De dangereux ennemis du savoir

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Cinci
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De dangereux ennemis du savoir

Message non lu par Cinci » lun. 31 janv. 2022, 5:47

Bonjour,

Publié dans le cahier week end du journal Le Devoir. Un article fort pertinent de Normand Baillargeon, très bon journaliste scientifique ayant écrit plusieurs bouquins sur la fraude intellectuelle, les techniques de rhétorique menteuse, un guide d'autodéfense contre le terrorisme intellectuel, etc.


Article :
Normand Baillargeon

Les temps tragiques que nous traversons nous rappellent l’importance cruciale de la science (où en serions-nous sans les vaccins…), mais aussi combien cette conquête de la rationalité est fragile et constamment menacée.
Le politique, pour commencer, peut, comme nous le rappelait récemment le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, brouiller les pistes et mettre à mal la nécessaire transparence de la communication entre les experts et le public, qui exige que l’on fasse le tri entre ce qui relève de l’un et ce qui relève de l’autre.
et
Plus subtilement, l’idéologie, au sens large, peut aussi faire obstacle à la communication, et même à la recherche scientifique. On connaît à ce sujet les désolants effets des croyances relativistes et postmodernistes dans de vastes secteurs de la vie intellectuelle et de l’université.

Continuons :

Michael Shermer et Scientific American

Je suis depuis longtemps un avide lecteur de revues faisant de la vulgarisation scientifique. Parmi elles, la prestigieuse et très ancienne Scientific American.

Plus jeune, je me précipitais sur le dernier numéro pour aller lire celui que je tiens pour l’un des plus grands vulgarisateurs des sciences, mais surtout des mathématiques, du XXe siècle : Martin Gardner (1914-2010). Plus récemment, un autre très grand nom du scepticisme contemporain y a, durant quelques années, tenu chronique : Michael Shermer, aussi fondateur de la revue Skeptic. C’est sur sa chronique que je me lançais en recevant la revue.

Puis, d’un coup, après 214 chroniques, ça s’est arrêté, en janvier 2019.

Shermer a récemment expliqué ce qui, selon lui, s’est passé. En un mot, il n’était pas assez woke pour les positions idéologiques qu’à son avis la revue défend désormais.

Ce troublant épisode, à ranger parmi les menaces idéologiques contre la science et la rationalité, n’a pas, je pense, été rapporté chez nous. Il mérite pourtant toute votre attention.


https://www.ledevoir.com/opinion/chroni ... -du-savoir

Ce troublant épisode, à ranger parmi les menaces idéologiques contre la science et la rationalité, n’a pas, je pense, été rapporté chez nous. Il mérite pourtant toute votre attention. (bis.)

Cinci
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Re: De dangereux ennemis du savoir

Message non lu par Cinci » sam. 05 févr. 2022, 5:37

Présentation de Normand Baillargeon ...

Je pense qu’il se livre dans nos sociétés une véritable bataille, souvent occulte, pour façonner l’opinion, et ceci a une grande importance sociale et politique.

https://www.acfas.ca/publications/magaz ... r-critique
Considérez, par exemple, ces firmes de relations publiques qui mettent en œuvre diverses techniques et stratégies pour former l’opinion publique. Je viens justement de faire la présentation de Propaganda, un livre du principal fondateur de cette industrie, Edward Bernays (1891-1995). C’est une lecture fascinante et instructive. En toute candeur, il explique comment on doit utiliser la psychologie, les sciences sociales et la psychanalyse pour faire adopter par la masse des gens des valeurs, des comportements, des modes de pensée. Écrit en 1928, ce bouquin n’a rien perdu de sa pertinence.


je suis très préoccupé par le fait, d’une part, que la rationalité n’occupe pas toute la place qu’elle devrait dans nos discussions sociales, politiques et économiques, et d’autre part, que la propagande occupe une si grande place dans nos sociétés, où elle ne rencontre que trop peu de résistance.
En fait, quand une donnée chiffrée est avancée, il est crucial de se demander qui a compté, comment a été défini ce qui est compté et comment on a compté. Cela, encore une fois, peut avoir une grande importance politique.

En voici un autre exemple. L’an dernier, quand le président américain ou les porte-paroles militaires du gouvernement américain parlaient du nombre de morts en Iraq, un chiffre était régulièrement cité dans de nombreux médias : 30 000 victimes. Pourtant, au même moment, les mêmes officiels américains affirmaient, sans semble-t-il être trop gênés de l’inconsistance de leur discours : « We don’t do body count! ».

Précisément à ce moment-là, la revue The Lancet publiait les travaux d’une équipe d’épidémiologistes ayant mené sur le terrain une enquête sur le nombre de civils morts depuis les débuts de la guerre. The Lancet, comme on sait, est une excellente publication, avec comité de lecture. Or, en utilisant des méthodes épidémiologiques reconnues, l’auteur de l’article arrivait à 654 965 morts. Le plus triste est qu’à peu près aucun des grands quotidiens québécois n’a repris cette information – laquelle s’est cependant retrouvée dans la presse indépendante ou « alternative ». On le voit avec cet exemple : être vigilant et multiplier les sources auxquelles on s’informe sont deux stratégies efficaces pour assurer son autodéfense intellectuelle.
Selon les besoins de la propagande, les chiffres sont diminués ou surestimés.

