Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

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Cinci
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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Cinci » mer. 10 juil. 2013, 22:09

Puis pour dire comment les choses sont complexes, toujours à partir du bouquin :

On croirait que Chomsky au départ ferait son beurre à démolir un tête de turc à la Nixon, la brute de l'âge des cavernes, ici, que tous les soixante huitards auraient aimé dépêcher dans le fond du lac avec une pierre de meule autour du cou. C'est quelle surprise ! L'auteur va nous dire plus loin comment Nixon aurait été plutôt le dernier président des États-Unis à avoir jamais passé plusieurs mesures législatives réellement favorables aux travailleurs, aux petites gens, aux retraités, aux vieillards, aux pensionnés, etc. En somme, un républicain de droite de la vieille garde qui s'avère être (rétrospectivement) plus socialiste dans les faits que n'importe quel président de la France des cinquante dernières années ou que nos démocrates U.S. de l'ère Clinton et ensuite Obama.

C'est la «brute» à Nixon, seul président à subir l'impeachment, qui amorce le dégel avec les Russe, avec les Chinois ... mais qui reconduit une politique de bombardements sauvages et sans vergogne dans des pays absolument sans défense.

Et à propos de l'Internet ?

Chomsky fait une excellente remarque sur le sujet dans son bouquin, en passant.

«... surfer sur le Net est à peu près aussi utile que, pour un biologiste, lire toutes les revues de biologie. On n'apprendra jamais rien de cette façon. Aucun scientifique sérieux ne fait cela. La littérature savante est gigantesque. On s'y noie. Le bon scientifique est celui qui sait ce qu'il faut chercher, pour pouvoir négliger des tonnes de documents et voir un petit détail ailleurs. C'est vrai aussi d'un bon lecteur de journal. Que ce soit sur papier ou sur Internet, on doit savoir ce qu'il faut chercher. Ce qui exige de connaître l'histoire, de bien comprendre les enjeux et d'avoir une idée du mode de fonctionnement des médias, qui filtrent et interprètent le monde. On sait alors à quoi prêter attention. Et c'est pareil sur Internet». (p. 174)


On apprendra dans son livre que le Cambodge à lui seul aura reçu plus de tonnage d'explosifs (entre 1965 et 1973) qu'il en aura été jeté sur l'ensemble des théâtres d'opérations durant toute la Deuxième Guerre mondiale.


Et encore :

«... la plus grande partie, et de loin, de l'effort de guerre américain visait le Vietnam du Sud. Le Vietnam du Nord était un à-côté. Mais lorsqu'on manifestait, lorsqu'on s'indignait contre la guerre, y compris dans la majeure partie du mouvement pour la paix, on pensait presque exclusivement au Nord. Si l'on examine les plans de Washington, que nous connaissons aujourd'hui en détail grâce aux dossiers du Pentagone et à des déclassifications ultérieures, on constate que les attaques contre le Nord étaient préparées dans le moindre détail : où bombarder, où ne pas bombarder, et quand. Il n'y a pratiquement rien sur le bombardement au Sud, peut-être trois fois plus important que celui du Nord en 1965. [...] Pourquoi ? Parce que dans le Sud c'est nous qui commandions. Cela ne nous coûtait rien, il n'y avait pas d'opposition internationale, donc nous pouvions faire ce que nous voulions. Dans le Nord en revanche c'était risqué. Il y avait des ambassades étrangères à Hanoi, et des bateaux russes dans le port de Haiphong. Quand l'aviation américaine a bombardé une voie ferrée chinoise qui traversait le Vietnam du Nord, cette initiative a eu des répercussions mondiales. De plus, le Nord avait des moyens de défense. Il avait une DCA soviétique, que l'on présentait comme une ingérence dans les affaires du Vietnam. Nous ne pouvions pas bombarder aussi librement que nous l'aurions souhaité.

