Jean- Baptiste Clément

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Cinci
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Jean- Baptiste Clément

Message non lu par Cinci » lun. 19 août 2019, 7:03

Le Temps des cerises

Paroles de J-B. Clément (1866)
musique d'Antoine Renard (1868)

Quand nous en serons au temps des cerises,
Et gai rossignol et merle moqueur
serons tous en fête.
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au coeur
Quand nous en serons au temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur

Mais il est bien court le temps des cerises,
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreille,
Cerises d'amour aux robes pareilles
Tombant sur la feuille en goutte de sang
Mais il est bien court le temps des cerises,
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant.

J'aimerai toujours le temps des cerises :
C'est de ce temps-là que je garde au coeur
Une plaie ouverte,
Et dame Fortune, en m'étant offerte,
Ne saura jamais calmer ma douleur.
J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au coeur.


"Puisque cette chanson a couru les rues, j'ai tenu à la dédier à titre de souvenir et de sympathie, à une vaillante fille qui, elle aussi, a couru les rues à une époque où il fallait un grand dévouement et un fier courage !

Le fait suivant est de ceux qu'on n'oublie jamais :

Le dimanche, 28 mai 1871, alors que tout Paris était au pouvoir de la réaction victorieuse, quelques hommes luttaient encore dans la rue Fontaine-au-Roi. Il y avait là, mal retranchés derrière une barricade, une vingtaine de combattants, parmi lesquels se trouvaient les deux frères Ferré, le citoyen Gambon, des jeunes gens de dix-huit à vingt ans et des barbes grises qui avaient déjà échappé aux fusillades de 48 et aux massacres du coup d'État.

Entre onze heurs et midi, nous vîmes venir à nous une jeune fille de vint à vingt-deux ans qui tenait un panier à la main. Nous lui demandâmes d'où elle venait, ce qu'elle venait faire et pourquoi elle s'exposait ainsi ? Elle nous répondit avec la plus grande simplicité qu'elle était ambulancière et, que la barricade de la rue Saint-Maur étant prise, elle venait voir si nous n'avions pas besoin de ses services.

Un vieux de 48, qui n'a pas survécu à 71, la prit par le cou et l'embrassa.

C'était en effet admirable de dévouement ! Malgré notre refus motivé de la garder avec nous, elle insista et ne voulut pas nous quitter. Du reste, cinq minutes plus tard , elle nous était utile. Deux de nos camarades tombaient frappés, l'un d'une balle dans l'épaule, l'autre au milieu du front.

J'en passe !! ...

Quand nous décidâmes de nous retirer, s'il en était temps encore, il fallut supplier la vaillante fille pour qu'elle consentit à quitter la place. Nous sûmes seulement qu'elle s'appelait Louise et qu'elle était ouvrière. Naturellement, elle devait être avec les révoltés et les las-de-vivre !

Qu'est-elle devenue ? A-t-elle été, avec tant d'autres, fusillée par les versaillais ?

N'était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume ?"

- Jean-Baptise Clément ( ... repris dans La Revanche des Communeux, p. 283)


En quatrième de couverture :
Jean-Baptiste Clément est surtout connu comme auteur de chansons (Le Temps des cerises). Grâce à La Revanche des Communeux, qu'il était important de rééditer, nous découvrons un écrivain véritable, et son engagement total dans la plus belle des batailles : donner non seulement le nom d'homme aux ouvriers, aux traîne-misère, aux gueux, à ceux que l'on reléguait depuis toujours dans les basses classes, mais encore à leur faire prendre le pouvoir. J'ajoute qu'il prit lui-même une part active dans la Commune et qu'il combattit ardemment, armes à la main, pendant toute la Semaine sanglante.

Voici un homme qui accomplit un acte, celui de faire coïncider sa vie avec ses convictions. Il nous livre sa pensée, ses doutes, ses espoirs, et la difficulté de mettre sur pied un gouvernement prolétarien.

Ce texte publié en 1886 n'avait jamais été réédité.

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Re: Jean- Baptiste Clément

Message non lu par Cinci » lun. 02 sept. 2019, 6:24

A propos de cet événement-phare de 1871 ...

On est ébahi lorsqu'on voit tout ce que la Commune a réalisé :

L'égalité des salaires entre hommes et femmes. La reconnaissance de l'union libre. Le combat contre la prostitution. La réquisition des logements vides et l'interdiction des expulsions. Les étrangers sont devenus de véritables citoyens et peuvent avoir le même travail que les Français , y compris dans l'administration. Des mesures sociales importantes ont été prises. Par exemple l'interdiction du travail de nuit et des retenus sur les salaires. Edouard Vaillant, délégué à l'Instruction publique, développe des cours du soir pour adultes, et crée des structures pour l'enseignement professionnel. La justice est gratuite. Le serment politique pour les fonctionnaires est aboli. L'Église et l'État sont séparés. L'enseignement devient laïc. Grâce à Courbet et à sa fédération des artistes, une politique culturelle est mise en place. Des plans ont été élaborés pour que les ouvriers prennent en main la conduite de leur entreprise. Et tout ceci en deux mois et dans un contexte pour le moins difficile. Paris est encerclé par les Prussiens, et les versaillais sont là aux portes.

