J'aimerais présenter dans ce fil un petit aperçu d'un ouvrage qui a parut au Québec depuis peu, et portant sur la question de l'immigration. Je suis en train de découvrir l'ouvrage. C'est fort intéressant. Certains faits pourraient se révéler surprenants, en comparaison, si c'est pour partir du contraste que formerait un certain nombre d'idées préconçues et que nous pourrions avoir ici et là. Je veux donc vous partager un peu la trouvaille.
Voici :
Un lieu commun
... une telle diversité d'idées n'existe pas lorsqu'il s'agit de l'impact de l'immigration sur la démographie et l'économie. Ici politiciens et commentateurs forment une véritable chorale, psalmodiant un même chant à l'unisson. Exagérons-nous ? Pas du tout. La revue de presse de la dernière décennie montre la domination sans partage d'un seul et même point de vue.
Commençons par les journalistes et éditorialistes. Qu'en pensent-ils ? André Pratte, éditorialiste en chef du quotidien La Presse, affirme que, «parce qu'ils sont jeunes (70% ont moins de 35 ans) et instruits les immigrants pourront donner à l'économie québécoise un souffle qui viendrait à lui manquer en raison du vieillissement de la population» Son homologue du Devoir, Bernard Descôteaux - pourtant en désaccord avec lui sur plusieurs sujets - affiche sur ce point une unité de vue complète :
- À partir du moment où l'on admet que l'immigration est indispensable au développement aussi bien économique que social et culturel du Québec, le débat sur l'intégration des immigrants ne peut que devenir plus rationnel. Il faut insister sur cette nécéssité, qui est d'abord démographique. Le vieillissement de la population québécoise se fait de façon accélérée [...]
Amélie Gaudreau, dans Le Devoir, n'en pense pas moins :«Le Québec dépend grandement de l'immigration pour assurer son avenir, avoir une main d'oeuvre qui peut répondre à la pénurie future [....]» On pourrait aussi citer Claude Turcotte qui, commentant les perspectives d'emploi au Québec, affirme que «l'immigration apparait déjà comme un apport tout à fait essentiel pour assurer le développement de l'économie». La même hypothèse est présentée par Lisa-Marie Gervais d'une manière particulièrement limpide :
- «Les Québécois vieillissent, prennent leur retraite. Devant cette désertion du marché du travail, le Québec est forcé de s'en remettre à sa main d'oeuvre immigrante, qui représente en 2006 11% de la population totale. Il n'est d'ailleurs pas de question qui fasse davantage consensus tant dans les partis politiques que dans les syndicats et autres groupes de pression.»
L'idée s'est imposé avec une même force ailleurs dans la société, aussi bien à gauche qu'à droite, Du côté syndical, elle est défendue par Michel Arsenault, président de la fédération des travailleurs du Québec : « Avec la pénurie de travailleurs qu'on est en train de vivre et qui va en s'accélérant, on va devoir, au Québec, avoir recours à l'immigration pour combler les postes dans les années à venir». Le côté patronal ne fait pas exception. [...] La PDG des Chambres de commerce du Québec, Françoise Bertrand, croit de son côté que, sans être une panacée, «l'immigration apportera une contribution absolument indispensable au fonctionnement de notre économie.»
L'idée s'est également imposée dans les milieux politiques. Questionnés par La Presse aux élections de 2008, le Parti québécois, le Parti libéral, l'Action démocratique du Québec et Québec solidaire répondaient oui à la question suivante : faut-il augmenter l'immigration afin de régler la pénurie de main d'oeuvre ? Le ministre de l'emploi Sam Hamad, par exemple, commentait récemment ainsi la politique d'immigration du Québec : «Si nous ne réglons pas la pénurie de main d'oeuvre, ça peut signifier une décroissance économique pour le Québec» [...] Kathleen Weil, remplaçant Yolande James au ministère de l'immigration en 2010 avouait adhérer à une théorie semblable : «L'immigration est un outil important pour l'avenir du Québec, tant sur le plan économique que démographique.» Il faut dire que les ministres ne font que suivre l'exemple du chef du gouvernement puisque, selon Jean Charest, «le Québec ne peut se permettre de freiner l'immigration, et ce, en raison du vieillissement de la population et du faible taux de natalité.»
[....]
Une hausse planifiée
Si la pensée magique d'une immigration nous permettant de résoudre nos problèmes démographiques et économiques s'est imposée largement au Québec, il serait faux de croire qu'elle existe depuis toujours. En fait, une revue de presse des principaux quotidiens au cours des dix dernières années montre que cette idée est plutôt récente. Au Québec, elle semble s'être imposée à partir de 2007, alors que la ministre de l'Immigration et des communautés culturelles, Yolande James, tentait de déterminer le nombre d'immigrants que le Québec devait admettre entre 2008 et 2010. [...]
Avant 2005, l'idée était à peu près absente chez les politiciens québécois, mais elle avait déjà gagné quelques esprits du côté fédéral. Par exemple, le premier ministre Paul Martin affirmait dans un discours que «l'immigration était la clé de la réussite économique du Canada à une époque de faible taux de natalité, de vieillissement de la population et d'un manque de plus en plus grand de main d'oeuvre qualifiée.» En 2004, Joe Fontana, alors ministre du travail, soutenait que «le Canada pourrait devoir envisager de doubler ses niveaux d'immigrations afin de combler la demande en matière de main d'oeuvre qualifiée.» Dès 2002, son collègue Denis Coderre, alors ministre fédéral de l'Immigration, exprimait la même idée : «Le dernier recensement a été très clair. D'ici cinq ans, il va manquer un million de travailleurs qualifiés. D'ici 2025, notre croissance démographique va dépendre uniquement de l'immigration» (Joël-Denis Bellavance, «Dénatalité : Coderre veut révolutionner l'immigration », La Presse, 15 octobre 2002, p. A4)
La pensée magique sur l'immigration existait donc avant 2007, mais elle n'était pas aussi largement partagée qu'elle l'est aujourd'hui. Avec la planification du volume de l'immigration, elle s'est imposée comme une vérité incontestable au sein de tous les partis politiques, de la société civile, des journalistes et des commentateurs. Comment expliquer cette situation ? Une démonstration des effets démographiques et économiques de l'immigration a-t-elle été faite lors de la consultation publique menée par la ministre James à l'automne 2007 ? Rien n'est moins sûr.
Plus de 70 mémoires ont été déposés lors de la consultation. [....] Le premier mémoire a été déposé par le démographe Michel Paillé, spécialisé en démographie linguistique. Paillé y explique que le Québec sélectionne aujourd'hui davantage d'immigrants connaissant le français qu'autrefois, mais aussi davantage d'immigrants connaissant l'anglais. Par conséquent, il ne va pas du tout de soi que l'intégration se fera en français. Paillé est un chercheur sérieux, et il apporte une information importante , mais il ne dit rien de la thèse selon laquelle le Québec a besoin d'immigration. Si Paillé n'aborde pas l'enjeu démo-économique, qu'en est-il de l'autre démographe a avoir présenté un mémoire ? Il s'agit d'un jeune démographe [...] son mémoire s'intitulait Démystification de l'impact de l'immigration sur la démographie québécoise [...] les conclusions allaient directement à l'encontre du lieu commun : la hausse proposée aurait peu d'effets sur la population en âge de travailler, et il faudrait admettre un volume irréaliste pour mitiger les effets du vieillissement.
(à suivre)
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