Journal de Julien Green

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"Vers la fin du jour, dans le coin de sa chambre, quand les bruits de la ville et de la vie s'apaisent un tant soit peu, quand il y a en nous ce silence du crépuscule où Dieu est plus sensible qu'à d'autres moments, peut-être, c'est alors qu'il faut ouvrir sa Bible, écouter ce qu'elle va nous dire. Parler à Dieu, le coeur encore tout chaud de bonheur. Comme il doit aimer qu'on lui dise qu'on L'aime ! Et plus on le Lui dit, plus Il nous aime..."

Extrait de "Le bel aujourd'hui", Julien Green, 28/5/1956

Une fois de plus, aujourd'hui, cette femme d'une cinquantaine d'années, au visage dur, qui est entrée dans la boutique, m'a annoncé qu'elle devrait se faire opérer "en septembre", puis m'a proposé une revue "pour quelques euros". Régulièrement depuis six mois, quand passe la date du 20, elle reproduit le même jeu et se mêle dans ses déclarations en sorte qu'il est clair qu'elle se trompe parfois, non seulement de personne mais aussi de discours. Or, cette apparente opacité de visage, dévoile plus qu'il ne cache. Dans un visage "composé", le travail de composition reste visible: un peu d'attention suffit à révéler le masque.

Curieusement - dans la vie tout est curieux, à peine était-elle ressortie, bredouille, que j'ai découvert cette petite annotation dans "Le bel aujourd'hui":

"Le visage des gens qui ont quelque chose à cacher est pareil à un mur. Mieux encore, il est comme une porte qu'on a murée et dont la présence se devine néanmoins. Je pensais à cela en observant un vieux monsieur très correct, mais d'une respectabilité trop agressive. Mais quoi, ce qu'il voudrait cacher de tous est connu depuis longtemps... Il s'imagine que cela ne se voit pas, parce qu'il s'étudie à ne rien laisser paraître, mais hélas, son pauvre visage crie la vérité. Je ne connais rien de plus triste que cette comédie qui ne trompe personne, sauf celui la joue."

Néanmoins, ces personnes, comme nous-mêmes, méritent gratuitement une prière de miséricorde. Même si le mensonge est patent: c'est le mensonge qui est haïssable, non le menteur. Le pécheur est aimé de Dieu, et le seul à pouvoir jeter la première pierre n'est autre que Jésus-Christ...

Je suis toujours aussi étonné de constater combien, chaque jour, les lectures de la liturgie, en un endroit ou un autre, répondent à un questionnement en moi. C'est que la Bible est bien un livre qui vit, un livre qui parle chaque jour à qui ouvre son coeur.

Ce matin, à l'occasion de la fête de l'apôtre Jacques, saint Paul évoquait en termes très forts, mais aussi réconfortants, combien la vie de foi est soumise à l'épreuve - et l'on dirait que plus on avance, plus c'est le cas !

Cet après-midi, j'ai repris ma lecture des carnets de Julien Green, et surprise, je tombe sur un écho "moderne" de la situation que constatait saint Paul :

"Avoir une vie agréable et une foi vive n'est pas possible, parce que la foi ne s'accommode pas - du moins pour qui la vit sincèrement, d'une vie agréable. La foi est en elle-même un mouvement d'héroïsme et elle fait souffrir."

Je suis d'accord. D'ailleurs qu'est-ce qui étant charnel en nous, subsistera devant Dieu ? Rien. "Nul ne peut voir ma face sans mourir". Même ce qui est charnel dans l'âme sera brûlé et disparaître. C'est une souffrance de changement, une souffrance pour renaître de l'Esprit.

L'auteur évoque dans son Journal (avril 1955) comment il a perdu sa mère et son engagement de foi qui a suivi:

"Parlé hier avec R... de ma mère et du rempart qu'elle était pour nous tous, ses enfants. Ce rempart s'est abattu d'un seul coup, en 1914. Cela a été la grande catastrophe de mon enfance et qui m'a assombri durant des années. J'ai été long à comprendre ce qui était arrivé, long à me faire à ce malheur. J'ai cherché en moi, puis en Dieu la forteresse, la tour inexpugnable, le seul refuge. Nous qui avons la foi, quelle responsabilité énorme est la nôtre dans un monde devenu fou et pour qui l'incroyance est la norme, le bon sens, la raison !"

