Dix-sept étapes de la vie du Christ

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Popeye
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Re: La tempête apaisée

Message non lu par Popeye » dim. 06 janv. 2008, 12:37

insondable mépris : un mépris qu'on ne peut sonder, tant il est profond.

une sorte : une espèce, une des espèces du genre mépris.


y aurait-il eu déficience d'écriture ? :zut:

Narkotik
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Re: La tempête apaisée

Message non lu par Narkotik » dim. 06 janv. 2008, 15:22

une "sorte" n'a pas que ce seul sens de "une espèce de..." mais aussi : quelque chose qui "ressemble à", c'est tout ce que je voulais préciser (fidèle à ma pensée, car je n'ai - bien évidemment - jamais osé prétendre que Jésus ressentait du mépris pour qui que ce soit)

Narkotik
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Vraie parenté de Jésus

Message non lu par Narkotik » mer. 16 janv. 2008, 9:11

Voilà la mère et les frères de Jésus, plus quelques curieux et compagnons de circonstance, long ruban d’amitié d’une trentaine d’âmes étiré sur la route, qui se pressent à la synagogue, en file indienne – l’inextricable nasse des sentiments nés de leur parenté ou de leur voisinage les conditionne encore, presque «mécaniquement». De moins en moins pourtant. Sans doute pressentent-ils en cet objet de leur amour de plus saintes responsabilités, des prérogatives supérieures aussi, hors de toute contingence, une sorte d’axe central des vies humaines où tout gravite déjà, mais ne demande qu’à naître, percer, éclore enfin…

Restés à l’extérieur, ils demandent Jésus, ou plutôt envoient quelqu’un de bonne volonté le réclamer près d’eux. Dans ces cas-là, se dit André avec une pointe d’agacement, il y en a toujours un pour relever le défi, tout à son zèle et pleinement convaincu – par un orgueil défiant toute mesure – de sa singularité. Le ciel est clair, à peine quelques nuages blancs-gris moutonnent au loin, mais la chaleur est bel et bien là qui les plombe, les use, et atteint jusqu’à leur discernement – eux qui en auraient tellement besoin.

Toute la foule est assise en cercle autour de lui prêchant. Toujours cette voix calme, presque laconique, claire et presque négligemment posée sur des arpèges mineurs, qui n’en donne que plus d’efficacité à son propos. Ils sont tous aux aguets, en admiration, comme à l’affût – peu importe leur manière d’aimer, ils aiment et se soucient peu du comment et du pourquoi – et ils l’attendrissent évidemment comme ça, avec cette maladresse qui fait qu’ils oublient d’où ils viennent.

L’un d’entre eux, plus jeune et plus hardi, lance à Jésus : «Ta mère et tes frères sont dehors. Ils te cherchent, rejoins-les vite.». Cette témérité un peu balbutiante amuse le rabbi, sans qu’il en conçoive aucun mépris ni condescendance, comme une mère éclaire son enfant joueur d’un sourire et qui espère que ce voile de lumière le protège à jamais des fourbes. Il attend. Attendre, quand on est fort en soi de ces choses qui remplissent votre âme, est plus parlant et plus révélateur que toute logorrhée. Jésus laisse un peu traîner le temps, qu’il domine.

Se redressant, il répond posément : «Qui est ma mère et qui sont mes frères ?». Stupeur dans la foule, on se pince en se demandant si ce Maître est sérieux, ou si le soleil a décidément tapé bien fort ces derniers temps. Pourtant le temps devient plus doux, une brise les enveloppe, ça carillonne dans la tête de Jésus – toutes ces émotions en cascades – et il lui est tellement facile de communiquer les choses, c’est tout un frisson qui parcourt cette assistance aimée, plus chèrement aimée que toute autre, depuis toujours, par son prince descendu en droite lignée du Père.

