Ici :
La Femme : «La femme du chapitre 12 symbolise donc l'humanité dans son rapport complexe avec Dieu. Ce symbole vient de l'Ancien Testament, oû il désigne Israël dans sa relation avec YHWH; Jean en préserve la valeur originelle, puisque dans la seconde fuite de la femme au désert l'histoire de la femme coïncide avec l'histoire religieuse du peuple élu. Mais, aux yeux de Jean, l'élection et la délivrance d'Israël, loin d'être une fin à elle-mêmes, font partie d'un dessein qui concerne toute l'humanité. [....] reprenant un symbole biblique qui se référait à Israël, Jean le resitue dans le contexte de la Genèse, L'histoire du peuple élu est soustraite par là à toute tentative particularisante, et insérée dans une histoire bien plus vaste qui la contient et qui remonte aux origines de l'humanité.
L'humanité a été crée dans un état de perfection. Cette perfection est d'abord d'ordre concret : l'homme est au centre du cosmos et le domine (la «femme» est enveloppée de soleil, les étoiles autour de la tête, la lune sous ses pieds). Mais une plus grande perfection d'ordre spirituel est promise à l'humanité (l'enfant que la femme porte en elle v.2) Il ne s'agit pas d'un don immédiat : l'homme n'atteindra la nouvelle perfection que s'il respecte des conditions posées par Dieu, qui impliquent effort et renoncement. Cela est condensé dans l'image de la femme qui «crie dans les douleurs». Dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, cette image est fréquente pour dire l'épreuve qui accompagne la naissance spirituelle (Jr 13,21; Rm 8,22)
Le mâle : Il s'agit de la nouvelle humanité ou le second Adam.
Jean fait indirectement allusion à l'exigence d'obéir à Dieu : l'interdit posé par Dieu mettait une séparation entre l'arbre de vie et l'arbre de la connaissance. C'est seulement dans la nouvelle Jérusalem que ces deux arbres seront unifiés (Ap 22,2) En notre texte, Jean souligne surtout un état de précarité : dans sa première condition, l'homme ne persévère pas; l'enfant, dès qu'il est engendré, est «arraché» à la femme. La violence qu'elle subit se réfère à la fois à l'agression de Satan et à la punition imposée par Dieu.
Le réalisme du verset 2 embarrasse les défenseurs de l'une ou l'autre interprétation classique : la femme est enceinte et crie dans les douleurs et les tourments de l'enfantement. Toutefois, l'enfant étant pour eux le Christ, ces auteurs s'accordent pour entendre au figuré la difficulté de cette naissance. Tout irait bien si l'identification avec le Christ était certaine. Or, un seul élément de la figure du fils peut convenir au Christ : il est destiné à gouverner toutes les nations avec un sceptre de fer (v.5) Ce trait est un attribut messianique (Ps 2,9), qui est appliqué au Christ en 19,2. Mais il évoque aussi la qualité de roi qui, avec celle de prêtre, caractérise en i,6 les hommes sauvés par Jésus [...] Rien dans notre texte ne précise que le règne sur les nations destiné à l'enfant est le règne du Christ lui-même plutôt que celui promis aux croyants. Cette seconde hypothèse ne peut donc être exclue, et il n'est pas interdit de voir dans l'enfant un symbole de l'avenir que Dieu a promis à l'homme lors de sa création.
De toute manière, le sort de l'enfant ne peut être assimilé à celui de Jésus Christ. Jean écrit que la femme enfanta un fils mâle ,,, et son enfant fut arraché auprès de Dieu et de son trône (12,5) Voir ici une allusion à la mort et l'ascension de Jésus n'est pas impossible, mais cette lecture ne rend pas compte de la nuance indéniable de violence et même de châtiment que la phrase implique à l'égard de la femme. Comment comprendre cela si l'enfant est Jésus, et la femme Israël, Marie ou l'Église? Pour Israël, on pourrait admettre que le Christ, bien qu'engendré par lui, lui est soustrait en raison de son incrédulité; mais comment entendre alors la sollicitude que Dieu déploie à l'égard de la femme aussitôt après que l'enfant lui a été arraché?