Note:
Je cite ce passage car moi aussi, dans la foi, depuis longtemps (mais moi je n'ai perdu mon père qu'il y a trois mois et ma mère sera encore en vie après son opération de mercredi - je prie pour cela !), j'ai cherché et trouvé quelque chose qui ressemble à ce refuge unique dont parle Green. Dans la soirée d'hier, ma soeur aînée a appelé depuis le lac Majeur en s'inquiétant un peu de ce que le retour s'effectuerait en 15 heures d'affilées - avec des haltes minimales - et obligatoires pour les chauffeurs. Donc, mes deux soeurs seront de retour dans les premières heures du jeudi et m'appelleront peut-être pour servir de taxi.... mais à ce moment-là, moi je connaîtrai déjà le résultat de l'opération de ma mère, et je ne sais pas comment je réagirai... pour cela aussi, je dois demander que la volonté de Dieu soit faite, et surtout en Sa miséricorde !

Toujours est-il qu'une heure après le coup de fil de ma soeur aînée, j'ai envoyé un SMS leur suggérant: "Alternatives possibles ? Avion ou train express au retour ?" Mais j'ai reçu la réponse de ne pas m'inquiéter. Toutes les deux n'ont pas compris que je ne m'inquiétais pas pour elles mais pour l'avenir de nos relations - entre frère et soeurs. A mes yeux elles se sont déjà fort discréditées en ne reportant pas ce congé. Lorsqu'elles ont appris l'opération, tout était possible: elles auraient pu partir moins loin aussi, elles auraient pu partir plus tôt, ou partir après, puisqu'elles ne reprennent le travail qu'à fin août. Une amie m'a demandé si je serais rancunier. J'ai répondu sincèrement que non, je ne pense pas. Mais ce qui me sera impossible désormais, c'est d'avoir confiance en elles. Si le pire doit arriver au cours de ce retour de vacances, et que je doive prendre tout sur moi pendant qu'elles se reposeront (encore)... il est évident que le jour où j'aurai besoin d'elles pour moi-même... mon premier mouvement sera la méfiance. J'ai répondu à cette amie: "Plus tard, si nécessaire, mieux vaudrait que je fasse appel à une garde-malade payée, même chèrement payée, en prenant des garanties légales, plutôt que de m'en remettre à des promesses de mes soeurs.... car j'ai déjà reçu beaucoup et beaucoup de promesses de leur part, qui sont demeurées sans suite, le jour où j'ai demandé leur assistance et leur appui.

Alors, maman, tu sais ce qui te reste à faire: vis, vis longtemps ! (Oui, c'est égoïste, je sais...)

Conversion courte, conversion lente, merveilles !

Le Journal de Julien Green permet vraiment d'aborder tous les sujets (bien que je puisse me tromper d'objets !). En tout cas, je voudrais partager sur le thème dont il a parlé et peut-être raconter ensuite comment je me suis converti... (en réalité, nul ne se convertit soi-même, mais bref). Voici ce que raconte JG:

La conversion d'une petite âme tout à fait ordinaire me paraît aussi miraculeuse que la conversion d'une grande âme ; et la conversion lente et presque imperceptible m'est tout aussi admirable que la conversion soudaine qui frappe l'imagination. Je me demande même si un homme très lentement attiré à Dieu n'offre pas un meilleur exemple de la puissance de l'Amour. Un homme terrassé par la grâce et rompant séance tenante tous ses liens avec le monde, voilà un spectacle extraordinaire. Mais un homme, fortement lié et tenu par les plaisirs de ce monde, à tel point qu'il semble impossible qu'il puisse jamais les quitter, parvenant malgré tout, par l'infinie patience de la grâce, à détruire le piège fil après fil et tout à coup dégagé de cette complication mortelle, quoi de plus étonnant si l'on y réfléchit bien ?

(Le Bel Aujourd'hui - 11/5/1955)

Message non lu par **Anne** » mer. 30 juil. 2008, 2:02

J'avoue ici ma grande ignorance littéraire: vous citez souvent Julien Green et je n'ai lu aucun de ses livres, j'en ai bien peur...
Les extraits que vous proposez sont toujours très touchants, porteurs de beaux et profonds messages.

J'aurais envie de lire quelques-unes de ces oeuvres, mais le choix est si vaste!

Vous serait-il possible de me faire des recommendations? Lorsque vous en aurez le loisir, il va sans dire.
J'apprécierais beaucoup...

Bonjour Anne,

J'ai découvert "par hasard" le Journal de Julien Green, qui s'étale sur dix-huit volumes, depuis 1926 à 1998, année de sa mort. Je n'en dispose que de deux (en format de poche). J'ai voulu en commander d'autres en librarie... mais il semblerait que ce n'est plus réédité, ce qui m'a choqué, je dois dire. Comme il était Académicien, sans doute attend-on une oeuvre complète qui coûtera très cher...