Parcourant du regard tous ceux-là assis autour de lui, émerveillés et ébahis de telles paroles aussi insolites, mais convaincantes, inconnues de leur sens commun, Jésus ajoute encore, en les désignant d’un ample mouvement des deux mains : «Voilà où sont ma mère et mes frères : c’est vous tous. Le plus humble d’entre vous, s’il fait à travers moi la volonté de Dieu, est mon frère, ma sœur, ma mère, tous mes frères et toutes mes sœurs véritables, et mes seuls parents…»

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Débuts en Galilée et appel des premiers disciples

Message non lu par Narkotik » jeu. 24 janv. 2008, 12:39

Ayant dans l’intervalle appris que Jean-Baptiste a été livré à Hérode, Jésus part s’installer à Capharnaüm, au bord de la mer, après un bref séjour au nord de la Galilée, via notamment Nazareth. A Capharnaüm il se trouve dans les territoires de Zabulon et de Nephtali, dans le droit fil de la prédiction d’Esaïe, comme s’il la suivait pas à pas instinctivement selon les textes, et ce juste pour qu’elle s’accomplisse de plein droit : «Le peuple au-delà du Jourdain, en Galilée parmi toutes les Nations, sur la terre de Zabulon et de Nephtali, le peuple plongé dans l’ombre a vu une lumière radieuse, une lumière irradiante pour tous ceux du pays des morts.»

Dès qu’il parle à quelqu’un, rencontré par hasard – mais certains hasards n’existent plus pour lui – Jésus s’interrompt presque tout de suite, reste interdit quelques secondes, avant de reprendre d’une voix sûre d’elle, mais douce, suave et dont le grain délicatement posé sur les mots qu’il prononce est inversement proportionnel à la charge émotive qu’elle décoche. Il est, surtout, traversé par l’étrange sensation qu’une autre voix s’élève alors en lui. Un imperceptible murmure, ressemblant à une pensée qui serait tout autre, et tout autant intimement la sienne. Il a cru d’abord, les deux ou trois premières fois, avoir été victime d’une sorte d’hallucination, d’un accès de fatigue, d’un trouble sensoriel. Secouant la tête pour reprendre empire sur lui-même, cette impression de dédoublement ne le quitte pas pour autant : ces deux pôles d’un même tout qu’il y a d’ores et déjà en lui...

Dès lors Jésus commence à prêcher en tous lieux, au seul hasard de ses rencontres, et réunissant à chaque occasion plus de curieux, attirés par sa verve tout en retenue et la singularité de ses métaphores. Il semble disposer d’un accélérateur cérébral et spirituel stimulant ses neurones et l’aidant à intégrer à la vitesse de la lumière toutes les données simultanées d’une même situation. Ils ne savent pas encore que tout ce qu’il dit lui vient du cœur, ni que tout ce qu’il fait lui vient du Père. A tous il proclame, de cette autorité non violente, mais à la force de conviction proprement irrésistible, ce premier message : «Convertissez-vous tous : avec moi le Règne des cieux arrive.». Quelques-uns l’invitent chez eux, dans des maisons accueillantes malgré la pauvreté de leur condition, l’austérité de leur vie quotidienne. Partout où il entre il voit, en son honneur, par l’incision des toiles faisant office de porte d’entrée, apparaître des réserves de nourriture préparée pour lui, des caisses de bois, des paniers de pain, des jarres pleines de vin, des bols de fruits secs : tout est posé sur des étagères branlantes ou à même le sol. Et puis des hommes, des hommes et des femmes, amicales silhouettes brillant dans la pénombre de leur triste existence.

Un jour qu’il se promène le long de la mer de Galilée, de cette démarche lente et aérienne, incisive et enveloppante à la fois, il rencontre deux frères pêcheurs, Simon surnommé aussi Pierre, et André, tandis qu’ils jettent laborieusement leurs filets, dans des harangues qu’ils se renvoient mutuellement sans haine, mais colériques comme deux bons frères qui s’aiment sincèrement. Jésus leur dit – sans même les saluer au préalable, comme il le fera si souvent par la suite : «Venez avec moi et je vous ferai pêcheurs d’hommes.». Simon tressaille, André est pris d’une soudaine envie de pleurer. Des rigoles tièdes ruissellent de ses joues et lui dégoulinent sur le menton. Un réflexe le pousse à s’essuyer du revers de la main, mais il n’écrase rien d’autre que des gouttes de sueur perlant de son front et venant s’écraser aux commissures de la bouche.