Donc, dans le Nord, le principe «C'est nous qui commandons» n'était pas tout à fait vrai. Mais dans le Sud il l'était. Et il l'était aussi au Cambodge, au Laos. C'était des pays absolument sans défense. Tout le monde s'en moquait, à l'exception des manifestants pour la paix, par conséquent on pouvait les bombarder à volonté.» (p.188)

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Message non lu par Cinci » jeu. 11 juil. 2013, 13:42

Autre extrait

Sur le coup d'État au Chili en 1973 :

«... l'application stricte des règles néolibérales nécéssite un État totalitaire, car le peuple ne les aime pas. C'est au Chili, après le coup d'État de 1973, que leur mise en pratique a été la plus rigoureuse. C'est à ce moment-là que des économistes de Chicago y ont participé. Ils avaient carte blanche. Le pays était sous la botte d'une terrible dictature, personne ne pouvait protester. En 1982, sous l'influence des Chicago Boys, le Chili a subi ce qui fut probablement la pire récession économique de son histoire.

L'État a été obligé d'intervenir et de renflouer la quasi totalité de l'industrie privée et des banques. Les Chiliens ont baptisé cette période «la voie de Chicago vers le socialisme». L'État a fini par être plus engagé dans l'économie que sous Allende. Telle fut la superbe expérience néolibérale.

Finalement, l'armée s'est rendu compte qu'elle ne pouvait plus gérer la situation et elle a rendu le pouvoir aux civils. Le Chili s'est lentement remis de l'expérience avec une économie mixte d'un type particulièrement complexe. Officiellement, «c'est un miracle du libre-marché» : en réalité, l'économie s'appuie lourdement sur une entreprise publique d'extraction de cuivre , la Codelco, initialement nationalisée par Allende. Pinochet n'a pas osé la privatiser. La Codelco est manifestement très performante, et c'est la plus grosse société productrice de cuivre du monde. Elle rapport beaucoup plus d'argent à l'État que les compagnies privées et finance ainsi des programmes sociaux et d'autres dépenses publiques. Donc, quand les cours du cuivre montent, le Chili va bien.

[...]

- Au lendemain de la mort du général Pinochet, le New York Times a consacré sa une au dictateur chilien. Si un martien ou autre habitant d'une planète lointaine débarquait aux États-Unis, quelles informations trouverait-il dans le principal quotidien du pays sur ce qui s'est passé au Chili ?

Si cet extra-terrestre connaissait les faits, il penserait qu'il a atteri en Russie stalinienne, dans un État totalitaire. L'article ne fait qu'une brève allusion au rôle des États-Unis dans le coup d'État de 1973 qui a porté Pinochet au pouvoir. En fait, Washington contrariait le suffrage universel au Chili depuis des années, il l'avait fait en 1958 et en 1964. En 1970, il était décidé à renversé le gouvernement Allende. Soit par la force, avec un putsch militaire, soit en douceur, «en faisant hurler l'économie», comme l'a dit Nixon à Richard Helms, le directeur de la CIA à l'époque.

[...]

Ariel Dorfman a donné la définition la plus exacte du Chili actuel que j'ai lue dernièrement : il dit que «c'est un pays qui vit encore dans la peur». C'est juste. Les Chiliens ont vécu dix-sept années de dictature, et l'on sent que la peur est toujours là. La villa Grimaldi était l'un des pires centres de torture sous Pinochet. [...] Les tortures étaient toutes supervisées par des médecins. Leur rôle était de garantir que la victime ne meure pas : il fallait la garder en vie pour pouvoir continuer à la torturer. Ils disaient donc aux tortionnaires à quel moment arrêter, administraient quelque chose au prisonnier pour le ranimer, et la séance pouvait reprendre. «Mais où sont-ils ces médecins ?», ai-je demandé à l'avocat . «Ils exercent, ils ont leur cabinet à Santiago», m'a-t-il répondu. Et personne ne peut même imaginer faire quelque chose contre eux. C'est comme si Joseph Mengele se promenait en toute liberté dans votre quartier. Et ce n'est qu'un aspect de ce que l'on voit là-bas, la peur.

L'écrivain chilien Juan Hernadez Pico a évoqué la «culture de la terreur» qui subsiste et domestique les attentes de la majorité sur une alternative à la politique des puissants. Les gens n'ont même plus d'espoir. C'est ce que m'ont expliqué des amis au Chili. Avant, c'était un pays très vivant, très excitant : maintenant, les gens sont repliés sur eux-mêmes. Ils ne se font plus confiance. Ils ne veulent plus agir. Le cas des médecins est particulièrement effroyable, mais il y en a d'autres.