Pourriez-vous vous renseigner de votre côté - vous êtes de l'autre côté de l'océan, je crois? Alors peut-être qu'à Montréal, il y aurait assez de bouquiniste pour faire des heureux partout ?

De ces années obscures, je garde le souvenir d'une minute de ravissement tel que je n'en ai jamais connu depuis. Doit-on dire ces choses ou les garder pour soi ? Il y eut un moment, dans cette chambre, où levant la tête vers la vitre, j'aperçus le ciel noir dans lequel brillaient quelques étoiles. Quels mots employer pour décrire ce qui échappe au langage ? Cette minute fut peut-être la plus importante de ma vie et je ne sais qu'en dire. J'étais seul dans cette pièce sans lumière, et le regard levé vers le ciel j'eus ce que je ne puis appeler qu'un élan d'amour. J'ai aimé en ce monde, mais jamais comme en ce court moment, et je ne savais qui j'aimais. Pourtant je savais qu'il était là et que me voyant, il m'aimait aussi. Comment cette pensée se fit-elle jour dans mon cerveau ? Je n'en sais rien. J'étais sûr que quelqu'un était là et me parlais sans paroles. Ayant dit cela, j'ai tout dit.

(Julien Green dans "Partir avant le jour" - Souvenirs d'enfance)

Message non lu par **Anne** » sam. 02 août 2008, 2:12

etienne lorant a écrit :Bonjour Anne,

J'ai découvert "par hasard" le Journal de Julien Green, qui s'étale sur dix-huit volumes, depuis 1926 à 1998, année de sa mort. Je n'en dispose que de deux (en format de poche). J'ai voulu en commander d'autres en librarie... mais il semblerait que ce n'est plus réédité, ce qui m'a choqué, je dois dire. Comme il était Académicien, sans doute attend-on une oeuvre complète qui coûtera très cher...

Évidemment!

Pourriez-vous vous renseigner de votre côté - vous êtes de l'autre côté de l'océan, je crois? Alors peut-être qu'à Montréal, il y aurait assez de bouquiniste pour faire des heureux partout ?

Je vis bien loin de Montréal, mais je peux jeter un coup d'oeil chez le bouquiniste la prochaine fois que je vais "en ville"...
Bon, voilà, c'est avoué: j'habite la campagne plus ou moins profonde!

J'ai vu un beau "kit" sur E-bay, mais il s'est déjà envolé...
Quels sont les 2 tomes que vous possédez déjà?

Pour l'instant, j'ai trouvé "Le bel aujourd'hui" (1955-1958) et le précédent "Le miroir intérieur" (1950-1954). J'ai également trouvé un volume qui ne figure pas dans le Journal, mais qui relate l'enfance, c'est : "Partir avant le jour".

J'avais lu "Moïra" il y a des années, et je n'avais pas accroché au roman. Julien Green a aussi écrit des tas de "briques" sur les états du Sud des Etats-Unis (d'où sa mère était originaire), mais là non plus je n'accroche pas: je n'aime pas les saga. Dans bon nombre de romans, l'auteur aborde le sujet de la sensualité, les combats, les chutes... c'est un sujet qui lui tenait à coeur car il ne cache pas avoir beaucoup lutté contre ses propres penchants. Bref, "Moïra", le tout premier livre que j'avais lu (entre vingt et trente ans) m'avait suscité plus d'ennui que d'intérêt. Pour tout dire, je l'avais trouvé "lourd". Dommage pour moi d'avoir été aussi simpliste et trop rapide dans mes choix de lecture à l'époque !

Julien Green 29 mai 1955. "Il faut prendre son parti d'être harassé par le démon jusqu'à la mort. J'entends dire quelquefois: "Il a la foi, il a retrouvé la paix." Mais la paix de Jésus, c'est un glaive. J'ai reçu ce matin une lettre de Jacques Maritain (converti du 2Oième siècle, assez connu) ou y a cette idée que je trouve belle: me souhaitant si souvent hors du monde, je dois considérer que je l'ai quitté en effet, à cause de la foi qui nous isole. Je crois aussi que la foi nous isole, non pas de l'humanité pour qui le Christ est mort, mais du monde pour qui le Christ n'a point prié".