Laissant illico leurs filets, sans même penser aux conséquences, ils le suivent. On verra plus tard comment les légions de Jésus, comme une cohorte d’anges se suivant à la queue leu leu dans le poudroiement des chemins, semblent se mettre en branle en un clin d’œil, tous en même temps, comme animés par un invisible mécanisme – une sorte de flux impérieux tendu par un seul être, une seule entité. Simon-Pierre, surtout, se rend compte que la fraternité immédiate de Jésus, cet amour qui fait peur tant il donne et requiert, lui sera indispensable à tout jamais – autant que l’eau, le pain, l’oxygène et la lumière. Aussi essentielle que la tendresse indéfectible et parfois étouffante de son jeune frère. Aussi naturelle que d’inspirer puis d’expirer sans y penser. Jean, lui, les tout premiers jours, ressent l’orgueil enfantin de ceux qui viennent de découvrir qu’ils appartiennent à une espèce de réseau secret, et qui par le fait croient jouir d’une supériorité occulte sur leurs semblables – un peu de maturité corrigera cela.

Plus loin, les trois compagnons s’approchent de deux autres frères : Jacques, fils de Zébédée, et Jean, accostant au rivage dans une barque de fortune, minuscule, à la flottaison incertaine due aux nombreuses fuites ouvertes dans la coque. Ils recousent leurs filets distendus par les flots. Leur embarcation est en très mauvais état, comme des tentes renversées dans le désert, soufflées par des vents trop puissants pour l’homme, se dit Jésus. Il les appelle. On sent très bien, lui-même d’abord et les autres ensuite, qu’il n’est pas, et peut-être moins encore que Jean-Baptiste, en quête d’un bataillon d’âmes vertueuses, à la tête duquel il n’aurait qu’à se préoccuper de stratégie pure. Il ne se voit surtout pas en Chef – mais en inspirateur d’une troupe humaine d’autant plus difficile à diriger, par définition, que leur adhésion devra se faire par l’acceptation sans réserve, autant que par l’ouverture aiguë de leur conscience – soldats des nuées et des pauvres, du cœur et de l’esprit, aux pieds nus jetés sur les routes par la grâce du Seigneur, serait-ce lui, le Guide et le Messie ?…

Délaissant sans plus d’hésitation leur barque, leur père et leurs cousins, leur vie banale et gémissante, ils suivent aussitôt ce Jésus étrange, mus par une sorte d’intuition dont ils attendaient depuis toujours qu’elle les anime, sans qu’ils le sachent eux-mêmes bien précisément, ni peut-être n’osaient l’espérer. Jésus apprend alors à réajuster sans cesse sa manière de penser, à anticiper chaque chose dans ses mouvements et dans sa réflexion – facilité en cela par quelque chose qui ressemble bien à un don inné de l’anticipation, et qui a peut-être aussi à voir avec de la voyance. Il sait que réagir au coup par coup, appuyé sur le bloc monolithique d’un seul mode de pensée, l’exposerait à de graves déconvenues quant à son sort personnel, mais aussi provoquerait un gaspillage de temps et une déperdition d’énergie. Tout ce dont il n’a certainement pas besoin en ces temps de renouveau et d’édification ! Il ne lui suffit pas, par ailleurs, de distiller ses consignes à des disciples malléables et obéissants : il faut aussi leur transmettre des instructions plurielles leur permettant, dans un avenir plus ou moins lointain, de prendre des initiatives, puisqu’un jour, lui le sait déjà confusément, ils devront bien continuer sans lui…

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Re: Débuts en Galilée et appel des premiers disciples

Message non lu par Nanimo » lun. 04 févr. 2008, 4:00

Il faut publier. En ce qui me concerne, je ne sais pas s'il est vraiment utile de vous faire relire pour l'aspect doctrinal :). Ce n'est pas clair; vous êtes dans la littérature et non la théologie.

(MM. les Administrateurs : Serait-il possible de rassembler les bonnes feuilles de Narkotik? Quelle production! Il y en a dans tous les coins!)
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Re: Débuts en Galilée et appel des premiers disciples

Message non lu par Christophe » lun. 04 févr. 2008, 12:00

Nanimo a écrit :(MM. les Administrateurs : Serait-il possible de rassembler les bonnes feuilles de Narkotik? Quelle production! Il y en a dans tous les coins!)
Si Narkotik ouvre un nouveau fil pour publier chacun de ses extraits, j'imagine que c'est parcequ'il ne souhaite pas qu'ils soient rassemblés en un seul... Mais je suis disposé à fusionner les fils, si Narkotik en exprime le souhait.