Vous pensez bien que cette prise du pouvoir par les ouvriers qui n,avaient rien était insupportable pour les riches et les bourgeois qui possédaient tout. Ils étouffaient de rage, nos nantis ! Thiers et ses sbires ne pouvaient laisser passer cela ! "Le misérable Thiers." Thiers le criminel qui n'hésitait pas à employer les grands moyens de massacreur - on se souvient de la tuerie de la rue Transnonain, de la répression de la révolte des canuts. Thiers, "ce singe autorisé pour un moment à donner libre cours à ses instincts de tigre", selon Marx.

Dans Le Figaro :

"Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et internationale."

Le résultat : les ruraux imposent l'ordre à la mitrailleuse. On parle de trente mille morts. Des cours martiales jugent et fusillent. Une hécatombe. On massacre même les femmes, les enfants, les vieillards.

Écoutez le comte Albert de Mun :

"Lorsqu'on les a fusillés, ils sont tous morts avec une sorte d'insolence ..."

Et dans Le Figaro encore, on pouvait lire :

"On demande formellement que tous les membres de la Commune, que tous les journalistes qui ont lâchement pactisés avec l'émeute triomphante, que tous les Polonais interlopes et les Valaques de fantaisie soient passés par les armes devant le peuple rassemblé."

Je donne la parole à Paul Martine. Voici ce que l'on peut lire dans ses Souvenirs d'un insurgé :

On venait de perquisitionner dans une maison. Les soldats en avaient extrait un combattant des derniers jours, dénoncé par quelques voisins. Cet homme savait qu'il allait mourir. Il s'adressa à un chef de bataillon qui guidait ses recherches, et lui demanda comme suprême grâce, d'embrasser sa femme et ses enfants. Le commandant hésite un instant, puis sourit, et ordonne de faire descendre la famille. A peine est-elle en bas de l'escalier, se précipitant vers le malheureux qui va mourir : "Fusillez-les tous !" crie l'officier. Pèle-mêle, on égorgea le mari, la femme, et les enfants.

Des scènes comme celle-ci étaient monnaie courante.

Les versaillais avaient, de surcroît, fait plus de quarante-trois mille prisonniers, dont trente-cinq mille hommes, huit cent femmes, cinq cent enfants, environ, qui furent jugés par la justice militaire pendant quatre ans. Ils furent condamnés, soit à la peine de mort, soit à la réclusion, à la déportation, aux travaux forcés.

La haine des versaillais à l'encontre des communards était telle qu'on a vu des hommes déculotter des morts pour leur botter les fesses, et certaines bourgeoises crever les yeux des cadavres avec la pointe de leur ombrelle.

Et nos écrivains, me direz-vous, qu'ont-ils fait ? Pourquoi ne se sont-ils pas élevés contre ces massacres ? Mais ils faisaient tous partie de la bourgeoisie, nos grandes gloires littéraires ! Ils étaient à leur place avec les versaillais. Ils étaient tous des gens bien nés.

L'égalité sociale, pour eux ? Laissez-moi rire ! Ils n'en finissaient pas de vomir la Commune ! L'égalité sociale, ils la combattaient ! Écoutez Flaubert, vous serez édifiés :

"Le rêve socialiste, n'est-ce pas de pouvoir faire asseoir l'humanité, monstrueuse d'obésité, dans une niche toute peinte en jaune, comme dans les gares de chemin de fer, et qu'elle soit là à se dandiner sur ses couilles, ivre, béate, les yeux clos, digérant son déjeûner, attendant le dîner et faisant sous elle ? Ah ! je ne crèverai pas sans lui avoir craché à la figure de toute la force de mon gosier" (Lettre à Louise Colet, nuit du 2 au 3 mars 1854)

Jean-Paul Sartre avait écrit qu'il tenait Flaubert pour responsable du massacre des communards lors de la répression versaillaise pour ne pas avoir protesté. Non seulement Flaubert ne l'avait pas fait, mais au contraire il avait approuvé cette répression, et lâché sa hargne contre les communards eux-mêmes : " Je trouve qu'on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simple forçats." Pensez donc ! Les classes populaires étaient avant tout des classes dangereuses, le prolétariat étant une race nuisible, les ouvriers des bêtes enragées. Ces messieurs de la plume ne cessaient de rugir et sangloter au nom de la liberté.

Liberté qu'analysait ainsi Blanqui :

"La liberté qui plaide contre le communisme, nous la connaissons, c'est la liberté d'asservir, la liberté d'exploiter à merci, la liberté des grandes existences, comme dit Renan, avec les multitudes pour marchepied. Cette liberté-là, le peuple l'appelle oppression et crime" (critique sociale)

Lorsque Leconte de Lisle conspue "cette ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs, mauvais poètes, mauvais peintres, journalistes manqués, romanciers de bas étage", il devait penser à la poignée d'écrivains comme Viliers de L'isle-Adam, Verlaine, Rimbaud, Hugo, Clément, Vallès, et au peintre Gustave Courbet, qui eux se sont rangés à des degrés divers du côté des communards.