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Re: De dangereux ennemis du savoir: scepticisme,relativisme ou scientisme ?

Message non lu par Gaudens » jeu. 26 janv. 2023, 20:45

Je viens d’assister à une conférence de vulgarisation scienbtifique(en gros).Le conférencier et d’autres autour de lui dénonçaient l’irrationalité montante :climatoscepticisme,radicalité anti-vaccins et retour du créationnisme*.
Cette constatation est au moins partiellement exacte,entre autres due au déferlement des réseaux sociaux en tous genres,propices à l’épanouissement d’opinions radicales infondées se confortant entre elles.D’où fake news, extrémismes exaspérés de diverses sortes et en effet expression d’une méfiance croissante envers tour ce qui vient d’ « en haut »,dont le discours scientifique.
Tout en écoutant cela , je ne pouvais m’empêcher de penser que montait parallèlement un certain discours ou en tout cas une certaine attitude scientiste, c’est-à-dire une idéologisation de la science .N’étant pas scientifique moi-même,j’aurais du mal à argumenter longuement mon intuition fondée sur quelques propos saisis ici ou là ce dernières années.
Les scientifiques déviant insensiblement vers l’idéologie se verraient ainsi appliquer avec raisons la phrase ciblant les idéologues : « ils croient qu’ils savent mais ils ne savent pas qu' ils croient »(Alain Besançon).
Et par ailleurs je faisais en moi-même le parallèle avec l’expérience qu’a connue un autre discours de connaissance à partir du XVIIè siècle en gros ;celui de n’être plus cru unanimement par toute la société.Je veux parler bien sûr de la proclamation chrétienne à travers l’enseignement des hommes d’Eglise (ou d’ Eglises car cela allait au-delà du seul catholicisme). La tentation en ce cas là est de répondre par un discours d’autorité et par le refus d’entendre les mises en cause. C’est un peu ce que j’ai entendu cet après-midi pourtant de la part de gens qui se voulaient (et étaient probablement) très tolérants par ailleurs :ce qu’on pourrait résumer par : « le discours scientifique est une réalité- ou une vérité - ,pas une opinion ». Il est possible d’ailleurs que le renouveau de scientisme dont j’ai l’intuition soit une modalité inconsciente de cette réaction d’autorité.

Vu d’un autre angle , on peut craindre qu’à l’instar de ce qui se passa vis-à-vis du christianisme aux XVIIè et XVIIIè siècles,la mise en cause puisse être une sorte de réponse d’une part de la société à l’autoréférentialité du monde scientifique (de l’Eglise autrefois) ,entités peu enclines à remettre en cause les modalités et les conséquences , l’usage même, de leur action dans le monde. Pour être clair,que pourraient répondre les hommes de science aujourd’hui à l’interpellation de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » ?
Plus globalement se pose la question de l ‘abandon de la recherche de vérité par de larges pans des penseurs occidentaux actuels, abandon qui peut être fatal tant au discours chrétien qu’au discours scientifique.Si tout est relatif,si tout se vaut,combien de temps peut durer la certitude scientifique ? (voir la pensée du discutable philosophe se disant d’ailleurs catholique qu’était le récemment disparu Bruno Latour sur la fragilité du consensus scientifique…). C’est un point sur lequel le pape Benoit XVI avait plusieurs fois attiré l’attention de ses contemporains et qui représente un défi général assez sous-estimé.

• Créationnisme , ce terme est trompeur , c’est de fixisme qu’on devrait parler : la création immédiate(éventuellement en une semaine calendaire) d’un univers et d’espèces sorties de l’esprit du Créateur et demeurant perpétuellement dans leur état initial.Affirmer que Dieu créa le ciel et la terre ne signifie pas dire comment.
Dernière modification par Gaudens le sam. 28 janv. 2023, 10:12, modifié 1 fois.

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Re: De dangereux ennemis du savoir

Message non lu par prodigal » ven. 27 janv. 2023, 11:31

Cher Gaudens,
pour prolonger ce que vous avez écrit, je dirai qu'il faut absolument distinguer
1) le discours tenu par un scientifique, qui mérite sans doute respect et attention, mais qui n'est pas forcément scientifiquement fondé dans tout ce qu'il dit, car nul scientifique n'est omniscient.
2) le discours scientifique lui-même, qui par opposition au précédent est impersonnel. Il est en droit rigoureux, objectif et exact, mais en fait quasiment illisible, en raison du très haut degré de spécialisation qu'il requiert.
3) le discours tenu au nom de la science, celle-ci jouant le rôle d'une vague entité diffuse et infaillible. Ce discours n'est que pure idéologie, et donc requiert une grande méfiance.
On peut tenir pour quasiment assuré que lorsque quelqu'un dit :"les scientifiques ont montré que..." il est lui-même totalement incapable de présenter le moindre semblant de démonstration!
Et donc, le contraire du discours irrationnel qui relèverait d'une idéologie complotiste ou encore occultiste, ce n'est pas le discours tenu "au nom de la science", qui n'est pas plus rationnel, mais s'appuie sur le pouvoir de persuasion sous toutes ses formes. Dire cela, on l'aura compris, n'est en rien rejeter l'esprit scientifique, bien au contraire. Rien n'est moins scientifique que de croire sans savoir et en croyant qu'on sait!
"Dieu n'a pas besoin de nos mensonges" (Léon XIII)

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