PaX
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Expulsion des marchands du temple

Message non lu par Narkotik » mar. 19 févr. 2008, 21:59

La Pâque approchant, Jésus monte à Jérusalem. Il se voit en rêve – en ces temps de sécheresse extrême – s’enfonçant d’une démarche hésitante dans l’entrelacs alambiqué des ruelles sombres, torturées, de la cité majestueusement dressée entre toutes. Il s’imagine aussi empruntant ce bric-à-brac des passerelles ébauchées par temps de pluie, enjambant d’inexistantes mares, des rigoles, des rivières en songe, toutes ces masses liquides sur les miroirs brisés desquelles se réfléchissent les lueurs pâles de bulles soufflées par le simoun.

Il arrive en ville. Cette ébullition de changeurs de monnaies et d’usuriers, de prêteurs sur gages, les marchands de brebis, de bœufs et de colombes, cette kyrielle de commerçants véreux et de négociants à la petite semaine, le répugne. De temps en temps, des femmes aux lourdes tignasses de jais déchirent les rideaux de fumée délimitant les allées, et viennent rôder dans la grand-salle des prêches ou près des bains. Leurs déshabillés laissent entrevoir des peaux brunes en mouvements, des formes voluptueuses, des seins délicats, des jambes cuivrées, des pubis entraperçus furtivement. Jésus semble le seul qu’elles ne narguent pas ostensiblement en ouvrant les cuisses, écartant mollement leurs jambes – elles gardent ça sans doute pour les habitués du Temple, passant la pointe effilée de leur langue sur leurs bouches fardées en se frôlant les pointes des seins tout en rougissant et en baissant les yeux. Jésus ne cille pas. Son regard turquoise erre un long moment sur ces ombres peuplant les lieux sacrés, sa pomme d’Adam saillante transperce la peau nacrée, presque translucide, de son cou. Les femmes s’abattent sur les tables de victuailles et de breuvages en grognant, comme un essaim d’abeilles sur un massif de fleurs gorgées de pollen. Jésus avance d’une souple démarche somnambulique, et les gloussements ou les murmures à la fois étonnés et admiratifs des prostituées officielles du Temple fleurissent dans son sillage. Le silence retombe peu à peu. Certains cerveaux flottent un peu trop dans les vapeurs du vin. Périlleuse entreprise que de nier le doute en soi, la nuit des humains, le vent, les cauchemars causés par le Démon.

Une pulsion de colère, et non de haine froide ni dirigée précisément contre l’un ou l’autre, l’envahit. Son visage est soudain tout en angles et en lames, son cou tendu loin devant les épaules, et son bras délié se déplie hors de la manche de sa tunique, son doigt accusateur se pointe sur la foule, sa voix forte couvre et domine tous les sons, le bruit même des respirations saccadées : «Suppôts du mensonge, la Loi a fait de vous des sans-foi, aussi bas dans l’échelle naturelle que les serpents ! Un tas de bêtes répugnantes, voilà ce que vous êtes, des êtres inférieurs tenus en esclavage par le vice et l’argent ! Tôt ou tard, vous comparaîtrez devant mon père, les temps sont proches, craignez qu’ils n’arrivent enfin !». Et d’une corde nouée sur elle-même, se faisant une sorte de fouet, Jésus les chasse du temple un par un. Il fait même valdinguer un ou deux étals, histoire de bien marquer les esprits, de faire vaciller de leurs socles ancestraux tous ces édifiants guides corrompus, ces détenteurs d’une morale à laquelle ils se cramponnent sans même savoir pourquoi – ou plutôt, au contraire, à des fins très personnelles. Jésus se dit qu’il s’est trop longtemps tenu à distance de la colère pure, de la colère saine portée par des sentiments vrais, et il est désormais tellement lui-même en ce courroux sans aucun orgueil, qu’il ne laisse plus surgir que ça : cette colère, tout autant libératrice pour lui-même, qu’éloquente pour les autres. Puis il disperse aussi les troupeaux de bêtes, trop c’est trop, il n’est rien qu’on ne puisse renverser en toute sincérité, les bœufs si placides dans la blancheur de leur écume moussue, les brebis comme des nénuphars blancs dispersés par le vent à la surface des étangs. Une odeur persistante de suie s’élève, ou de rouille, et puis tout succombe : c’est comme une cascade qui jaillit des cieux, Jérusalem est dans le verger juif comme un sanglant fruit rouge explosé dans l’écorce – dans son écorce propre, née de la pourriture des fruits qui l’ont précédé. Jésus fait ensuite voler la monnaie des changeurs, par de grands moulinets des bras, il essaime tout ça comme de la mauvaise graine, et il renverse aussi les tables, s’en prend à tous les faux fidèles interloqués. Il arrache à leur ancienne peau les professeurs en chaire, jusqu’au repaire caché des financiers, tout prend feu : le doux servant est un colosse furieux, mais jailli de l’absolue brillance de l’amour de Dieu.

