou et vient me la redemander. Dois-je lui rendre le dépôt sous prétexte que ce serait du vol de ne pas le lui redonner?
On ne peut pas hiérarchiser le mal, et on ne peut faire un acte mauvais pour en tirer un bien.
Dans l'exemple que vous donnez sur le vol, on a un cas bien différent, il ne s'agit pas d'un vol, étant donné que le vol est un vice contre la justice: il n'a plus droit à son arme, du fait de sa folie, donc il n'y a pas vol.
Dans le cas du mensonge, la faute n'est pas fonction de l'interlocuteur, mais il est intrinsèquement mauvais car c'est un acte "contre nature" de dire le contraire de la vérité (dans ce sens qu'on s'oppose à la nature de l'expression qui est de signifier le vrai)
Je dirais plus que je suis St Thomas que Kant sur ce point là.

Bref, dans le cas en question, il faut essayer d'utiliser la dissimulation prudente de la vérité que je viens d'exposer, mais pas mentir, quelle que soit la fin recherchée. (ou alors, c'est un péché, certes atténué par l'objectif recherché, mais péché quand même)

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 17:19

Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 17:11
Dans le cas du mensonge, la faute n'est pas fonction de l'interlocuteur, mais il est intrinsèquement mauvais car c'est un acte "contre nature" de dire le contraire de la vérité (dans ce sens qu'on s'oppose à la nature de l'expression qui est de signifier le vrai)
Je dirais plus que je suis St Thomas que Kant sur ce point là.
En effet je retrouve la grande force des distinctions de la scolastique dans ce que vous écrivez. Mais la petite faiblesse aussi, comme dans toute casuistique (qui coupe parfois les cheveux en quatre, je trouve).
Car dans mon exemple, il n'est pas vraiment possible de dissimuler la vérité, de faire le confus ou le perdu, de ne pas parler intelligiblement. Le risque est énorme de mettre la puce à l'oreille au nazi (et puis prendre une attitude confuse, obscure, incohérente, n'est-ce pas adopter une attitude mensongère?).
Donc qu'est ce que je fais? Je refuse de mentir au nazi et le juif meurt? Ou je ment et l'innocent vit?
Dans ce cas, je pense qu'il faut soit répondre à côté de la plaque, soit de taire (ou mieux, dire "oui oui, j'ai un juif chez moi", le nazi croira peut être qu'on se moque de lui et qu'en fait il n'y a personne). Mais dans le cas précis, le contexte fait qu'il n'y a ps de relation de confiance entre les 2 parties, donc que vous disiez la vérité ou non ne changera rien. Si vous dites "non, je n'ai pas de juif caché chez moi" est ce que le nazi vous croira sur parole? non.
Après, il faut bien comprendre également que perdre la vie est toujours moins grave qu'offenser Dieu. et donc qu'il vaut mieux perdre la vie que de pécher. Cela dit, j'admets que ce cas est difficile et que j'aurais aussi tendance à mentir pour sauver une vie. Mais ça ne se justifie pas moralement.

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 17:22

Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 17:11
et puis prendre une attitude confuse, obscure, incohérente, n'est-ce pas adopter une attitude mensongère?
Non, car on signifie par cette attitude qu'on ne veut rien dire, chose qui est vraie.

mikesss
Rector provinciæ
Rector provinciæ
Messages : 440
Inscription : lun. 19 août 2019, 13:04
Conviction : Catholique

Re: Qu'est ce qui caractérise le mensonge?

Message non lu par mikesss » mer. 23 oct. 2019, 17:38

Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 17:32
mikesss

Non, car on signifie par cette attitude qu'on ne veut rien dire, chose qui est vraie.
Oui, mais on laisse la porte ouverte pour que le nazi aille voir de lui même. Si je me mets dans sa peau, il y a plus de chance pour que je n'entre pas si la personne me ment ouvertement que si je sens que la personne me dit n'importe quoi ou se moque ou me fait sentir qu'elle ne veut pas répondre (en ce qui me concerne, je rentrerai à coup sûr dans ce cas).
Ce que je vais dire est glauque, mais tant pis. ;) La fin ne justifie pas les moyens
Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 17:32
Il y a donc bien les principes et la mise à l'épreuve des principes. je suis d'accord avec vous, je mentirai également, et j'y verrai quant à moi une certaine légitimité, le contexte étant ce qu'il est. Je n'aurai pas spécialement l'impression d'offenser Dieu dans ce cas là.
Comme je l'ai dit, je suis d'accord sur le fait que c'est loin d'être évident de pratiquer la vertu dans ce cas là. Mais il n'y a aucune légitimité à mentir.
Suroît a écrit :
mer. 23 oct. 2019, 17:32
C'est pourquoi je parlai de la légère faiblesse de la casuistique de l'Ecole dans ce cas, et j'en dirai ce que Péguy en disait à propos de Kant sur ce cas précis : "les kantiens ont les mains propres, mais ils n'ont pas de mains!". Ce n'est peut-être pas si immoral que cela de se salir les mains dans ces cas, car la vie nous met parfois dans des conditions un peu salissantes. Et ainsi il n'y a que ceux qui n'ont pas de mains (qui dénie l'action humaine et ses contraintes) qui peuvent prétendre être propres. C'est pourquoi je parlais d'un mensonge officieux légitime, même si considéré abstraitement, du point de vue des principes, c'est évidemment difficile à justifier.
Je crois qu'on ne sera jamais d'accord sur ce point, car comme je l'ai dit, pour ma part, aucunes circonstances ne peut légitimer un péché, quel qu’il soit.

Répondre

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Gaudens et 92 invités