Flaubert, dans une lettre à George Sand :

"Le premier remède serait d'en finir avec le suffrage universel, la honte de l'esprit humain." Et dans une autre lettre : " L'instruction obligatoire et gratuite n'y fera qu'augmenter le nombre des imbéciles. Le plus pressé est d'instruire les riches qui, en somme, sont les plus forts."

Alphonse Daudet : "La Commune : un bal burlesque d'orangs-outans atteint de satyriasis." Les communards ? " ... des têtes de pions, collets crasseux, cheveux luisants, les toqués, les éleveurs d'escargots, les sauveurs du peuple, les déclassés, les tristes, les traînards, les incapables; pourquoi les ouvriers se sont-ils mêlés de politique ?" Et même Zola, en qui on a du mal à reconnaître l'auteur de J'accuse : "Le bain de sang que le peuple de Paris vient de prendre était peut-être une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en grandeur."

Quant à Dumas fils : "Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour les femmes à qui elles ressemblent quand elles sont mortes."

Et enfin Edmond de Goncourt :

"On les bat à la mitrailleuse. Quand j'ai entendu le coup de grâce, ça m'a libéré."

Source : François Perche, "Préface" dans La revanche des Communeux, 2011
_________
Pour mémoire : c'est de l'écroulement du Second empire avec la guerre de 1870 et la liquidation de la Commune justement que sera sortie pour de bon la République française, et alors la fameuse IIIe république (des bourgeois) qui va finir par être emportée lors de la débâcle de juin 1940.

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Re: Jean- Baptiste Clément

Message non lu par Cinci » lun. 02 sept. 2019, 7:32

Sur Jean Baptiste Clément :
Né, le 30 mai 1836, dans un milieu aisé qui avait le sentiment de faire partie de la petite bourgeoisie - son père était un riche meunier - il était détesté par sa mère, qui le trouvait laid. Il fut mis en pension dès qu'il eut l'âge, dans un établissement rue Buffault. Dillon, le directeur, passait pour être acquis aux idées révolutionnaires et farouchement opposé à la politique de Louis-Philippe. En 1848, il aurait emmené les enfants regarder les barricades et dialoguer avec les insurgés.

Ses études primaires achevées, à quatorze ans, sa mère le mit en apprentissage chez un tourneur sur cuivre, travail qu'il détestait. A dix-neuf ans, exaspéré par sa famille et par les idées politiques de son père, qui approuvait et soutenait le régime de Napoléon III, Jean-Baptiste rompit avec elle et exerça alors divers petits métiers pour survivre, tout en découvrant et lisant Musset, Vigny, Hugo, Balzac, Flaubert. La poésie lui fut une révélation. Béranger, Nadaud, Pierre Dupont étant très populaires, il s'essaya à la chanson. La chanson, au XIXe siècle, était un moyen d'expression de la culture populaire, une façon de transmettre aux ouvriers, aux gens du peuple, qui pour beaucoup ne savaient pas lire ni écrire, des idées, une émotion et un certain ordre de pensée.

Il se lança de toutes ses forces dans la lutte sociale, créa un journal Le Casse-tête, dont il était le seul rédacteur. L'en-tête précisait que "les prisonniers politiques de Sainte-Pélagie et autres bastilles sont abonnés de droit." Il fut mis sous surveillance policière, et en 1867 dut fuir en Belgique. C'est là qu'il écrivit le fameux Temps des cerises.

Revenu en France, il collabora à plusieurs journaux socialistes, en particulier Le Cri du peuple de Jules Vallès et La Réforme de Charles Delescluze et Auguste Vermorel. Il prit une part active dans la Commune et il combattit ardemment, armes à la main, pendant toute la Semaine sanglante. Le 28 mai il est sur la dernière barricade, rue Fontaine-au-Roi. Il trouva refuge chez des amis quai de la Gare, où il écrivit La Semaine sanglante. Puis partit en Belgique, et en Angleterre. Condamné à mort par coutumace en 1874, il ne rentre à Paris qu'en 1880, après l'amnistie. Il adhère au Parti ouvrier socialiste révolutionnaire, s'engage dans le syndicalisme, donne des conférences, fonde des syndicats, des coopératives, sillonne les campagnes ardennaises.

Il meurt à Paris à l'âge de soixante-six ans, et fut enterré au cimetière du Père-Lachaise, en face du mur des Fédérés. A ses obsèques, quatre à cinq mille personnes suivirent son cercueil recouvert d'un drapeau rouge.

François Perche, 7 septembre 2011

Incidemment, Clément était un contemporain des peintres impressionnistes. Il est mort la même année que Gauguin, que l'écrivain Oscar Wilde également. Il est contemporain de Léon Tolstoï. Il s'agissait de gens qui voulaient tous rompre d'une manière ou d'une autre avec une certaine mentalité traditionnelle alors défendue par des gens voulant former la "bonne société"; et alors les premiers dans l'espoir de déconstruire un certain "ordre des choses" bien installé en place et désireux de s'y maintenir.

Jean-Baptiste Clément, c'est l'homme qui avait dit : "Dieu ? S'il existait, il serait avec nous."

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