Entre ses murs d’acier le Démon marche dans le désert. Ce n’est plus le moment de baigner – en imagination – des angelots rêveurs dans le lait d’ânesse des prudes officiants. Dieu lui-même peut signer, dans le sable chaud de n’importe quelle province du monde, des appels à la révolte ! Et Jésus lui aussi a pour lui de dresser son échine contre les réconciliations de dupes que sont les messes, dans ces endroits voués aux fables et à l’hystérie collective ! Et même aux marchands de colombes il crie ceci : «Vous avez fait de la maison de mon Père une maison de trafic et d’intérêt. Vous êtes sur une route d’où toute trace pieuse a disparu. Enlevez-moi tout ça et rayez-le également de vos cœurs impurs, ainsi que de vos mémoires, moi je me chargerai sans faiblir de vos âmes !». L’atmosphère est criblée d’électrons. Ils sont comme sur un mont de détritus qui se consument, dans la carrière dont les humains dégagent à coups de pioche, directement dans la roche, des métaux inconnus. Pendant cette réaction en chaîne des rayons gamma, vie et résurrection, et repos éternel, dansent en Jésus dans un blanc tourbillon : en plein dans le rayonnement d’or.

Certains juifs prennent néanmoins la parole et osent lui objecter leurs considérations : «De quelle démonstration oses-tu ainsi te prévaloir, et quel signe fort montreras-tu de telle sorte que nous puissions te croire ? Crois-tu que ces actes d’insubordination sont de nature à nous montrer la voie ? Ce n’est pas ainsi que l’on parle au peuple des juifs !». Tout est confus en eux, et dans cette houle furibarde où l’hélium des mots se change en hydrogène des pensées. Car c’est également de chimie qu’il s’agit. Quelque chose de plus fort que la raison rencontrant la sagesse immuable de l’éternel. Les gigantesques assauts de la juste raison, la prétention si humble de la force d’aimer, le désintéressement parfait porté à son comble : Jésus a ce rire explosif et cette confiance aveugle, deux sentiments qui jouent entre eux comme des enfants – comme dans un rêve. Avec lui l’eau et le feu sont voisins, puisqu’il les porte en lui, en proportions égales, jusqu’en cette terre de son Père où flotte comme un drapeau l’étendue vierge du don parfait : et le vent, comme une pensée nouvelle qui traverse l’esprit et passe, sans fin, sans aucune aspérité, c’est l’esprit même de Jésus dressant ses frontières jusqu’au-delà des montagnes, mais aussi s’il le faut rampant au plus bas jusqu’aux pieds du plus modeste et du plus pauvre, parmi tous les hommes ses frères.