[...]

En fait, il y aurait trop à dire sur le coup d'État chilien. En Amérique du Sud, on l'appelle souvent «le premier 11 septembre», car il a eu lieu le 11 septembre 1973. Pour nous faire une idée réelle de l'ampleur de l'événement, prenons notre 11 septembre et imaginons-le à l'échelle de celui du 1973 au Chili, celui que nous avons aidé à perpétrer. Pour que l'analogie soit valable [...] imaginons que, le 11 septembre 1973, les terroristes d'Al-quaida aient bombardé la Maison-Blanche, tué le président, institué un régime militaire, abattu entre 50 000 et 100 000 Américains, torturé 700 000 autres, crée à Washington un centre organisationnel de la terreur qui aurait déclenché ou soutenu d'autres putsch militaires sur tout le continent américain, et assassiné dans le monde entier ceux qu'ils n'aimaient pas. Imaginons aussi qu'ils aient introduit une bande d'économistes - appelons-les les Kandahars Boys - qui auraient saccagé notre économie et reçue des hommages extasiés avant de rentrer chez eux récolter leur prix Nobel. Supposons que cela se soit produit. Ces événements auraient-ils changé le monde ? Mais ce scénario n'a rien d'hypothétique. C'est ce qui s'est passé le 11 septembre 1973.

[...]

La société chilienne est très inégalitaire. Presque autant que celle du Brésil, où l'inégalité atteint des sommets. Quand on se promène dans Santiago, on se croirait dans les beaux quartiers de New York. Mais le reste du pays est plongé dans une pauvreté extrême. [...] Ces gens sont confrontés à de nombreux problèmes graves. Le gouvernement le reconnaît dans une certaine mesure, mais ne s'en occupe pas.» (Chomsky, p 88)

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Teano » ven. 02 août 2013, 13:00

"La lumière de la foi", Pape François.
"« Sous l’abri de ta miséricorde, nous nous réfugions, sainte Mère de Dieu. Ne repousse pas nos prières quand nous sommes dans l’épreuve, mais de tous les dangers, délivre-nous, Vierge glorieuse et bénie »"


Messages dans cette couleur (ou à peu près...) : modération du forum

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Message non lu par moune984 » ven. 02 août 2013, 15:29

Waou :wow: je ne sais meme pas combien de livres je lis à la fois, mais en voici quelques uns:

- L'énigme Anastasia, sincérité ou imposture? de Alain Decaux :coeur: j'adore!
- La maison des enfants, de Hetty E Verlome (l'histoire d'une enfant juif envoyée dans les camps)
- Les hauts de Hurle-Vent de Emily Bronte :) célébrissime!
"C'est un crime public que d'agir comme si Dieu n'existait pas."
Léon XIII

"Seigneur, tu es là, présence invisible dans le silence et je t'accueille dans mon coeur."

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Sapin » jeu. 08 août 2013, 15:58

Les cultes à mystères dans l'antiquité de Walter Burkert.

Il est intéressant de constater les grandes similitudes de ces cultes (dionysiaques, orphiques, Mithra, etc) avec le christianisme.

G
Père Guy

"J'attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir".
credo

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Ahava » jeu. 08 août 2013, 23:12

Tout d'abord, j'ai une lecture trés sérieuse, Le crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne, de Michel Onfray (qui est excellent toujours, sauf quand il parle d'athéisme, et c'est bien dommage)

Et puis ensuite... Je lis La lady et le Libertin, un Harlequin. Mon premier d'ailleurs, que d'émotion :-D Non pour de vrai, je ne sais pas si je dois avoir honte ou en rire, mais pour l'instant c'est plutôt risible comme livre ;)
Ne te laisse pas aller à la tristesse
(Si 30:21)
Soyez toujours prêt à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte. Mais que ce soit avec douceur et respect.
(Pierre 3-16)
Alors que j'avais le coeur aigri, les reins transpercés, moi stupide ne comprenant rien mais j'étais avec Toi
(Psaume 73)

Les trois phrases bibliques qui guident ma vie (je pouvais pas mettre le psaume entier !)