...et je me demande pour moi-même quelles autres formes prendra encore le démon pour m'assaillir... la peur de la vieillesse, oui certainement, j'en fais déjà l'expérience; la sensualité: je la crois maîtrisée, mais il me faut toujours maintenir une prise ferme et conduit autant à un excès de boisson qu'à un regard impur; je note aussi : la crainte de manquer en temps de conjoncture économique difficile. La crainte de manquer, pour moi, c'est pire que tout le reste parce que ma foi me parle tout le temps de l'abandon de confiance, et chaque fois que je m'abandonne en confiance, je suis récompensé de grâces diverses.

Pour l'instant, je n'ai jamais ressenti la crainte de perdre mon âme. J'attribue cette relative sérénité au fait que depuis le début de l'année, les épreuves ont succédé aux épreuves, et j'ai été inondé de grâces comme jamais - gare au moment où il me semblera que je peux relâcher ma veille ! Mais non, je maintiendrai la veille en maintenant mon organisation de vie quotidienne centrée sur l'Eucharistie.

Ce midi, j'ai continué de parcourir les souvenirs d'enfance de Julien Green, et j'ai découvert petit à petit comment il avait "glissé", confusément au début mais assez rapidement, dès l'âge de raison, de l'église protestante à l'église catholique. Une cousine était irlandaise et catholique et, lors d'une visite chez cette dernière, la vue du corps de cet homme crucifié - qui s'appelait INRI ("Tata, c'est qui Inri ?" ) l'avait étonné. Un peu plus tard, lors de la visite d'un musée parisien, Julien s'était scandalisé qu'une toile représentant "INRI" ait été placée à l'envers - quelle erreur de la part des gardiens du musée ! (Bien sûr, il s'agissait d'une toile représentant la crucifixion de saint Pierre). Plus fondamentalement, il régnait dans cette famille une sorte de pessimisme tournant autour du salut ou de l'Enfer - car il n'y avait pas de seconde chance au purgatoire... qui a attiré le jeune Julien. Et puis, évidemment, quand la maman adorée est décédée alors qu'il n'avait que quatorze ans, une autre Mère a pris la suite... et cela se devine à quelques mots. Il faut dire que je viens, de manière un peu effrontée et légère de résumer plus de six pages de "Partir avant le jour" (dans la collection Livre de Poche N°3366). Il est question également d'une pièce d'or pur glissée "rapidement" par la mère de Julien à une prostituée qui s'était réfugiée sous un porche lors d'une averse. Pourquoi ?, lui avait demandé son époux. "Parce qu'elle est moins jolie que les autres et personne ne fait attention à elle". En tout cas, pour moi, cette attention portée envers une prostituée à qui personne ne fait attention, c'est forcément de Jésus.

J'ai pensé d'abord retranscrire mot pour mot les six pages que j'ai lues, mais je ne peux m'empêcher de songer que j'ai toujours un travail de "reformulation" à effectuer (sans lequel je ne serais qu'un vieux scribe - qui ne saurait pas tirer de son trésor "du neuf et de l'ancien" - ainsi que le disait l'Evangile d'hier). Il est important de transmettre les histoires, d'écrire de nouveau les mots qui ont fait jaillir en nous l'espérance. C'est un travail obscur, mais dans l'obscurité à jailli la Lumière...

Message non lu par **Anne** » dim. 03 août 2008, 5:55

Nous n'avons pas toujours la maturité requise pour lire certaines oeuvres lorsque nous les découvrons, c'est en effet dommage...

J'ai noté celles que vous possédez. Quand je vais en ville, (Dieu sait quand, mais ça viendra!) je vais aller bouquiner!

AnneT a écrit :J'ai noté celles que vous possédez. Quand je vais en ville, (Dieu sait quand, mais ça viendra!) je vais aller bouquiner!

Vous me ferez signe, Anne. J'aime beaucoup les rues Mont-Royal et Saint Denis où il y a plein de bouquineries. Et en plus des p'tits cafés...

Montréalaise pure laine, je connais beaucoup de petits trésors cachés...

Fraternellement,
Hélène

Message non lu par **Anne** » lun. 04 août 2008, 6:00

Ça met l'eau à la bouche!

Cependant, pour moi "en ville" ce n'est pas tout-à-fait Montréal.

Comme je l'ai dit, j'habite la campagne très profonde (St-Hannarière-des-Coinquoins

) et Montréal est à un bon 5 heures de route... quand tout va bien!

Mais je garde l'invitation à l'esprit si jamais je me rends à la Grand'Ville pour autre chose que prendre l'avion à PET!