Jésus les prend à témoin, pour eux-mêmes, et pour les autres qui les écoutent : «Détruisez ce temple, et en trois jours je le reconstruirai.». Il esquisse tout de suite une subtile petite moue sarcastique. Le plexus de chacun a reçu le puissant impact de sa voix souple et chaude. Il sait tellement, au contraire des grands imprécateurs de l’époque, focaliser cette voix et la moduler, la diriger à la manière d’une onde sonore ultra précise et concentrée. Les juifs lui répondent : «Il nous a fallu quarante-six années pour l’édifier, et toi, oiseau tombé d’on ne sait où, nous menaçant d’aventureux présages, tu saurais le rebâtir en trois jours ? Quel est donc ce blasphème ? Serais-tu fou ou rusé, sombre et inconséquent comme la corneille ?». Mais Jésus voulait parler, bien sûr, du temple de son propre corps. Cette chaude maison où venir s’abreuver tous nos besoins d’amour… Cette voix de tous les temps réunis en une seule, légère comme un souffle apaisé, cheminant comme en rêve dans les pensées obscures, étrange énigme qui guérit mais n’obéit à aucune règle. Sa voix, oui, mais elle suit par nature tous les détours menant au Père, le Seigneur Dieu, cette nonchalante entité où tout commence – et dont notre âme a étrangement faim, souvent sans le savoir, ou qui rafraîchit notre bouche tellement sèche, avec nos soifs de Tantale, et qui sommeille en attendant que s’ouvrent d’autres portes, que d’autres jeux plus silencieux surgisse chaque jour davantage de vérité nue. Jésus est Jésus parce qu’il est là pour ça – et il est comme la vie, en son pouls bien réel, qui se montre quand nul n’y croit plus, quand l’âme est seulement effleurée, que nos jours fragiles sont impitoyablement comptés.

Et plus tard, quand Jésus ressuscitera des morts, ses disciples, mais aussi plusieurs des témoins de cette présente scène qui vient de se dérouler, se souviendront de ces mots-là qui ne voulaient pas, en définitive, se priver de leur sens, ne voulaient pas à proprement parler «rien dire». Et derrière ce scandale, cette remise en question radicale, se dessine déjà le partage de nouvelles règles du jeu. Peut-être tout cela s’est-il échafaudé – par le dessein indécis du gouvernement des forces célestes – à seule fin de prouver, a priori et a fortiori, le contenu des écritures, la force de la parole sainte tombée en Jésus comme l’enfant en Marie, le Verbe qu’il a incarné par lui-même en chair vive, dans les atomes et dans le temps.

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Baptême de Jésus

Message non lu par Narkotik » mar. 25 mars 2008, 14:45

Jean-Baptiste les baptise tous, même ces Sadducéens et ces Pharisiens qu’il abhorre du plus profond de son être, de toute son âme tourmentée, de tout son cœur flambant épris de perfection… Le démon cherche à le prendre, le monde terrestre cherche à le prendre. Mais Jean-Baptiste va seul et désintéressé comme le premier de tous les hommes. Son acte de baptême rend la lumière, déverse son amour et sa fièvre, dévore de tendresse les déserts, trompe la nuit, fait oublier la faim, fait ignorer la peur de rester seul… le Jourdain n’effraie que les âmes impures : il fait soupirer la nuit et éclaire le jour. Peu de noyés s’y perdent, et son cours décroît à chaque crépuscule, dans une voie sinueuse qu’il creuse entre le jonc levé, les algues, le lent sommeil des pierres sous-marines…

Tout s’éclaire pour lui le jour où ce Jésus, venu de Galilée, demande à se faire baptiser par lui. En un rien de temps, Jean-Baptiste a perdu cette faconde un peu hallucinée qui en fait un polémiste inégalable, absent, retiré en lui-même, indifférent à ses propres douleurs, éprouvant à plaisir cette jouissance charnelle de fouler le sable rocailleux à pieds nus, d’inspirer à pleines narines frémissantes l’air saturé de sel, de soulever dans ses mains des gerbes d’eau purificatrices depuis les vagues mourantes du Jourdain…

Jean-Baptiste s’oppose, mais doucement, avec une bienveillance attendrie de jeune frère, à Jésus : «Comment, tu viens à moi en toute humilité, toi le Maître d’entre nous tous et que je reconnais comme tel, alors que c’est moi, ronce de tes pas, qui ai besoin d’être baptisé par toi !». Jésus laisse le temps se suspendre un instant, dans une caresse de mélancolie qui prend naissance à la source d’un sourire qu’il contient, puis lui rétorque : «Jean-Baptiste, laisse les actes se faire maintenant : c’est comme ça qu’il faut que s’accomplisse toute chose juste.». Jésus tend son visage au baptiste. Jean saisit l’eau à pleines mains et la déverse en pluie qui libère un parfum irriguant autour d’eux une paix profonde, une chaleur inextinguible, quelque chose comme un sentiment qui laverait l’homme de toute pesanteur, de toute incertitude sur lui-même. Telle est la cérémonie qu’elle glorifie, dans ce qu’elle a de plus solaire et lumineux, la fraternité parachevée des humains.