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par coeurderoy » ven. 09 août 2013, 9:25

Petit traité de la prière silencieuse, de Jean-Marie Gueulette (Albin Michel)

Hildegarde de Bingen, de Régine Pernoud (le Livre de Poche)

L'Atelier, de Vincent Josse (Flammarion) : confidences d'artistes : écrivains, sculpteurs, chorégraphes, acteurs, photographes, etc, sur la genèse du processus créatif, leurs doutes, leurs échecs...très riche à mon goût d'expérience humaine...
"Le coeur qui rayonne vaut mieux que l'esprit qui brille"

Saint Bernard de Clairvaux

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Menthe » ven. 09 août 2013, 11:45

Ahava a écrit :Je lis La lady et le Libertin, un Harlequin. Mon premier d'ailleurs, que d'émotion :-D
Les Harlequin, je ne peux pas, c'est physique, les couvertures sont vraiment trop moches et kitsch. Enfin, je dis ça, alors que j'ai lu tous les Guy des Cars de mon grand-père. :-D

J'ai commencé hier Anna Karénine de Tolstoï. C'est la première fois que je lis quelque chose de lui. C'est vraiment très bien, pour l'instant.

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par astre » ven. 09 août 2013, 12:44

Non, moi non plus, les Harlequin, ce n'est pas style de livres... Chacun ses goûts...

En ce moment, je lis "Le Pitaud" de Pierre Galoni : histoire d'un petit garçon abandonné à l'Assistance publique et accueilli dans une famille de paysan aux Quercy.

Et la semaine dernière (c'est la période des vacances, j'ai plus le temps de lire), j'ai lu "Les doigts bleus de la pluie" de Jean Anglade : une femme renoue avec sa région natale, l'Auvergne ...

La lecture permet de s'évader ...
L'amitié nous fait partager de grands moments de bonheur, mais aussi d'immenses peines. L'important est de partager, de s'écouter, de se soutenir.
Abbé Pierre

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par blondchaumoy » ven. 09 août 2013, 13:07

astre a écrit : La lecture permet de s'évader ...
Vous vous sentez prisonnier ? C'est réduire les mots, les livres à à un rôle bien futile non ? Je ne peux plus lire de romans, impression de temps perdu, d'inexorable ennui à combattre "tuer le temps" expression horrible non ???

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Cinci » mer. 21 août 2013, 22:41

En prenant du soleil, j'ai achevé hier : La symphonie pastorale. C'est un tout petit roman de André Gide, vraiment très court, bien écrit, facile à lire. N'importe quelle recherche de 30 secondes sur Internet suffit pour livrer le synopsis. Intéressant. Je devrais dire que c'est très touchant. Et puis je ne connaissais pas.


«... l'instruction religieuse de Gertrude m'a amené à relire l'Évangile avec un oeil neuf. Il m'apparaît de plus en plus que nombre de notions dont se compose notre foi chrétienne relèvent non pas des paroles du Christ mais des commentaires de saint Paul.

Ce fut promptement le sujet de discussion que je viens d'avoir avec Jacques. De tempérament un peu sec, son coeur ne fournit pas à sa pensée un aliment suffisant; il devient traditionnaliste et dogmatique. Il me reproche de choisir dans la doctrine chrétienne «ce qui me plaît». Mais je ne choisis pas telle ou telle parole du Christ. Simplement, entre le Christ et saint Paul, je choisis le Christ. [...] Je cherche à travers l'Évangile, je cherche en vain commandement, menace, défense ... Tout cela n'est que de saint Paul. [...] Les âmes semblables à la sienne se croient perdues dès qu'elles ne sentent plus auprès d'elles tuteurs, rampes et garde-fous. De plus elles tolèrent mal chez autrui une liberté qu'elles résignent, et souhaitent obtenir par contrainte, tout ce qu'on est prêt à leur accorder par amour.

- Mais, mon père, me dit-il, moi aussi je souhaite le bonheur des âmes.
- Non, mon ami; tu souhaites leur soumission.
- C'est dans la soumission qu'est le bonheur.

Je lui laisse le dernier mot parce qu'il me déplaît d'ergoter; mais je sais bien que l'on compromet le bonheur en cherchant à l'obtenir par ce qui doit au contraire n'être que l'effet du bonheur - et que s'il est vrai de penser que l'âme aimante se réjouit de sa soumission volontaire, rien n'écarte plus du bonheur qu'une soumission sans amour.