Les deux ailes du grand aigle : La mention du fils arraché à la femme précède immédiatement la mention de la première fuite; bien qu'il ne soit pas explicité, un lien existe entre les deux : la femme va au désert après que l'enfant lui a été soustrait. Le désert représente pour elle un changement de lieu : même si elle s'y trouve sous la protection divine, sa condition s'est modifiée, elle n'est plus «signe dans le ciel». A ce point de son exposé, Jean revient à l'autre «signe dans le ciel», au Dragon, et raconte un combat épique qui se passe encore au ciel entre les anges rebelles et les anges fidèles, guidés respectivement par Satan et Mikaël (12,7). En ce combat s'affrontent deux manières de se situer face à Dieu : l'attitude de celui qui égare le monde entier en affirmant que la créature peut égaler le Créateur (cf. Gn 3,5) et celle de l'archange qui proclame «Qui est comme Dieu?» (tel est le sens de Mikaël en hébreu)
L'issue du combat est défavorable aux anges rebelles, qui sont expulsés du ciel (12,8) Satan étant précipité sur la terre, les voix qui célèbrent le triomphe céleste annoncent au monde des malheurs. De fait, voyant qu'il avait été jeté sur la terre, le Dragon se mit à poursuivre la femme qui avait enfanté l'enfant mâle (12,13) Elle s'enfuit alors de nouveau au désert, sur les ailes du grand aigle. Cette fuite, tout en prolongeant la précédente, n'est pas la même, car ce que Jean a décrit entre-temps a modifié le lieu et les circonstances de l'agression diabolique. Avant, tout se passait au ciel, dans un contexte bien différent pour la femme et pour le Dragon, maintenant tous deux sont sur la terre, oû se déroule l'histoire humaine.
[...]
Quand la femme passe d'une condition à une autre , il se produit pour elle quelque chose d'analogue à ce qui est arrivé à Satan lorsqu'il a été précipité du ciel : la femme aussi, en quelque sorte, chute du ciel sur la terre. Ces changements de lieu, certes, ne doivent pas être entendus au sens réaliste : ils disent symboliquement le passage d'un état à un autre. En raison de l'opposition ciel/terre, le second état est négatif par rapport au premier. La chose est évidente pour Satan, mais vaut aussi pour la femme. Elle doit séjourner au désert pour une période qui symbolise la persécution et l'épreuve. Pour y fixer sa demeure, elle devra en venir à un compromis abject avec son persécuteur et trahir Dieu qui lui a donné là un abri provisoire. C'est ce que fera «la grande Prostituée», dont la résidence est au désert (17,13)
Le caractère ambivalent du désert est davantage souligné lors de la seconde fuite, oû l'on reconnaît une allusion très nette à la situation des Hébreux sortis d'Égypte. Le désert où la femme se réfugie la première fois contiendrait-il de même une référence à un épisode historique? A ce point de notre lecture, nous avons assez d'éléments pour penser que la première fuite de la femme au désert est une allégorie de la chute originelle, qui a impliqué pour l'homme la perte de ses prérogatives et de la destinée qui l'attendait immédiatement (le fils arraché); et il a été privé de l'état d'amitié avec Dieu («ciel») et il a dû quitter l'Eden pour une terre devenue aride et pénible («désert»; cf. Gn 3,17-19)
La première fuite de la femme au désert correspond à la toute première intervention divine en faveur de l'homme après la chute. Démarche déjà salvatrice, d'autant qu'à partir de la faute Dieu prépare une intervention encore plus admirable, l'envoi de son Fils pour le salut des hommes. C'est vers cette promesse que Jean tient fixé le regard lorsqu'il présente de manière positive le désert oû la femme se réfugie.
L'intervention de Dieu à laquelle fait allusion la seconde fuite de la femme est plus concrète que la précédente. Elle a consisté dans la délivrance effective des Hébreux esclaves en Égypte. Non seulement ils ont été libérés par Dieu, mais ils ont été invités à une relation nouvelle avec lui grâce au don de la Loi et de la révélation (les deux ailes du grand aigle : 12,14) C'est à l'intérieur de cette relation nouvelle que pouvait se développer la «semence» de la femme, «ceux qui gardent les commandements de Dieu et qui ont le témoignage de Jésus» (12,17) Autrement dit, le nouveau lien avec YHWH ouvrait la voie d'un retour à la condition humaine d'origine, dont le «fils» de la femme est le symbole.
- Ne le sais-tu pas? Ne l'as-tu pas entendu?
Yavhé est un Dieu d'éternité :
il crée les extrémités de la terre,
il ne s'épuise ni ne se fatigue,
on ne peut sonder son intelligence.
A qui est épuisé il donne la vigueur,
du faible il décuple les forces.
Les adolescents s'épuisent et se fatiguent,
les jeunes gens finissent par trébucher :
mais ceux qui attendent Yavhé renouvel-
lent leur vigueur;
il leur pousse des ailes comme aux aigles;
ils courent sans se fatiguer,
ils marchent sans s'épuiser.
- Isaïe 40, 30-31