Baptisé, Jésus sort de l’eau. Il dit à Jean-Baptiste que le temps va changer, que la chaleur va devenir plus lourde et plus poisseuse, le soleil plus perçant. Et en effet, dès que ce dernier mot se perd dans l’azur asséché du fleuve, le changement de climat s’effectue, exactement de la façon que l’a annoncé Jésus, comme si ce dernier, en plus de tout le reste, avait aussi la maîtrise pleine et entière des phénomènes atmosphériques ! La chaleur d’un coup pique les visages et un vent brûlant lui aussi, venu d’on ne sait où, vient s’infiltrer dans les moindres interstices des tuniques, ses rafales emportant les paroles de Jésus, enveloppé à son tour dans un halo de lumière blanche comme dans une ample cape. Le soleil, semblant aux ordres, se met à transpercer les nuages effilochés par le vent, l’irruption est magique, et pourtant… tout est tellement et si lisiblement compréhensible…

Le ciel s’ouvre comme une outre, une outre gigantesque, dans un bruit évoquant une déchirure dans un tissu ou un feulement de lynx, mais amplifié par cent mille voix, et là, face au soleil, l’Esprit de Dieu descend – basculement des perspectives, sueur céleste, ruissellement de vie aux ors blancs sous la lune, génie du jour et de la nuit, grimace amère du Démon battant en retraite : l’Esprit de Dieu descend sous la forme, bien prosaïque cette fois, et identifiable par le commun des hommes, d’une toute petite colombe blanche, très jeune, qui se pose aussitôt sur l’épaule gauche de Jésus. Il y a alors des bouillonnements dans l’eau, et un écho tombé d’en haut disant à tous, c’est-à-dire intimement à l’esprit de chacun : «Celui-ci est mon Fils, mon Fils bien-aimé, celui que j’ai choisi.».

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Re: Baptême de Jésus

Message non lu par Thomas » mar. 25 mars 2008, 23:55

Génial le texte !

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Re: Baptême de Jésus

Message non lu par Christophe » mer. 26 mars 2008, 0:08

Oui, Narkotik, c'est très bon ! :oui:
Quand sort votre livre déjà ?
« N'ayez pas peur ! » (365 occurrences dans les Écritures)

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Re: Baptême de Jésus

Message non lu par Narkotik » mer. 26 mars 2008, 9:01

Christophe a écrit :Oui, Narkotik, c'est très bon ! :oui:
Quand sort votre livre déjà ?
Merci (ainsi qu'à Thomas)

ça a été repoussé, une fois encore, mais normalement ça devrait être bon pour Juin (croisons les doigts) ;)

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Re: Baptême de Jésus

Message non lu par Narkotik » dim. 06 juil. 2008, 12:25

Voilà, enfin paru :

http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre18307.html

(me contacter en MP pour des exemplaires gratuits, une vingtaine environ à distribuer)

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Re: Baptême de Jésus

Message non lu par Invité » dim. 06 juil. 2008, 19:50

Narkotik a écrit : : «Jean-Baptiste, laisse les actes se faire maintenant : c’est comme ça qu’il faut que s’accomplisse toute chose juste.». .
Lorsqu'on relit les Evangiles sur ce passage, il est en effet important que les choses s'accomplissent "selon toute justice". En effet, Jésus vient au baptême de Jean, après que tous les autres se soient fait baptisés. La justice, quand Jésus vient, c'est de recevoir l'eau du baptême où tous les autres Juifs ont laissés leurs péchés". A ce moment, Jésus, venant au baptême "par l'autre bout", vient s'enfouir sous les péchés que tous y ont abandonnés. Aussitôt après, le Baptiste s'exclame: "Voici l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde". Bien sûr, Il vient de s'en charger, Il vient de devenir le Serviteur souffrant. Cela se passe à un niveau symbolique, mais tout est clair !

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