[...]

Est-ce trahir le Christ, est-ce diminuer, profaner l'Évangile que d'y voir surtout une méthode pour arriver à la vie bienheureuse ? L'état de joie, qu'empêchent notre doute et la dureté de nos coeurs, pour le chrétien est un état obligatoire. Chaque être est plus ou moins capable de joie. Chaque être doit tendre à la joie. Le seul sourire de Gertrude m'en apprend plus là-dessus que mes leçons ne lui enseignent.

Et cette parole du Christ s'est dressée lumineusement devant moi. «Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché». Le péché, c'est ce qui obscurcit l'âme, c'est ce qui s'oppose à sa joie. Le parfait bonheur de Gertrude, qui rayonne de tout son être, vient de ce qu'elle ne connaît point le péché. Il n'y a en elle que de la clarté, de l'amour. J'ai mis entre ses mains vigilantes les quatres évangiles, les psaumes, l'Apocalypse et les trois épitres de Jean où elle peut lire : «Dieu est lumière et il n'y a pas en lui de ténèbres». Comme déjà dans son évangile elle pouvait entendre le Sauveur dire : «Je suis la lumière du monde; celui qui est avec moi ne marchera pas dans les ténèbres.» (p.104-107)



Ou encore ...


«... longtemps après que nous eûmes quitté la salle de concert, Gertrude restait encore silencieuse et comme noyée dans l'extase.

- Est-ce que vraiment ce que vous voyez est aussi beau que cela ? dit-elle enfin.
- Aussi beau que quoi, ma chérie ?
- Que cette scène au bord du ruisseau.

Je ne lui répondis pas aussitôt, car je réfléchissais que ces harmonies inéffables peignaient, non point le monde tel qu'il était, mais bien tel qu'il aurait dû être, qu'il pourrait être sans le mal et sans le péché. Et jamais encore je n'avais osé parler à Gertrude du mal, du péché, de la mort.

-Ceux qui ont des yeux, dis-je enfin, ne connaissent pas leur bonheur.
-Mais moi qui n'en ai point, s'écria-t-elle aussitôt, je connais le bonheur d'entendre.

Elle se serrait contre moi tout en marchant et elle pesait à mon bras comme font les petits enfants :

-Pasteur, est-ce que vous sentez combien je suis heureuse ? Non, non, je ne dis pas cela pour vous faire plaisir. Regardez-moi : est-ce que cela ne se voit pas sur le visage, quand ce que l'on dit n'est pas vrai ? Moi je le reconnais si bien à la voix. Vous souvenez-vous du jour où vous m'avez répondu que vous ne pleuriez pas, après que ma tante (c'est ainsi qu'elle appelait ma femme) vous avait reproché de ne rien savoir faire pour elle; je me suis écriée : «Pasteur, vous mentez !» Oh! je l'ai su tout de suite à votre voix, que vous ne me disiez pas la vérité; je n'ai pas eu besoin de toucher vos joues, pour savoir que vous aviez pleuré. Et elle répéta très haut :Non je n'avais pas besoin de toucher vos joues - ce qui me fit rougir parce que nous étions encore dans la ville et que des passants se retournèrent. Cependant, elle continuait :

- Il ne faut pas chercher à m'en faire accroire, voyez-vous. D'abord parce que ce serait très lâche de chercher à tromper une aveugle ... et puis parce que ça ne prendrait pas, ajouta-t-elle en riant. Dites-moi, pasteur, vous n'êtes pas malheureux, n'est-ce pas ?

Je portai sa main à mes lèvres, comme pour lui faire sentir sans le lui avouer que partie de mon bonheur venait d'elle, tout en répondant :

-Non, Gertrude, non, je ne suis pas malheureux. Comment serais-je malheureux ?
-Vous pleurez quelque fois, pourtant ?
- J,ai pleuré quelques fois.
- Pas depuis la fois que j'ai dit ?
- Non, je n'ai pas repleuré depuis.
- Et vous n'avez pas eu envie de pleurer ?
- Non, Gertrude.
- Et dites ... est-ce qu'il vous est arrivé, depuis, d'avoir envie de mentir ?
- Non, chère enfant.
- Pouvez-vous me promettre de ne jamais chercher à me tromper ?
- Je le promets.
- Eh bien! dites-moi tout de suite : Est-ce que je suis jolie ?

Cette brusque question m'interloqua, d'autant plus que je n'avais point voulu jusqu'à ce jour accorder attention à l'indéniable beauté de Gertrude; et je tenais pour parfaitement inutile, au surplus, qu'elle en fût elle-même avertie.

- Que t'importe de le savoir ? lui dis-je aussitôt.
- Cela, c'est mon souci, reprit-elle. Je voudrais savoir si je ne ... comment dites-vous cela ? ... si je ne détonne pas trop dans la symphonie. A qui d'autre demanderais-je cela, pasteur ?
- Un pasteur n'a pas à s'inquiéter de la beauté des visages, dis-je, me défendant comme je pouvais.
- Pourquoi ?
- Parce que la beauté des âmes lui suffit.
- Vous préférez me laisser croire que je suis laide, dit-elle alors avec une moue charmante; de sorte que, n'y tenant plus, je m'écriai :
- Gertrude, vous savez bien que vous êtes jolie.

Elle se tut et son visage prit une expression très grave dont elle ne se départi plus jusqu'à notre retour.

[...]

Aussitôt rentré, Amélie trouva le moyen de me faire sentir qu'elle désapprouvait l'emploi de ma journée. Elle aurait pu le dire avant; mais elle nous avait laissés partir, Gertrude et moi, sans mot dire, selon son habitude de laisser faire et de se réserver ensuite le droit de blâmer.

[...]

-Tu es fâchée de ce que j'ai mené Gertrude au concert?, j'obtins cette réponse :
- Tu fais pour elle ce que tu n'aurais pas fait pour aucun des tiens.

C'était donc toujours le même grief, et le même refus de comprendre que l'on fête l'enfant qui revient, mais non point ceux qui sont demeurés, comme le montre la parabole; il me peinait aussi de ne la voir tenir aucun compte de l'infirmité de Gertrude, qui ne pouvait espérer aucune autre fête que celle-là. [...] Ce qui me chagrinait davantage, c'est qu'Amélie eût osé dire cela devant Gertrude, car bien que j'eusse pris ma femme à l'écart, elle avait élevé la voix assez pour que Gertrude l'entendit. Je me sentis moins triste qu'indigné, et quelques instants plus tard, comme Amélie nous avait laissés, m'étant approché de Gertrude, je pris sa petite main frêle et la portant à mon visage :

-Tu vois, cette fois je n'ai pas pleuré.
- Non : cette fois, c'est mon tour, dit-elle, en s'efforçant de me sourire; et son beau visage qu'elle levait vers moi, je vis soudain qu'il était inondé de larmes.» (p.55-62)

André Gide, La symphonie pastorale, 150 p.

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Toto
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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Toto » jeu. 22 août 2013, 21:48

Deux livres qui m'ont profondément marqué :
La liberté intérieure, de Jacques Philippe
Croire à l'amour, du Père d'Elbée

Sinon, je suis en train de lire L'esprit de la musique, de Benoît XVI. Fort intéressant, même si faut s'accrocher pour tout suivre.

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Angelisa » ven. 23 août 2013, 15:11

"Les cendres d'Angela" de Franck McCourt. Un très beau récit autobiographique relatant l'enfance misérable ordinaire dans une Irlande catholique. L'observation du monde des adultes décrite avec des mots d'enfant.

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Toto
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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Toto » ven. 23 août 2013, 22:23

Ah, et j'avais oublié : Enquête sur les anges, d'Anne Bernet. Très intéressant!

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Aldous
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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Aldous » lun. 26 août 2013, 12:39

Bonjour,

Je viens de terminer
A quoi servent les moines?
Dom Michel Pascal en entretien avec Charles Wright
Ed. Nouvelles François Bourin , Paris
Parution : avril 2011

À quoi servent les moines? est à la fois une initiation à la vie monastique, un livre de spiritualité et une immersion dans l'univers d'un homme de Dieu qui croise les anges et le diable comme nous avisons nos voisins. C'est aussi une réflexion sur l'« utilité » des moines dans le monde contemporain. (extrait de la quatrième de couverture)

http://www.laprocure.com/quoi-servent-m ... 12343.html

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